Déclaration de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur l'élaboration de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme et l'action en faveur des Droits de l'Homme dans le monde, Paris le 10 décembre 1997.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Journée mondiale des droits de l'Homme à Paris, le 10 décembre 1997

Texte intégral

Messieurs les Présidents,
Madame la Commissaire,
Mesdames et Messieurs les Députés et les Sénateurs,
Chers Amis,
Cette journée du 10 décembre 1997, journée mondiale des Droits de l'Homme, ouvre une année riche de nombreux symboles : célébration du cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, 150ème anniversaire de l'abolition de l'esclavage en France, 100ème anniversaire de l'article d'Emile Zola, "J'accuse", 100ème anniversaire de la création de la Ligue des Droits de l'Homme.

Je vais rappeler quelques souvenirs.
Il y a quarante-neuf ans, au lendemain d'une guerre qui a dépassé en horreur tout ce que la conscience humaine pouvait imaginer, l'Assemblée générale des Nations unies adoptait au Palais de Chaillot la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, acte de foi en un avenir différent.

Ce texte avait été très fortement inspiré par René Cassin qui, après y avoir longuement réfléchi à Londres pendant la guerre, avait, dans un article d'octobre 1945 (publié par "Ici Paris"), posé les bases de ce qui deviendra la Déclaration universelle : "une déclaration réaffirmant d'abord les droits imprescriptibles de l'Homme et du Citoyen bafoués par la contre-révolution fasciste, mais proclamant aussi les droits d'ordre économique et social appartenant respectivement à l'individu et à la collectivité".

Aussi, lorsqu'il retrouve Eléanor Roosevelt, qu'il avait connue à Londres en 1942, au sein du comité de rédaction (huit membres) mandaté pour rédiger un projet de déclaration internationale sur les Droits de l'Homme, René Cassin est un homme déterminé. Il sait qu'il faut saisir ce moment de l'Histoire où la communauté internationale est prête à une grande avancée dans ce domaine dans l'espoir de ne plus jamais revoir les horreurs des années 39-45.

Il suscite la création d'une Commission nationale consultative des Droits de l'Homme afin d'inspirer la position française pour cette négociation
Il n'hésite pas à nouer une alliance de circonstance avec l'Union sovietique pour imposer, malgré les réticences initiales des Etats-Unis, que figurent dans un même texte les droits civils et politiques et les droits économiques, sociaux et culturels.

Il suivra ensuite avec attention la traduction en droit international, plus tardive, des droits contenus dans la Déclaration universelle : en Europe d'abord, avec l'adoption en 1950 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, dont René Cassin est en quelque sorte le grand-père. Par la communauté internationale ensuite, avec notamment l'adoption des deux pactes en 1966.

*
*
Vous réunir aujourd'hui est l'occasion de rendre hommage a ce combat que vous poursuivez.

Cette assistance nombreuse et diverse montre combien la défense des Droits de l'Homme peut emprunter des voies diverses : initiatives législatives, décisions judiciaires, arbitrages constitutionnels, adoption d'instruments internationaux, action des ONG, de la société civile toute entière, des medias, des personnalités ayant une magistrature morale.

La présence parmi nous des cinq ONG étrangères (colombienne, ukrainienne, togolaise, sud-africaine, suisse), que je salue, illustre mon propos. Le Premier ministre leur remettra, tout à l'heure, le prix des Droits de l'Homme de la République francaise.

Maintenant que ce thème des Droits de l'Homme s'est imposé à la conscience du monde au cours de décennies de combat et d'effort, la question qui se pose à nous est la suivante : parmi les divers moyens que nous avons à notre disposition, quels sont les plus efficaces pour faire mieux respecter les Droits de l'Homme dans le monde, là où ils sont ignorés, ou bafoués et où des forces essaient de ralentir la mise en oeuvre de l'Etat de droit ? Nous France, nous Europe, nous pays occidentaux, nous, "communauté internationale", même si cette expression est plus encore un bel objectif qu'une réalité Demandons-nous maintenant comment favoriser l'amélioration du respect des Droits de l'Homme dans le monde, la consolidation des "démocraties émergentes" et de l'Etat de droit.

Je dis "démocraties émergentes" car il ne s'agit pas d'obtenir des conversions soudaines, de passer d'un coup de la religion de la tyrannie à celle de la démocratie mais de mener et de conforter des "processus de démocratisation longs, ingrats et complexes".

Donc quels moyens ? Les interventions discrètes ou publiques ? Les pressions discrètes ou publiques ? Les condamnations, discrètes ou publiques ? Les sanctions ou les embargos ? Contre qui ? Décidés par qui ? L'ingérence ? Décidée par qui ? Pour s'ingérer où ? Dans quel but ? etc... Naturellement, le débat toune autour d'une question centrale. Faut-il des mesures de coercition ou d'incitation ?

Comment déterminer selon les cas et les moments, la meilleure combinaison, le meilleur dosage, je veux dire le plus efficace ? Comment éviter que des mesures de rupture, spectaculaires, facilement populaires dans nos opinions, ne rassemblent les populations, par un réflexe de fierté, autour des dirigeants que l'on voudrait obliger à changer de politique ? En sens inverse, comment éviter que trop de compréhension des situations locales et du temps nécessaire à toutes choses ne conduisent à cautionner n'importe quelle situation habilement présentée et à attendre que le temps fasse son uvre ? Voila à quoi il nous faut réfléchir.

Il n'y a plus, en tout cas, de politique étrangère qui puisse faire l'impasse sur les Droits de l'Homme ; ni de politique étrangère qui puisse se ramener à cette seule dimension. Le dosage, le sur-mesure dont je parlais est d'autant plus nécessaire que dans ce monde, composé de 185 Etats, la ligne suivie par un Etat seul, même par la France, même par les Etats-Unis -voyez Cuba et tant de sanctions - a peu de chances de s'imposer. C'est donc avec les autres membres permanents du Conseil de sécurité, avec les autres membres de l'Union européenne ou du G8, ou de l'OCDE, avec les Etats-Unis (ou avec des partenaires du Sud) qu'il faudra faire ce travail d'ajustement.

Je souhaite que les échanges que nous aurons pendant ce déjeuner nous aident tous à mieux maîtriser ces questions et à affiner les réponses.

Je ne voudrais pas conclure sans avoir rendu hommage à tous ceux qui, sur le terrain, risquent leur vie pour la cause qu'ils défendent.

Je suis profondément préoccupé par la multiplication des attentats contre les personnels des ONG, notamment humanitaires, présents sur le terrain. Je crois, avec le secrétaire d'Etat à la Coopération, et dans le prolongement des Assises de la solidarité internationale, qu'il serait utile que nous nous concertions sur cette question, à l'occasion d'une réunion qui pourrait avoir lieu rapidement. Je suis là aussi ouvert à vos suggestions.

Je pense qu'une réflexion, si Mme Bonino en était d'accord pourrait également être poursuivie à Bruxelles, pour améliorer les conditions de sécurité lors desquelles sont mis en uvre des programmes européens.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 novembre 2001)