Texte intégral
F. Laborde - Les derniers sondages vous créditent d'un score qui va de 1,5 % au plus bas, à 3,5 % au plus haut. Cette progression dans les sondages, c'est presque le grand bond en avant...
- "Depuis le début de cette campagne, je n'ai pas le nez collé sur les sondages. Celui qui comptera sera celui de dimanche prochain. Il y a de plus en plus de monde dans nos meetings : des centaines, voire des milliers de personnes, qui viennent avec un public populaire. Et puis il y a des rencontres qui prouvent qu'il y a peut-être des millions de personnes qui pourront peut-être voter tout simplement pour quelqu'un comme eux, quelqu'un qui a la même fiche de paye que la majorité de la population. Peut-être qu'au bout d'un moment, les gens en ont marre que la politique soit représentée uniquement par des politiciens professionnels."
Vous grignotez auprès de qui ? L'électorat d'A. Laguiller qui est en tête des candidats trotskistes ou la gauche traditionnelle ?
- "Pour cela, c'est pareil, on attendra les résultats, mais je crois que tout simplement, il y a d'abord un électorat de gauche complètement déboussolé aujourd'hui par la politique de cinq ans de gauche plurielle, qui a quand même privatisé plus que Juppé et Balladur réunis. Et puis, il y a aussi les jeunes qui viennent, qui n'ont peut-être jamais voté, et pour qui la politique, c'est plus ces grandes manifestations, ces grandes mobilisations antimondialisation par exemple, où il y a à chaque fois des centaines de milliers de manifestants, avec l'idée que la politique doit d'abord être un engagement collectif pour combattre l'injustice, changer le monde. Et nous, c'est cette politique-là qu'on cherche aussi à réhabiliter, y compris à ces élections."
Qu'est-ce qui, dans votre programme, vous différencie du programme de Lutte ouvrière d'A. Laguiller ?
- "On ne présente pas un programme d'abord pour se différencier vis-à-vis d'Arlette, mais d'abord pour faire face à un patronat tout puissant..."
Mais quand elle dit qu'il faut interdire les licenciements, est-ce que vous dites que c'est bien ?
- "Il faut effectivement interdire les licenciements. Un gouvernement doit être capable d'imposer aux actionnaires le maintien de l'emploi et de l'activité industrielle sur une région. A la différence d'Arlette, je pense que cela sous-entend de participer au mouvement antimondialisation. Parce que quand on veut interdire les licenciements, y compris en France, il faut avoir le courage de s'attaquer au pouvoir de ces multinationales aujourd'hui, qui se développent à l'échelle de la planète et même à l'échelle de l'Union européenne. C'est pour cela que nous, à la différence de Lutte ouvrière, étions présents par exemple dans les rues de Barcelone ou dans les rues de Gênes, cet été, contre le sommet du G8."
On sait que par exemple, des mouvements comme Attac sont assez proches de vous...
- "Il y a une autonomie d'Attac vis-à-vis de tous les partis politiques, quels qu'ils soient. Et la force d'Attac et du mouvement antimondialisation, de façon plus générale, c'est d'être un mouvement pluraliste, unitaire, dans lequel on se retrouve pour mettre en avant des revendications concrètes, que cela soit l'éradication des paradis fiscaux ou la taxation de la spéculation boursière."
Il y a un autre thème de campagne qui revient régulièrement : le service public. Vous vous y intéressez d'ailleurs à un plus d'un titre, parce que vous en faites partie, vous êtes postier. C'est le démantèlement qui vous inquiète ? Le maintien du service public est-il compatible avec les accords européens ?
- "Théoriquement non. En tous les cas, pas avec l'Europe de Maastricht et d'Amsterdam. Mais ce serait aussi un signal fort pour construire une autre Europe. Ce serait une vraie rupture, par exemple que les services publics français, plutôt que de faire la guerre économique avec les autres opérateurs publics, comme l'a fait France Télécom pendant des années et des années, cherchent plutôt à se coordonner au niveau européen pour aller vers un premier pas, vers un service public européen. Pour nous, c'est un choix de civilisation. Et c'est à l'échelle même de l'Europe que se posent des besoins fondamentaux des populations, que ce soit pour se chauffer, s'éclairer, se soigner, correspondre ou même se déplacer. C'est à l'échelle de l'Europe que cela se pose maintenant. Par exemple, il y aurait la place pour une Poste à l'échelle de l'Union européenne."
Les Français, semble-t-il, manifestent une préoccupation toute particulière en ce qui concerne leurs retraites et en ce qui concerne l'insécurité au sens large. Est-ce que vous mettez ces deux thèmes au coeur de vos priorités ?
- "Les retraites notamment, parce que l'insécurité, c'est effectivement l'insécurité du lendemain. Ce n'est pas savoir ce que va être notre avenir globalement. On n'est pas d'accord avec les fonds de pension, même à la française, parce que les fonds de pension, c'est confier la somme des cotisations à des spéculateurs d'assurances, de banques. C'est le chacun pour soi, c'est jouer au casino de la Bourse son propre avenir. Et c'est ce qui s'est passé dans une société comme la société Enron aux Etats-Unis qui, pour des centaines de personnes, en plus de perdre leur emploi, ont perdu tout simplement leurs retraites. Nous sommes pour un système de répartition, c'est-à-dire la solidarité entre les générations. Le problème des retraites n'est pas d'abord un problème démographique, c'est d'abord un problème de proportion entre ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent plus. Il n'y aurait pas 2,5 millions de chômeurs en France, on ne se poserait même pas le problème des retraites aujourd'hui parce qu'il y aurait déjà 2,5 millions de cotisants en plus."
Après cette campagne, vous allez continuer et votre formation politique va présenter des candidats aux élections législatives et peut-être essayer de redessiner un nouveau parti à l'extrême gauche ?
- "On va d'abord effectivement se présenter dans plus de 400 circonscriptions au niveau des législatives. Et s'il y a un séisme politique le soir du premier tour, avec un score particulièrement important de toute l'extrême gauche - même l'extrême gauche est plurielle -, cela confirmera un projet qu'on défend depuis plusieurs années, qui n'est pas le monopole des révolutionnaires, mais qui est la question d'un nouveau parti des travailleurs qui fait cruellement défaut dans ce pays. Arlette n'a pas tort quand elle dit qu'un tel parti ne sera pas la simple addition des organisations trotskistes. Mais cela ne peut pas être la soustraction non plus. Cela ne peut pas être Lutte ouvrière seule, la LCR seule, cela ne peut même pas être un tête à tête entre Lutte ouvrière et la LCR."
Ce serait qui ? Ce seraient les partis trotskistes plus quoi ? Attac, des syndicalistes, des déçus du Parti communiste traditionnel ?
- "Cela devrait associer effectivement ces militants et ces électeurs de gauche qui ne se retrouvent plus dans l'orientation de la gauche plurielle. Et puis surtout, ces dizaines de milliers de militants dans le mouvement social, qui sont actifs au quotidien, qui font de la politique au bon sens du terme, sans être organisés nulle part, et qui pour nous devraient avoir une place à part entière dans la construction d'un tel parti."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 15 avril 2002)