Texte intégral
Permettez-moi tout d'abord de souligner l'esprit d'opportunité dont ont fait preuve M. le Sénateur Trémel et M. le Président Griset en organisant aujourd'hui ce colloque, et le plaisir que j'ai à déférer à leur invitation.
Je crois en effet que le moment est particulièrement bienvenu pour mobiliser les énergies - intellectuelles, pour ce qui est de cette manifestation d'aujourd'hui, en attendant la mise en mouvement des acteurs économiques, sociaux et politiques - au service de la grande cause de l'apprentissage.
Souvenez-vous. Il n'y a encore que quelques mois, la conviction dominait dans l'opinion que le plein-emploi n'était plus qu'une perspective lointaine, hors de portée de la politique et de son caractère éphémère. C'était le temps où triomphaient les théories de la " fin du travail ", et où le malthusianisme dominait.
Et que constatons-nous aujourd'hui ? Qu'un nombre croissant de branches professionnelles observe des difficultés d'embauche, particulièrement dans le domaine des emplois qualifiés, et dans des secteurs comme le bâtiment, l'hôtellerie - restauration ou les métiers de bouche.
Bien entendu, il y a une légère différence entre hier et aujourd'hui : c'est qu'entre temps le nombre des demandeurs d'emploi a diminué de près de 700 000 personnes environ. Cela vous change l'état d'esprit d'une population !
En même temps, il nous faut savoir raison garder. Martine Aubry et moi-même le disons chaque fois que nous rencontrons des chefs d'entreprise : gardons-nous de diagnostiquer trop hâtivement des pénuries de main d'oeuvre, quand 9,8% des personnes actives désireuses de travailler ne trouvent toujours pas à s'employer. Sommes-nous sûrs, chacun dans le ressort de nos compétences, chefs d'entreprise, acteurs de l'insertion, pouvoirs publics, que nous avons tout fait pour faciliter la rencontre de l'offre et de la demande de travail ? Épargnons-nous de passer d'une déploration à l'autre, du fatalisme du chômage à deux chiffres à la résignation aux ajustements imparfaits de notre marché du travail. Travaillons plutôt ensemble à répondre au défi de l'emploi dans un monde dans lequel, demain plus encore qu'aujourd'hui, la main d'uvre disponible, du fait des changements démographiques, sera moins abondante.
C'est dans ce cadre, me semble-t-il, qu'il faut aborder les perspectives futures de l'apprentissage. Filière de formation qui, depuis dix ans, a connu une croissance soutenue, l'apprentissage peut, pourvu que l'on analyse lucidement ses atouts comme ses axes de progrès, devenir une voie d'excellence de la formation des travailleurs qualifiés dans la société du plein emploi.
En abordant successivement au cours de cette journée, à travers des débats riches d'informations et d'enseignements, le rôle de l'apprentissage dans la formation des futurs chefs d'entreprise, puis son immersion dans le développement économique de nos territoires, enfin sa place dans l'ensemble du système éducatif, il me semble que votre colloque a posé de façon très complète le diagnostic de notre système d'apprentissage.
A partir de cet acquis, je puis vous indiquer brièvement mon approche de l'évolution de l'apprentissage. Je le ferai dans la limite de mes compétences sur ce sujet qui sont partagées avec plusieurs de mes collègues du gouvernement, tout particulièrement avec Mme Nicole Péry qui s'est déjà exprimée devant vous en fin de matinée.
Il nous faut en premier lieu reconnaître l'atout que constitue l'implication des entreprises artisanales dans la formation des jeunes.
L'artisanat est une composante essentielle de notre tissu économique, tout particulièrement en milieu rural où il est le premier employeur. Il participe aussi activement, et c'est ce qui nous intéresse aujourd'hui, à la formation des jeunes. Un apprenti sur deux effectue sa formation dans une entreprise artisanale, auprès de maîtres d'apprentissage, eux-mêmes souvent anciens apprentis, dont l'engagement dans l'acte de formation est de l'avis général très exigeant. Il y acquiert des compétences professionnelles et des capacités opérationnelles qui lui permettant de s'insérer dans de bonnes conditions sur le marché du travail.
En s'impliquant ainsi dans l'apprentissage, les entreprises artisanales ne font pas seulement que prendre leur part de l'effort national de formation. Elles assurent également la transmission des métiers, permettant ainsi autant la préservation que le renouvellement d'une tradition professionnelle séculaire. Pour ces deux raisons, elles doivent pouvoir continuer à bénéficier d'un soutien résolu des pouvoirs publics.
L'apprentissage est en second lieu la plus grande école de formation des chefs d'entreprise.
Parmi les chiffres qui ont été cités au cours de cette journée, le plus éloquent me paraît être la proportion d'un sur deux des artisans d'aujourd'hui qui est un ancien apprenti. Lors des États généraux de la création d'entreprise que j'ai organisés le 11 avril dernier, à la demande du Premier ministre, nous avons nettement identifié la formation à l'esprit d'entreprise comme l'un des facteurs importants du choix de l'aventure de l'entreprise. Or l'apprentissage est aujourd'hui la filière de formation qui assure de la façon la plus visible cette éducation à l'esprit entrepreneurial.
Je voudrais aussi souligner qu'en contribuant au renouvellement des entreprises, notamment artisanales, l'apprentissage aide à entretenir le tissu économique dans des territoires parfois durement éprouvés par les changements technologiques et économiques.
C'est un aspect auquel j'attache une grande importance, en tant que membre du gouvernement et aussi en tant qu'élue locale.
Je considère qu'il faut renforcer dans l'apprentissage cette dimension d'encouragement des apprentis à opter le moment venu pour la création d'entreprise. Je pense en particulier aux formations du niveau du baccalauréat, dont les candidats manifestent une aspiration à accéder à des métiers qui pourront leur offrir de réelles opportunités de progression professionnelle, et quelle meilleure progression que la création d'entreprise. L'apprentissage dans le secteur des métiers doit se préparer dès à présent à répondre à cette aspiration, et par exemple il conviendrait de réfléchir à l'introduction de modules de formation à la gestion d'entreprise dès les programmes du CAP.
Cependant, l'apprentissage dans le secteur des métiers souffre de certains handicaps qu'il nous faut corriger.
Nous ne devons pas nous dissimuler que les centres de formation des apprentis doivent s'acquitter de leurs missions dans des conditions qui pourraient être améliorées.
J'ai bien entendu les observations de l'Assemblée Permanente des Chambres des Métiers, qui milite en faveur d'une répartition plus juste de la taxe d'apprentissage entre les différents CFA. Nous avons introduit dans le projet de loi de modernisation sociale une disposition qui institue une péréquation des ressources de la taxe d'apprentissage. Nous aurons l'occasion d'en débattre à l'Assemblée Nationale et devant votre Haute Assemblée, et je ne veux pas anticiper sur cette discussion. Sachez cependant que, dans le délai qui nous est offert avant l'examen de la loi de modernisation sociale, nos portes restent ouvertes à toute proposition susceptible de mieux encore répartir les ressources publiques dédiées au financement de l'apprentissage.
Sur un plan plus qualitatif, j'ai le souci que les apprentis puissent bénéficier des avancées les plus innovantes des technologies et des méthodes d'enseignement. On a pu parler de " fossé numérique " pour qualifier les risques de discrimination entre catégories sociales en matière d'accès aux nouvelles technologies de l'information et de la communication. J'entends absolument éloigner ce risque en ce qui concerne les formations dispensées dans les CFA des chambres des métiers, et j'entends bien que la proposition que j'ai formulée de les doter à un niveau convenable en micro-ordinateurs multimédia, puisse être mise en uvre dans les meilleurs délais.
Enfin, l'orientation dans la filière de l'apprentissage doit être davantage choisie par les jeunes, et non pas subie.
Vous avez par ailleurs soulevé un certain nombre d'interrogations relatives à la situation matérielle et morale des apprentis. Je préfère d'ailleurs utiliser cette circonlocution plutôt que le mot " statut " qui m'apparaît réducteur et porteur de rigidité. Il ne m'appartient pas de prendre ici des engagements sur des sujets sur lesquels ma compétence est subsidiaire. Mais je puis vous assurer que je saurai être votre interprète auprès de mes collègues lors des débats interministériels.
J'ai bien entendu la proposition de Monsieur le Député Didier Chouat de créer un observatoire de la vie quotidienne des apprentis . Je crois que c'est là une idée intéressante, à condition qu'elle ne se traduise pas par un surcroît de complexité des structures administratives.
La revalorisation de l'apprentissage constitue à n'en pas douter un élément essentiel de la résorption du déficit d'image dont souffrent certaines activités artisanales, et partant de leurs difficultés de recrutement.
Les conditions d'accueil et de travail proposées dans les entreprises, l'aménagement du temps de travail, les conditions de rémunération, la possibilité pour les jeunes de disposer de suffisamment de temps pour s'éveiller aux formes de culture et de loisir de notre temps, sont des critères importants à leurs yeux et à ceux de leurs familles, et j'appelle les entreprises à les prendre en compte.
Il serait en effet déplorable que les résultats de l'apprentissage, en termes d'insertion professionnelle, et les possibilités d'évolution de carrière que le secteur des métiers peut proposer, qui parlent en faveur de cette voie de formation, se dissipent du fait de conditions d'accueil dans les entreprises, réelles ou supposées, parfois inadaptées aux aspirations contemporaines de la jeunesse.
Je voudrais aussi souligner l'importance de la certification des compétences acquises au cours du cursus de l'apprentissage. Dans cette période de vive croissance et d'apparition de difficultés de recrutement, la tentation peut exister pour certaines entreprises de solliciter en vue d'une embauche des élèves des centres de formation d'apprentis avant qu'ils aient achevé leur formation.
Je crois ici nécessaire d'en appeler à l'esprit de responsabilité des chefs d'entreprise et des organisations professionnelles, afin qu'ils n'entreprennent rien qui entrave la transmission aux jeunes d'une formation qui éduque leur capacité d'adaptation à l'évolution permanente de leurs métiers, ce qui requiert que cette formation soit complète et diplômante. Un bon apprenti, c'est un apprenti qui achève sa formation en obtenant un diplôme !
C'est d'ailleurs la condition pour que l'originalité de l'apprentissage dans les centres de formation des chambres des métiers soit reconnue dans le cadre de la rénovation des diplômes de l'enseignement professionnel à laquelle le Ministère de l'Education nationale procède actuellement afin de mieux adapter l'offre de formation aux besoins des entreprises. Il me sera d'autant plus aisé de faire partager à mes collègues ma conviction du haut niveau de qualité et d'efficacité de cette filière de formation qu'elle aura su maintenir un juste équilibre entre les enseignements généraux et professionnels.
Au moment de conclure mon intervention, permettez-moi, Monsieur le Président, Monsieur le Sénateur, de revenir à mon propos initial. Nous sommes en face de la perspective d'un formidable renouveau de l'apprentissage.
Sachons écarter la tentation du recours à des expédients au nom de difficultés encore très localisées et très certainement destinées à rester éphémères, et répondons-y ensemble par des initiatives à la hauteur de l'enjeu et s'inscrivant dans une ambition pour l'artisanat de demain et d'après-demain.
(source http://www.pme-commerce-artisanat.gouv.fr, le 10 juillet 2000)