Texte intégral
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Par mon déplacement, j'ai voulu marquer que, pour le gouvernement français, les Nations unies sont tout à fait essentielles. C'est d'ailleurs une partie du message que j'ai essayé de faire passer dans mon intervention devant l'Assemblée générale.
Evidemment c'est une occasion de rencontrer des chefs d'Etat et de gouvernement. Il faut à la fois les écouter, par respect, et puis il faut aussi en rencontrer d'autres, parfois les mêmes, à d'autres moments. Vous savez que j'en ai rencontré un certain nombre, et comme vous connaissez mon programme, cela vous a donné une idée de la diversité des Nations unies et des contacts que la France peut avoir. Et dans ce cadre, j'ai rencontré le président Bouteflika, ce qui n'était évidement pas une des rencontres les moins intéressantes pour nous, Français.
Ces rencontres ont lieu indépendamment du programme du ministre des Affaires étrangères, qui va, lui, multiplier les rencontres de travail pendant toute la semaine avec ses homologues ou avec d'autres personnalités. Dans quelques dizaines de minutes je me rendrai au déjeuner qui est offert part le Secrétaire général des Nations unies et j'aurai à cette occasion un entretien avec le président Clinton, ensuite j'aurai encore quelques rendez-vous cet après-midi et je repartirai pour Paris.
Vous connaissez que les trois idées que j'ai essayé de développer.
A notre sens à nous, Français, l'ONU poursuit une oeuvre de civilisation.
L'organisation mondiale voit sa vocation renforcée par la mondialisation - j'ai DONC insisté sur sa modernité.
La mondialisation, la globalisation ont besoin de règles.
Je n'y reviens pas, vous en avez parfois rendu compte les uns et les autres, et j'ai parfois eu le temps de lire ce que vous en disiez.
Ce discours, je l'espère, n'a pas été sans écho, il était d'ailleurs lui-même un écho à l'intervention du Secrétaire général des Nations unies.
Voilà l'essentiel de ce que je voulais vous dire très brièvement, et je suis naturellement prêt à répondre à vos questions.
Q - Comment s'est passé votre entretien avec le président Bouteflika ?
R - D'abord cela a été une rencontre assez longue de près de deux heures, dont je pense qu'elle se serait poursuivie si nous n'avions pas voulu, lui et moi, écouter le président Clinton, qui s'exprimait.
Dans un climat très confiant et qui m'a touché personnellement, le président Bouteflika est revenu à la fois sur son itinéraire personnel historique - dont je connaissais une bonne part - sur les moments où il n'a plus été aux responsabilités en Algérie, ce que cela a signifié, et sur les conditions dans lesquelles il était à nouveau aux responsabilités, sur ses intentions et ses projets.
Il m'a donné aussi son sentiment sur la relation franco-algérienne telle qu'il l'avait perçue, notamment au cours des dix dernières années, et je lui ai répondu sur ce sujet en particulier en indiquant que pendant ces dix ans la France ne savait pas, au fond, comment traiter l'Algérie, se saisir du problème algérien si dramatique, bien que nous soyons si proches.
Nous avons continué à échanger sur ce thème de la relation franco-algérienne, la volonté que nous exprimions de part et d'autre que cette relation soit forte et dense. Nous avons évoqué, dans ce cadre, mais pas de façon précise à notre niveau, parce que les ministres en ont la charge, le dossier d'Air France, le dossier des visas, le dossier des partenariats industriels possibles, le dossier culturel ; et puis c'est aussi dans ce cadre que nous avons évoqué les conditions dans lesquelles pourraient se faire, au-delà des déplacements de nos ministres, de la venue en France de ministres algériens, les déplacements essentiels des deux présidents de la République dans les deux pays.
Nous nous sommes retrouvés d'abord parce que nous nous étions rencontrés assez longuement il y a des années, il y a donc aussi une forme de lien personnel entre le président Bouteflika et moi, et puis nous avons essayé de préparer dans de bonnes conditions ces grands rendez-vous, des rendez-vous symboliques qui vont se réaliser dans les mois qui viennent.
Q - Vous avez une date possible, vers la fin de l'année ?
R - Cela suppose maintenant que nous fixions les choses entre responsables politiques, et au niveau de nos diplomaties, mais j'en parlerai d'abord au président de la République française.
Q - Hier, le président Bouteflika, lors de son intervention, a donné une définition assez restrictive des conditions d'intervention de la communauté internationale, est-ce que vous avez parlé de cela avec lui ?
R - Non, pas vraiment. Bien sûr j'avais lu son discours et j'en avais entendu une bonne partie. Il m'a semblé surtout que le président de la République algérienne répondait par des questions et des interpellations. Ce que vous appelez des conditions c'était au fond "Aidez-moi à définir, par exemple, la différence entre assistance et ingérence". Donc je ne pense pas qu'il se soit exprimé de façon catégorique, je crois qu'il partage un certain nombre de valeurs, mais comme il l'a dit, la souveraineté c'est un des derniers remparts qu'il nous reste face à la globalisation, à la mondialisation.
D'abord il s'exprimait en tant que président de l'OUA, et pas simplement en tant que président algérien, et plusieurs des questions qu'il posait étaient des questions pertinentes : "Est-ce que cela s'adresse seulement aux faibles ou aussi aux forts ?". Je pense donc que cela offre les bases d'un dialogue, y compris sur cette question des valeurs universelles ou des Droits de l'Homme.
Q - On parlait récemment du monopole de la décision des pays appartenant au Conseil de sécurité ?
R - Je ne crois pas qu'il y ait un monopole de décision au sens où, certes il y a des membres permanents au Conseil de sécurité, mais il y a aussi des membres non permanents, et des pays souvent importants. Il est clair que nous sommes devant le problème d'une réforme des Nations unies et aussi du Conseil de sécurité donc ces questions seront traitées. Il est évident que si on veut faire partager des valeurs, il faut que cela soit fondé sur un dialogue et il faut effectivement qu'un certain nombre de pays soient associés à la prise de décision d'une façon ou d'une autre.
Q - Beaucoup de familles algériennes sont rentrées cet été en Algérie, ce qui peut-être un signe, va-t-on les aider un petit peu en essayant d'aménager ce problème des vols d'Air France ?
R - Oui, naturellement. De toute façon la décision si j'ose dire "de principe", qu'Air France retourne à Alger est prise d'une certaine façon ; nous ne discutons plus maintenant que des modalités dans le respect de ce que l'entreprise dit être à ses yeux les conditions de sécurité. Donc la volonté est très claire et le ministre des Transports Jean-Claude Gayssot y veille particulièrement. Une mission est allée en Algérie en juillet dans un très bon climat. Beaucoup de conditions mises à la reprise des vols ont été examinées et à mon sens résolues. Il reste un ou deux problèmes pour lesquels nous savons que nous devons faire preuve à la fois d'imagination et de bon sens. Je crois que nous allons dans la bonne direction et Air France retournera à Alger lorsque ces dernières petites questions seront maîtrisées ; en tout cas je crois que c'est le souhait du président de l'entreprise notamment.
Q - Dans les dossiers abordés, vous avez cité tout à l'heure les dossiers culturels. Est-ce que cela signifie que vous avez par exemple abordé le problème de l'enseignement du français en Algérie ?
R - C'est plutôt le président Bouteflika qui l'a abordé. Hubert Védrine l'avait dit d'ailleurs à Alger en allant au Centre culturel français et j'ai dit que nous allions progressivement : je crois que l'ouverture notamment pour les chercheurs, pour les intellectuels et les scientifiques est prévue au début de l'année 2000, en janvier 2000 pour le centre culturel français à Alger. La question de la langue relève d'abord des choix pédagogiques de l'Algérie elle-même, mais naturellement la France est tout à fait disponible à coopérer dans ce domaine. Mais nous laisserons d'abord les Algériens prendre leur décision.
Q - Est-ce que vous avez eu aussi des contacts plus informels, plus orientés, sur la relation avec les Etats-Unis, en marge des Nations unies. Est-ce que vous pouvez nous dire un peu ce que vous en attendez et ce que cela vous a apporté ?
R - Oui, j'ai eu un déjeuner hier avec des représentants, essentiellement de la presse économique et financière américaine. Hier soir, l'ambassadeur Dejammet nous a conviés à une rencontre à sa résidence avec un certain nombre d'intellectuels, de grands journalistes, de responsables de "think tanks" américains, et donc nous avons eu un débat à la fois très amical, très franc - moitié en anglais, moitié en français, parce que tous parlaient très bien français - notamment sur la relation franco-américaine, mais pas seulement. J'ai eu l'occasion d'un échange particulier avec Jim Hoagland. J'ai donc eu un certain nombre de contacts parallèles.
J'ai été frappé dans la dernière période de voir que, dans la presse américaine, notamment dans la presse économique et financière américaine, on avait l'impression qu'il y avait un regard un peu différent sur la France, sur les chances de l'économie française, sur l'état d'esprit en France, sur le climat en France. L'un d'entre eux me disait: "On sent que c'est la fin de la morosité". Alors je crois qu'il fallait justifier cette impression par des dialogues, par un échange d'arguments avec ces représentants des milieux économiques et financiers américains qui sont importants, et avec des journalistes, en l'espèce, ce n'était pas des responsables d'entreprises. Mais vous savez que j'ai eu l'occasion de rencontrer ces responsables d'entreprise quand je suis venu à Washington et lorsqu'ils sont à leur tour venus en France avant l'été, à l'invitation de l'ambassadeur Rohatyn, et des deux patronats américains et français.
Q - Monsieur le Premier ministre, vous avez vu hier M. Selim El Hoss, le Premier ministre du Liban et vous allez rencontrer dans quelques jours M. Barak. Avez-vous le sentiment qu'il y a une vraie relance du processus de paix sur les volets syrien et libanais ?
R - Je n'ai pas encore eu le temps, compte tenu de mes contraintes ce matin, de lire la passionnante interview donnée au journal "Le Monde" par le Premier ministre israélien.
La reprise du dialogue avec les Palestiniens, l'accord de Charm El-Cheik, la détermination affirmée par le Premier ministre Ehud Barak, sont pour nous des manifestations tout à fait positives de l'idée que le processus de paix reprend, après une période qui nous a beaucoup inquiétés. J'ai eu l'occasion de dire à M. Selim El Hoss que nous partagions effectivement l'idée que cela n'était sûrement pas par un seul ou un strict dialogue israélo-palestinien que les questions pouvaient être abordées dans leur globalité, mais que la dimension régionale de ces problèmes devait être traitée, et naturellement la question des relations avec le Liban et avec la Syrie en font partie.
J'ai eu un échange tout à fait intéressant avec le Premier ministre libanais. Comme le président de la République, je reçois Ehud Barak cette semaine et je vais voir Yasser Arafat samedi comme le président. Tout cela est utile et si la France peut aider, notamment dans la dimension syrienne et libanaise du processus de paix, tout en restant à notre place, nous sommes parfaitement prêts à le faire.
Q - Avez-vous un message à transmettre à M. Barak de la part de M. El Hoss ?
R - Cela ne se passe pas comme cela et cela se dit encore moins comme cela.
Q - Est-ce qu'au cours de vos rencontres vous avez évoqué, ou peut-être le ministre des Affaires étrangères, Monsieur Védrine, le dossier iraquien ? Parce qu'il y a quand même beaucoup d'actualité, on est à une période où c'est à la fin de la résolution, il y a des négociations qui sont en cours. Est-ce que vous-même avez évoqué ce dossier là ?
R - Je l'ai évoqué dans certaines rencontres bilatérales. Nous l'avons évoqué assez longuement mais pas officiellement hier soir avec nos hôtes américains, comme un exemple de la façon dont les Etats-Unis et la France, tout en partageant des valeurs et des objectifs (règlement pacifique des conflits, refus d'accepter des armes représentant une menace massive pour les voisins, volonté que l'Iraq respecte ses obligations à l'égard des Nations unies), ne sont pas forcément et automatiquement d'accord sur la meilleure méthode à utiliser pour atteindre ces objectifs.
Nous avons l'impression qu'il y a une impasse actuellement, la population iraquienne souffre massivement de cette situation. Il faut sans doute sortir de cette situation de blocage pour essayer de trouver un chemin qui permette à la fois de faire respecter par l'Iraq ses obligations et en même temps d'épargner cette population et d'essayer de trouver une issue positive. La diplomatie française y travaille beaucoup. Nous avons fait des propositions, mais Hubert Védrine y travaille plus précisément encore. Nous verrons si nous pouvons rapprocher les points de vue.
Q - Est-ce qu'il y a une impasse ici ou ... ?
R - Ces questions se discutent aussi aux Nations unies. Et même beaucoup aux Nations unies, quels que soient les dialogues entre les capitales. Je parlais d'une impasse globale du problème iraquien. Ici on se dit parfois que cela bouge un peu : nous verrons.
Q - Est-ce que vous allez aborder le dossier iraquien avec Bill Clinton tout à l'heure et quels sont les sujets que vous voulez a priori aborder avec le président américain. ?
R - Pour être très clair : d'abord je serai à la table du Secrétaire général et donc à la table du président Clinton et puis j'aurai avant le déjeuner l'occasion sans doute d'un aparté bref, mais cela ne prend pas le caractère d'une rencontre dans laquelle je devrais traiter un certain nombre de questions. Ce n'est pas le cadre ici, sauf si la question était évidemment abordée, mais ce n'est pas mon intention. Nous avons nos voies pour faire avancer nos préoccupations qui sont celles de la diplomatie.
Q - Mais de quoi souhaitez-vous parler ?
R - Nous verrons. Parfois c'est difficile de rendre compte des rencontres qu'on a eues, c'est assez difficile de rendre compte de celles qu'on n'a pas encore eues. Je ne me livrerai donc pas à cet exercice.
Q - Vous avez écouté le discours tout à l'heure du président Clinton : qu'en pensez-vous ?
R - Je ne porte pas de jugements sur les discours : je les écoute et j'en fait mon profit.
Q - Le principe de précaution : est-ce vous n'avez pas l'impression que les Américains vont avoir le sentiment que c'est plutôt du poil à gratter avant Seattle, un round de négociations commerciales où il va y avoir des escarmouches, non ?
R - Non. C'est beaucoup plus important et fondamental que cela. Et cela concerne le consommateur américain comme le consommateur européen. Le principe de précaution est un élément nouveau, qui ne se situe pas d'ailleurs que dans le champ de l'alimentation, il peut se situer dans le champ des pollutions ou de l'environnement. C'est une question essentielle qui ne doit pas servir de prétexte, en particulier à une attitude protectionniste ; ce n'est pas notre approche.
Donc ce n'est pas du poil à gratter, c'est au coeur d'un certain nombre de préoccupations des consommateurs, parce que comme les consommateurs sont loin des producteurs, ils ont une interrogation sur les produits. En réalité, on peut affirmer sans craindre de se tromper que la qualité des produits - je ne parle pas de la qualité au sens culinaire nécessairement - mais enfin la qualité sanitaire, la sécurité sanitaire des produits est bien plus grande qu'elle ne l'était il y a quelques décennies, mais il y a ce sentiment qu'on ne sait plus exactement ce qu'on mange parce que le lien n'est plus établi entre le producteur et le consommateur, entre le produit et celui qui le goûte. D'où, pour des raisons d'ailleurs de sécurité sanitaire, tout ce travail sur la traçabilité, mais d'où aussi ces exigences. Ces exigences nous les porterons avec l'Union européenne dans les discussions à l'OMC. Mais ce n'est pas du poil à gratter, c'est au coeur de la forêt de négociations que nous allons avoir à exploiter.
Q - Est-ce que vous avez l'impression que la réunion de l'OMC au mois de novembre à Seattle va être l'occasion de se rapprocher sur un certain nombre de dossiers conflictuels, ou qu'au contraire cela va aggraver cette approche qui apparaît de plus en plus différente entre les Français et les Américains ?
R - Je ne suis pas convaincu que l'approche soit de plus en plus différente, d'une part ; d'autre part parce qu'on me dit - mais là vous êtes meilleurs juges que moi étant ici, pour tous ceux qui sont des correspondants et moi cela m'a frappé dans la bouche des journalistes économiques Américains que j'ai rencontré hier - que ces préoccupations touchant la qualité des aliments, la sécurité sanitaire, ce sont des préoccupations qui ne sont pas rejetées a priori aujourd'hui, et qu'au contraire, cette idée qu'il y a là un problème commence à apparaître. Je ne pense donc pas que ce soit forcément un objet de conflit, je ne pense pas non plus que ce soit en tout cas un objet de conflit entre les Etats-Unis et la France.
Sur l'interdiction de l'importation du boeuf aux hormones c'est une position communautaire, c'est une position de l'Union, ce n'est pas une position française. Mais d'ailleurs ce sont les différents pays de l'Union qui en subissent les conséquences, puisque nous n'avons pas encore pu prouver notre cas au plan scientifique , ce qui reste à faire , et je ne doute pas que si nous le faisons, ce que je crois tout à fait vraisemblable, que les choses évoluerons, y compris au sein de l'OMC.
Bon alors, l'OMC a son fonctionnement, elle règle un certain nombre de problèmes, elle a mis en place des systèmes de panels qui rendent des arbitrages. Tous ne se feront pas aux dépens des intérêts européens. Les Américains ou d'autres peuvent se trouver eux-mêmes obligés de renoncer à telle ou telle de leurs mesures qui peuvent avoir un caractère inéquitable.
Et puis il y a la négociation multilatérale, un nouveau round de négociations qui a un caractère spécifique mais dont vous savez bien qu'il va s'ouvrir à Seattle, et qui prendra du temps.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 septembre 1999)