Déclaration de Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité, sur l'anticipation du choc démographique du vieillissement de la population à l'horizon 2010 et ses conséquences sur l'emploi, Paris le 2 avril 2002.

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Circonstance : Réunion de travail sur la gestion prévionnelle des âges des salariés en milieu et fin de carrière à Paris le 2 avril 2002

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
L'actualité dramatique qui a endeuillé la ville et la municipalité de Nanterre a conduit à changer tardivement l'heure de cette réunion. Je vous remercie d'avoir accepté ce changement de programme et d'avoir ainsi fait vôtre le mouvement de solidarité que ces douloureux évènements ont suscité.
Je vous ai proposé de vous réunir aujourd'hui sur un des sujets majeurs auxquels notre pays aura à faire face dans les 5 ou 10 ans qui viennent, comme d'ailleurs l'ensemble des pays de l'Union Européenne : c'est celui de l'anticipation, par nos politiques d'emploi, du choc démographique dont les effets se feront sentir à partir de 2006, avec une amplification vers 2010.
Cette réunion s'inscrit dans la continuité des chantiers de rénovation sociale que le Premier Ministre vous avait proposé d'engager, au mois de juin dernier, et plus particulièrement celui du plein emploi.
Nous savons que le vieillissement de notre population est inéluctable, même si, grâce à un taux de natalité soutenu, il sera probablement moins prononcé que dans d'autres pays européens.
Nous devons donc anticiper les conséquences de ces évolutions sur l'emploi.
Car c'est bien de politique d'emploi que je souhaite que nous nous entretenions dans cette réunion et dans le processus de travail au long cours dont nous pourrions convenir.
Je ne reviendrai pas longuement, dans ce propos liminaire, sur le constat que nous partageons, grâce aux travaux que vous avez menés au sein du COR et au CES, constat confirmé par les documents de l'INSEE et de la DARES qui vous ont été remis dans le dossier de cette séance. Notre taux d'emploi des salariés de 55 à 59 ans est en effet, vous le savez, un des plus bas d'Europe puisque nous nous situons au 11ème rang sur 16 pays européens recensés par eurostat.
Cette situation sera rendue d'autant plus délicate, au regard des besoins en emplois, que la vague du papy-boom aura pour effet d'augmenter de 35% les actifs de plus de 55 ans d'ici à 2010.
Si nous ne nous y préparons pas, nous aurons à faire face dans l'urgence et donc dans de mauvaises conditions, à la baisse de la population active et donc au manque de main-d'uvre à partir de 2006.
Pour faire face à cette situation nos politiques devront utiliser différents instruments. D'abord bien sûr une politique de croissance qui modifie les comportements d'activité en incitant des inactifs au travail. Mais aussi une politique active d'aide au retour à l'emploi par la mobilisation de nos dispositifs spécifiques, par la formation continue, pour laquelle un effort substantiel devra être fait, ou encore par des progrès dans la conciliation des activités professionnelles, familiales ou sociales.
Mais c'est aussi, de façon déterminante, en traitant de la " gestion des âges " que nous répondrons au problème posé.
Le vieillissement inéluctable de la population active, et la part croissante que les papy-boomers y occuperont, interrogent doublement les pratiques de gestion de l'emploi des salariés expérimentés, ou les plus anciens, qui ont été menées depuis plus d'une décennie :
- sous l'angle de la gestion des transitions vers la cessation d'activité et de l'impact social et économique des mesures incitatives au retrait anticipé d'activité
- sous l'angle aussi, et peut être principalement dans une optique d'anticipation, de la gestion de l'emploi et des perspectives d'évolution professionnelle des salariés en 2ème partie de carrière (quadras)
Sur ces deux pans de la gestion de l'emploi nous ne partons pas de rien :
- à votre instigation, et à celle de l'Etat aussi, les politiques de cessation anticipée d'activité ont été redéfinies. Elles n'ont plus à répondre au problème du chômage de masse que notre pays a connu au cours des 20 dernières années. Il faut s'interroger sur leur pertinence et leur adaptation, dans la perspective du futur, c'est à dire face à des générations dont l'âge d'entrée au travail a été reculé et dont les conditions de travail ont changé.
Mais il faut voir aussi que ces évolutions ne se sont pas accompagnées d'un effort suffisant de traitement des conditions d'emploi et de travail que pose indubitablement l'état de travailleur vieillissant. Quelques entreprises ont adapté leur gestion des ressources humaines dans ce sens, mais elles sont encore trop rares.
- s'agissant de l'emploi et de l'évolution professionnelle des salariés en deuxième partie de carrière, des pistes d'évolutions sont tracées. Elles sont le fruit de la réflexion collective, dans le cadre des chantiers de négociation interprofessionnelle ou des réformes législatives que nous avons engagés sur la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences, sur la validation des acquis de l'expérience ou encore sur la redéfinition des politiques de formation. Mais il reste à s'engager résolument sur ces pistes et à en tracer de nouvelles sans doute.
On le voit, il y a là des enjeux majeurs pour l'ensemble des acteurs économiques et sociaux, au plan des entreprises, des secteurs d'activité, au niveau des territoires aussi, dont les équilibres démographiques sont une condition du dynamisme économique et social.
Tous les leviers de changement doivent être actionnés : études et recherches ; négociation collective ; dispositifs publics d'intervention sur l'emploi ; ressources d'expertise, de conseil, de sensibilisation pour faire évoluer les pratiques et comportements
Je veux encore souligner deux ou trois choses, dans ce qui n'est qu'un propos liminaire et avant de recueillir vos avis et positions :
- Tout d'abord je crois que c'est une chance véritable qui s'offre à nous d'avoir la possibilité de pouvoir traiter par anticipation une situation prévisible et identifiée. C'est un appel à la mise en jeu de notre responsabilité collective et à la démonstration de notre capacité à agir de façon ordonnée dans un plan d'action concerté, avec des objectifs partagés et des échéances.
- Paradoxalement, c'est parce que nous avons un peu de temps qu'il est urgent de nous mettre à l'uvre. S'agissant de politiques concertées et volontaires à engager, le temps est long entre la réflexion, la conception et la traduction dans les faits. Surtout quand il s'agit d'infléchir et de mettre en cohérence des comportements économiques et sociaux.
- Enfin, nous avons tout intérêt à traiter dans une logique d'emploi un sujet qui en fait à l'évidence partie, tant dans ses objectifs que dans les leviers à actionner. Je comprends que, dans cette période, certains observateurs aient de la peine à ne pas enfermer la " gestion des âges " dans la problématique des retraites. On ne peut nier que la question du moment de la cessation d'activité fait partie du socle du débat sur l'évolution de notre système de retraite.
Mais ce débat est un débat en soi, qui doit être traité dans sa spécificité et dans un processus de concertation qu'il faudra définir.
Ce n'est ni l'objet, ni le cadre de la réunion d'aujourd'hui et des prolongements que nous voudrons lui donner. Car je suis persuadée, et vous l'êtes certainement, que, quoiqu'on veuille, nous devons traiter du risque que les tendances à 10 ans de la population active font courir à nos entreprises et à notre économie. Quand bien même la question des retraites ne se poserait pas, il s'agit là d'un enjeu majeur de nos politiques d'emploi.
Je souhaite maintenant recueillir vos opinions et avis, avant de demander à Bernard QUINTREAU non pas de vous présenter son rapport, que vous avez eu, mais de nous dire, à partir des échanges qu'il a eus avec vous ce qu'il tire comme conclusions sur :
- les angles d'attaque pertinents de la " gestion des âges "
- et sur les conditions à réunir pour que nous progressions de concert, mais dans le respect de la responsabilité de chacun, dans la bonne voie.
(Source http://www.travail.gouv.fr, le 8 avril 2002)