Editoriaux de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière et candidate à l'élection présidentielle de 2002, dans "Lutte ouvrière" les 8, 14, 21, 28 janvier 2002 sur le passage à l'euro, sur le droit de licencier à sa guise, sur les candidats de gauche et de droite à l'élection présidentielle, sur la sécurité.

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Média : Lutte Ouvrière

Texte intégral

08/01/2002
EURO OU PAS, CA NE FAIT PAS LE COMPTE
POUR LES TRAVAILLEURS
Les hommes politiques, aussi bien ceux de la gauche gouvernementale que ceux de l'opposition parlementaire derrière Chirac, se sont félicités à l'unisson du fait que le passage à l'euro se soit fait sans difficulté majeure, chacun s'attribuant les mérites de cette réussite. Dans le même temps, ils essayaient de nous faire croire que l'euro serait une sorte de potion magique qui, par miracle, aplanirait les difficultés qui sont le lot du monde du travail et des milieux populaires.
Certes, on ne pourrait qu'applaudir à ce changement, si cela contribuait, ne serait-ce qu'un tout petit peu, à gommer des frontières d'un autre âge qui, par le passé, ont servi de prétexte pour dresser les peuples les uns contre les autres, parfois en les faisant s'affronter dans de sinistres boucheries. Mais il ne s'agit nullement de cela. Cette nouvelle monnaie n'a pas été créée pour améliorer le sort des populations, ni les relations entre les pays. Pas plus en France que dans ce semblant d'Europe qui usurpe ce nom puisqu'elle ne concerne ni tout le continent, ni même les quinze pays qui font partie de l'Union européenne. Cette unification monétaire a pour seul objectif d'essayer de réguler, bien laborieusement d'ailleurs, les relations économiques et financières entre les principales puissances européennes et les grandes sociétés qui y dominent, afin de tenter de les mettre en meilleure position face aux USA et à leur dollar.
Mais en France, comme ailleurs, il y a d'un côté une minorité d'exploiteurs qui bénéficieront peut-être, dans leurs transactions, de la création de l'euro, et qui continueront par ailleurs à compter en dollars, en yens, tout autant qu'en euros, quand cela les arrangera dans leurs affaires. Et de l'autre côté, toutes origines et toutes nationalités confondues, il y a ceux qui, dans les usines, les bureaux, triment pour enrichir les capitalistes, sauf quand ils sont réduits au chômage. Ceux-là ne seront pas mieux lotis, qu'ils perçoivent leur salaire, leurs indemnités, leur pension en euros plutot qu'en francs. Ils le seront même plutôt moins, car le changement de monnaie s'est traduit quasiment partout par une augmentation des prix. Pas seulement chez le boulanger ou le coiffeur du coin, que l'on montre du doigt, mais aussi et surtout dans les grandes surfaces et sur les tarifs publics. Sans compter les augmentations qui sont annoncées, comme la mise en place des chèques payants. Le prétexte est que le passage à l'euro a un coût, puisqu'il nécessite un travail supplémentaire et une modification de l'appareillage de comptabilité. C'est vrai. Mais sûrement pas à la mesure des augmentations.
Et puis, une fois le surcoût amorti, on ne reverra pas les prix revenir à leurs taux initiaux. Et, comme à chaque fois, ce seront les consommateurs, c'est-à-dire en majorité la population laborieuse, qui paieront le coût du passage à l'euro. Or ni les salariés, ni les chômeurs, ni les retraités n'ont, eux, la possibilité de répercuter sur leur salaire, leurs indemnités ou leur pension, le surcroît des dépenses qu'on leur impose.
En 2002 comme en 2001, l'exploitation restera tout aussi rude ; le chômage va aller grandissant, comme l'annoncent de mois en mois les statistiques officielles. Le nombre de mal-logés et de SDF ne se réduira pas. Bref, le fossé entre la fortune d'une minorité de riches et les conditions d'existence de la majorité de ceux qui, par leur travail, quand ils en ont encore un, font vivre et fonctionner toute la société, continuera à se creuser.
Mais 2002 peut être aussi l'année de l'élargissement, de la généralisation de la lutte des travailleurs pour qu'enfin le rapport de forces s'inverse en faveur du monde du travail, pour qu'enfin on impose aux capitalistes, aux gros actionnaires, de payer sur leurs richesses la casse sociale dont ils sont seuls responsables.
Voilà notre espoir pour l'année qui commence. Voilà pour quoi nous agissons. Avec tous ceux qui refusent cette situation de plus en plus intolérable, ce système incohérent et injuste.
(Source http://www.lutte-ouvrère.org, le 10 janvier 2002)

LE DROIT D'ENTREPRENDRE EST
DONC LE DROIT DE LICENCIER A SA GUISE
Le 14 janvier 2002
Le "droit d'entreprendre" est paraît-il inscrit dans la constitution gaulliste de 1958. On pourrait croire qu'il s'agit du droit de créer une entreprise, de se mettre à son compte, d'avoir des idées utiles et de les mettre en application. Eh bien non, pour le Conseil Constitutionnel, le droit d'entreprendre c'est le contraire d'entreprendre, c'est le droit de fermer une entreprise, le droit de la délocaliser, le droit de licencier les trois-quarts du personnel, selon le bon vouloir de l'employeur, sans qu'il ait à rendre de comptes.
Le Conseil Constitutionnel est moins exigeant pour faire respecter depuis vingt ans un autre article de la constitution, rédigée il est vrai dans une période de plein emploi, déclarant "le droit de chacun d'obtenir un emploi".
Le droit du travail prévoyait jusque-là que le motif économique doit résulter "notamment" de difficultés économiques ou de mutations technologiques.
L'article censuré par le Conseil Constitutionnel n'était pourtant pas plus méchant pour le patronat. Il prévoyait que le licenciement économique ne devait intervenir que lorsqu'une réorganisation était "indispensable à la sauvegarde de l'activité de l'entreprise" ou en subordonnant les licenciements "à des difficultés économiques sérieuses n'ayant pas pu être surmontées par d'autres moyens". Evidemment, cela gênait un peu les licencieurs mais cela ne les empêchait pas de licencier car ils avaient largement la possibilité de prétendre, voire de prouver que n'importe quelle mesure de licenciement collectif est nécessitée par la sauvegarde de l'activité de l'entreprise ou par des difficultés économiques sérieuses.
Il est trop facile de mettre, sur le papier, une entreprise en difficulté alors qu'il s'agit simplement d'un transfert de fonds, de clientèle, de moyens de production d'une entreprise à une autre.
Le patronat et ses banquiers, ses actionnaires, ont tous les moyens de tourner tout cela. Le baron Seillière s'est retiré d'AOM-Air Liberté mise en difficulté... parce qu'il s'en était retiré.
Mais les grands bourgeois n'aiment pas qu'on mette le nez dans leurs affaires. Ils n'ont pas envie de voir, même par extraordinaire, un juge d'instruction exceptionnel, têtu, non encore viré et non démissionnaire, leur demander des comptes et, de fil en aiguille, menacer de révéler des choses que les conseils d'administration du patronat n'aiment pas voir mettre en lumière.
Le gouvernement avait un peu renforcé la loi qu'il projetait, sous la pression du Parti Communiste, mais si peu ! Et bien entendu, même s'il n'a pas craqué devant la droite et devant le patronat, il restait encore le Conseil Constitutionnel comme barrage.
Les députés sont déjà élus au travers du filtre d'une loi électorale qui ne donne qu'une représentation déformée de l'opinion puisqu'elle oblige l'électeur à choisir, en particulier au 2ème tour, entre le pire et le moins pire. Mais même quand les députés ainsi élus s'abandonnent à voter un article de loi qui gêne tant soit peu le patronat, on voit surgir de l'ombre un organisme non élu, désigné de façon non contrôlée et qui peut casser sans appel un article qui gêne le patronat.
Au mois d'octobre, une trentaine de patrons de grandes entreprises avaient fait une pétition contre cet article. Il faut croire que cette pétition a eu plus d'effet que le vote des députés.
Ne comptons donc pas trop sur les lois pour nous défendre car le patronat n'entend que la force et non les lois. C'est par la force qu'il serait possible d'obliger le patronat à prouver que les licenciements qu'il envisage ne sont pas simplement destinés à faire encore plus de profits, comme Michelin et Danone qui n'étaient pas en difficulté.
Arlette Laguiller

(Source http://www.lutte-ouvrière.org, le 16 janvier 2002)

(21/01/2002)
QUAND LA DROITE ET LA GAUCHE GOUVERNEMENTALES BATTENT LA CAMPAGNE
A trois mois de l'élection présidentielle, ceux qui briguent le poste de Président de la République et ceux qui en profitent pour se mettre en avant pour postuler à un poste de ministre dans le gouvernement à venir, multiplient les apparitions et les déclarations. C'est à qui se montrera sous son meilleur profil, aux côtés de sa femme, ou des femmes qui le soutiennent. Un véritable déluge de petites phrases vides d'intérêt alimente chaque jour les rubriques des journalistes, qui en sont friands.
Ce spectacle a pour but de donner le change, en multipliant les discours afin de ne rien dire. Car ils veulent se faire élire, sans s'engager, en particulier auprès de la population laborieuse.
Les candidats de la droite parlementaire qui se retrouveront sans doute, comme un seul homme, derrière Chirac au second tour, se chamaillent sans que l'on sache vraiment sur quoi. Mais c'est sans importance puisque ce qui les sépare, ce ne sont que leurs ambitions respectives.
Ce qu'ils reprochent au gouvernement dit de gauche, c'est surtout de ne pas être allé suffisamment loin, ni suffisamment vite pour mettre en place les mesures que cette même droite avait commencé à mettre en oeuvre. De ne pas avancer assez vite dans l'application du plan Juppé concernant la santé - mieux vaudrait dire le démantèlement du système de soins pour les plus démunis. D'avoir une attitude trop hésitante à l'égard de la remise en cause des retraites, de ne pas continuer assez franchement dans la voie ouverte par Balladur. C'est pure comédie car la droite sait fort bien que sa politique a été poursuivie par la gauche gouvernementale. Preuve en est que celle-ci n'a abrogé ni le plan Juppé, ni les décisions de Balladur sur la retraite, pas plus qu'elle n'a aboli les lois Pasqua dirigées contre les immigrés. Cela montre que les affinités entre Chevènement, ex-ministre de l'Intérieur de Jospin, et les partisans de Pasqua ne sont pas une nouveauté.
La gauche gouvernementale se chamaille elle aussi à l'approche des échéances électorales. Les Verts se montrent plus intransigeants lorsqu'il s'agit de quémander plus de circonscriptions au PS, que lorsqu'il s'agit de lui imposer des mesures qui, paraît-il, leur tiennent à coeur. Robert Hue découvre que Jospin n'a pas "eu le courage de réinscrire à l'ordre du jour le texte de modernisation sociale censuré" par le Conseil constitutionnel. Les militants du PCF, comme les salariés, savent par expérience que les Jospin, Fabius, Guigou n'ont pas eu besoin de prétextes fournis par le Conseil constitutionnel pour accorder satisfaction au patronat. Depuis cinq ans qu'ils sont au gouvernement, depuis plus de vingt ans que les socialistes sont aux commandes de l'Etat, à l'Elysée et à Matignon, soit seuls, soit en cohabitation avec la droite, les travailleurs ont eu de multiples occasions de le vérifier à leurs dépens. Ils l'ont vérifié, par exemple, avec cette loi dite des 35 heures qui a donné encore plus de liberté au patronat pour organiser la production à sa guise. Partout, cela se traduit aujourd'hui par une aggravation des conditions et des rythmes de travail.
Et les salariés de Moulinex-Brandt, de Bata, d'AOM-Air Liberté, pour ne parler que des cas les plus récents de suppressions d'emplois ont pu vérifier que le gouvernement ne se rangeait pas à leur côté, contre leurs patrons. Sans compter les licenciés de nombreuses petites entreprises, dont on ne parle pas. Tout cela a pour conséquence un appauvrissement général de la population laborieuse et du coup la paralysie croissante de villes et de régions entières.
Les Jospin, Fabius et compagnie évitent de faire figurer cela dans leur bilan. Et pour cause ! Et ils se gardent bien de promettre que dorénavant ils s'opposeront à la politique patronale. D'ailleurs, qui les croierait ?
Mais alors à quoi ont-ils servi, à quoi serviront-ils demain pour le monde du travail s'ils laissent ainsi les mains libres au patronat, pire, s'ils l'encouragent à mener une politique anti-ouvrière ? A rien de bon pour la population laborieuse !
(source http://www.lutte-ouvriere.org, le 25 janvier 2002)
"LA VIE EN MIEUX" ? A D'AUTRES !
le 28/01/2002

La délinquance aurait beaucoup augmenté l'année dernière et beaucoup plus dans les campagnes que dans les villes. Ce serait la petite délinquance qui en serait principalement responsable.
Cette petite délinquance, tous ceux qui vivent dans les quartiers populaires ne la subissent pas tous, même s'ils en connaissent tous les effets. Cela contribue à augmenter ce que la presse et les hommes politiques appellent le sentiment d'insécurité, voire l'insécurité tout court.
Il suffit d'avoir à prendre régulièrement un autobus ou un train de banlieue, le soir, pour l'avoir à coup sûr éprouvé. La presse nous affirme que la lutte contre cette insécurité sera le thème essentiel de la campagne présidentielle.
Certainement on nous en parlera beaucoup et on nous promettra de tous côtés de la diminuer. Mais les gouvernants, qu'ils soient de droite ou de gauche, n'ont pas empêché la délinquance de monter, depuis des années, et n'y changeront rien à l'avenir. Pour cela, ce sera comme pour le chômage, ils promettent beaucoup mais une fois élus ne tiennent jamais. Ils n'empêcheront pas plus la délinquance qu'ils n'ont empêché les licenciements.
De remède simple, il est vrai qu'il n'y en a pas. Pour certains, il faut que les lois soient plus répressives, les policiers plus présents et les juges plus fermes.
Mais va-t-on enfermer pour dix ans un jeune pour avoir volé à l'arraché un téléphone portable ? Ou même pour un an ? Uniquement les récidivistes ? Mais un jeune qui a une fois oublié ses papiers et est condamné pour "rébellion" pour avoir protesté parce qu'on l'a fouillé plus ou moins brutalement et qui, un an plus tard, vole un portable, sera-t-il un récidiviste aux yeux de la justice ? A ce compte-là, il faudrait doubler le nombre des prisons et tripler celui des gardiens... et des policiers. La répression n'a jamais empêché les délits. La peine de mort n'a jamais empêché les crimes. De solution, il n'y en a pas sans changer beaucoup de choses dans la société.
Mais si on nous parle beaucoup, dans la presse et dans les discours, du sentiment d'insécurité dans les villes et les banlieues, qui nous parle, avec autant d'insistance, du sentiment d'insécurité de tous les travailleurs quant à l'avenir de leur emploi ?
Pourtant, l'angoisse des travailleurs à cause de l'insécurité de leur emploi -car l'annonce d'un licenciement collectif peut les frapper sans prévenir- est une angoisse bien plus justifiée statistiquement et bien plus profonde que celle de se faire agresser. Il n'y a aucune campagne de presse à ce propos et, pourtant, il y a bien plus de victimes de ce fait, souvent aussi graves.
Les journalistes vont parfois interviewer des licenciés pour montrer leurs larmes au journal télévisé, mais ils ne vont pas interviewer les travailleurs en contrat à durée déterminée, ou intérimaires pendant des mois et des années.
Le Parti Socialiste, actuellement au pouvoir, a réuni ses cadres, ce week-end, pour leur présenter son slogan de campagne intitulé "La vie en mieux, la vie ensemble".
"En mieux", il n'aurait sûrement pas de mal, mais "la vie ensemble", qu'est-ce que cela veut dire ? Va-t-il demander aux licenciés d'AOM d'être solidaires avec Seillière, leur ex-patron ? Va-t-il demander aux licenciés de Moulinex, de Danone, de Valéo, de Bosch, de Philips, de Bata, de Dim, d'Alcatel et bien d'autres encore, licenciés 50 par 50 ou 1000 par 1000, d'envisager à l'avenir d'être dans le même camp que leur ex-patron ?
Les dirigeants du Parti Socialiste, oui, vont vivre ensemble car ils sont du même monde, avec les Seillière et ce qu'ils représentent, mais ils ne vivront ni avec, ni pour, les travailleurs.
Alors, profitons un peu des élections qui viennent pour leur donner un aperçu de l'insécurité de l'emploi.
(Source http://www.lutte-ouvrière.org, le 1e février 2002)