Interview de M. Jean-Louis Borloo, ministre délégué à la ville, à France 2 le 6 juin 2002, sur la politique de la ville, notamment la décentralisation, la sécurité et l'annonce de mesures de déconcentration à l'automne.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

F. Laborde Le ministère de la Ville est un ministère transversal, qui recoupe plusieurs secteurs. Comment fait-on pour s'organiser quand on est à la tête de ce poste ? Travaille-t-on forcément en équipe ?
- "D'abord, d'une manière générale, le Gouvernement travaille en équipe et les problèmes de la ville, ce sont tous les "mystères" de la ville : cela va des problèmes de logement aux problèmes d'éducation, aux problèmes de mamans, aux problèmes de sécurité, aux problèmes de justice sociale, aux problèmes de surendettement. Il y a donc un ministère qui est là et qui travaille avec tous ses collègues évidemment, sans lesquels il ne peut finalement pas faire grand chose. Et ce qui est agréable actuellement, c'est qu'il y a vraiment l'idée que ce Gouvernement veut s'attaquer à ces problèmes, notamment d'injustice urbaine et d'injustice sociale."
Vous aviez beaucoup expliqué avant la campagne des présidentielles, y compris dans un livre "Un homme en colère", qu'il y avait un certain nombre de réformes qui s'imposaient, du fait de trop de lourdeurs administratives, trop de gêne pour les entreprises. Est-ce que de là où vous êtes aujourd'hui, vous allez pouvoir agir sur ces réformes ?
- "Dans le domaine dans lequel je suis, évidemment. Nous finançons par exemple des milliers d'associations de Paris. Vous avouerez que c'est quand même complètement absurde, les mairies sont parfaitement capables de savoir ce qu'elles ont à faire ! On va donc simplifier, on va transférer, on va faire confiance, mais d'une manière générale - vous avez vu que le Premier ministre avait annoncé une grande loi de décentralisation, à l'automne en gros -, il faut décongestionner le pays."
Il dit d'ailleurs aujourd'hui dans Le Figaro qu'en cas de difficulté ou s'il sentait qu'il n'y avait pas une forte adhésion, il engagerait la responsabilité du Gouvernement à chaque fois que ce sera nécessaire, pour porter l'adhésion de tous sur un projet de loi. Donc, pour ça, ce sera à l'automne ?
- "Oui, c'est à l'automne. Vous savez, la France est un système qui est épuisé : le modèle français centralisé, technocratique, un peu monarchique, est arrivé à bout de souffle. Cela se voit dans tous les domaines. J.-P. Raffarin veut absolument décongestionner ce mode d'organisation et, en gros, mettre les hommes et les moyens au bon endroit. Et comme c'est vraiment un provincial dans toute la force du terme, je suis vraiment convaincu qu'il va le faire et vraiment convaincu qu'il va réussir."
Et c'est dans cette loi de décentralisation à l'automne qu'il y aura toute la programmation générale concernant la politique de la ville ? Ou y aura-t-il des dispositions plus tôt ?
- "Non, tout ce qui va concerner la ville et sa simplification sera dans cette loi. Pour le reste, les grands chantiers - ce qu'avait proposé le président de la République - les 50.000 logements à reconstruire dans ce pays... J'étais hier à Montfermeil, où il y a à la fois une énergie complètement invraisemblable et en même temps des situations urbaines inadmissibles. Sur le territoire de notre République, il y a au moins cinquante sites comme cela... Ce sont des zones où l'on est beaucoup plus jeunes qu'ailleurs - un tiers de plus de moins de vingt ans - ; à la fois, il y a quatre fois moins de boulot qu'ailleurs, quatre fois plus de RMIstes..."
Et il y a plus de violence ?
- "Alors, la violence, c'est quoi ? C'est toujours de l'énergie mal utilisée. Quand vous n'avez pas trop de squares et d'ascenseurs... Donc, on va mettre le paquet sur l'activité, sur l'urbain : le logement, les espaces publics, la qualité des lieux sur les squares et sur l'éducation. Depuis le mois d'avril, je crois vraiment que la politique n'est plus une affaire de spécialistes. Tous les Français ont bien compris que si on ne réglait pas ces problèmes, c'est la République qui serait en cause dans quelques années."
En même temps, en tant que maire de Valenciennes, vous avez fait un travail sur le terrain et vous êtes un peu spécialiste de la ville. Valenciennes a beaucoup évolué sous votre "houlette". Est-ce qu'en tant que ministre de la Ville, vous avez autant de pouvoirs pour faire bouger les choses qu'en tant que maire d'une ville ?
- "C'est très bizarre... "Oui", parce qu'on peut convoquer les administrations, alors qu'en tant que maire, vous êtes obligés de dépenser une énergie forte pour convaincre, sans pouvoir apparent. Et en même temps, "non", parce que les problèmes sont beaucoup plus vastes. Il y a 1.500 quartiers en difficulté dans notre pays, 6,5 millions d'habitants. Quand Monsieur Dubedout, de Grenoble avait fait son rapport il y a 25 ans [ndlr : en 1983], il y en avait 80. Donc, la situation s'est dégradée et tout le Gouvernement est déterminé à relever le défi."
Vous dites que quand on est ministre, on peut convoquer et parler aux administrations. Vous avez déjà commencé avec les sous-préfets. Pour leur dire quoi ?
- "Les sous-préfets à la ville sont des individus qu'on a un peu inventés pour faire le lien entre les villes et les administrations. Je les ai trouvé désorientés, je les ai trouvé un peu paumés même, ils ont vraiment besoin de ligne directrice. Il faut savoir qu'ils ne pèsent pas encore tout à fait dans l'administration française. Je voudrais que cela soit des préfets par exemple, qu'ils pèsent vraiment. Il faut redonner de l'impulsion - dans la continuité de mes prédécesseurs, ce n'est pas un sujet polémique. Cette bataille a pour l'instant été perdue, on a plutôt régressé ; cela s'est globalement plutôt dégradé, même s'il y a des choses qui ont été faites à tel ou tel endroit. Pour moi, c'est vraiment la nouvelle bataille de France et ce n'est pas tellement un problème budgétaire bizarrement. On va pouvoir révolutionner ces quartiers simplement en changeant les méthodes."
Le Samu d'aide aux victimes, ce n'est pas un gadget, ce n'est pas un effet d'annonce ? C'est quelque chose qui va vraiment changer sur le terrain ?
- "On ne l'a pas présenté comme une mesure extraordinaire ni spectaculaire. En tous les cas, c'est tout sauf un gadget, parce que c'est une voiture avec deux personnes dedans. En gros, si vous vous faites agressé, si vous êtes cambriolé, s'il vous arrive un pépin, eh bien, vous avez la police et la justice, mais en même temps, de manière immédiate, vous n'avez personne. Donc là, vous appelez ou la police appelle et quelqu'un - psychologue et un juriste - vient vous voir : " Eh bien écoutez madame, alors votre cambriolage, vos papiers d'assurance ? On va vous accompagner au commissariat..." Ou au commissariat, on va vous chercher si vous pleurez, si vous êtes un peu choqué... Alors, cela tourne, il y en a qui existent maintenant. C'est vraiment un produit très sympa sur le plan psychologique, cela conforte. Vous savez, il y a beaucoup d'aide aux délinquants, il n'y avait pas beaucoup d'aide aux victimes. Il y a des associations sur place, mais il fallait un truc mobile d'urgence pour intervenir."
Alors, dans un sondage récent, vous êtes cité comme la deuxième personnalité la plus populaire du gouvernement, après L. Ferry, le ministre de l'Education nationale. Cela vous a étonné ?
- "C'est peut -être parce qu'ils ne nous connaissent pas encore tout à fait ! L. Ferry et moi, on est des tout nouveaux."
C'est votre goût du paradoxe ?
- "Non, mais c'est vrai qu'en tous les cas, nous sommes très engagés aussi bien l'un que l'autre. Mais c'est un gouvernement où il n'y aura pas de star : vraiment, d'abord, il y a un Premier ministre qui est l'anti-star..."
Le "Pompidou du Poitou" disait hier V. Giscard d'Estaing !
- "Oui, c'est franchement une qualité. Sa principale qualité est de faire en sorte que son équipe travaille ensemble et de valoriser ses propres ministres. C'est quelqu'un qui, au lieu d'être dans un système pyramidal, [...] il fait remonter..."
Il n'agit pas "perso", comme on dit en football...
- "C'est le moins que l'on puisse dire. C'est plutôt un "demi d'ouverture" qui ouvre sur ses ministres, et pour cela, c'est quand même extrêmement agréable. C'est quelqu'un qui ne prétend pas tout connaître de ce pays, il sait très bien que chacun d'entre nous a un regard particulier, il valorise les autres et c'est très agréable."
Le maire de Valenciennes suit la Coupe du Monde ou pas du tout ?
- "Je vais la suivre tout à l'heure, si vous le voulez bien !"
Vous allez quand même regarder, vous nous gardez vos fondamentaux ?!
- "Bien sûr !"
Et les législatives ?
- "Très franchement, je suis un peu moins sur le terrain que je ne devrais l'être et en même temps, je déteste cette idée que l'on va sur les marchés. Quand vous connaissez les gens depuis dix ou quinze ans, ils connaissent vos défauts, ils connaissent vos qualités et d'une certaine manière, c'est plus les respecter de faire mon boulot comme je le fais."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 6 juin 2002)