Texte intégral
O. Truchot - Avant de parler d'Air France, je voulais revenir sur cette histoire des salaires des ministres : les sénateurs ont voté une augmentation d'au moins 60 % de la rémunération des ministres ?!
- "Vous savez, là-dedans, on nage dans l'hypocrisie la plus complète. A l'époque de L. Jospin, les ministres avaient un certain salaire, comme aujourd'hui, et ils avaient la même chose en liquide, sous forme de petites enveloppes, en fin de mois. C'est ce que l'on appelait les "fonds spéciaux", ce qui était complètement hypocrite et pas bon du tout - de l'argent liquide, pas fiscalisé, c'était vraiment un système affreux. A quelques mois des élections présidentielles, monsieur Jospin a trouvé que cela faisait mauvais genre - il avait raison - et il les a supprimés. Et il se préparait naturellement, s'il gagnait, à les rétablir, parce que cela signifiait pour les ministres une baisse de salaire. Aujourd'hui, moi qui suis un modeste secrétaire d'Etat, donc le bas de l'échelle ministérielle, je gagne deux fois moins que ce que je gagnais il y a deux mois, lorsque j'étais député. Et j'ai un collègue ministre - je ne citerai pas son nom - qui m'a dit que l'autre jour, il avait reçu un coup de fil de son banquier, qui lui expliquait qu'il était au "rouge" et qu'il fallait qu'il fasse quelque chose."
Parce que les ministres cumulent peut-être moins que les députés ?
- "On a des mandats locaux pour garder le contact avec le terrain. Parce exemple, je suis maire-adjoint d'une commune - où il y a d'ailleurs un émetteur de RMC, à Saint-Georges-de-Didonne, sur le littoral atlantique -, je suis conseiller général, mais ce sont de petits mandats locaux. Le problème, c'est que quand vous êtes ministre, vous avez les mêmes frais qu'un député, sauf qu'on a enlevé la moitié du salaire. Donc, trouver une astuce intelligente, fiscalisée, légale, propre pour remettre les choses à niveau, cela me paraît évident. Je trouve qu'il est normal qu'un ministre gagne autant qu'un député - pas plus, mais autant. J'ai entendu que monsieur J. Lang nous faisait des remarques morales. Quand on connaît le train de vie de monsieur J. Lang et la manière dont il a utilisé, à des fins diverses, l'argent public, ce n'était pas celui dont j'attendais des leçons de morale."
Parlons d'Air France qui sera donc vendue à la fin de l'année ou en début d'année prochaine, Bercy l'a confirmé. M.-N. Lienemann, mais aussi M. Blondel et d'autres syndicats, disent que cette opération est une opération à hauts risques dans le contexte actuel. Le secteur aérien, on le sait, est en crise depuis le 11 septembre, le marché boursier est incertain. Pourquoi le Gouvernement semble aussi pressé ?
- "Nous ne sommes pas pressés : nous appliquons notre programme. C'est peut-être ce qui nous différencie de nos prédécesseurs. Nous avions indiqué clairement, dans le programme du candidat J. Chirac et dans le programme de l'UMP que, dans les entreprises à privatiser, nous privatiserions Air France. Pas du tout pour des raisons idéologiques, il ne s'agit pas de faire cela au nom du libéralisme, de la privatisation. Il s'agit de faire cela pour des raisons très claires : c'est qu'aujourd'hui, ce n'est pas le rôle de l'Etat - pardonnez l'expression -, ce n'est pas "le boulot de l'Etat" d'être actionnaire principal d'une compagnie aérienne. Le rôle de l'Etat, dans le domaine aérien, c'est la sécurité aérienne, s'occuper du contrôle, faire en sorte que les clients montent en sécurité dans les avions, qu'ils soient bien régulés en l'air par le contrôle aérien... Mais pas d'être propriétaire. Nous avions donc dit les choses - d'ailleurs, nous ne sommes pas les seuls, je me souviens que L. Fabius, lorsqu'il était président de l'Assemblée nationale, avait pris partie personnellement pour la privatisation d'Air France. Donc, il s'agit de donner à Air France les moyens d'être ce qu'elle est en train de devenir : une grande compagnie mondiale. Parce qu'on oublie qu'après la crise du 11 septembre, le transport aérien est tombé dans une crise épouvantable, bien pire qu'au moment de la guerre du Golfe, avec des trafics parfois réduits de moitié ou des deux tiers sur certaines compagnies américaines. La compagnie Air France, grâce à son président, grâce à ses équipages, à son management, à l'ensemble de son personnel a bien supporté la crise. Elle a bien supporté la crise parce qu'elle est allée sur des marchés nouveaux, telle l'Afrique ; elle a enlevé quelques vols sur [inaudible]. Et donc, elle est en bonne santé. Et comme elle est en bonne santé, elle peut faire des alliances, elle est déjà dans les grandes alliances mondiales. Elle est en train de préparer un échange d'actions avec la compagne italienne, qui s'appelle Alitalia. Donc, le fait d'être une entreprise comme les autres, avec une part de l'Etat, une part minoritaire, cela lui permettra d'accéder vraiment au niveau mondial, ce qu'elle mérite par ses capacités et ses qualités."
Mais lorsqu'Air France sera à plus de 80 % une compagnie privée, ne va-t-elle pas supprimer des lignes non rentables, ne plus desservir certaines destinations, ne plus jouer finalement un rôle de service public ?
- "Elle le fait déjà ! Aujourd'hui, Air France est une entreprise qui réagit par rapport à ses besoins d'entreprise : quand une ligne n'est pas rentable - c'est malheureusement arrivé sur le territoire national pour la desserte de Nîmes ou d'autres villes -, Air France se tourne vers d'autres compagnies régionales qui ont des avions plus adaptés et arrête la desserte de ces villes. Le seul problème qui se pose en termes de service public, c'est la desserte de l'Outre-Mer française. Car nous avons des compatriotes qui sont aux Antilles, à la Réunion, en Polynésie, en Nouvelle-Calédonie, en Guyane qui ont besoin de deux transporteurs. Et donc, il ne faudrait pas qu'Air France se retrouve en situation de monopole. Le Gouvernement fera donc en sorte que, quoi qu'il arrive, il y ait une deuxième compagnie puissante sur l'Outre-Mer française, pour que nos compatriotes ne soient pas en situation de monopole avec les tarifs d'une seule compagnie aérienne, qui, en l'occurrence, serait Air France."
Vous savez que lorsqu'on parle de privatisation, surtout une entreprise telle qu'Air France, qui est vraiment emblématique de l'économie française - c'est un fleuron de notre économie -, on se demande ce que va devenir Air France entre les mains d'entreprises étrangères ?
- "Air France, aujourd'hui, dans son capital, a une part de l'Etat, une part importante d'actionnaires privés, qui sont vous et moi, et une part importante des personnels. Donc, dans ce qui va être entrepris, il y aura un dialogue social très important avec le personnel et, naturellement, nous souhaitons que le personnel - les pilotes, mais pas simplement les pilotes, l'ensemble des personnels - prennent une part importante des actions qui seront vendues sur le marché."
Comme ils l'avaient fait quand cela avait été partiellement privatisé ?
- "Comme ils l'avaient déjà fait : les personnels sont déjà le premier actionnaire privé de l'entreprise. Naturellement, dans cette opération, le dialogue social se fera avec les personnels pour leur permettre d'acquérir une part supplémentaire du capital de leur entreprise."
Oui, parce que le personnel a des inquiétudes, on le comprend. Ils vont changer de statut, ce ne sera pas forcément une bonne chose : on a toujours dit que le personnel d'Air France était plutôt bien payé par rapport à d'autres compagnies aériennes, notamment les pilotes de ligne...
- "Cela ne changera pas les salaires, cela ne changera pas la protection sociale, cela ne changera pas le statut, cela ne changera rien en réalité, sauf peut-être la capacité d'être un peu plus actionnaire de l'entreprise. Mais rien ne sera fait, dans cette affaire - F. Mer, G. de Robien et moi-même l'avons affirmé à plusieurs reprises - contre le personnel, sans discuter avec lui et aucune chose ne sera faite qui puisse être interprétée par les personnels comme une régression sociale. Donc, les choses ne seront jamais dans le sens du moins-disant social, mais toujours du plus-disant social."
Les syndicats sont un peu surpris, cette annonce est allée assez vite. Ils se demandent si le Gouvernement a autant besoin d'argent que cela pour précipiter les choses ?
- "Non, mais il faut aller vite ! Pourquoi ? D'abord, parce qu'on a cinq ans ; on a été élus au mois de mai et au mois de juin - le Président au mois de mai, la majorité présidentielle et parlementaire au mois de juin - ; on est fin juillet, on l'avait annoncé très à l'avance, on n'a pris personne en traître. La compagnie a également des opportunités assez rapides d'échange d'actions avec Alitalia. Ensuite, il y aura d'autres privatisations à engager pour essayer de sortir l'Etat de toute une série de lieux où il n'a pas de raison d'être. Donc, Air France est un dossier tellement évident, puisque - je vous le disais à l'instant - les socialistes eux-mêmes l'avaient évoqué et avaient commencé la privatisation, que nous poursuivons, sans esprit idéologique, un dossier qui est clair et net, qui n'entraîne pas de débat dans le pays et qu'il nous paraît utile de devancer. Ensuite, il y en aura d'autres, mais on commence par le plus simple, le plus évident et le plus utile pour l'avenir de la compagnie, parce qu'Air France sera certainement, dans les vingt années à venir, une des grandes compagnies qui resteront à l'échelle mondiale - et en Europe, je crois qu'il n'y en aura certainement plus que trois ou quatre, Air France, les Anglais, les Allemands, des pôles qu'on situe autour de ces compagnies. Il faut donc donner à Air France la possibilité d'être, dans les années à venir, une des grandes compagnies de référence européenne et mondiale."
Restons dans le transport aérien. Il y a un dossier qui fâche, plus peut-être que la privatisation d'Air France : c'est le troisième aéroport. Il est vrai que c'est une feuilleton qui n'en finit plus. A priori, il n'y aura pas de troisième aéroport à Chaulnes, c'est une chose entendue. Mais on se pose la question : y aura-t-il un jour un troisième aéroport ? Il y a une mission parlementaire qui vient d'être mise en place - encore une... -, pour essayer de voir s'il est opportun ou non de faire ce troisième aéroport. Sincèrement ?
- "Sincèrement, le gouvernement précédent avait pratiqué ce que j'appelle le "mensonge d'Etat" : c'est-à-dire qu'il avait dit aux riverains de Roissy, pour éviter leur colère dans certains cas, qu'on allait stopper le trafic à 55 millions de passagers, objectif maximum pour Roissy. Et en même temps, le gouvernement précédent, à juste titre d'ailleurs, ouvrait deux pistes complémentaires pour permettre une meilleure organisation du trafic et il autorisait Aéroport de Paris de construire - ce qui est en train de se faire actuellement - des aérogares énormes, en particulier une qui est en construction, qui est absolument gigantesque, qui est destinée à accueillir les futurs Airbus 380, les gros porteurs..."
Donc, cela veut dire que finalement, Roissy et Orly suffisent ?
- "Donc, le gouvernement précédent augmentait la capacité de Roissy, ou en tout cas la confortait, tout en expliquant qu'on allait faire un troisième aéroport pour éviter le développement de Roissy, ce qui était complètement hypocrite. Nous avons mis fin à cette hypocrisie. En plus, aller faire un aéroport à Chaulnes, à 150 kilomètres de Paris, qui nécessitait une nouvelle autoroute, une nouvelle voie ferrée - en plus, on le faisait spécialement sur les cimetières australiens, histoire de créer des problèmes complémentaires ! -, c'est que vraiment..."
Mais il y avait d'autres endroits, il n'y avait pas que Chaulnes...
- "Oui, mais le gouvernement précédent avait décidé Chaulnes. Donc, pour nous, Chaulnes, c'est complètement terminé ! Maintenant, la vraie question, celle que vous posez : faut-il ou pas un troisième aéroport ? Réponse : un, je ne sais pas ; deux, le Parlement, dont c'est le travail d'organiser la concertation, nous éclairera..."
On joue la montre ?
- "Non, pas du tout, on ne sait pas, très franchement. Il y a peut-être besoin d'un troisième aéroport et on peut peut-être très bien - ce qui, sur le fond, est plutôt mon intuition personnelle, mais un ministre n'est pas payé pour avoir de l'intuition - continuer à utiliser Orly et Roissy comme actuellement, sans augmenter naturellement leurs capacités, et il faut utiliser les plates-formes de province. Il faut utiliser mieux Marseille, il faut utiliser mieux Bordeaux, il faut utiliser mieux Lyon qui le demande, il faut utiliser Lille, il faut utiliser le futur aéroport qu'on va faire entre Rennes et Nantes, qui s'appelle Notre-Dame-des-Landes.On n'est peut-être pas toujours obligé dans ce pays de ramener tout à 100 kilomètres autour de Paris, à 100 kilomètres de la Tour Eiffel, à 100 kilomètres du Périphérique. C'est une vision des choses qui n'est pas tout à fait celle du Gouvernement. Mais on va voir ce que nous dit la mission."
Vous dites "pas de mensonge d'Etat", vous reprochez ce mensonge au gouvernement précédent...
- "C'était un gros et vilain mensonge !"
Est-ce que vous jouez le principe du jeu de la vérité avec les riverains de Roissy, d'Orly, des élus et de ceux qui habitent à côté et qui en ont marre du bruit ? Vous allez leur dire : "Tant pis, il va falloir supporter, il n'y a pas d'autres solutions" ?
- "G. de Robien a annoncé la semaine dernière toute une série de mesures, qui visent à diminuer en particulier les vols de nuit, qui visent à diminuer les nuisances. Ces mesures sont importantes, elles ont été annoncées par le Gouvernement la semaine dernière, après une très longue concertation. Toutes les dispositions sont prises pour améliorer la qualité de vie des habitants de Roissy. Je le dis aussi à certains maires - je ne cite pas de noms -, qu'il y a parfois de l'hypocrisie à signer des permis de construire le matin et, l'après-midi, à mettre son écharpe et défiler contre l'augmentation du trafic de Roissy. Mais le Gouvernement a pris ses responsabilités en présentant des projets très sérieux de diminution du bruit, en particulier nocturne, car ce qui est inacceptable pour le travail, c'est de ne pas pouvoir se reposer convenablement."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 31 juillet 2002)
- "Vous savez, là-dedans, on nage dans l'hypocrisie la plus complète. A l'époque de L. Jospin, les ministres avaient un certain salaire, comme aujourd'hui, et ils avaient la même chose en liquide, sous forme de petites enveloppes, en fin de mois. C'est ce que l'on appelait les "fonds spéciaux", ce qui était complètement hypocrite et pas bon du tout - de l'argent liquide, pas fiscalisé, c'était vraiment un système affreux. A quelques mois des élections présidentielles, monsieur Jospin a trouvé que cela faisait mauvais genre - il avait raison - et il les a supprimés. Et il se préparait naturellement, s'il gagnait, à les rétablir, parce que cela signifiait pour les ministres une baisse de salaire. Aujourd'hui, moi qui suis un modeste secrétaire d'Etat, donc le bas de l'échelle ministérielle, je gagne deux fois moins que ce que je gagnais il y a deux mois, lorsque j'étais député. Et j'ai un collègue ministre - je ne citerai pas son nom - qui m'a dit que l'autre jour, il avait reçu un coup de fil de son banquier, qui lui expliquait qu'il était au "rouge" et qu'il fallait qu'il fasse quelque chose."
Parce que les ministres cumulent peut-être moins que les députés ?
- "On a des mandats locaux pour garder le contact avec le terrain. Parce exemple, je suis maire-adjoint d'une commune - où il y a d'ailleurs un émetteur de RMC, à Saint-Georges-de-Didonne, sur le littoral atlantique -, je suis conseiller général, mais ce sont de petits mandats locaux. Le problème, c'est que quand vous êtes ministre, vous avez les mêmes frais qu'un député, sauf qu'on a enlevé la moitié du salaire. Donc, trouver une astuce intelligente, fiscalisée, légale, propre pour remettre les choses à niveau, cela me paraît évident. Je trouve qu'il est normal qu'un ministre gagne autant qu'un député - pas plus, mais autant. J'ai entendu que monsieur J. Lang nous faisait des remarques morales. Quand on connaît le train de vie de monsieur J. Lang et la manière dont il a utilisé, à des fins diverses, l'argent public, ce n'était pas celui dont j'attendais des leçons de morale."
Parlons d'Air France qui sera donc vendue à la fin de l'année ou en début d'année prochaine, Bercy l'a confirmé. M.-N. Lienemann, mais aussi M. Blondel et d'autres syndicats, disent que cette opération est une opération à hauts risques dans le contexte actuel. Le secteur aérien, on le sait, est en crise depuis le 11 septembre, le marché boursier est incertain. Pourquoi le Gouvernement semble aussi pressé ?
- "Nous ne sommes pas pressés : nous appliquons notre programme. C'est peut-être ce qui nous différencie de nos prédécesseurs. Nous avions indiqué clairement, dans le programme du candidat J. Chirac et dans le programme de l'UMP que, dans les entreprises à privatiser, nous privatiserions Air France. Pas du tout pour des raisons idéologiques, il ne s'agit pas de faire cela au nom du libéralisme, de la privatisation. Il s'agit de faire cela pour des raisons très claires : c'est qu'aujourd'hui, ce n'est pas le rôle de l'Etat - pardonnez l'expression -, ce n'est pas "le boulot de l'Etat" d'être actionnaire principal d'une compagnie aérienne. Le rôle de l'Etat, dans le domaine aérien, c'est la sécurité aérienne, s'occuper du contrôle, faire en sorte que les clients montent en sécurité dans les avions, qu'ils soient bien régulés en l'air par le contrôle aérien... Mais pas d'être propriétaire. Nous avions donc dit les choses - d'ailleurs, nous ne sommes pas les seuls, je me souviens que L. Fabius, lorsqu'il était président de l'Assemblée nationale, avait pris partie personnellement pour la privatisation d'Air France. Donc, il s'agit de donner à Air France les moyens d'être ce qu'elle est en train de devenir : une grande compagnie mondiale. Parce qu'on oublie qu'après la crise du 11 septembre, le transport aérien est tombé dans une crise épouvantable, bien pire qu'au moment de la guerre du Golfe, avec des trafics parfois réduits de moitié ou des deux tiers sur certaines compagnies américaines. La compagnie Air France, grâce à son président, grâce à ses équipages, à son management, à l'ensemble de son personnel a bien supporté la crise. Elle a bien supporté la crise parce qu'elle est allée sur des marchés nouveaux, telle l'Afrique ; elle a enlevé quelques vols sur [inaudible]. Et donc, elle est en bonne santé. Et comme elle est en bonne santé, elle peut faire des alliances, elle est déjà dans les grandes alliances mondiales. Elle est en train de préparer un échange d'actions avec la compagne italienne, qui s'appelle Alitalia. Donc, le fait d'être une entreprise comme les autres, avec une part de l'Etat, une part minoritaire, cela lui permettra d'accéder vraiment au niveau mondial, ce qu'elle mérite par ses capacités et ses qualités."
Mais lorsqu'Air France sera à plus de 80 % une compagnie privée, ne va-t-elle pas supprimer des lignes non rentables, ne plus desservir certaines destinations, ne plus jouer finalement un rôle de service public ?
- "Elle le fait déjà ! Aujourd'hui, Air France est une entreprise qui réagit par rapport à ses besoins d'entreprise : quand une ligne n'est pas rentable - c'est malheureusement arrivé sur le territoire national pour la desserte de Nîmes ou d'autres villes -, Air France se tourne vers d'autres compagnies régionales qui ont des avions plus adaptés et arrête la desserte de ces villes. Le seul problème qui se pose en termes de service public, c'est la desserte de l'Outre-Mer française. Car nous avons des compatriotes qui sont aux Antilles, à la Réunion, en Polynésie, en Nouvelle-Calédonie, en Guyane qui ont besoin de deux transporteurs. Et donc, il ne faudrait pas qu'Air France se retrouve en situation de monopole. Le Gouvernement fera donc en sorte que, quoi qu'il arrive, il y ait une deuxième compagnie puissante sur l'Outre-Mer française, pour que nos compatriotes ne soient pas en situation de monopole avec les tarifs d'une seule compagnie aérienne, qui, en l'occurrence, serait Air France."
Vous savez que lorsqu'on parle de privatisation, surtout une entreprise telle qu'Air France, qui est vraiment emblématique de l'économie française - c'est un fleuron de notre économie -, on se demande ce que va devenir Air France entre les mains d'entreprises étrangères ?
- "Air France, aujourd'hui, dans son capital, a une part de l'Etat, une part importante d'actionnaires privés, qui sont vous et moi, et une part importante des personnels. Donc, dans ce qui va être entrepris, il y aura un dialogue social très important avec le personnel et, naturellement, nous souhaitons que le personnel - les pilotes, mais pas simplement les pilotes, l'ensemble des personnels - prennent une part importante des actions qui seront vendues sur le marché."
Comme ils l'avaient fait quand cela avait été partiellement privatisé ?
- "Comme ils l'avaient déjà fait : les personnels sont déjà le premier actionnaire privé de l'entreprise. Naturellement, dans cette opération, le dialogue social se fera avec les personnels pour leur permettre d'acquérir une part supplémentaire du capital de leur entreprise."
Oui, parce que le personnel a des inquiétudes, on le comprend. Ils vont changer de statut, ce ne sera pas forcément une bonne chose : on a toujours dit que le personnel d'Air France était plutôt bien payé par rapport à d'autres compagnies aériennes, notamment les pilotes de ligne...
- "Cela ne changera pas les salaires, cela ne changera pas la protection sociale, cela ne changera pas le statut, cela ne changera rien en réalité, sauf peut-être la capacité d'être un peu plus actionnaire de l'entreprise. Mais rien ne sera fait, dans cette affaire - F. Mer, G. de Robien et moi-même l'avons affirmé à plusieurs reprises - contre le personnel, sans discuter avec lui et aucune chose ne sera faite qui puisse être interprétée par les personnels comme une régression sociale. Donc, les choses ne seront jamais dans le sens du moins-disant social, mais toujours du plus-disant social."
Les syndicats sont un peu surpris, cette annonce est allée assez vite. Ils se demandent si le Gouvernement a autant besoin d'argent que cela pour précipiter les choses ?
- "Non, mais il faut aller vite ! Pourquoi ? D'abord, parce qu'on a cinq ans ; on a été élus au mois de mai et au mois de juin - le Président au mois de mai, la majorité présidentielle et parlementaire au mois de juin - ; on est fin juillet, on l'avait annoncé très à l'avance, on n'a pris personne en traître. La compagnie a également des opportunités assez rapides d'échange d'actions avec Alitalia. Ensuite, il y aura d'autres privatisations à engager pour essayer de sortir l'Etat de toute une série de lieux où il n'a pas de raison d'être. Donc, Air France est un dossier tellement évident, puisque - je vous le disais à l'instant - les socialistes eux-mêmes l'avaient évoqué et avaient commencé la privatisation, que nous poursuivons, sans esprit idéologique, un dossier qui est clair et net, qui n'entraîne pas de débat dans le pays et qu'il nous paraît utile de devancer. Ensuite, il y en aura d'autres, mais on commence par le plus simple, le plus évident et le plus utile pour l'avenir de la compagnie, parce qu'Air France sera certainement, dans les vingt années à venir, une des grandes compagnies qui resteront à l'échelle mondiale - et en Europe, je crois qu'il n'y en aura certainement plus que trois ou quatre, Air France, les Anglais, les Allemands, des pôles qu'on situe autour de ces compagnies. Il faut donc donner à Air France la possibilité d'être, dans les années à venir, une des grandes compagnies de référence européenne et mondiale."
Restons dans le transport aérien. Il y a un dossier qui fâche, plus peut-être que la privatisation d'Air France : c'est le troisième aéroport. Il est vrai que c'est une feuilleton qui n'en finit plus. A priori, il n'y aura pas de troisième aéroport à Chaulnes, c'est une chose entendue. Mais on se pose la question : y aura-t-il un jour un troisième aéroport ? Il y a une mission parlementaire qui vient d'être mise en place - encore une... -, pour essayer de voir s'il est opportun ou non de faire ce troisième aéroport. Sincèrement ?
- "Sincèrement, le gouvernement précédent avait pratiqué ce que j'appelle le "mensonge d'Etat" : c'est-à-dire qu'il avait dit aux riverains de Roissy, pour éviter leur colère dans certains cas, qu'on allait stopper le trafic à 55 millions de passagers, objectif maximum pour Roissy. Et en même temps, le gouvernement précédent, à juste titre d'ailleurs, ouvrait deux pistes complémentaires pour permettre une meilleure organisation du trafic et il autorisait Aéroport de Paris de construire - ce qui est en train de se faire actuellement - des aérogares énormes, en particulier une qui est en construction, qui est absolument gigantesque, qui est destinée à accueillir les futurs Airbus 380, les gros porteurs..."
Donc, cela veut dire que finalement, Roissy et Orly suffisent ?
- "Donc, le gouvernement précédent augmentait la capacité de Roissy, ou en tout cas la confortait, tout en expliquant qu'on allait faire un troisième aéroport pour éviter le développement de Roissy, ce qui était complètement hypocrite. Nous avons mis fin à cette hypocrisie. En plus, aller faire un aéroport à Chaulnes, à 150 kilomètres de Paris, qui nécessitait une nouvelle autoroute, une nouvelle voie ferrée - en plus, on le faisait spécialement sur les cimetières australiens, histoire de créer des problèmes complémentaires ! -, c'est que vraiment..."
Mais il y avait d'autres endroits, il n'y avait pas que Chaulnes...
- "Oui, mais le gouvernement précédent avait décidé Chaulnes. Donc, pour nous, Chaulnes, c'est complètement terminé ! Maintenant, la vraie question, celle que vous posez : faut-il ou pas un troisième aéroport ? Réponse : un, je ne sais pas ; deux, le Parlement, dont c'est le travail d'organiser la concertation, nous éclairera..."
On joue la montre ?
- "Non, pas du tout, on ne sait pas, très franchement. Il y a peut-être besoin d'un troisième aéroport et on peut peut-être très bien - ce qui, sur le fond, est plutôt mon intuition personnelle, mais un ministre n'est pas payé pour avoir de l'intuition - continuer à utiliser Orly et Roissy comme actuellement, sans augmenter naturellement leurs capacités, et il faut utiliser les plates-formes de province. Il faut utiliser mieux Marseille, il faut utiliser mieux Bordeaux, il faut utiliser mieux Lyon qui le demande, il faut utiliser Lille, il faut utiliser le futur aéroport qu'on va faire entre Rennes et Nantes, qui s'appelle Notre-Dame-des-Landes.On n'est peut-être pas toujours obligé dans ce pays de ramener tout à 100 kilomètres autour de Paris, à 100 kilomètres de la Tour Eiffel, à 100 kilomètres du Périphérique. C'est une vision des choses qui n'est pas tout à fait celle du Gouvernement. Mais on va voir ce que nous dit la mission."
Vous dites "pas de mensonge d'Etat", vous reprochez ce mensonge au gouvernement précédent...
- "C'était un gros et vilain mensonge !"
Est-ce que vous jouez le principe du jeu de la vérité avec les riverains de Roissy, d'Orly, des élus et de ceux qui habitent à côté et qui en ont marre du bruit ? Vous allez leur dire : "Tant pis, il va falloir supporter, il n'y a pas d'autres solutions" ?
- "G. de Robien a annoncé la semaine dernière toute une série de mesures, qui visent à diminuer en particulier les vols de nuit, qui visent à diminuer les nuisances. Ces mesures sont importantes, elles ont été annoncées par le Gouvernement la semaine dernière, après une très longue concertation. Toutes les dispositions sont prises pour améliorer la qualité de vie des habitants de Roissy. Je le dis aussi à certains maires - je ne cite pas de noms -, qu'il y a parfois de l'hypocrisie à signer des permis de construire le matin et, l'après-midi, à mettre son écharpe et défiler contre l'augmentation du trafic de Roissy. Mais le Gouvernement a pris ses responsabilités en présentant des projets très sérieux de diminution du bruit, en particulier nocturne, car ce qui est inacceptable pour le travail, c'est de ne pas pouvoir se reposer convenablement."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 31 juillet 2002)