Interview de Mme Dominique Versini, secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion, à France 2 le 27 mai 2002, sur les mesures pour lutter contre la prostitution des enfants mineurs étrangers, la pédophilie et les structures d'accueil adaptées pour ces jeunes prostitués.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

F. Laborde - Vous êtes donc la toute nouvelle secrétaire d'Etat à la Précarité et à l'Exclusion. Les Français connaissent déjà sans doute votre visage puisque vous avez participé et fondé le Samu social et vous vous êtes déjà beaucoup préoccupée de ces questions-là. Au coeur de vos préoccupations aujourd'hui, les enfants des rues parce que vous n'avez pas attendu d'être nommée secrétaire d'Etat pour le découvrir, il y a aujourd'hui en France, des très jeunes enfants qui viennent des pays de l'Est et qui se prostituent dans les rues de Paris.
- "Oui, je m'en étais rendue compte sur le terrain et j'avais cherché à attirer l'attention des pouvoirs publics sur cette question qui me paraissait majeure. Il y a en effet des enfants très jeunes qui sont prostitués."
Très jeunes, c'est quoi ?
- "Des enfants de 8 à 12 ans qui sont aux mains de réseaux mafieux, en provenance principalement des pays de l'Est, mais sans doute d'autres pays, qui sont livrés à la prostitution de réseaux pédophiles. Il faut bien le dire : ces enfants sont en danger, rien n'est prévu pour eux dans notre pays. J'ai donc souhaité mettre en place immédiatement, avec les associations qui travaillent sur le terrain, une structure d'aide, parce que ces enfants sont des victimes qu'il ne faut pas confondre avec des délinquants."
Ils sont combien à peu près, a-t-on une idée de l'importance du nombre de ces jeunes prostitués ?
- "Comme c'est un phénomène qui a été caché pour des raisons complexes, je pense, mais aussi sans doute parce que les autorités n'avaient pas les moyens de faire face et le courage politique pour affronter cette question, il semblerait qu'il y ait environ 1.000 enfants dans Paris, au moins autant dans Marseille, mais sans doute beaucoup plus. Là, je suis en train de tirer le fil et de lever le voile sur une question vraiment très effrayante. En tout cas, je crois qu'il faut le dire fermement : nous sommes en France, il ne peut pas y avoir un seul enfant de 8 à 12 ans prostitué sur nos trottoirs. Nous ne pouvons pas devenir le pays..."
...le pays des droits de l'Homme ne peut pas accepter la pédophilie.
- "Il ne peut pas y avoir de tourisme sexuel en France sur ces questions-là. Nous devons donc le dénoncer ;c'est ce que je fais aujourd'hui, en tant que membre du Gouvernement. Nous devons régler cette question, premièrement, en mettant les enfants à l'abri, et nous sommes en train de préparer un projet avec les associations de terrain ; deuxièmement, en travaillant sur...
La prévention ?
- "...En nous attaquant aux réseaux mafieux et en punissant très sévèrement les pédophiles qui vont consommer ces enfants. Ensuite, en travaillant avec les pays d'origine."
Comment allez-vous condamner ceux qui exploitent, à savoir, aussi bien les réseaux mafieux qui mettent ces enfants sur le trottoir que les clients, les criminels qui effectivement achètent le corps de ces enfants ?
- "C'est la politique de répression. N. Sarkozy est sur la piste de tous ces réseaux, cela fait partie de la politique de sécurité de la France. Il faut donc, premièrement, casser les réseaux mafieux qui travaillent en toute impunité, et qui ont travaillé jusque-là en toute impunité et deuxièmement, les pédophiles qui consomment des enfants sans être punis. La dernière fois qu'un pédophile a été attrapé avec un enfant de 12 ans, il a eu trois mois avec sursis. Ce n'est pas acceptable ! Je suis désolée, il faut que les sanctions soient vraiment sévères, car il s'agit de la protection de l'enfant en général. Et la valeur d'un enfant étranger est la même que celle d'un enfant français."
Comment faire pour ces enfants qui sont en France quand vous les retrouvez ? Est-ce qu'il y a des structures d'accueil qui peuvent être adaptées pour eux ? Car j'imagine qu'on ne place pas ces enfants comme on place dans des foyers d'accueil d'autres enfants ; il y a une prise en charge un peu particulière ?
- "Aujourd'hui, il n'y a rien et les foyers classiques de l'Aide sociale à l'enfance ne peuvent pas les accueillir car ce ne sont pas des enfants qui restent là, ce ne sont pas des enfants qui ont un projet, ce ne sont pas des enfants qu'on peut intégrer facilement. Nous allons mettre en place..."
On ne peut pas les placer dans une famille ? C'est une prise en charge trop compliquée ?
- "Ils sont pris dans des réseaux, ce sont des enfants surveillés par des adultes, menacés. Ils ont perdu leur part d'enfance. Il faut donc mettre en place des structures expérimentales, - on va le faire très vite, on y travaille - pour les apprivoiser pour créer des liens avec eux, pour les mettre en confiance et leur faire comprendre qu'ils peuvent être protégés car ils sont menacés dans leur vie. Nous allons ensuite travailler avec les pays d'origine, notamment la Roumanie, pour permettre à ces pays de pouvoir s'occuper de leurs enfants, car il y a des centaines de milliers d'enfants orphelins, et de pouvoir faire accueillir les enfants. Il y a une fondation française qui s'appelle "Parada", qui a été créée par un clown français, qui est en Roumanie, et qui va travailler avec nous en partenariat et avec les autorités roumaines, pour que ces enfants ne soient pas réduits à l'esclavage."
Une dernière question : si on ne s'occupe pas de ces enfants aujourd'hui, le risque c'est que, parce qu'ils vivent dans la rue, ils basculent et deviennent dans quelques années délinquants ?
- "Bien sûr. Ce sont des enfants qui sont exploités ; leur corps, pour eux, c'est un objet, on peut le vendre, on peut le casser. Donc forcément, leur construction ne sera pas une construction normale d'évolution. Pour eux, le corps de l'autre est aussi quelque chose que l'on peut casser. Donc, on risque effectivement de fabriquer des délinquants graves et dangereux dans les années à venir. Mais pour l'instant, ce sont de petits enfants, avec de belles bouilles d'enfants, il faut les protéger."
Autre dossier sous votre tutelle : les demandeurs d'asile. Avec le centre de Sangatte dont on a beaucoup parlé ces derniers, dont on pense qu'il faudrait le fermer - mais encore faut-il trouver les bonnes conditions pour le fermer -, quelle est votre politique en la matière ?
- "Ce dossier n'est pas sous ma tutelle mais sous celle de plusieurs membres du Gouvernement, puisqu'il concerne la politique de la France et de l'Europe en matière d'immigration et en matière de droit d'asile. Donc, pour ma part, je peux vous dire que le dispositif d'urgence classique réservé aux SDF est "embolisé" et saturé parce que les demandeurs d'asile qui sont arrivés en nombre important durant les trois dernières années, n'ont pas trouvé de place dans des structures adaptées et que par ailleurs, le gouvernement précédent n'a pas pris de position française sur la question du droit d'asile. On en parle beaucoup en ce moment..."
Le "zéro SDF" lancé par L. Jospin pendant la campagne, aujourd'hui non seulement ce n'est pas vrai - c'est ce que vous dites - mais de plus, il y a des familles entières qui arrivent...
- C'est-à-dire que ce n'est pas vrai dit comme ça. Ce n'est pas vrai parce qu'il y a de nouvelles populations à la rue, parce qu'il y a justement des demandeurs d'asile pour lesquels il faut prendre une position, c'est-à-dire : qu'est-ce que c'est qu'un demandeur d'asile ? Qu'est-ce qu'on fait ? Combien de temps garde-t-on les gens ? Que fait-on quand les gens sont déboutés ? C'est compliqué, cela ne se résout pas..."
Il faut combien de temps à peu près pour avoir une réponse quand on est demandeur d'asile aujourd'hui en France ?
- "Selon les textes, il devrait falloir six mois, et aujourd'hui nous en sommes à deux voire trois ans."
C'est énorme, donc les gens s'installent...
- "C'est énorme ! Pendant ce temps, les gens s'installent, ont des enfants, et ensuite cela pose des problèmes humains, complexes qu'on ne peut pas résoudre d'un coup de baguette magique, ni en une phrase."
A combien est-on passé, en termes de demandeurs d'asile ? Il y a une forte progression des chiffres ?
- "Oui, énorme : il y a trois ans, il y avait 15.000 demandes d'asile par an en France, et aujourd'hui il y en a environ 100.000. C'est énorme."
Donc les délais vont encore se rallonger ?
- "C'est énorme mais cela concerne tous les pays européens. De plus en plus de gens des pays pauvres viendront vers les pays riches pour chercher l'asile économique, pour survivre. Nous devons voir comment répondre à cela. Et répondre à cela, c'est peut-être aussi répondre en développant la coopération avec ces pays pour que les gens puissent vivre. Car je pense que lorsque les gens peuvent vivre dans leur pays d'origine, en paix, et aider leur famille, ils y restent, c'est évident."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 27 mai 2002)