Interview de M. Jacques Barrot, président du groupe parlementaire UMP à l'Assemblée nationale, à RTL le 23 juillet 2002, sur la crise de la Bourse, la baisse des impôts, la revalorisation du pouvoir d'achat, le projet de loi sur la délinquance des mineurs et la fusion des partis de droite et du centre au sein de l'UMP.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Arzt - En quoi est-ce que les très mauvais résultats de la Bourse peuvent gêner la politique économique que soutient la majorité ?
- "Il est vrai que nous sommes en pleine période d'assainissement. On est sans doute au creux de la vague et il ne faut pas que sur le plan psychologique, on se laisse entraîner par une espèce de défaitisme. Le lien entre la Bourse et la croissance n'est pas tout à fait, comme l'a souligné le Premier ministre hier, le même en Europe qu'aux Etats-Unis. J'ajoute que nous allons, dans l'avenir, vers des formes de croissance qui seront beaucoup plus reliées aux investissements, à la création de richesses qu'aux mouvements spéculatifs, et cela peut être un progrès. Pour répondre, je dirais que cela peut compliquer un petit peu les choses. On a un Gouvernement qui hérite d'un certain nombre de dettes et d'une situation un peu difficile en matière de finances publiques, et en même temps, cela peut permettre à ce même Gouvernement français de pouvoir construire demain une véritable stratégie de développement et de croissance qui s'appuie sur du solide."
Pour l'instant, est-ce que, par exemple, c'est le moment, plus que jamais, de favoriser les ménages les plus aisés en baissant les impôts afin de les rassurer ?
- "Non, il s'agit de donner à la France l'attractivité nécessaire. Vous ne pouvez pas aujourd'hui ne pas donner un signal à ceux qui sont les plus vigoureux pour tirer l'économie française. Dire à un jeune analyste financier, dont on a le plus grand besoin, ou à un jeune informaticien, qu'il va pouvoir à Londres gagner beaucoup plus d'argent qu'à Paris, c'est un vrai problème."
Cela étant, vous êtes à titre personnel plutôt plus favorable à l'allégement des charges...
- "Non. Je pense qu'il faut tenir les deux bouts de la chaîne. Nous nous sommes faits élire sur la volonté de revaloriser le travail. Le travail, c'est aussi bien celui du cadre qui ne doit pas payer plus de 50 % de son revenu du travail pour l'impôt, mais c'est aussi celui qui est au Smic et pour lequel les charges sont trop lourdes, car cela ne permet pas à l'entreprise de servir des salaires nets plus élevés. Il faut tenir les deux bouts de la chaîne, voilà tout."
Qu'est-ce que vous dites, pour l'un des bouts de la chaîne, à ceux qui, à l'UMP, comme D. Paillé, disent qu'il faut revaloriser le pouvoir d'achat des bas salaires et que c'est une priorité ?
- "Il faut faire les deux. Ce qu'il faut, c'est revaloriser le travail dans ce pays. Si nous développons notre économie, si nous reprenons le chemin de l'investissement et si le goût du travail se trouve conforté dans la société française, alors nous aurons une croissance plus forte, alors nous résoudrons nos problèmes sociaux."
Actuellement, il y a les hausses de prix des services publics, et en particulier la suppression de la partie flottante de la taxe sur les produits pétroliers qui s'accompagne d'une hausse à la pompe. Est-ce que cela tombe mal ?
- "Il faut respecter un certain nombre de règles de l'économie. Le temps où l'on utilisait l'entreprise publique pour doper le pouvoir d'achat en faisant des baisses de tarifs un peu artificielles, est révolu. Aujourd'hui, il faut aussi que nos entreprises affichent leurs coûts de revient, ce qui ne veut pas dire qu'elles ne doivent pas être très bien gérées. Nous payons aujourd'hui un certain nombre d'achats qui ont été faits dans des conditions extrêmement contestables dans les années précédentes. Ceci étant dit, cela aussi fait partie de l'assainissement nécessaire, et ensuite, nous pourrons construire une démarche solide qui permettra d'améliorer le pouvoir d'achat, mais de ne pas perdre de vue le développement de ce pays, de sa force, de son potentiel économique."
Je change de sujet : après le terrain économique et social, celui de la sécurité est peut-être plus solide actuellement... Est-ce que les députés UMP ont l'intention d'amender le projet Perben sur la réforme de la justice qui passera la semaine prochaine ?
- "Le projet Perben est un projet équilibré. Il met fin à une situation qui était anachronique. Aujourd'hui, j'entends même à gauche des gens qui revendiquent pour la jeune génération, pour les jeunes, plus de responsabilités dans la société. Quand on a plus de responsabilités, on doit aussi rendre des comptes. Il n'était pas normal qu'aujourd'hui, des mineurs entre treize et seize ans puissent narguer, en quelque sorte, le juge en lui disant que pour le moment, ils sont mineurs et qu'ils n'ont aucun pouvoir sur eux."
Cela étant, on dit qu'il y a eu quand même un certain manque de concertation. Dans les milieux judiciaires, c'est ce qu'on entend...
- "Dans les milieux judiciaires, peut-être, mais d'autres qui sont bien contents que l'on voie enfin un gouvernement avoir le courage d'assumer la responsabilité d'évolutions nécessaires."
Est-ce qu'il y a des députés à l'UMP qui estiment que ce projet de loi n'est pas suffisamment répressif ?
- "Je n'ai pas trop entendu de voix dans ce sens, ce qui prouve qu'au fond, le bon sens est en train de l'emporter sur les considérations idéologiques. Il ne s'agit pas de faire du sécuritaire pour du sécuritaire, il s'agit d'être pratique. Je suis un peu agacé de voir que sur ce sujet très délicat de la prévention de la délinquance chez les mineurs, on se jette à la tête, du côté de la gauche, des arguments qui, à mon avis, ne sont pas recevables entre le centre éducatif renforcé, le centre éducatif fermé. La simple menace de faire huit ou quinze jours de prison si vraiment on fugue systématiquement du centre où l'on vous a placé, parce que vous avez 14 ans et que vous voulez jouer les petits mecs au milieu de votre quartier, si on n'arrive pas, tous ensemble, gauche et droite, à mettre fin à ces phénomènes de société qui sont aberrants..."
Vous appelez à un débat apaisé ?
- "...et à un débat pragmatique ! Il ne s'agit pas, encore une fois, de faire du sécuritaire pour le sécuritaire. Il s'agit de résoudre des problèmes pratiques que tous les praticiens, aussi bien juges que magistrats chargés de la protection judiciaire de la jeunesse, rencontrent tous les matins."
A l'Assemblée, avec l'Union pour la majorité présidentielle, le groupe que vous dirigez, est-ce que vous considérez que vous faites une sorte d'expérimentation de ce que sera la fusion entre les différents partis - RPR, Démocratie libérale et une partie de l'UDF - qui vont se constituer vraiment en parti politique à la rentrée ?
- "Ce qui est vrai, c'est qu'on est en train d'expérimenter en France ce qui existe dans d'autres grand pays, comme l'Espagne et l'Allemagne, c'est-à-dire des grands partis de gouvernement. Et le groupe UMP, au fond, il a mission non seulement de soutenir le Gouvernement mais de l'influencer. Ce que l'on peut faire si l'on est tous ensemble, si l'UMP, comme je l'espère de tout mon coeur, a tous les débats démocratiques nécessaires pour dégager des options claires. Je suis convaincu que si cette expérience est réussie, la démocratie française marquera des progrès. D'ailleurs Strauss-Kahn l'a reconnu : il a dit que la droite avait pris une longueur d'avance sur [nous]."
Comment faut-il diriger ce genre de parti, pour l'instant composite : avec tact, diplomatie, bienveillance ?
- "Il faut surtout accepter que le pluralisme est une richesse, à condition qu'il n'entrave pas la volonté d'action."
Ce sera donc la mission d'A. Juppé, d'avoir toutes ces qualités-là ?
- "Oui, et pour le moment, avec B. Accoyer, mon premier vice-président et toute une équipe autour de moi, c'est le travail quotidien. Je dois dire que nous sommes accompagnés par les nouveaux arrivants ; la grande marée électorale nous a amené des gens formidables !"
Quel sera le nom de l'UMP ? Je sais que vous y réfléchissez, vous avez des suggestions ?
- "Je suggère aux auditeurs de RTL de nous donner quelques idées, pourquoi pas ? Les idées peuvent aussi venir de la France d'en bas... Mais ce qui importe, c'est que derrière le nom, les Français sentent qu'il y a une dynamique ouverte, sympathique, mais désireuse d'agir."
Vous n'avez pas l'idée d'un nom ?
- "Je ne peux pas vous livrer tous les secrets de la fabrication. Nous allons y réfléchir pendant cet été."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 23 juillet 2002)