Interview de Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie, à "France Inter" le 18 juin 2002, sur la compatibilité des engagements du nouveau gouvernement avec les exigences de l'Europe et sur son opposition aux récentes mesures de politique communautaire de la pêche.

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Média : France Inter

Texte intégral

S. Paoli - La France peut-elle s'offrir une baisse d'impôts ? C'est l'Allemagne qui pose cette question, à trois jours du prochain sommet européen de Séville : le gouvernement Schröder remarque que le déficit français avoisine les 2,6 % et souhaite que Bruxelles lance une mise en garde à Paris sur le dérapage de ses comptes publics.
La présidente du Parlement européen que vous avez été il n'y a pas si longtemps, j'imagine, n'est pas surprise de voir l'Europe se rappeler aussi vite au bon souvenir du nouveau gouvernement français ?
- "Je voudrais tout d'abord dire que je suis très émue aujourd'hui, parce que je quitte mes fonctions de député européen, mais je prolonge mon engagement européen dans cette fonction ministérielle. Et je suis très heureuse de pouvoir mettre l'expérience que j'ai pu acquérir, à la fois en tant que député européen et en tant que présidente du Parlement européen, au service du gouvernement de J.-P. Raffarin, au service de J. Chirac et surtout au service de la France et des Français."
Justement, peut-être que la France va avoir besoin de vos services européens et de cette lecture que vous avez justement des enjeux européens, sur la politique française maintenant ; parce qu'on voit bien en effet que ça y est, on est dedans !
- "Voilà, tout à fait, c'est pour cela que je disais que je prolongeais mon engagement européen. Aujourd'hui, la compétitivité de l'industrie française s'inscrit résolument dans une dynamique européenne. D'ailleurs la plupart des mesures viennent, comme on dit, de "Bruxelles" - j'ajouterais de Strasbourg, parce que maintenant le Parlement européen a un pouvoir de codécision tout à fait évident. Il va y avoir beaucoup à faire, je souhaite qu'on engage avec nos partenaires européens un dialogue très franc, très loyal, très ouvert, comme d'ailleurs F. Mer a parfaitement commencé à le faire."
Mais comment fait-on dans ces cas-là ? Le gouvernement français a pris un certain nombre d'engagements pendant la campagne, notamment la baisse d'impôts, mais en même temps il est obligé de composer avec un déficit important, de 2,5 ou 2,6 %. Comment faire, alors qu'en effet, des règles européennes nous recommandent de respecter un pacte de stabilité ?
- "Tout d'abord, les engagements qui ont été pris par J. Chirac seront tenus, cela doit être tout à fait clair. Et ces engagements sont globalement compatibles avec les exigences de l'Europe. Encore une fois, il faut que nous voyons ça dans un ensemble. Je voudrais quand même d'ailleurs signaler que nous ne sommes pas le seul pays qui connaît quelques difficultés"
L'Allemagne a un déficit de 2,6 %.
- "Absolument, tout à fait."
Sauf que l'Allemagne nous dit qu'elle se fait taper sur les doigts, et donc qu'il n'y a pas de raison que les Français s'arrangent avec leurs histoires de baisse d'impôts...
- "Oui, je serais tentée de dire que le contexte électoral allemand, peut encourager certaines gesticulations. Après le 22 septembre, croyez-moi, nous parlerons en bonne intelligence avec nos partenaires européens et en tout cas, en ce qui me concerne, j'apporterai toute ma contribution, je serai aux côtés de F. Mer. Je suis d'ailleurs très heureuse d'être aux côtés de ce grand capitaine de l'industrie, qui d'ailleurs a porté son groupe au top niveau mondial et je suis convaincue que nous parviendrons à amorcer une réflexion, que nous devrons avoir tous ensemble ; parce que qu'est-ce qui est en cause finalement ? C'est la compétitivité, c'est la croissance et c'est donc l'emploi."
Les marges de manoeuvre sont-elles réelles ? Peut-on discuter avec Strasbourg, avec Bruxelles, en disant qu'on a un chantier qui s'ouvre, qu'on a un certain nombre de choses à réformer ?
- "Ce sera à nous justement de développer ces marges de manoeuvre, mais je suis convaincue qu'elles existent."
Cela veut dire qu'il faut les convaincre quand même !
- "En ce qui concerne la France tout d'abord, tout de même, il y a un préalable : nous attendons le résultat de l'audit. Nous verrons un petit peu plus clair. Ces marges de manoeuvre existent, il faut que nous ayons l'intelligence de les développer - et encore une fois tous ensemble : ce n'est pas seulement un problème Français. Je ne voudrais pas qu'on isole la France. J'ai vraiment une expérience formidable de ce milieu européen où j'ai travaillé toujours au coude à coude avec mes collègues de toutes nationalités et avec vraiment l'ambition de faire progresser l'Europe pour les citoyens Européens, de mieux faire comprendre aux citoyens Européens cette Europe justement. Je souffre un peu quand j'entends dire, "Bruxelles est inquiète, Bruxelles décide, Bruxelles va ramener à l'ordre la France" ! Qu'est-ce que ça veut dire ? Non, vraiment, je souhaiterais qu'on "sereinise" les choses. Nos partenaires Européens ne sont pas des adversaires, ce sont des partenaires qui ont tout intérêt à ce que la France réussisse et à ce que le nouveau gouvernement que nous avons réussisse pour le plus grand bien de tous."
Vous dites certes "posture plus sereine", mais il vous arrive vous-même de pousser de temps en temps un coup de colère, voire même un coup de gueule. Vous n'avez pas beaucoup aimé les mesures concernant la politique communautaire de la pêche, vous l'avez vertement dit !
- "Oui, vertement ! Ce que je n'ai pas du tout aimé, c'est la méthode. C'est la façon dont justement, tout d'un coup, ces mesures s'abattent sur des gens. Et vraiment c'est tout à fait ce que nous ne devons plus faire."
Mais qu'est-ce que c'est ? Une oukase bruxelloise ? Comment les choses se passent-elles dans ces cas-là ? On dit : "Voilà, attention, on va réglementer tout, on va être obligé de supprimer des emplois, de supprimer des bateaux, parce que si on pêche trop, plus de poissons" ? Cela se décide à Bruxelles et s'impose comme ça ensuite ?
- "C'est un tout petit peu plus compliqué que ça. Bon, tout d'abord, il y a un problème de fond, c'est clair. Nul ne conteste que s'il n'y a plus de poissons, il n'y aura plus de pêcheurs, donc il faut protéger certaines espèces, là-dessus tout le monde est d'accord. Ces règlements de Bruxelles ne sont pas nouveaux, il y a d'ailleurs eu des premières mesures qui avaient imposé déjà des sacrifices importants aux pêcheurs européens. Ce nouveau plan est arrivé très vite. La Commission dit qu'elle a consulté et il faudrait que l'on regarde de très près qui a été vraiment consulté. En tout cas, ce que je peux vous dire, c'est que quand ce plan a été lancé, un certain mardi, il se trouve que j'étais en Vendée pour faire une conférence, et j'avais avec moi un député national qui n'était absolument pas au courant. Donc, il y a vraiment la nécessité d'améliorer les procédures européennes, d'améliorer la méthode, d'associer très en amont les gens, de voir ce que l'on peut faire, et surtout d'avoir une approche humaine des choses. Dire à des gens, dire à des pêcheurs, qu'on va les payer pour casser leurs bateaux, qu'on va les payer pour les reconvertir dans un autre emploi, alors que tout le monde sait que c'est plus qu'un métier, que c'est une vocation de père en fils, qui irradie tout un milieu social, tout un milieu culturel, vraiment, là, je suis très en colère, c'est vrai, parce que j'ai vraiment le sentiment que c'est ce genre de méthode qui fait encore très mal à l'Europe. Et je n'aime pas que ça fasse mal à l'Europe."
Mais dans trois jours, il y a le sommet de Séville. Et si on fait rapidement la liste - la question des déficits publics, la question de la pêche, la question de l'espace aérien -, désormais, l'Europe est présente dans tous les débats politiques nationaux...
- "Absolument, tout à fait, elle est notamment très présente dans la stratégie de l'industrie."
Un mot des femmes : enfin les femmes ?
- "Enfin les femmes !"
Est-ce que c'est une curiosité pour vous, N. Lenoir, une femme dont on dit qu'elle était de gauche et qu'elle est dans le gouvernement Raffarin, ça vous surprend ou pas ?
- "Non, ça ne me surprend pas du tout. Je connais bien N. Lenoir, nous nous étions rencontrées à plusieurs reprises dans le cadre de la présidence du Comité national d'éthique, et notamment justement pour discuter de directives européennes très importantes sur la protection des inventions liées à la biotechnologie - vous voyez que nous restons au coeur du sujet. Je me suis sentie très proche de N. Lenoir à bien des égards et donc je ne suis pas du tout surprise de la trouver à nos côtés dans l'équipe que nous constituons."
C'est J. Chirac qui a largement contribué aussi à la composition du gouvernement ; il paraît que de temps en temps, il dit lui-même qu'il est plutôt radical socialiste - le choix de madame Lenoir serait donc moins surprenant ! Cela vous paraît crédible que Chirac soit "rad soc" ?
- "Non, je ne vais pas commenter ce genre de propos !"
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 19 juin 2002)