Déclaration de M. Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale, sur la politique de l'énergie notamment la politique nucléaire de la France, Paris le 14 octobre 1999.

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Circonstance : Ouverture du colloque "Politique énergétique : les enjeux d'une vision globale", à l'Assemblée nationale le 14 octobre 1999

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mesdames,
Messieurs,
C'est avec plaisir que j'ouvre ce matin les deuxièmes rencontres consacrées à la politique énergétique. Celles de l'an dernier avaient été un succès et donné lieu à une publication tout à fait intéressante. Le renouvellement de cette initiative, dont je félicite Michel DESTOT, montre que le débat sur l'énergie commence à devenir une habitude dans cette enceinte et je m'en réjouis.
Ces réflexions et discussions sont en effet indispensables. Nous ne sommes plus à l'époque où des solutions uniques s'imposaient. Les coûts des différentes filières énergétiques se sont rapprochés, chacune a en matière d'environnement ses avantages et ses inconvénients, l'évolution des structures des marchés et l'ouverture à la concurrence s'effectuent à un rythme rapide.
Il est d'autant plus important de débattre qu'une partie de l'opinion publique considère à juste titre qu'il s'agit d'un préalable insuffisamment respecté dans le passé. Les Français sont prêts à tel ou tel choix à partir du moment où les enjeux auront été clairement explicités, et après avoir pris en compte les avis divers. Un débat transparent et sans tabou sur l'énergie est nécessaire : merci d'y contribuer.
Je me limiterai à quatre ou cinq séries de brèves remarques, parmi d'autres :
1) Une nouvelle régulation est en train de naître dans le secteur énergétique. Trois projets de loi concernant l'énergie sont en cours de discussion ou vont l'être dans les prochains mois : la loi sur la transposition de la directive électricité, qui devrait être définitivement adoptée au cours de cette session, la loi sur la transparence et le contrôle en matière d'énergie nucléaire, annoncée pour le premier trimestre de l'an prochain, et la loi pour la transposition de la directive gaz, pour laquelle Christian Pierret a lancé une concertation auprès des partenaires intéressés.
Ces textes vont modifier le paysage énergétique français. Une transformation des modalités d'intervention de l'Etat se met en place. Il ne s'agit pas pour les pouvoirs publics de se retirer, l'Etat devra organiser la concurrence, garantir la transparence, mettre en uvre des outils efficaces de contrôle, instituer des règles et des mécanismes financiers précis pour promouvoir l'égal accès de tous au service public. Nous devons prendre la mesure de ces transformations, ne pas hésiter à faire preuve d'audace pour conforter un service public adapté aux nouveaux paysages européen et mondial. Il n'y a pas de régulation sans fixation de critères, qu'il appartient au politique de déterminer : la transparence, la sécurité, l'égalité d'accès, la concurrence sont des critères qui me paraissent s'imposer.
2) Beaucoup d'entre nous ont demandé et le Premier ministre a annoncé la tenue d'un débat public sur les choix énergétiques. Cette initiative ne pourra évidemment pas se limiter à quelques réunions, fussent-elles de spécialistes, sur la base de données provenant d'une seule source. Ce débat doit être un vrai débat citoyen. Le débat sur l'énergie doit être transparent. La loi sur l'aménagement du territoire a prévu la discussion dans les régions de schémas de services collectifs, en particulier en matière d'énergie. Il serait utile de nous saisir de cette possibilité pour que localement l'ensemble des composantes de la demande et de l'offre d'énergie soit analysée, afin de mobiliser les acteurs de la vie économique et sociale sur les choix qui seront dans l'avenir de plus en plus décentralisés.
Pour permettre la prise de décisions dans de meilleures conditions possibles, ce débat devra s'effectuer à partir de données pluralistes. Des travaux ont été réalisés sur ce sujet au Parlement, en particulier par notre collègue Christian Bataille. Le Premier Ministre a prévu que trois experts d'origines diverses puissent analyser l'ensemble des coûts de la filière nucléaire. Cette mise à plat des données de base des différentes filières énergétiques mériterait d'être effectuée de manière régulière. Il serait bon par exemple qu'un groupe d'experts d'origine pluraliste soit chargé de manière permanente, pourquoi pas au sein de l'office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, d'observer l'ensemble des paramètres de compétitivité des différentes sources d'énergie, en remettant chaque année sur ce sujet un rapport public. Nous examinerons prochainement des propositions en ce sens, après concertation avec le Président de la Commission de la production et des échanges de l'Assemblée Nationale.
3) Le développement des économies d'énergie et des énergies renouvelables doit constituer une priorité centrale. Il s'agit concrètement de conjuguer l'indépendance énergétique et l'amélioration de la qualité de vie de nos concitoyens, en particulier par l'amélioration de l'isolation et la diminution des charges locatives.
Je mesure à cet égard le caractère encore inadapté du mode de chauffage d'un certain nombre de logements sociaux, mal isolés et victimes d'un développement inadapté du chauffage électrique. Naturellement les travaux d'isolation et de changement de mode de chauffage font partie d'un ensemble plus vaste, celui des opérations de réhabilitation de certains logements. Compte tenu de leur impact sur nos choix énergétiques et notre balance commerciale il serait logique que ces opérations fassent l'objet d'incitations à taux privilégié. Plus généralement, l'effort sur les énergies renouvelables doit être amplifié. Non seulement dans les propos tenus, mais dans les faits. Vous avez parlé, Michel Destot, de la nécessité d'un volontarisme plus grand. Je partage cette approche. C'est une des conditions d'un développement durable que nous cherchons à encourager.
4) Vous aborderez sans doute le débat sur la nécessité ou non de lancer rapidement la construction d'un nouveau réacteur nucléaire EPR.
Il me paraît normal que la France possède une spécialité puissante dans le domaine de l'industrie nucléaire, adaptée pour la fourniture d'électricité en base, et qui restera une composante importante de notre bilan énergétique, conformément à une stratégie de diversification et de précaution. L'EPR constitue-t-il pour autant aujourd'hui le prototype précurseur ? Son avantage en matière de sûreté par rapport aux techniques actuelles apparaît large, mais sa taille est-elle cohérente avec l'ouverture à la concurrence des différents marchés et la souplesse que cela implique ? A l'exportation, un tel équipement de forte puissance est-il le plus apte à faire redémarrer un marché atone ? Peut-on lancer un prototype sans améliorer substantiellement la solution du problème des déchets, qui préoccupe légitimement nos concitoyens ? Quels sont les délais les plus adaptés, alors qu'EDF réalise des efforts substantiels pour allonger la durée de vie des centrales existantes ? Toutes ces interrogations et beaucoup d'autres mériteront, le moment venu, d'être abordées.
Il n'est pas possible enfin d'aborder les questions d'énergie sans soulever le problème, dont vous savez qu'il se pose même s'il est délicat, de la coopération, , du travail en commun de GDF, d'EDF et du nouvel ensemble Elf-Total. GDF gagnerait sans doute beaucoup à disposer d'une ressource en amont. Quelles difficultés ? Quelles échéances ? Quels avantages ? Le rôle du politique est aussi et peut-être d'abord d'affronter et de maîtriser les enjeux du futur. Vos débats seront, j'en suis convaincu, animés et fructueux. Bon travail.
(Source : http://www.assemblée-nationale.fr, le 18 octobre 1999)