Interview de Mme Marie-George Buffet, secrétaire nationale du PCF, à France 2 le 11 juin 2002, sur les raisons du mauvais score du parti communiste au premier tour des élections législatives, le bilan de la participation communiste au gouvernement, l'avenir du parti et sa place dans la société française, les objectifs pour le second tour.

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Texte intégral

R. Sicard Le PC a obtenu un peu moins de 5 % des voix aux dernières législatives, la moitié du score de 1997. On parle beaucoup de "descente aux enfers". Comment en est-on arrivé là ?
- "Nous allons avoir un immense débat ouvert au sein du parti, avec celles et ceux qui sont intéressés par l'existence d'un projet communiste dans ce pays. Nous n'avons pas été en capacité de rendre visible un projet communiste qui ne soit pas simplement l'aiguillon d'un parti socialiste, mais qui ait des propositions, une démarche, un projet propre lui permettant d'apporter une envie de transformation sociale dans ce pays. Peut-être que nous avons eu des difficultés à gérer notre participation au Gouvernement. On me reproche parfois dans la campagne électorale d'être devenue trop institutionnelle, d'avoir parfois abandonné le monde ouvrier. Ce sont ces reproches qui nous viennent et il va falloir y travailler et y répondre. Nous avons vraiment à reconstruire un parti et un projet communiste."
Vous parlez de votre participation au Gouvernement : est-ce que finalement ce n'est pas trop difficile d'être à la fois dans un gouvernement et donc de participer à l'action gouvernementale, et d'autre part de critiquer l'action du gouvernement ? Votre positionnement était-il clair pendant cette période ?
- "C'est vrai que nous avons essayé un pari difficile : ne pas être un parti uniquement protestataire, mais un parti qui veut changer réellement les choses, dans l'intérêt des hommes et des femmes, dans leur vie quotidienne et nous avons fait ce choix de participation. Avons-nous suffisamment mis, tout au long de ces cinq ans, entre les mains des électeurs de gauche, les avancées que nous obtenions mais aussi les obstacles auxquels nous étions confrontés ? Avons-nous suffisamment fait appel au débat, à la discussion, à l'intervention des citoyens ? "
Aujourd'hui, vous pensez que cette participation au gouvernement était une erreur ?
- "Personnellement - mais le débat tranchera -, je pense que nous avons eu raison de faire ce choix en 1997. Par contre, maintenant, j'ai beaucoup d'interrogations sur la façon dont nous nous sommes comportés pendant ces cinq années. "
Vous parlez de débat à l'intérieur du PC ; est-ce que l'on peut s'attendre à une révolution de palais ? On dit que la vieille garde du PC s'apprêterait à tenter de reprendre le pouvoir chez vous ?
- "Les hommes et les femmes du collectif communiste qui ont vécu cette période avec beaucoup de souffrance, même si on les voit agir avec beaucoup de détermination pendant cette campagne des législatives, n'accepteraient pas de révolution de palais. Ils attendent un véritable débat de fond sur toutes les questions, sans a priori. Ce débat aura différentes formes, on le décidera à la conférence nationale qui a lieu le 26 et le 27 juin. Certains demandent un congrès ; si on a besoin de se prononcer sur des choix stratégiques, il y aura un congrès. Mais je crois que chaque camarade a envie d'un débat qui ne lui soit pas volé, d'un débat ouvert où il puisse lui-même apporter sa réflexion."
Mais est que vous et R. Hue, à la direction, vous êtes prêts à remettre votre poste en jeu, à vous en aller si les militants le demandent ?
- "Si les communistes souhaitent modifier leur direction à l'occasion d'un congrès, c'est leur libre choix. Chacun a envie d'un débat sans concession et d'un débat responsable. C'est ce qui domine aujourd'hui à l'intérieur du PC."
Est-ce que vous ne payez pas aussi les efforts de rénovation que R. Hue avaient entrepris ? Est-ce qu'en voulant trop rénover le PC, vous ne vous êtes pas un peu coupés de l'électorat traditionnel du parti, qui n'a peut-être toujours pas bien compris les évolutions qui ont été imposées ?
-"Sous l'impulsion de R. Hue, je crois que le parti a eu raison d'entamer cette mutation. Nous ne pouvions pas rester avec un modèle qui s'était écroulé à l'Est et qui avait marqué la vie, la pensée et les propositions du Parti communiste français pendant des décennies. Est-ce que nous avons suffisamment fait vivre cette mutation ? C'est peut-être la question qu'il faut se poser concrètement, réellement, dans notre façon d'être, dans nos propositions, dans notre projet communiste. Ce sera certainement une partie importante du débat. Est-ce que les gens ne sont pas orphelins d'un projet que nous avons abandonné ? Nous avons eu raison d'abandonner un projet du socialisme réel. Et est-ce que les gens ne sont pas orphelins parce qu'ils ont eu l'impression qu'ensuite, les communistes n'ont pas apporté de nouvelles réponses ? C'est un peu le sentiment que j'ai parfois dans les débats et c'est à cela qu'il faut que nous travaillions "
Mais beaucoup se demandent s'il y a vraiment la place pour un parti communiste dans la société d'aujourd'hui ? Dans beaucoup de pays, il a disparu purement et simplement...
- "Oui, et puis d'autres formes d'organisation se créent. J'en discutais récemment avec des jeunes dans ma circonscription, ils se posaient eux-mêmes la question et ils aboutissaient à l'idée qu'il fallait bien qu'il y ait dans ce pays une formation qui agisse de façon résolue pour changer cette société, pour faire en sorte que les hommes vivent libres et égaux. Ce désir était présent chez ces jeunes. Nous avons beaucoup d'adhésions de jeunes, donc je pense que ce parti a de l'avenir."
Quel objectif vous fixez-vous pour le second tour ? Le PC aura-t-il encore un groupe à l'Assemblée nationale - il faut 20 députés pour cela ?
- "J'ai entendu des informations complètement irréelles hier sur certaines radios, où on annonçait zéro député pour le Parti communiste français. Nous avons un second tour difficile, mais je pense que nous pouvons atteindre l'objectif d'avoir un groupe à l'Assemblée nationale. Beaucoup d'hommes et de femmes peuvent penser qu'il peut être nécessaire d'avoir un groupe communiste à l'Assemblée nationale pour porter leurs exigences et être une force de résistance utile."
Vous mettez en garde contre une victoire de la droite, en disant que si la droite l'emportait, cela signifierait une régression sociale. Cela n'a pas l'air de faire très peur aux électeurs qui ont massivement voté pour l'UMP au premier tour...
- "Oui, et pourtant, lorsque l'on entend les projets de la droite, projets qu'avaient d'ailleurs exposés le Medef l'hiver dernier, notamment la remise en cause des services publics, de notre système de retraite. On voit bien que sur le Smic, il n'y a pas de volonté de donner un coup de pouce au pouvoir d'achat. Beaucoup de Français peuvent être inquiets."
Ils ne sont guère inquiets en tout cas...
- "On va voir les résultats du second tour. Il peut y avoir beaucoup d'hommes et de femmes de gauche qui se déplacent pour se donner les moyens de résister demain à cette politique de la droite."
La gauche n'a-t-elle pas négligé des thèmes importants, comme celui de la sécurité, dont la droite s'est saisie aujourd'hui, et qui ont un vrai impact dans l'électorat ? N'étiez-vous pas trop loin de votre électorat ?
- "C'est ce dont témoigne la sanction de la gauche le 21 avril, lors du premier tour de l'élection présidentielle. Beaucoup d'hommes et de femmes ont été insatisfaits à la fois par le manque d'audace sociale de la gauche, du fait que la gauche n'ait peut-être pas abordé avec suffisamment de courage des questions comme l'insécurité, mais aussi des questions comme la retraite, les licenciements boursiers, malgré les efforts qu'avaient fait les députés communistes sur ce dossier. Il faut donc que la gauche entende ce message. Les communistes et leurs députés l'ont entendu et ils vont agir en tenant compte de ce qui a été dit par les électeurs le 21 avril."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 12 juin 2002)