Interview de Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie, à "Europe 1" le 2 juillet 2002, sur le départ de Jean-Marie Messier de Vivendi, sur la situation de France Télécom et la réforme des statuts d'EDFet GDF.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach J.-M. Messier s'en va ! C'est un scénario qui est en place et qui est prêt pour demain. Il est contraint à partir par ses administrateurs, par les marchés et par lui-même. Certes, Vivendi Universal est un groupe privé mais est-ce que l'Etat est indifférent ?
- "Je vous remercie d'avoir rappelé que Vivendi est une société privée donc il est bien évident que le gouvernement français n'a absolument pas à juger de la gestion des entreprises privées, qu'il s'agisse de Vivendi ou qu'il s'agisse d'autres entreprises. Maintenant, ceci étant dit, bien sûr, le Gouvernement est très attentif à l'évolution de la situation de Vivendi qui est le deuxième groupe mondial de communication, qui est le premier employeur privé en France."
380 000 salariés.
- "Absolument et ce, en dépit d'une situation difficile puisque Vivendi a été pris dans ce qu'on appelle "la bulle boursière". Très sincèrement, je pense que Vivendi a les moyens de son développement."
L'Etat pensait que cela ne pouvait plus durer comme ça ?
- "Encore une fois, l'Etat respecte l'indépendance de Vivendi. C'est au conseil d'administration de désigner son président et donc de le révoquer;"
Comment expliquez-vous que de grands administrateurs de Vivendi qui étaient au courant de la stratégie de Messier, qui ont été solidaires pendant longtemps, l'aient finalement poussé à la démission ou l'aient révoqué ? Est-ce que cela voulait dire que des administrateurs qui, dans certains cas, sont proches du pouvoir, ont considéré que trop c'était trop de la part de Messier ?
- "Je n'ai vraiment pas à interférer dans ce que les administrateurs ont pu penser dans les stratégies des uns et des autres. Ce qui est important, c'est de se tourner vers l'avenir et de faire en sorte que Vivendi reste la société vivante, active, dynamique qu'elle a été et qu'elle redeviendra et qu'elle est toujours finalement."
Est-ce que Vivendi peut rester en l'état ? Parce qu'on sent les Américains s'intéresser à récupérer au moins ce qui était à Hollywood - le cinéma et d'autres choses. Est-ce que la France, le Gouvernement peut accepter, si c'est le cas, que les Américains prennent le contrôle de tout ou partie de Vivendi ?
- "Je n'ai pas vraiment le sentiment qu'il y ait eu un complot américain."
On n'a pas parlé de complot.
- "Pas vous mais certains ont pu le dire. Ce que je peux vous dire, c'est que nous n'avons connaissance d'aucune menace dans ce sens, ni sur Vivendi Universal ni sur Vivendi Environnement."
Mais vous pensez que cela peut rester en l'état ?
- "Il est bien évident que s'il y avait une menace de cette nature, les Américains devraient considérer qu'à ce moment-là, ils perdraient Canal Plus, compte tenu de la loi française que vous connaissez bien."
Est-ce que vous estimez que cela peut rester en l'état ?
- "Tout à fait, les choses peuvent rester en l'état. Maintenant, il faut qu'il y ait une confiance des marchés qui soit créée par un certain nombre de décisions. La nomination, notamment, du successeur de J.-M. Messier."
On parle de J.-R. Fourtou : vous le connaissez ?
- "A titre personnel, je dirais que ce serait un excellent candidat. Je n'en dis pas plus."
Est-ce qu'il peut attendre que l'Etat ou des banques amies épongent la dette de 20 milliards d'euros de Vivendi Universal ?
- "Ce ne sera pas au Gouvernement de dire à J.-R. Fourtou ce qu'il devra faire, s'il est désigné - ou un autre candidat bien sûr. Il faudra se tourner résolument vers une politique dynamique."
Vous qui êtes responsable au sein du Gouvernement de la stratégie ou de la politique industrielle de la France, est-ce que vous estimez qu'il faut, par exemple, que quand des patrons n'ont pas donné de bons résultats, il y ait des suites judiciaires ? D'autre part, est-ce que vous recommandez un audit de l'état de l'entreprise Vivendi Universal aujourd'hui ?
- "Là, vous posez un problème beaucoup plus large. C'est vrai, en effet, que l'une des raisons de la baisse des marchés boursiers a été certainement la perte de confiance en raison d'un certain nombre d'affaires de non transparence, qui se sont d'ailleurs produites essentiellement - il faut bien le dire - aux Etats-Unis."
Absolument.
- "Les Etats-Unis ont pris conscience de la gravité de la situation. Nous, en ce qui nous concerne, nous appelons certainement des normes internationales qui seraient tout à fait fiables. Nous pensons que ce serait une très bonne chose de renforcer ce que l'on appelle "la gouvernance d'entreprise". Il y a un grand chantier auquel nous sommes tout à fait disposés à participer."
Est-ce que vous n'êtes pas surprise de ce paradoxe français : l'économie va mieux mais il y a des secteurs de l'industrie, en France, qui sont malades. On pense à Alcatel après Vivendi, et à France Télécom. On a parlé, hier, de renationaliser France Télécom ; cela a été aussitôt démenti. Est-ce que l'Etat va protéger longtemps France Télécom ?
- "Je n'aime pas beaucoup le terme de "protéger". Le problème n'est pas de protéger France Télécom qui est un des fleurons de l'industrie française et qui le demeure. Je tiens à dire que nous maintenons une totale confiance à M. Bon. Nous pensons qu'il a une excellente stratégie et nous constatons notamment, qu'aujourd'hui, France Télécom est tout de même le numéro deux en Europe sur le marché des mobiles, dans un marché dont personne ne conteste que l'avenir est particulièrement prometteur. Bien sûr, France Télécom est endetté mais France Télécom est rentable. Je peux vous dire que nous suivons la situation avec beaucoup d'attention."
Vous le soutenez toujours ?
- "Je constate que les rumeurs de renationalisation ont provoqué une hausse, je dirais, "presque vertigineuse" du titre, ce qui montre que le fait que l'Etat confirme qu'il s'intéresse à France Télécom redonne confiance aux marchés. Nous avons démenti cette nouvelle parce qu'elle était fausse."
Elle reste fausse définitivement ?
- "Elle reste fausse définitivement. En revanche, je peux vous dire que l'Etat ne se désintéressera pas de France Télécom. Pas seulement parce qu'il est actionnaire majoritaire mais, encore une fois, parce que France Télécom est une entreprise d'avenir."
Même s'il continue à perdre à la Bourse ?
- "Comme disait le général de Gaulle : la politique de la France ne se fait pas à la corbeille."
Dans l'ensemble, pour de grandes entreprises, est-ce que l'Etat va participer ou se désengager ? Est-ce que l'Etat veut, en agissant peut-être au cas par cas, privatiser ?
- "Tout ce que nous ferons doit s'inscrire résolument dans une politique industrielle de la France. Il n'y aura pas de privatisés pour faire quelques bénéfices, non. Il s'agira de soutenir des projets industriels et de permettre aux industries françaises de s'adapter au contexte européen. Vous pouvez imaginer que cet aspect des choses, je l'ai très à coeur, évidemment, de mettre mon expérience européenne au service de notre industrie."
On applique la loi de l'Europe mais par exemple, sur l'énergie, que va-t-on faire avec EDF ? Est-ce qu'on va ouvrir le capital d'EDF et dans quels délais, si vous pouvez déjà le dire ?
- "Je ne veux pas déflorer les décisions qui seront prises. Je peux simplement vous dire que les annonces seront faites en temps utile. Aujourd'hui, je peux vous dire que c'est un des dossiers prioritaires. Encore une fois, l'objectif étant de donner à ces deux entreprises que sont EDF et GDF, les moyens de mener à bien leur projet industriel. Cela suppose d'abord de transposer les directives européennes - ce qui n'a pas encore été fait et je le regrette - et aussi, évidemment, d'envisager un changement du statut de ces entreprises pour les préparer et les adapter à un nouveau contexte."
Elles changent de statut vers quoi ?
- "Elles sont appelées à devenir des sociétés de plein exercice. Ces réformes seront menées - je tiens à bien le préciser - avec deux exigences : le dialogue social qui, malheureusement, a tant manqué au cours de ces dernières années, et la nécessité que la notion de service public - dans la mesure où cette notion signifie l'égalité des Français dans l'accès aux moyens les plus élémentaires de la vie quotidienne - soit respectée ."
Et si les deux conditions sont respectées, on n'exclut pas d'ouvrir le capital ?
- "On ne l'exclut pas."
Vous commencez par GDF ou par EDF ?
- "Vous me permettrez de ne pas répondre aujourd'hui à cette question."
Vous avez dit "la politique industrielle de la France". C'est-à-dire que les libéraux auront aujourd'hui une politique industrielle ?
- "Oui, tout à fait. Je veux dire par là qu'il faut renforcer la productivité de nos entreprises, leur donner les moyens de s'adapter à un contexte européen et international ; faire en sorte que l'industrie française redevienne un atout de la croissance et donc un atout de l'emploi."
Si je vous parle d'Air France, qui est en train de devenir le numéro un mondial dans son domaine : est-ce qu'on va privatiser ce qui reste ?
- "Même réponse : encore une fois, c'est le projet industriel qui doit prévaloir."
Pour Toulouse, le Gouvernement n'a pas tout fait fermer le dossier : il maintient le pôle chimique, à l'exception de l'activité de phosgène. Pourquoi ?
- "Cela a été une décision difficile, très douloureuse. Nous avons bien sûr tenu compte de la terrible catastrophe du 21 septembre. Toulouse a vécu un véritable traumatisme qui laissera des traces très longtemps. C'est la raison pour laquelle nous avons pris la décision de ne pas rouvrir la filière phosgène, pour tenir compte de ces circonstances exceptionnelles qui se sont produites à Toulouse. Là aussi, bien sûr, cette décision va devoir s'accompagner très rapidement d'autres mesures. A savoir, un dispositif de soutien à l'économie de la région toulousaine et également, bien évidemment, un plan d'accompagnement social, parce que la fermeture définitive de cette filière n'est pas sans conséquence. Je peux vous dire que je suis très attentive à ces conséquences."
Si le phosgène était dangereux, pourquoi on le laisse ailleurs ?
- "On est bien sûr tenté de poser la question. Le phosgène n'est pas dangereux, tous les experts l'ont prouvé. D'ailleurs, il faut bien dire que le phosgène a résisté à la catastrophe d'AZF. Nous tenons compte des circonstances exceptionnelles que Toulouse a vécu et que Toulouse continue à vivre."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 2 juillet 2002)