Tribune de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, dans le mensuel "Les Nouvelles de Kaboul" le 9 septembre 2002, sur l'avenir de l'Afghanistan.

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Média : Les Nouvelles de Kaboul - Presse étrangère

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L'avenir de l'Afghanistan nous concerne tous.
Un temps, certains ont pu croire que les épreuves que traversait le peuple afghan, le système qu'il subissait, les déchirements qui étaient les siens depuis des années, la violence qui le secouait, n'affectaient ni les intérêts de sécurité du monde occidental, ni l'idée que nous défendions de la démocratie. Le 11 septembre a fait voler en éclats cette illusion. La réalité est là : le temps des conflits circonscrits est fini. L'onde de choc des déséquilibres régionaux traverse tous les Etats, toutes les sociétés. L'ici et l'ailleurs ont un destin lié.
De cette nouvelle réalité du monde, le développement des réseaux terroristes en Afghanistan a offert l'illustration la plus terrible. Des groupes organisés, formés dans des lieux reculés, se sont révélés capables de frapper à l'autre bout de la planète. Face à cette menace, nous avons un impératif d'action. En participant avec détermination à la lutte internationale contre le terrorisme, la France a montré qu'elle avait pris la pleine mesure des enjeux de ce combat.
Les répercussions mondiales des difficultés afghanes vont au-delà du terrorisme. La culture du pavot a de graves conséquences sur les équilibres sociaux en Occident. Les bulbes incisés dans la vallée de l'Amou Daria sont des germes de désordre, plantés aux quatre coins de l'Europe. Le trafic de drogue nourrit des organisations criminelles aux ramifications internationales, alimente d'autres circuits, tisse avec d'autres menaces de complexes inter-relations, dans un monde où se trament des connexions souvent inattendues.
Et que dire encore des droits des femmes à garantir, des écoles à construire, des institutions à renforcer, aux noms des valeurs de tolérance, de respect, de culture et de démocratie que nous défendons ?
Décidément oui, l'avenir de l'Afghanistan nous concerne tous.
Au premier chef, il engage le peuple afghan lui-même, qui a donné la preuve de sa volonté de reconstruction et de réconciliation au sortir du désespoir d'un régime de terreur. Le succès de la Loya Jirga, qui s'est déroulée dans un calme prometteur, l'élection de Hamid Karzaï à la présidence, la désignation d'un gouvernement de transition pour deux ans, ont manifesté au monde entier le désir du peuple afghan d'entrer dans une ère nouvelle.
L'avenir de l'Afghanistan concerne aussi la France, avec qui ce pays entretient depuis des décennies une relation particulière, fondée sur l'amitié et le respect réciproques. Entre nos deux nations, les correspondances sont multiples. Dans l'imaginaire, dans la mémoire des Français, l'Afghanistan occupe une place privilégiée. La fascination d'un Joseph Kessel rejoint l'enthousiasme des voyageurs du XIXème siècle à la découverte d'un pays méconnu, la passion des archéologues lancés sur les traces d'Alexandre, l'engagement humaniste des médecins, des journalistes, des écrivains au service du peuple afghan. De longue date, nos deux peuples ressentent l'un pour l'autre une affinité mystérieuse et profonde qui les porte au dialogue et à l'échange.
Aujourd'hui, dans de multiples domaines, la France a engagé avec les autorités afghanes une coopération active : notre participation à la FIAS et la formation de deux bataillons de la future armée nationale marquent notre souci de garantir la sécurité sur le territoire, sans laquelle aucune reconstruction durable n'est possible ; la réouverture du Lycée Estéqlal renoue avec une tradition d'échanges éducatifs et universitaires ; la formation de médecins et de sages-femmes, notre appui à l'ouverture de l'hôpital Aliabad, répondent à la nécessité de doter l'Afghanistan d'infrastructures médicales de haut niveau. En matière de reconstruction, d'aide agricole et de lutte contre le commerce de la drogue, nous avons également lancé des initiatives avec nos partenaires européens. Tous ces efforts ont commencé à porter leurs fruits. Ils devront être poursuivis et adaptés à l'évolution du pays.
La communauté internationale dans son ensemble est enfin investie d'une responsabilité particulière vis-à-vis de l'Afghanistan. Elle a adopté dans le cadre des Nations unies des résolutions définissant les paramètres politiques du rétablissement de la stabilité en Afghanistan. Lors de la Conférence de Tokyo, elle s'est mobilisée pour apporter l'aide économique et financière indispensable à la mise en uvre des projets des autorités afghanes.
Beaucoup reste à faire pour que cicatrisent définitivement les plaies d'hier. La rapidité des évolutions contemporaines doit nous inciter à la modestie dans l'appréciation du chemin parcouru et à l'ambition dans les objectifs à poursuivre. Entre la menace brandie d'un choc des civilisations et l'espoir vain de la fin de l'Histoire, l'Afghanistan trace avec persévérance un chemin propre, étape après étape, sur la seule foi d'un peuple, et avec l'appui d'Etats responsables.
A cette ambition immense, aucune valeur n'est plus précieuse que celle du dialogue. Les composantes d'un même peuple doivent savoir s'entendre pour parvenir à un équilibre dans la direction du gouvernement. Les pays d'une même région doivent échanger leurs analyses et leurs vues pour résoudre ensemble les difficultés qu'ils affrontent. Des Etats rassemblés dans la poursuite de la liberté et de la tolérance doivent s'écouter pour offrir plus de richesses et de stabilité dans notre monde.
L'Afghanistan aujourd'hui a certes besoin du soutien de la communauté internationale, mais il aspire plus que jamais à ce dialogue, porteur de solidarité, d'espoir et d'avenir.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 septembre 2002)