Déclaration de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable, sur la préparation d'une charte de l'environnement et sur la définition de l'écologie comme recherche de l'équilibre entre les intérêts du développement économique, du progrès social et de la protection de l'environnement, Paris le 26 juin 2002.

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Circonstance : Ouverture de la première séance de la commission de préparation de la charte de l'environnement, à Paris le 26 juin 2002

Texte intégral

Je vous remercie d'avoir accepté de prêter vos compétences, et d'avoir bousculé vos agendas, pour participer au grand projet de la charte de l'environnement, annoncé par le Président de la République il y a plus d'un an, dans son discours d'Orléans puis dans son discours d'Avranches le 18 mars 2002 et repris par le Premier ministre comme l'une des priorités du gouvernement.
Priorité à laquelle ils attachent tant d'importance que le Président a lui-même demandé au professeur Yves Coppens de présider à la préparation de la charte et que le Premier ministre nous rejoindra tout à l'heure pour entendre vos premières réflexions. Rassurez-vous, pour les prochaines rencontres, vous fixerez vous-même votre agenda
Pourquoi une charte de l'environnement alors qu'il existe déjà de nombreuses normes en cette matière et que certains pourraient objecter que ce n'est pas un texte de plus qui va mieux résoudre les difficultés concrètes et quotidiennes que nous vivons, comme la pollution des eaux, le traitement des déchets ou les nuisances sonores, ni d'ailleurs régler les problèmes mondiaux comme l'effet de serre, la montée des océans et les inégalités de développement ? Pourquoi une charte, donc ?
Parce qu'il ne s'agit pas d'une norme technique de plus mais d'un engagement démocratique auquel nous voulons que toute la société adhère, grâce à un vaste débat et une large concertation qu'il vous appartient d'organiser. Parce que ce ne sont pas des règles ponctuelles, sectorielles, variables, que nous recherchons mais des principes fondamentaux. Des règles de vie en société, d'un vouloir vivre ensemble qui reste à fonder dans un monde en pleine évolution, bouleversé par des révolutions technologiques, par des progrès techniques qui ne sont pas toujours des progrès de l'humanité. La capacité à modifier génétiquement des organismes et structurellement des écosystèmes, celle de traiter l'humain comme une matière, interpellent notre responsabilité. Quel monde voulons-nous ? Dans quel rapport à la nature, au progrès, à notre humanité, voulons-nous vivre ?
Est-ce une nature qui nous a été donnée pour notre subsistance et notre bien-être, par un Créateur qui nous a placé au sommet d'une oeuvre que nous devons certes respecter mais que nous pouvons modeler à notre convenance ? Ou est-ce au contraire une nature qui possède une valeur intrinsèque, égale à celle de l'homme, et des droits à rester intacte ?
Mais il n'y a pas de nature intacte. Il n'y a pas " d'état de nature " de la nature : depuis des siècles, des millénaires, les espèces végétales et animales ont évolué, sans même que l'homme soit la seule cause de ces transformations. L'écologie, ce n'est ni l'entretien, ni le retour à un paradis originel : c'est vivre dans son siècle, avec ses contraintes et ses projets, avec la recherche d'un équilibre entre les intérêts parfois divergents du développement économique, du progrès social et de la protection de l'environnement. C'est aussi, avec la dimension du développement durable, la recherche d'une justice et d'une solidarité entre les peuples et les générations. C'est une exigence de responsabilité de l'homme, qui consacre des droits non pour son égoïsme, mais pour les transmettre.
Voilà quelques uns des enjeux auxquels vous êtes confrontés, que vous devrez éclairer dans les prochains mois. Vous rassemblez des expériences et des compétences très diverses, parce que c'est un véritable projet de société que vous préparez. Il existe certes déjà des textes nationaux et internationaux dans le domaine de l'environnement. Mais en droit français, il n'existe encore aucun principe de niveau constitutionnel qui assure la prise en compte de ces objectifs de protection de l'environnement et de développement durable au même niveau que les principes fondamentaux sur lesquels repose déjà notre démocratie.
Pour présider cette préparation d'une charte de l'environnement, le Président de la République a, sur ma proposition, sollicité le professeur Yves Coppens, qui a bien voulu accepter de donner, par sa présence, toute la dimension humaniste de ce projet. Lui qui côtoie les ères géologiques saura dépasser l'horizon temporel borné dans lequel nous examinons habituellement nos problèmes : il est par exemple utile de replacer l'effet de serre dans les variations climatiques qui ont affectés la planète de façon cyclique. De ses innombrables expéditions, lui qui a vu plus de cent pays, il rapporte une connaissance des milieux et des peuples qui nous sort de notre ethnocentrisme. Et puis, ce qui me frappe chez le professeur Coppens, outre son humour toujours aux aguets, c'est sa poésie, celle qui rend à la fois plus proche et plus serein face aux enjeux importants. Il est bien sûr connu pour avoir baptisé du doux nom de Lucy quelques os desséchés parce qu'ils avaient la forme d'un bassin de femme Et lorsqu'il a voulu nous dire que celle que l'on avait déjà appris à révérer comme notre aïeule n'était qu'une guenon améliorée, il a intitulé son ouvrage " Le genou de Lucy ", sans doute pour nous donner envie de soulever le voile du grand mystère de notre humanité comme on effleure une jupe d'été. Cette capacité à rendre poétiques les choses les plus austères, à trouver le chemin de nos rêves où les millénaires pourraient fermer à jamais notre esprit, voilà qui est utile à notre projet.
Car il faudra mobiliser nos compatriotes, même si d'après l'association WWF, ils sont favorables à 89% à ce que la protection de l'environnement soit inscrite dans la Constitution. Il faudra consulter, concerter et débattre, notamment au cours d'assises territoriales qui seront comme les états généraux de cette nouvelle déclaration des droits et devoirs de l'homme dans son environnement que vous allez préparer. De nombreuses institutions et associations, tous les milieux que vous représentez, ceux des juristes et des économistes, des élus et des chefs d'entreprises, des philosophes et des scientifiques, les partenaires sociaux, les agriculteurs et les industriels, tous devront être sollicités pour apporter leurs propositions, leurs contributions, à ce projet de société.
Un objectif ambitieux vous est assigné en termes de contenu et de méthode mais aussi de rythme de travail puisque le Président de la République souhaite pouvoir proposer aux Français l'adoption de la charte de l'environnement dans un an. Bien entendu, tous les services de l'Etat et particulièrement ceux de mon ministère sont à votre disposition pour vous aider dans cette oeuvre.

Le temps presse donc, et je ne voudrais pas prolonger ces quelques mots de bienvenue. Ce qui compte maintenant, c'est votre travail. D'ailleurs, à l'occasion du tour de table que va organiser le professeur Coppens, j'aimerai vous poser deux questions, peut-être un peu inhabituelles : qu'est-ce qui vous fera dire dans un an que vous n'avez pas perdu votre temps en venant ici ; quels sont les pièges que vous percevez dans l'exercice que nous entamons aujourd'hui ?
Merci pour votre participation et pour cet élan nouveau que vous allez donner l'environnement.
(Source http://www.environnement.gouv.fr, le 1er juillet 2002)