Texte intégral
PIERRE-LUC SEGUILLON
Alain RICHARD, bonsoir ! Ministre de la Défense, demain aux côtés de Lionel JOSPIN comme Premier ministre et responsable de la défense nationale, et puis aux côtés de Jacques CHIRAC comme président de la République et Chef des armées, vous allez assister au traditionnel défilé du 14 juillet. Donc, on va voir les éléments de l'armée française défiler, mais cette année comme d'ailleurs cela a commencé à se faire au cours des années précédentes, il y aura des éléments de l'EUROCORPS, de l'EUROFOR et puis du GROUPE AERIEN EUROPEEN. Alors, on parlera dans quelques instants de cet horizon européen. Avant, parlons de l'armée française. Alors, l'armée française, est-ce qu'il n'y a pas aujourd'hui, - allons-y directement - une crise de confiance au sein de l'armée française ? Il y a eu une lettre dont on a beaucoup parlé, qui a été adressée au président de la République par un officier, le colonel PEER DE JUNG qui est l'ancien aide de camp de François MITTERRAND puis de Jacques CHIRAC, qui a quitté l'armée, et dans laquelle il dénonce trois choses, il critique trois choses disons, puisque c'est en termes relativement mesurés : la surchauffe d'activité, la mexicanisation du commandement et l'altération de l'outil de défense. Alors d'abord, la surchauffe d'activité, est-ce qu'aujourd'hui, il n'y a pas
ALAIN RICHARD
Oui, vous pouvez prendre cet exemple-là. C'est un officier qui a tiré les leçons de sa situation et il est parti. Il part naturellement en exprimant des remarques personnelles, mais je ne crois pas qu'il inspire la réflexion de beaucoup de ses pairs. Moi, j'aimerais prendre la question sous un autre angle. Ce que nous sommes en train de faire, c'est une réforme de l'Etat, une grosse réforme de l'Etat que nos concitoyens approuvent parce qu'elle est logique, parce qu'elle répond à des besoins
Tout le monde dit de grandes généralités toujours généreuses sur la réforme de l'Etat et puis quand on la fait vraiment, on s'aperçoit que c'est compliqué, que c'est dur, que ça demande des efforts. C'est en train de se faire, les efforts sont consentis, les personnels militaires, à tous les niveaux, tous les grades s'y engagent à fond. C'est en train de réussir et naturellement, il y a des tensions.
C'est comme cela que je décris les choses. Mais ça veut dire que la réforme de l'Etat, ce n'est pas, si vous voulez, des propos abstraits et des conseils pour les autres. Quand on le fait, on retrousse les manches et on traite les problèmes les uns après les autres. Nous sommes au deux tiers de la transition vers l'armée professionnelle qui répond déjà incomparablement mieux que l'ancien système au besoin d'action, au besoin de soutien de notre politique internationale du pays ; on va y arriver, tout le monde constate que nous avons franchi de grands progrès et bien sûr, les gens qui le font sont soumis à des tensions.
Moi, je préfère avoir ce problème-là que d'avoir le problème d'avoir renoncé ou d'avoir trouvé que c'était trop difficile et d'avoir un système de défense qui serait en train de se marginaliser par rapport aux besoins. Et vous observez, puisque vous signaliez que l'on était dans un contexte européen, que la plupart des nations européennes sont maintenant engagées dans un processus de ce type. Je ne crois pas que l'on se soit trompé.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Alors voyons un peu comment se réalise ce processus et justement les difficultés qui peuvent être rencontrées. Alors, je le disais, beaucoup d'activités, peut-être trop d'activités pour une armée qui a de moins en moins d'effectif mais, en même temps, qui a de plus en plus de missions à remplir parce que non seulement il y a ces missions classiques, il y a les missions extérieures, Kosovo, Bosnie, le plan vigipirate qui est toujours en vigueur, vous avez aidé au problème de nettoyage des plages, la tempête. Ca fait beaucoup
ALAIN RICHARD
Alors, c'est beaucoup parce que nous sommes dans la phase de transition, c'est-à-dire que l'ensemble des effectifs de militaires professionnels, militaires du rang et sous-officiers en particulier, qui sont nécessaires pour le dispositif définitif dans deux ans, ne sont pas encore tous là. Mais je vous fais remarquer que le nombre de personnels professionnels disponibles pour ce type de mission a augmenté de plus de 10.000 depuis l'année dernière. Donc, nos capacités opérationnelles sont en progrès.
Alors, il y a eu cette année, c'est vrai, un phénomène d'empilement, notamment lié aux engagements qui ont duré deux mois ou pour certains trois mois, d'effectifs importants à cause des intempéries, mais ça, c'est le rôle des forces armées de venir au secours de la collectivité quand il y a un gros coup dur. Il y a eu en plus des milliers encore de personnels mobilisés pour Polmar jusqu'à ces toutes dernières semaines. En même temps, les chefs des armées insistent - et ils sont parfaitement dans leur rôle -, sur le fait que tout cela, même si ce sont des exercices, ce sont des actions, ça ne tient pas lieu d'entraînement, c'est-à-dire qu'il faut aussi faire des activités d'entraînement et c'est l'articulation entre tout cela qui est difficile.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Alors, il y a un corps particulier qui semble se plaindre particulièrement aujourd'hui, qui va défiler demain, ce sont les gendarmes, la Gendarmerie. La Gendarmerie qui a évidemment, qui est dans une situation un peu particulière parce qu'ils ont à côté d'eux des policiers qui vont faire peut-être les 35 heures, je pense, alors que les gendarmes, ils sont corvéables à merci et en plus, ils vivent en caserne. Vous allez faire un geste vis-à-vis des gendarmes ?
ALAIN RICHARD
On a eu une concertation qui a duré plusieurs mois et qui s'est déroulée dans un climat, je crois, de dialogue sincère. Nous avons eu un vrai dialogue social, dans le contexte particulier d'une armée militaire et le gouvernement, après avoir fait des choix financiers, a d'une part attribué des postes supplémentaires de sous-officier de Gendarmerie, 1500 postes sur trois ans. Il a attribué des moyens matériels supplémentaires pour faciliter la mobilité des unités, pour qu'elles puissent notamment se soutenir les unes les autres face aux urgences et parce qu'il y avait un vrai problème de surcharge de travail.
J'ai pris également des mesures pour que les possibilités de temps libre normal dans la semaine de travail puissent être améliorées. Alors, je n'assimile pas cela à une réduction du temps de travail mais il faut moduler la charge de travail. Cela signifie - et on est au travail là-dessus -, que les autorités d'emploi de la Gendarmerie, c'est-à-dire d'un côté le corps préfectoral pour tout ce qui est mission de sécurité publique, de l'autre côté autorité judiciaire pour toutes les fonctions d'enquête de la Gendarmerie, acceptent que, comme pour la police, il y ait des limites à la disponibilité de la gendarmerie. On ne peut pas vivre 365 jours par an comme si on était dans des circonstances exceptionnelles. La Gendarmerie doit pouvoir déployer tous ses moyens s'il y a une crise majeure, mais dans la vie quotidienne de l'Etat, on ne peut pas vivre en permanence en catastrophe.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Et vous avez le sentiment que dans le fonctionnement général, et l'intérieur, et la justice, ont tendance à tirer un peu sur la corde ?
ALAIN RICHARD
Je crois que nous devons faire un peu de pédagogie et détailler les conditions d'emploi des gendarmes de manière méthodique afin que nos partenaires et nos autorités d'utilisation aient un tableau de bord précis. Je crois que c'est légitime que nous communiquions sur le sujet. C'est un dossier qui progresse et je crois que c'est un dossier qui progresse.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Est-ce que la tendance générale est dans votre esprit d'aller vers une démilitarisation de la Gendarmerie ? Il y a une chose qui m'a frappé, je crois que par exemple, le recrutement des gendarmes se faisait essentiellement à Saint-Cyr jusqu'à présent
ALAIN RICHARD
Non, non, pas du tout. Il y a environ 200 officiers de Gendarmerie qui entrent dans le corps des officiers chaque année. Il y en a entre 12 et 15 qui viennent de Saint-Cyr. Simplement, j'ai fait le compte des officiers généraux de Gendarmerie, et sur 28, j'en ai trouvé 24 qui venaient de Saint-Cyr. Donc, je me suis dit qu'il y avait tout de même un peu de décalage qui s'était fait dans les déroulements de carrière.
Je pense que par ailleurs, la formation d'un officier de l'armée de Terre, aujourd'hui, qui est longue, qui est centrée sur d'autres missions n'est pas la meilleure préparation pour quelqu'un qui a une carrière de responsabilité dans la Gendarmerie, qui est un corps militaire, mais de sécurité intérieure pour l'essentiel. Donc, nous avons prévu et cela a été bien compris et des gendarmes et des militaires de l'armée de Terre, une réforme qui fait qu'il y aura au fond une 4ème grande école militaire en plus de Saint-Cyr, de Navale et de l'Ecole de l'Air, qui sera une école des officiers de Gendarmerie. Ils feront une formation militaire générale à Coëtquidan, mais ils consacreront une plus grande part de leur préparation à des missions vraiment professionnelles de la Gendarmerie.
PIERRE-LUC SEGUILLON
J'ouvre une parenthèse sur la Gendarmerie, rapidement, il y a eu un problème de corruption au sein de la Gendarmerie où des officiers et des sous-officiers
ALAIN RICHARD
En 1990
PIERRE-LUC SEGUILLON
Je ne disais pas que c'était actuellement, bien sûr, mais ça, ce sont des affaires de justice. Le juge Philippe COURROYE, donc, poursuit son enquête. Je voulais
ALAIN RICHARD
On fait de son mieux pour qu'il ait toutes les informations.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Simplement, curiosité de ma part, est-ce que le ministère de la Défense envisage de se porter partie civile ?
ALAIN RICHARD
C'est fait. Dans tous les cas, moi, c'est ma ligne permanente, lorsqu'il y a un cas -et Dieu merci, ils sont exceptionnels- de délits sérieux qui peuvent être reprochés à des professionnels militaires, s'il y a un préjudice pour l'Etat, on se porte partie civile, tout simplement. Et les choses se passent devant la justice, tout est sur la table.
Vous vous rappelez que je l'ai fait aussi pour un cas difficile de compromission d'information de la part d'un officier qui servait auprès de l'Alliance Atlantique en plein conflit du Kosovo. La tendance naturelle dans une institution comme la défense aurait sans doute été de régler l'affaire en famille. J'ai dit non, c'est un délit grave, cela doit aller devant la justice et c'est ce qui s'est passé.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Alors, autre problème, problème d'intendance pour les militaires, c'est qu'ils voudraient bien voir revaloriser leurs soldes et d'une manière générale, est-ce qu'on n'est pas en situation d'un corps qui reste attaché à un certain nombre de valeurs mais qui n'est pas, pardonnez-moi l'expression, payé à hauteur de ses responsabilités ? Est-ce que ce n'est pas une paupérisation, au fond, de l'armée ?
ALAIN RICHARD
Je voudrais vous convaincre que non. Nous bénéficions aujourd'hui d'un recrutement de haut niveau. Il y a beaucoup de candidats pour les différents postes, c'est vrai pour les postes de militaire du rang, c'est vrai pour les postes de sous-officier. Vous seriez peut-être surpris du niveau moyen de recrutement dans les écoles de sous-officier, et c'est vrai, dans les écoles d'officier nous avons très fréquemment des jeunes qui sont en même temps en école d'officier et qui réussissent des examens de très haut niveau sur le plan universitaire.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Et vous trouvez la solde à hauteur de ces compétences ?
ALAIN RICHARD
Ecoutez, la très grande majorité d'entre eux poursuivent leur carrière et, passez-moi l'expression, " s'éclatent " dans leur profession parce qu'ils ne sont pas venus par hasard. Ils avaient une vocation, ils savaient ce que c'était que servir dans des missions éminentes comme celle de la défense et les gens réussissent leur carrière. Ils savent, - comme tous ceux qui servent l'Etat d'ailleurs -, qu'ils ne sont pas venus là pour faire fortune. Nous voulons en même temps être attentifs à l'évolution du marché du travail. Et vous savez, c'est quand même tout récent que les rémunérations en net dans le privé ont recommencé à augmenter, ça fait un an ou deux.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Oui mais, ils doivent justement souffrir de ce décalage
ALAIN RICHARD
On regarde de près mais je crois qu'il ne faut pas crier au loup avant. On a fait preuve, je crois, d'une capacité réelle d'adaptation à tous les facteurs, à tous les paramètres qui pouvaient gêner éventuellement la crédibilité et la solidité de notre système de défense, on s'occupera de celui-ci aussi en temps utiles.
PIERRE-LUC SEGUILLON
En temps utiles, quand ? On ne sait pas encore ?
ALAIN RICHARD
Ca dépend des budgets. Mais je vous signale par exemple qu'un militaire du rang qui avait une solde de 1900 francs en 95 a une solde de presque 6000 francs maintenant, après un an d'ancienneté. Ceci non compris bien entendu les avantages en nature, logement s'il est logé, ce qui est le cas généralement des militaires du rang, et habillement. Donc, ce n'est pas une solde de misère.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Du fait de cette réforme, est-ce que vous ne vous trouvez pas, je reprends le mot de mexicanisation qui a été utilisé, dans une armée où il y a trop de colonels par exemple ?
ALAIN RICHARD
C'est une absurdité ça ! C'est l'expression de quelqu'un qui a échoué, pardonnez-moi, et qui pourra s'occuper maintenant de quelque chose dont il s'occupait déjà comme officier de façon plus ou moins justifiée.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Vous êtes sévère !
ALAIN RICHARD
Je dis simplement que les besoins de cadres, les besoins d'experts, les besoins de représentants dans des fonctions internationales, les besoins, je dirais, de formateurs de nos armées dans le contexte d'aujourd'hui sont sans rapport avec ce qu'ils étaient à la sortie de la guerre de 40. Donc, il est normal qu'il y ait beaucoup en proportion d'officiers. Moi, je cherche à ce qu'il y ait des perspectives de carrière et de vraies responsabilités qui ne sont pas toutes des responsabilités de commandement de corps de troupes, par exemple des responsabilités de préparation de nos forces aux différentes formes d'opérations qu'elles peuvent mener.
PIERRE-LUC SEGUILLON
On a beaucoup parlé des hommes, là, parlons des hommes et des femmes parce qu'il y a beaucoup de femmes dans l'armée maintenant
ALAIN RICHARD
Oui, c'est l'autre chose qui réussit.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Les matériels et les investissements, dans les différents corps d'armée, par exemple, dans l'armée de l'Air, question très concrète, très précise, le calendrier des livraisons des avions RAFALE ?
ALAIN RICHARD
On travaille, on effectue aussi un travail de resserrage des boulons depuis trois ans ; les budgets qui se succèdent et les décisions d'engagements et de passations de contrat depuis trois ans permettent de dire : nous sommes en ligne avec les prévisions et nous allons réussir les contrats que nous nous sommes fixés. Les premiers RAFALE seront livrés en 2002 comme annoncé pour la Marine.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Le financement de l'avion de transport du futur ?
ALAIN RICHARD
Nous avons pris la décision au niveau européen et nous sommes en sommes particulièrement satisfaits. En deux ans de temps, nous avons réussi plus de contrats conjoints entre nations européennes pour acheter les mêmes matériels et souvent développer des nouvelles générations de matériels qu'au cours des dix ou quinze ans précédents. Naturellement, compte tenu de l'effort que l'on a fait pour faire converger tous les Européens sur ce nouveau modèle d'avion de transport militaire, nous le financerons.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Alors, autre chose. Le porte-avions, alors, le fameux porte-avions qui a fait
ALAIN RICHARD
C'est logique qu'il soit fameux, c'est le seul d'Europe !
PIERRE-LUC SEGUILLON
Oui et puis on devait en construire deux, on n'en construira qu'un.
ALAIN RICHARD
Ca dépend quand. Rien n'est fermé pour l'avenir.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Je croyais qu'elle était abandonnée la construction
ALAIN RICHARD
Non, non, pas du tout. Non, non seulement elle ne figurait pas dans les moyens prévus par la loi de programmation militaire jusqu'en 2002,
PIERRE-LUC SEGUILLON
Ce n'est pas exclu ?
ALAIN RICHARD
La question se repose pour la prochaine loi de programmation
PIERRE-LUC SEGUILLON
Et de votre point de vue, nous avons besoin d'un deuxième porte-avions ?
ALAIN RICHARD
Ca dépend de l'Europe. Si nous restons les seuls en Europe, naturellement, oui. Parce que sinon, il y a un problème de permanence, on le sait tous. Si d'autres Etats européens, comme c'est envisagé sérieusement en Grande-Bretagne, décident également de se doter de porte-avions d'un modèle compatible avec le nôtre, à ce moment-là, il faut réfléchir à des coopérations. Mais s'il le faut, je travaille naturellement sur l'hypothèse de la construction étalée dans le temps d'un deuxième porte-avions, ça n'est pas exclu.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Et la mise en service réelle du Charles-de-Gaulle et le désarmement du Foch
ALAIN RICHARD
C'est maintenant, c'est-à-dire dans le deuxième semestre, et le porte-avions va appareiller pour une traversée de longue durée fin septembre, début octobre. Donc, c'est plus précis dans le service si on désarme le Foch dans la foulée, à la fin de l'année.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Vous négociez actuellement le budget pour 2001, si je puis dire, négociez, vous en discutez avec Laurent FABIUS Et alors ça se passe comment ? Bien ?
ALAIN RICHARD
Le Premier ministre a pris une position que je crois tout à fait souhaitable pour la défense
PIERRE-LUC SEGUILLON
Vous n'êtes pas en conflit, vous trouvez que vous êtes suffisamment je vois un petit sourire !
ALAIN RICHARD
Oui parce que c'est un truc compliqué à dire quand ça va bien, ça ne fait pas de nouvelle mais c'est la réalité ! Le budget 2001, le Parlement l'appréciera dans quelques mois mais je crois qu'il sera à la hauteur des besoins dans le cadre de nos contrats, de nos engagements.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Alors, on a évoqué dans les problèmes qui se posent à vous
ALAIN RICHARD
Et permettez--moi de vous dire qu'en terme de régularité et de possibilité, donc, de travailler dans la continuité des budgets dont ce gouvernement a eu la responsabilité, franchement, on supporte bien la comparaison, depuis très longtemps.
Aussi bien la comparaison entre Européens parce qu'à l'exception de la Grande-Bretagne, notre pays est celui qui consacre le plus à la Défense. Ce ne sont pas des sommes déraisonnables, mais des sommes significatives qui nous rendent crédibles au sein de l'Europe, et donc il y a un débat pour convaincre certains de nos amis européens de remonter un peu leurs efforts pour que l'on soit compatible.
PIERRE-LUC SEGUILLON
C'est bien le problème. Vous allez, en novembre, le 21 et 22 novembre, tenir une conférence à Paris. La France va présider pendant six mois, elle va avoir la charge de faire avancer ce projet de défense européen. A Helsinki, en 99, vous vous êtes engagés, les Européens, à avoir d'ici à 2003 une capacité de 60.000 hommes pouvant être mobilisés en 60 jours
Et au mois de novembre, vous avez une conférence pour vérifier un peu qui met quoi et qui est capable de mettre quoi. Vous n'êtes pas un peu inquiet, précisément, de voir que les Quinze
ALAIN RICHARD
Le problème ne va pas être tellement sur la capacité en hommes. Sur les capacités en hommes, nous trouverons, je crois et notre travail au titre de la présidence est évidemment de faire que les offres et les engagements des uns et des autres soient aussi bien harmonisés et aussi cohérents que possible, on va s'y employer pendant trois mois. On aboutira, je pense, à des engagements qui seront très visibles, très compréhensibles par les Européens. Je crois que ça les satisfera et il nous restera des déficiences soit au niveau de formation, d'entraînement de certaines équipes spécialisées, ça je ne l'exclus pas, certainement au niveau d'équipements et en capacité de commandement et d'encadrement de toute cette force.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Mais d'un point de vue budgétaire, ils font des efforts suffisants, les Allemands par exemple ?
ALAIN RICHARD
Derrière cet exercice-là, il y aura une liste de ce qui manque et des efforts que feront les uns et les autres pour que, dans l'espace des deux ou trois ans qui suivent, on se soit rapproché au maximum de ce qui est entièrement nécessaire. Alors d'abord, en améliorant ce que l'on appelle l'interopérabilité de nos moyens, on a déjà beaucoup fait en la matière, même dans les équipements de haut niveau. Mais il y aura des manques et c'est, je pense, une façon plus pratique et plus convaincante d'entrer dans une certaine convergence budgétaire.
En ce qui concerne l'Allemagne, rappelez-vous quand même les gros titres que tout le monde faisait sur les coûts absolument phénoménaux de la réunification. Et bien maintenant, ils sont dans les comptes et l'Allemagne qui a été un pays traditionnellement sans déficit doit faire face aujourd'hui quand même à des charges budgétaires liées à ses engagements de la réunification. Donc, qu'il y ait une période de resserrage de boulons, cela arrive à tout le monde. Ils ne le font pas que sur la défense. Donc, je pense qu'il y aura une courbe en " U ". L'Europe est en croissance, on a aussi des circonstances favorables. Je crois que ces efforts budgétaires raisonnables qui sont nécessaires et qui sont compris par nos concitoyens pour que l'Europe ait ses capacités, qu'elle ait sa stature en matière de défense, les gouvernements seront capables de les apporter.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Dernière question, est-ce que vous pensez qu'au sommet de Nice qui va clôturer le temps de la présidence française, on aura résolu le problème du commandement de cette force qui est quand même un peu compliqué aujourd'hui parce qu'il y a le comité politique avec les ambassadeurs, le comité militaire qui représente les enfin, c'est un schmilblick qui n'est pas capable vraiment de commander une force de ce type, c'est très " onusien ", vous le reconnaîtrez avec moi
ALAIN RICHARD
Non, c'est comme ça que çela marche au sein de l'Alliance, depuis fort longtemps avec succès. Donc, il faut bien des ambassadeurs qui presque heure par heure sont mandatés par les gouvernements pour adopter ensemble les décisions et un comité militaire qui représente les 15 chefs d'état-major des armées qui apportent les recommandations, les propositions militaires, et derrière un état-major qui prépare les dossiers, qui prépare les scénarios et les propositions. Ces organismes existent déjà, à l'état intérimaire. Nous n'avons plus qu'a recueillir, d'ici à Nice, l'ensemble des avis politiques pour que l'on passe au statut permanent de ces organismes. Je pense que nous y arriverons.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Alain Richard, merci beaucoup.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 1er août 2000).
Alain RICHARD, bonsoir ! Ministre de la Défense, demain aux côtés de Lionel JOSPIN comme Premier ministre et responsable de la défense nationale, et puis aux côtés de Jacques CHIRAC comme président de la République et Chef des armées, vous allez assister au traditionnel défilé du 14 juillet. Donc, on va voir les éléments de l'armée française défiler, mais cette année comme d'ailleurs cela a commencé à se faire au cours des années précédentes, il y aura des éléments de l'EUROCORPS, de l'EUROFOR et puis du GROUPE AERIEN EUROPEEN. Alors, on parlera dans quelques instants de cet horizon européen. Avant, parlons de l'armée française. Alors, l'armée française, est-ce qu'il n'y a pas aujourd'hui, - allons-y directement - une crise de confiance au sein de l'armée française ? Il y a eu une lettre dont on a beaucoup parlé, qui a été adressée au président de la République par un officier, le colonel PEER DE JUNG qui est l'ancien aide de camp de François MITTERRAND puis de Jacques CHIRAC, qui a quitté l'armée, et dans laquelle il dénonce trois choses, il critique trois choses disons, puisque c'est en termes relativement mesurés : la surchauffe d'activité, la mexicanisation du commandement et l'altération de l'outil de défense. Alors d'abord, la surchauffe d'activité, est-ce qu'aujourd'hui, il n'y a pas
ALAIN RICHARD
Oui, vous pouvez prendre cet exemple-là. C'est un officier qui a tiré les leçons de sa situation et il est parti. Il part naturellement en exprimant des remarques personnelles, mais je ne crois pas qu'il inspire la réflexion de beaucoup de ses pairs. Moi, j'aimerais prendre la question sous un autre angle. Ce que nous sommes en train de faire, c'est une réforme de l'Etat, une grosse réforme de l'Etat que nos concitoyens approuvent parce qu'elle est logique, parce qu'elle répond à des besoins
Tout le monde dit de grandes généralités toujours généreuses sur la réforme de l'Etat et puis quand on la fait vraiment, on s'aperçoit que c'est compliqué, que c'est dur, que ça demande des efforts. C'est en train de se faire, les efforts sont consentis, les personnels militaires, à tous les niveaux, tous les grades s'y engagent à fond. C'est en train de réussir et naturellement, il y a des tensions.
C'est comme cela que je décris les choses. Mais ça veut dire que la réforme de l'Etat, ce n'est pas, si vous voulez, des propos abstraits et des conseils pour les autres. Quand on le fait, on retrousse les manches et on traite les problèmes les uns après les autres. Nous sommes au deux tiers de la transition vers l'armée professionnelle qui répond déjà incomparablement mieux que l'ancien système au besoin d'action, au besoin de soutien de notre politique internationale du pays ; on va y arriver, tout le monde constate que nous avons franchi de grands progrès et bien sûr, les gens qui le font sont soumis à des tensions.
Moi, je préfère avoir ce problème-là que d'avoir le problème d'avoir renoncé ou d'avoir trouvé que c'était trop difficile et d'avoir un système de défense qui serait en train de se marginaliser par rapport aux besoins. Et vous observez, puisque vous signaliez que l'on était dans un contexte européen, que la plupart des nations européennes sont maintenant engagées dans un processus de ce type. Je ne crois pas que l'on se soit trompé.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Alors voyons un peu comment se réalise ce processus et justement les difficultés qui peuvent être rencontrées. Alors, je le disais, beaucoup d'activités, peut-être trop d'activités pour une armée qui a de moins en moins d'effectif mais, en même temps, qui a de plus en plus de missions à remplir parce que non seulement il y a ces missions classiques, il y a les missions extérieures, Kosovo, Bosnie, le plan vigipirate qui est toujours en vigueur, vous avez aidé au problème de nettoyage des plages, la tempête. Ca fait beaucoup
ALAIN RICHARD
Alors, c'est beaucoup parce que nous sommes dans la phase de transition, c'est-à-dire que l'ensemble des effectifs de militaires professionnels, militaires du rang et sous-officiers en particulier, qui sont nécessaires pour le dispositif définitif dans deux ans, ne sont pas encore tous là. Mais je vous fais remarquer que le nombre de personnels professionnels disponibles pour ce type de mission a augmenté de plus de 10.000 depuis l'année dernière. Donc, nos capacités opérationnelles sont en progrès.
Alors, il y a eu cette année, c'est vrai, un phénomène d'empilement, notamment lié aux engagements qui ont duré deux mois ou pour certains trois mois, d'effectifs importants à cause des intempéries, mais ça, c'est le rôle des forces armées de venir au secours de la collectivité quand il y a un gros coup dur. Il y a eu en plus des milliers encore de personnels mobilisés pour Polmar jusqu'à ces toutes dernières semaines. En même temps, les chefs des armées insistent - et ils sont parfaitement dans leur rôle -, sur le fait que tout cela, même si ce sont des exercices, ce sont des actions, ça ne tient pas lieu d'entraînement, c'est-à-dire qu'il faut aussi faire des activités d'entraînement et c'est l'articulation entre tout cela qui est difficile.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Alors, il y a un corps particulier qui semble se plaindre particulièrement aujourd'hui, qui va défiler demain, ce sont les gendarmes, la Gendarmerie. La Gendarmerie qui a évidemment, qui est dans une situation un peu particulière parce qu'ils ont à côté d'eux des policiers qui vont faire peut-être les 35 heures, je pense, alors que les gendarmes, ils sont corvéables à merci et en plus, ils vivent en caserne. Vous allez faire un geste vis-à-vis des gendarmes ?
ALAIN RICHARD
On a eu une concertation qui a duré plusieurs mois et qui s'est déroulée dans un climat, je crois, de dialogue sincère. Nous avons eu un vrai dialogue social, dans le contexte particulier d'une armée militaire et le gouvernement, après avoir fait des choix financiers, a d'une part attribué des postes supplémentaires de sous-officier de Gendarmerie, 1500 postes sur trois ans. Il a attribué des moyens matériels supplémentaires pour faciliter la mobilité des unités, pour qu'elles puissent notamment se soutenir les unes les autres face aux urgences et parce qu'il y avait un vrai problème de surcharge de travail.
J'ai pris également des mesures pour que les possibilités de temps libre normal dans la semaine de travail puissent être améliorées. Alors, je n'assimile pas cela à une réduction du temps de travail mais il faut moduler la charge de travail. Cela signifie - et on est au travail là-dessus -, que les autorités d'emploi de la Gendarmerie, c'est-à-dire d'un côté le corps préfectoral pour tout ce qui est mission de sécurité publique, de l'autre côté autorité judiciaire pour toutes les fonctions d'enquête de la Gendarmerie, acceptent que, comme pour la police, il y ait des limites à la disponibilité de la gendarmerie. On ne peut pas vivre 365 jours par an comme si on était dans des circonstances exceptionnelles. La Gendarmerie doit pouvoir déployer tous ses moyens s'il y a une crise majeure, mais dans la vie quotidienne de l'Etat, on ne peut pas vivre en permanence en catastrophe.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Et vous avez le sentiment que dans le fonctionnement général, et l'intérieur, et la justice, ont tendance à tirer un peu sur la corde ?
ALAIN RICHARD
Je crois que nous devons faire un peu de pédagogie et détailler les conditions d'emploi des gendarmes de manière méthodique afin que nos partenaires et nos autorités d'utilisation aient un tableau de bord précis. Je crois que c'est légitime que nous communiquions sur le sujet. C'est un dossier qui progresse et je crois que c'est un dossier qui progresse.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Est-ce que la tendance générale est dans votre esprit d'aller vers une démilitarisation de la Gendarmerie ? Il y a une chose qui m'a frappé, je crois que par exemple, le recrutement des gendarmes se faisait essentiellement à Saint-Cyr jusqu'à présent
ALAIN RICHARD
Non, non, pas du tout. Il y a environ 200 officiers de Gendarmerie qui entrent dans le corps des officiers chaque année. Il y en a entre 12 et 15 qui viennent de Saint-Cyr. Simplement, j'ai fait le compte des officiers généraux de Gendarmerie, et sur 28, j'en ai trouvé 24 qui venaient de Saint-Cyr. Donc, je me suis dit qu'il y avait tout de même un peu de décalage qui s'était fait dans les déroulements de carrière.
Je pense que par ailleurs, la formation d'un officier de l'armée de Terre, aujourd'hui, qui est longue, qui est centrée sur d'autres missions n'est pas la meilleure préparation pour quelqu'un qui a une carrière de responsabilité dans la Gendarmerie, qui est un corps militaire, mais de sécurité intérieure pour l'essentiel. Donc, nous avons prévu et cela a été bien compris et des gendarmes et des militaires de l'armée de Terre, une réforme qui fait qu'il y aura au fond une 4ème grande école militaire en plus de Saint-Cyr, de Navale et de l'Ecole de l'Air, qui sera une école des officiers de Gendarmerie. Ils feront une formation militaire générale à Coëtquidan, mais ils consacreront une plus grande part de leur préparation à des missions vraiment professionnelles de la Gendarmerie.
PIERRE-LUC SEGUILLON
J'ouvre une parenthèse sur la Gendarmerie, rapidement, il y a eu un problème de corruption au sein de la Gendarmerie où des officiers et des sous-officiers
ALAIN RICHARD
En 1990
PIERRE-LUC SEGUILLON
Je ne disais pas que c'était actuellement, bien sûr, mais ça, ce sont des affaires de justice. Le juge Philippe COURROYE, donc, poursuit son enquête. Je voulais
ALAIN RICHARD
On fait de son mieux pour qu'il ait toutes les informations.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Simplement, curiosité de ma part, est-ce que le ministère de la Défense envisage de se porter partie civile ?
ALAIN RICHARD
C'est fait. Dans tous les cas, moi, c'est ma ligne permanente, lorsqu'il y a un cas -et Dieu merci, ils sont exceptionnels- de délits sérieux qui peuvent être reprochés à des professionnels militaires, s'il y a un préjudice pour l'Etat, on se porte partie civile, tout simplement. Et les choses se passent devant la justice, tout est sur la table.
Vous vous rappelez que je l'ai fait aussi pour un cas difficile de compromission d'information de la part d'un officier qui servait auprès de l'Alliance Atlantique en plein conflit du Kosovo. La tendance naturelle dans une institution comme la défense aurait sans doute été de régler l'affaire en famille. J'ai dit non, c'est un délit grave, cela doit aller devant la justice et c'est ce qui s'est passé.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Alors, autre problème, problème d'intendance pour les militaires, c'est qu'ils voudraient bien voir revaloriser leurs soldes et d'une manière générale, est-ce qu'on n'est pas en situation d'un corps qui reste attaché à un certain nombre de valeurs mais qui n'est pas, pardonnez-moi l'expression, payé à hauteur de ses responsabilités ? Est-ce que ce n'est pas une paupérisation, au fond, de l'armée ?
ALAIN RICHARD
Je voudrais vous convaincre que non. Nous bénéficions aujourd'hui d'un recrutement de haut niveau. Il y a beaucoup de candidats pour les différents postes, c'est vrai pour les postes de militaire du rang, c'est vrai pour les postes de sous-officier. Vous seriez peut-être surpris du niveau moyen de recrutement dans les écoles de sous-officier, et c'est vrai, dans les écoles d'officier nous avons très fréquemment des jeunes qui sont en même temps en école d'officier et qui réussissent des examens de très haut niveau sur le plan universitaire.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Et vous trouvez la solde à hauteur de ces compétences ?
ALAIN RICHARD
Ecoutez, la très grande majorité d'entre eux poursuivent leur carrière et, passez-moi l'expression, " s'éclatent " dans leur profession parce qu'ils ne sont pas venus par hasard. Ils avaient une vocation, ils savaient ce que c'était que servir dans des missions éminentes comme celle de la défense et les gens réussissent leur carrière. Ils savent, - comme tous ceux qui servent l'Etat d'ailleurs -, qu'ils ne sont pas venus là pour faire fortune. Nous voulons en même temps être attentifs à l'évolution du marché du travail. Et vous savez, c'est quand même tout récent que les rémunérations en net dans le privé ont recommencé à augmenter, ça fait un an ou deux.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Oui mais, ils doivent justement souffrir de ce décalage
ALAIN RICHARD
On regarde de près mais je crois qu'il ne faut pas crier au loup avant. On a fait preuve, je crois, d'une capacité réelle d'adaptation à tous les facteurs, à tous les paramètres qui pouvaient gêner éventuellement la crédibilité et la solidité de notre système de défense, on s'occupera de celui-ci aussi en temps utiles.
PIERRE-LUC SEGUILLON
En temps utiles, quand ? On ne sait pas encore ?
ALAIN RICHARD
Ca dépend des budgets. Mais je vous signale par exemple qu'un militaire du rang qui avait une solde de 1900 francs en 95 a une solde de presque 6000 francs maintenant, après un an d'ancienneté. Ceci non compris bien entendu les avantages en nature, logement s'il est logé, ce qui est le cas généralement des militaires du rang, et habillement. Donc, ce n'est pas une solde de misère.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Du fait de cette réforme, est-ce que vous ne vous trouvez pas, je reprends le mot de mexicanisation qui a été utilisé, dans une armée où il y a trop de colonels par exemple ?
ALAIN RICHARD
C'est une absurdité ça ! C'est l'expression de quelqu'un qui a échoué, pardonnez-moi, et qui pourra s'occuper maintenant de quelque chose dont il s'occupait déjà comme officier de façon plus ou moins justifiée.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Vous êtes sévère !
ALAIN RICHARD
Je dis simplement que les besoins de cadres, les besoins d'experts, les besoins de représentants dans des fonctions internationales, les besoins, je dirais, de formateurs de nos armées dans le contexte d'aujourd'hui sont sans rapport avec ce qu'ils étaient à la sortie de la guerre de 40. Donc, il est normal qu'il y ait beaucoup en proportion d'officiers. Moi, je cherche à ce qu'il y ait des perspectives de carrière et de vraies responsabilités qui ne sont pas toutes des responsabilités de commandement de corps de troupes, par exemple des responsabilités de préparation de nos forces aux différentes formes d'opérations qu'elles peuvent mener.
PIERRE-LUC SEGUILLON
On a beaucoup parlé des hommes, là, parlons des hommes et des femmes parce qu'il y a beaucoup de femmes dans l'armée maintenant
ALAIN RICHARD
Oui, c'est l'autre chose qui réussit.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Les matériels et les investissements, dans les différents corps d'armée, par exemple, dans l'armée de l'Air, question très concrète, très précise, le calendrier des livraisons des avions RAFALE ?
ALAIN RICHARD
On travaille, on effectue aussi un travail de resserrage des boulons depuis trois ans ; les budgets qui se succèdent et les décisions d'engagements et de passations de contrat depuis trois ans permettent de dire : nous sommes en ligne avec les prévisions et nous allons réussir les contrats que nous nous sommes fixés. Les premiers RAFALE seront livrés en 2002 comme annoncé pour la Marine.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Le financement de l'avion de transport du futur ?
ALAIN RICHARD
Nous avons pris la décision au niveau européen et nous sommes en sommes particulièrement satisfaits. En deux ans de temps, nous avons réussi plus de contrats conjoints entre nations européennes pour acheter les mêmes matériels et souvent développer des nouvelles générations de matériels qu'au cours des dix ou quinze ans précédents. Naturellement, compte tenu de l'effort que l'on a fait pour faire converger tous les Européens sur ce nouveau modèle d'avion de transport militaire, nous le financerons.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Alors, autre chose. Le porte-avions, alors, le fameux porte-avions qui a fait
ALAIN RICHARD
C'est logique qu'il soit fameux, c'est le seul d'Europe !
PIERRE-LUC SEGUILLON
Oui et puis on devait en construire deux, on n'en construira qu'un.
ALAIN RICHARD
Ca dépend quand. Rien n'est fermé pour l'avenir.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Je croyais qu'elle était abandonnée la construction
ALAIN RICHARD
Non, non, pas du tout. Non, non seulement elle ne figurait pas dans les moyens prévus par la loi de programmation militaire jusqu'en 2002,
PIERRE-LUC SEGUILLON
Ce n'est pas exclu ?
ALAIN RICHARD
La question se repose pour la prochaine loi de programmation
PIERRE-LUC SEGUILLON
Et de votre point de vue, nous avons besoin d'un deuxième porte-avions ?
ALAIN RICHARD
Ca dépend de l'Europe. Si nous restons les seuls en Europe, naturellement, oui. Parce que sinon, il y a un problème de permanence, on le sait tous. Si d'autres Etats européens, comme c'est envisagé sérieusement en Grande-Bretagne, décident également de se doter de porte-avions d'un modèle compatible avec le nôtre, à ce moment-là, il faut réfléchir à des coopérations. Mais s'il le faut, je travaille naturellement sur l'hypothèse de la construction étalée dans le temps d'un deuxième porte-avions, ça n'est pas exclu.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Et la mise en service réelle du Charles-de-Gaulle et le désarmement du Foch
ALAIN RICHARD
C'est maintenant, c'est-à-dire dans le deuxième semestre, et le porte-avions va appareiller pour une traversée de longue durée fin septembre, début octobre. Donc, c'est plus précis dans le service si on désarme le Foch dans la foulée, à la fin de l'année.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Vous négociez actuellement le budget pour 2001, si je puis dire, négociez, vous en discutez avec Laurent FABIUS Et alors ça se passe comment ? Bien ?
ALAIN RICHARD
Le Premier ministre a pris une position que je crois tout à fait souhaitable pour la défense
PIERRE-LUC SEGUILLON
Vous n'êtes pas en conflit, vous trouvez que vous êtes suffisamment je vois un petit sourire !
ALAIN RICHARD
Oui parce que c'est un truc compliqué à dire quand ça va bien, ça ne fait pas de nouvelle mais c'est la réalité ! Le budget 2001, le Parlement l'appréciera dans quelques mois mais je crois qu'il sera à la hauteur des besoins dans le cadre de nos contrats, de nos engagements.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Alors, on a évoqué dans les problèmes qui se posent à vous
ALAIN RICHARD
Et permettez--moi de vous dire qu'en terme de régularité et de possibilité, donc, de travailler dans la continuité des budgets dont ce gouvernement a eu la responsabilité, franchement, on supporte bien la comparaison, depuis très longtemps.
Aussi bien la comparaison entre Européens parce qu'à l'exception de la Grande-Bretagne, notre pays est celui qui consacre le plus à la Défense. Ce ne sont pas des sommes déraisonnables, mais des sommes significatives qui nous rendent crédibles au sein de l'Europe, et donc il y a un débat pour convaincre certains de nos amis européens de remonter un peu leurs efforts pour que l'on soit compatible.
PIERRE-LUC SEGUILLON
C'est bien le problème. Vous allez, en novembre, le 21 et 22 novembre, tenir une conférence à Paris. La France va présider pendant six mois, elle va avoir la charge de faire avancer ce projet de défense européen. A Helsinki, en 99, vous vous êtes engagés, les Européens, à avoir d'ici à 2003 une capacité de 60.000 hommes pouvant être mobilisés en 60 jours
Et au mois de novembre, vous avez une conférence pour vérifier un peu qui met quoi et qui est capable de mettre quoi. Vous n'êtes pas un peu inquiet, précisément, de voir que les Quinze
ALAIN RICHARD
Le problème ne va pas être tellement sur la capacité en hommes. Sur les capacités en hommes, nous trouverons, je crois et notre travail au titre de la présidence est évidemment de faire que les offres et les engagements des uns et des autres soient aussi bien harmonisés et aussi cohérents que possible, on va s'y employer pendant trois mois. On aboutira, je pense, à des engagements qui seront très visibles, très compréhensibles par les Européens. Je crois que ça les satisfera et il nous restera des déficiences soit au niveau de formation, d'entraînement de certaines équipes spécialisées, ça je ne l'exclus pas, certainement au niveau d'équipements et en capacité de commandement et d'encadrement de toute cette force.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Mais d'un point de vue budgétaire, ils font des efforts suffisants, les Allemands par exemple ?
ALAIN RICHARD
Derrière cet exercice-là, il y aura une liste de ce qui manque et des efforts que feront les uns et les autres pour que, dans l'espace des deux ou trois ans qui suivent, on se soit rapproché au maximum de ce qui est entièrement nécessaire. Alors d'abord, en améliorant ce que l'on appelle l'interopérabilité de nos moyens, on a déjà beaucoup fait en la matière, même dans les équipements de haut niveau. Mais il y aura des manques et c'est, je pense, une façon plus pratique et plus convaincante d'entrer dans une certaine convergence budgétaire.
En ce qui concerne l'Allemagne, rappelez-vous quand même les gros titres que tout le monde faisait sur les coûts absolument phénoménaux de la réunification. Et bien maintenant, ils sont dans les comptes et l'Allemagne qui a été un pays traditionnellement sans déficit doit faire face aujourd'hui quand même à des charges budgétaires liées à ses engagements de la réunification. Donc, qu'il y ait une période de resserrage de boulons, cela arrive à tout le monde. Ils ne le font pas que sur la défense. Donc, je pense qu'il y aura une courbe en " U ". L'Europe est en croissance, on a aussi des circonstances favorables. Je crois que ces efforts budgétaires raisonnables qui sont nécessaires et qui sont compris par nos concitoyens pour que l'Europe ait ses capacités, qu'elle ait sa stature en matière de défense, les gouvernements seront capables de les apporter.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Dernière question, est-ce que vous pensez qu'au sommet de Nice qui va clôturer le temps de la présidence française, on aura résolu le problème du commandement de cette force qui est quand même un peu compliqué aujourd'hui parce qu'il y a le comité politique avec les ambassadeurs, le comité militaire qui représente les enfin, c'est un schmilblick qui n'est pas capable vraiment de commander une force de ce type, c'est très " onusien ", vous le reconnaîtrez avec moi
ALAIN RICHARD
Non, c'est comme ça que çela marche au sein de l'Alliance, depuis fort longtemps avec succès. Donc, il faut bien des ambassadeurs qui presque heure par heure sont mandatés par les gouvernements pour adopter ensemble les décisions et un comité militaire qui représente les 15 chefs d'état-major des armées qui apportent les recommandations, les propositions militaires, et derrière un état-major qui prépare les dossiers, qui prépare les scénarios et les propositions. Ces organismes existent déjà, à l'état intérimaire. Nous n'avons plus qu'a recueillir, d'ici à Nice, l'ensemble des avis politiques pour que l'on passe au statut permanent de ces organismes. Je pense que nous y arriverons.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Alain Richard, merci beaucoup.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 1er août 2000).