Conférence de presse de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, et interview à RFI le 21 juillet 2002 à Yamoussoukro, sur les relations entre la France et la Côte d'Ivoire, les tensions entre la Côte d'Ivoire et le Burkina Faso, les objectifs de sa tournée en Afrique et la crise entre le Maroc et l'Espagne.

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Circonstance : Tournée en Afrique de M. de Villepin du 19 au 21 juillet 2002 : visite en Côte d'Ivoire le 21 et entretien avec le président ivoirien Laurent Gbagbo

Média : Radio France Internationale

Texte intégral

(Conférence de presse à Yamoussoukro, le 21 juillet 2002) :
Q - Quel est l'objectif de votre visite en Côte d'Ivoire ?
R - L'objet est très simple, il s'agit pour moi, très vite après ma prise de fonctions et la nomination du nouveau gouvernement français, de marquer très profondément les liens d'amitié et de fidélité qui unissent la France et la Côte d'Ivoire. Vous le savez, ce sont des liens très anciens, et en rendant hommage aujourd'hui à la mémoire du président Houphouët-Boigny, c'est une longue histoire que nous célébrons, une histoire enracinée, évidemment, dans le cur de nos deux pays, et qui a un retentissement très profond chez vous et chez nous. Je voulais donc très vite me rendre en Côte d'Ivoire, rencontrer le président Gbagbo, saluer les efforts qui sont les siens dans la voie de la réconciliation nationale. Beaucoup a été fait, et les élections récentes, les élections départementales, marquent un nouveau pas. Il en va de même des efforts engagés dans la voie du redressement économique, de l'accord qui a été conclu au début de l'année avec le Fond monétaire international. La France a la volonté d'appuyer ce mouvement - nous avons apporté une aide budgétaire de 183 millions d'euros pour permettre justement à la Côte d'Ivoire d'engager de nouveaux projets. L'Agence française de développement a repris les projets qui étaient les siens et nous avons des perspectives de coopération importantes dans des secteurs qui vous tiennent à cur et que nous avons évoqués aujourd'hui, qu'il s'agisse de la décentralisation, qu'il s'agisse de l'éducation, qu'il s'agisse de la santé. Il y a là des défis très importants pour la Côte d'Ivoire et il est important pour la France d'être à vos côtés pour les relever.
Q - Qu'avez-vous ressenti en vous inclinant sur la tombe d'Houphouët-Boigny ?
R - Je vous remercie de poser cette question, parce que ce fut pour moi, tout à l'heure, un moment de grande émotion, parce que Yamoussoukro, la Côte d'Ivoire, représentent un très grand symbole en Afrique, un symbole d'unité, un symbole de volonté ; et en rendant hommage devant le caveau où repose le président Houphouët-Boigny, je pensais que les grands hommes ne meurent jamais. Et les grands hommes africains encore moins, parce que nous sommes sur un continent et nous sommes dans un pays où la mémoire a une importance considérable, où la sagesse se perpétue par le respect, le respect des anciens, le respect de ceux qui ont l'expérience, et c'est un message important que l'Afrique a à apporter au monde. Dans ce message de sagesse, ce message de respect, il y a véritablement quelque chose qui est susceptible de marquer la fraternité, cette fraternité qui est si présente en Afrique, que vous nous apprenez et qui nous enrichit.

Q - Avez-vous évoqué avec le président Gbagbo les relations entre la Côte d'Ivoire et le Burkina ?
R - J'ai bien sûr eu l'occasion d'évoquer l'ensemble des questions, l'ensemble des questions de la région, l'ensemble des questions qui concernent la paix et l'avenir de l'Afrique, à Ouagadougou et avec le président Gbagbo. Et je dois vous dire que les conversations que j'ai pu avoir, avec le président Compaoré et avec le président Gbagbo, me donnent un sentiment de grande confiance. J'ai la conviction qu'il y a le désir véritable d'avancer, d'avancer dans la voie de l'entente, d'avancer dans la voie de la confiance. C'est important pour la région, c'est important pour l'Afrique. Et nous voulons appuyer, encourager ce qui constitue un élément très fort de la stabilité et de l'avenir de cette région. Donc, mon message est un message de confiance, face à des dirigeants qui veulent regarder vers l'avenir, qui sont très conscient des espoirs de leurs peuples et très conscients de la responsabilité qui pèse sur eux. Dans ce contexte, c'est donc un message de confiance qui est le mien.
Q - Avez-vous évoqué la politique intérieure ivoirienne ?
R - Nous avons évoqué, je l'ai dit, l'ensemble des questions et je ressens très profondément l'esprit d'ouverture qui est celui des uns et des autres, l'esprit de dialogue, l'esprit de réconciliation qui a une grande importance évidemment aujourd'hui en Côte d'Ivoire. La décision qui a été prise d'accorder son certificat de nationalité à Alassan Ouatara marque certainement une étape importance. Je veux m'en réjouir et saluer cette décision. Je crois que tout ceci participe de l'esprit nouveau qui aujourd'hui gagne cette région. Tout le monde veut regarder vers l'avant, il y a une ambition pour les peuples de cette région et je suis convaincu, qu'aujourd'hui, tout cela va dans le bon sens.
Q - La France est-elle prête à aider la Côte d'Ivoire dans un redressement économique ?
R - Tout à fait, je crois que la volonté de la France d'apporter son aide à la Côte d'Ivoire dans la période actuelle est très marquée - je l'ai dit tout à l'heure, une aide budgétaire de 183 millions d'euros vient d'être convertie en mars dernier. Il y a la volonté d'encourager les projets qui doivent l'être. Par ailleurs, comme vous le savez, la Côte d'Ivoire a fait de grands efforts de redressement économique qui devraient lui permettre d'attendre rapidement le point d'achèvement de l'initiative "pays pauvres très endettés", qui lui permettra notamment d'accéder aux contrats C2D, les contrats désendettement et développement mis en uvre par la France dans le cadre de l'initiative renforcée. Il y a là donc de nouvelles perspectives qui s'ouvrent pour la Côte d'Ivoire et l'accord qui a été conclu avec le FMI, la disponibilité de la Banque mondiale, créent évidemment, du côté de la communauté financière internationale, une attitude positive, une attitude d'ouverture, dont je crois qu'elle permettra à la Côte d'Ivoire, d'aborder l'avenir avec confiance.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 juillet 2002)
(Interview à RFI à Yamoussoukro, le 21 juillet 2002) :
Q - Donc nous arrivons à l'issue de votre tournée en Afrique, une troisième tournée en l'espace de deux mois qui vous a conduit en Angola, au Mozambique, au Burkina-Faso, et en Côte d'Ivoire. Ma première question est la suivante : pourquoi cette incursion en Afrique lusophone ? Vous sortez en quelque sorte du pré carré français, vous ne choisissez pas non plus un pays anglophone pour tenter de montrer que la France n'a rien contre l'Angleterre. Vous choisissez de partir en Angola et au Mozambique, pourquoi ?
R - Il y a aujourd'hui en Angola, le premier pays que j'ai visité, un grand défi à relever, c'est le défi de la paix qui a été conclue au mois de mars-avril. La France tient à être présente dans cette période. Et un grand défi encore à relever, c'est celui de la réconciliation puis de la reconstruction. C'est évidemment essentiel que de comprendre comment la France peut encourager, comment la communauté internationale peut encourager, cette réconciliation. J'ai été très impressionné par la façon dont le gouvernement, le président Dos Santos, ouvrait sa politique pour donner toute sa place à l'opposition : geste en direction de l'Unita alors même que le défi de la paix est immense en Angola. C'est un pays qui est confronté, qui a été confronté au cours des dernières années, à plus de quatre millions de réfugiés, c'est évidemment considérable. Un nombre important de soldats de l'Unita doivent être démilitarisés, près de 80.000 soldats, plus de 250.000 avec les membres des familles, 100.000 mutilés, 50.000 orphelins. Vous voyez là le poids de la guerre, le poids de l'héritage de la guerre. Il faut évidemment le dépasser et c'est important d'accompagner le gouvernement angolais dans ce défi si grand. J'étais dans la province de Huambo pour voir sur place la situation dramatique sur le plan humanitaire et constater la mise en uvre concrète de la réconciliation. Nous avons apporté une aide tout à fait exceptionnelle pour soulager les populations, 7 millions d'euros d'aide alimentaire, 2 millions d'euros pour aider à la réinstallation des personnes déplacées avec l'espoir de leur permettre très vite de reprendre un travail, d'engager la campagne agricole qui débute en septembre. Il y avait donc urgence à y aller, urgence pour la France d'appuyer ce mouvement de campagne agricole qui démarre en septembre.
Q - Il y avait ce volet humanitaire en Angola. L'Angola est aussi un gros producteur de pétrole. N'y avait-il pas justement au menu de vos discussions un volet économique. La France, peut-être, sent le moment de se placer aujourd'hui sur l'exploration pétrolière, ou l'exploitation pétrolière en Angola ?
R - Les relations entre la France et l'Angola sont des relations déjà anciennes et il y a véritablement l'envie et le désir de la France d'établir un véritable partenariat avec ce pays, à la fois politique, à la fois économique, bien sûr. Mais le véritable enjeu, outre bien sûr la présence et l'affirmation de la responsabilité française sur le plan humanitaire c'est surtout d'aider l'Angola à relever un autre défi qui sera celui, étant un pays riche, de passer de cette aide humanitaire à une véritable aide financière internationale. Il faut que d'ici quelques mois, l'Angola puisse gagner la confiance de la communauté financière internationale, ce qui lui permettra de solliciter une aide beaucoup plus importante, de créer un mouvement de confiance qui permettra aux entreprises d'investir, de s'installer dans ce pays et d'accompagner le mouvement de croissance naturelle de ce pays.
Q - Mais alors pourquoi votre visite au Mozambique, un pays qui n'est pas excessivement important en Afrique, qui est surtout aligné sur son puissant voisin d'Afrique du sud ?
R - C'est un pays exemplaire, le Mozambique : après 17 années de guerre civile, il est depuis dix ans, engagé dans la voie de la réconciliation et de la reconstruction. Voilà un pays qui fait partie des pays les plus pauvres, des pays très endettés et qui a su gagner la confiance de la communauté internationale, parce que la rigueur, la rigueur de gestion, la rigueur financière, la rigueur économique, lui ont donné une crédibilité qui permet, là encore, d'accorder à ce pays une aide, une coopération importante, dans des domaines essentiels de la lutte contre la pauvreté, comme la santé, comme l'éducation. Nous sommes présents dans les régions les plus critiques de ce pays et nous avons la volonté, à Cabo Delgado par exemple, de mener une relation exceptionnelle, en liaison avec des associations, en liaison avec le terrain, pour justement être plus efficaces. Le président Chissano, vous le savez, a décidé, par ailleurs, d'annoncer son retrait de la vie politique en 2004. Il y a donc là une philosophie, une expérience très particulière en Afrique, qui permet de préparer sur une longue période l'alternance, et nous voulons être aux côtés du Mozambique dans cette perspective.
Q - Est-ce qu'il n'y avait pas là, dans votre visite, aussi la volonté de démarquer l'Angola et le Mozambique de leur puissant voisin sud-africain, de faire en sorte qu'ils affirment leur place aussi sur la scène africaine ?
R - Je ne crois pas qu'il y ait de concurrence aujourd'hui entre les puissances européennes vis à vis de l'Afrique. J'ai appelé mon collègue portugais pour lui dire, justement, l'esprit qui était le mien, l'esprit de ce voyage. Il y a vocation au contraire à jouer des complémentarités entre nos pays. Les besoins de l'Afrique sont importants et nous devons unir nos efforts pour accompagner le développement économique, accompagner la réconciliation. Nous sommes plus forts unis, solidaires vis à vis de ce continent qui est si important pour la stabilité du monde.
Q - Ensuite, deuxième étape, francophone, si je puis dire, avec le Burkina-Faso et la Côte d'Ivoire. On sait que les relations entre les deux pays sont difficiles. Avez-vous tenté d'apaiser ces tensions ?
R - Nous avons des relations de confiance avec le président du Burkina-Faso, le président Compaoré, de grandes relations d'amitié, de même avec le président de la Côte d'Ivoire, Laurent Gbagbo. Donc, naturellement, nous encourageons ce mouvement de confiance, et il y a aujourd'hui, je crois, une volonté commune d'avancer dans ce sens.

Q - Autre tension, peut-être sujet de vos discussions, c'est les pays du fleuve Mano. Là aussi entre le Liberia et le Burkina Faso et la Côte d'Ivoire il y a des relations assez changeantes, qui évoluent. Vous en avez discuté ? Quelle est votre conclusion ?
R - Nous avons, bien sûr, évoqué cette situation, comme un certain nombre d'autres crises en Afrique qui nous préoccupent - la crise des Grands Lacs, la situation du Zimbabwe, les perspectives pour Madagascar. Toutes les situations n'inclinent pas au pessimisme. En ce qui concerne le Liberia, vous l'avez évoqué, il y a un mouvement qui s'est créé. Le Burkina Faso a pris l'initiative le 6 juillet dernier de réunir les partis politiques libériens pour essayer d'encourager à la recherche d'un dialogue. Nous soutenons la création d'un groupe de contact réunissant les principaux pays concernés par cette crise pour permettre de sortir de l'impasse actuelle, et je crois que nous pourrons faire des progrès au cours des prochains mois.
Q - Ces visites représentent aussi une certaine reconnaissance de ces pays, des autorités burkinabé, des autorités ivoiriennes. En Côte d'Ivoire, la crise n'est pas encore résolue, celle qui implique le cas de l'opposant Alassane Ouattara. N'est-ce pas un peu tôt d'aller en quelque sorte reconnaître les avancées en Côte d'Ivoire ?
R - Vous savez, il n'est jamais trop tôt, en matière diplomatique, quand on est un pays ami, pour aider ; jamais trop tôt pour apporter son appui à des efforts qui sont engagés. Vous avez parlé dans un premier temps du Burkina Faso. Le Burkina Faso, en matière de développement, mène une action tout à fait remarquable. Il n'y a qu'à voir la vitalité de la coopération décentralisée dans ce pays. Bien sûr nous apportons à ce pays, qui fait partie des pays les moins avancés, une aide publique importante. Mais voilà un pays qui a su nouer des relations à tous les échelons, avec les universités françaises, avec les régions, avec les départements, avec des associations. Il y a près de 500 organisations non gouvernementales et d'associations qui sont présentes aujourd'hui au Burkina Faso, 120 collectivités territoriales françaises qui sont extraordinairement actives. C'est dire que les relations entre la France et ces pays sont des relations entre des peuples qui se connaissent, qui veulent faire davantage de choses ensemble.
Venons-en à la Côte d'Ivoire : un processus de réconciliation est engagé et bien engagé. La décision a été prise d'accorder le certificat de nationalité ivoirienne à Alassane Ouattara. C'est un mouvement. La France souhaite être présente pour encourager la réconciliation. Le Forum de réconciliation nationale a bien avancé au cours des derniers mois et il nous paraît très important d'encourager ce mouvement.
Q - Encore deux petites questions sur l'actualité. Il semble que la crise entre Rabat et Madrid s'estompe, se calme, grâce à une médiation américaine. Il n'y a pas là un échec de la diplomatie européenne ?
R - Tous les Etats qui sont amis de l'Espagne, amis du Maroc, ont joué dans le sens de la modération, de l'apaisement, et nous nous réjouissons de voir aujourd'hui la solution qui a été trouvée. C'est une bonne solution pour tout le monde : le retour au statu quo. C'est une grande satisfaction au contraire qu'on soit si rapidement sorti de cette difficulté.

Q - Il y avait n'empêche une cacophonie européenne, quelque part, avec des déclarations contradictoires sur le statu quo ou la violation
R - Je n'ai pas d'inquiétude. Tout le monde avait le même objectif. Ce même objectif, c'est évidemment de travailler dans l'intérêt et dans l'amitié que nous éprouvons pour le Maroc et pour l'Espagne et je suis très heureux de la situation et du déblocage qui a pu enfin être trouvé.
Q - D'après un article du Monde, la police a retrouvé un agenda de l'homme d'affaires Pierre Falcone, où vous seriez, avec votre nom, mentionné le 17 février 1997. Est-ce à dire que vous l'avez rencontré ?
R - Jamais. Jamais, je l'ai dit, la chose est claire.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 juillet 2002)