Interview de M. Alain Richard, ministre de la défense, dans "La Tribune" du 18 juillet 2000, sur les objectifs de la présidence française de l'Union européenne dans le domaine de la défense européenne, les missions de la force européenne et la coopération européenne pour l'industrie et la recherche militaires.

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Média : La Tribune

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Quel est votre programme pour les six mois de la présidence française ?
Nous avons le mandat, issu de la volonté politique du Conseil Européen, de créer une force de réaction rapide de 50 à 60000 hommes et d'avoir dans l'Union européenne les outils permettant de gérer en direct une crise politico-militaire.
Concrètement, avant la fin de l'été, les chefs d'Etat-Major des Armées des Quinze vont établir d'un commun accord l'organigramme de la force (type d'unités, équipements) et le 20 novembre, les ministres de la Défense de l'Union annonceront officiellement les contributions de chaque nation à cette force lors de notre "conférence d'engagement de capacités".
Nous aurons aussi à avancer sur deux autres chantiers. D'abord la conférence d'engagement laissera apparaître certaines capacités manquantes ; quand nous nous serons mis d'accord sur cette liste de déficiences, il faudra discuter de la répartition des charges entre pays en vue de les combler. En outre il sera important d'établir dans la durée un mécanisme d'entraînements réguliers pour parfaire la cohérence et l'efficacité des composantes de cette force.
Dans quels cas de figure cette force sera-t-elle amenée à intervenir ?
Les principes d'utilisation de la force européenne ont été fixés dans la déclaration d'Helsinki, en décembre dernier. Le Conseil européen a clairement affirmé que sa mission principale serait de surmonter les crises dans l'espace européen, mais aussi qu'elle pouvait être mise à la disposition de l'ONU en vue d'une opération de rétablissement de la paix sur un autre continent, si les Quinze le décidaient.
On pense beaucoup à la défense comme exemple d'une future coopération renforcée. Cela vous semble-t-il envisageable à court terme ?
Précisons d'abord que les décisions majeures constituant l'Europe de la défense ont été prises à quinze et que nous entendons bien réussir la mise en place des capacités militaires et des outils de gestion de crise dans ce cadre global de l'Union. Après les engagements fermes des chefs d'Etat et de gouvernement, notre cohésion à quinze est solide.
Le recours aux coopérations renforcées en matière de défense n'est en rien un "second choix" par défaut d'entente politique. C'est un moyen d'élargir les capacités d'action disponibles pour l'Union, par des contributions volontaires de pays se groupant pour apporter des forces ou des équipements utiles à tous. L'Eurocorps, qui rassemble cinq pays européens, l'Eurofor ou l'Euromarfor, qui réunissent quatre pays du Sud de l'Europe, que nous avons pu voir défiler le 14 juillet sur les Champs-Elysées, sont des exemples de coopérations renforcées. Nous pouvons en envisager d'autres, comme le "pool" de renseignement spatial que nous étudions avec l'Allemagne.
Et le financement de cette force ?
Le financement est national. Cela me conduit à rappeler que tout le schéma politique que nous mettons en place est fondé sur la coopération volontaire entre gouvernements et non sur la supranationalité : c'est l'application du traité d'Amsterdam qui prévoit que le Conseil européen peut décider de mettre en place des éléments de politique européenne de sécurité et de défense.
Les Allemands ont parlé de 20000 hommes pour la force de réaction rapide européenne. Quels moyens la France entend-elle mettre ?
La France a deux raisons de ne pas se précipiter. D'abord, nous sommes chargés de travailler à l'accord. Aussi préférons-nous jouer le plus longtemps possible un rôle d'honnête courtier pour dégager des contributions nationales bien harmonisées. Ensuite, nous sommes particulièrement attachés à l'efficacité de la force européenne. Nous devons faire preuve de flexibilité dans notre propre contribution pour qu'elle serve vraiment à assurer la complémentarité de toutes les composantes. Evidemment, nous n'avons pas l'intention de nous dérober.
Et comment allez-vous gérer ce processus avec les pays européens membres de l'OTAN mais non membres de l'Union européenne ?
Dans ce domaine beaucoup de décisions politiques sont déjà prises. Nous avons établi un système de relations et de concertation entre tous les Etats européens intéressés, qui sont au total quinze, et l'Union Européenne. Sous présidence française nous aurons deux réunions de concertation. En ce qui concerne la constitution de la force de réaction rapide européenne, le point d'accord que nous avons trouvé donne la possibilité à ces pays d'apporter des contributions additionnelles sur une base volontaire.
Comment s'intègre l'industrie de la défense dans ce processus ?
Parfaitement bien. Là aussi, les progrès réalisés sont spectaculaires. Le bilan des restructurations des industries françaises et européennes de Défense depuis trois ans est très largement positif. Le groupe EADS est constitué et a déjà renforcé ses coopérations avec les industries britannique et italienne. Le pôle d'électronique professionnel et de Défense Thomson-CSF conforte quant à lui son assise européenne par son rapprochement avec le groupe britannique RACAL.
Nos groupes européens ont désormais la taille pour rivaliser avec les meilleurs mondiaux et financer de nouveaux projets technologiques ambitieux. Ce mouvement de consolidation permet à l'Europe de développer sa base industrielle et technologique de défense et ainsi de doter les Etats européens des capacités d'armement répondant aux objectifs de leur politique de Défense commune..
Au récent sommet franco-allemand de Mayence, il y a eu des annonces concernant l'avion de transport militaire A400M et les systèmes d'observation satellitaire...
La volonté politique des Etats en matière de Défense crée aussi une dynamique positive quant aux choix communs d'armement. Après le succès du Tigre en 1999, la fabrication de l'hélicoptère de transport NH90 a été consolidée par la signature d'un MOU puis par celle du contrat d'industrialisation à Paris le 30 juin. Le succès du programme de missile air-air Météor renforcera l'intéropérabilité des avions de combat européens. La France et l'Italie mettent au point avec les industriels la commande de frégates "Horizon".
En outre l'Allemagne, la France et la Grande Bretagne ont décidé de s'engager avec tous les partenaires initiaux du projet dans le programme A400M pour doter l'Europe d'une capacité de transport commune, susceptible d'être mise en uvre dans le cadre d'interventions coordonnées. Enfin, en matière de capacités communes de renseignement, identifiées comme prioritaires au sommet d'Helsinki, la décision allemande de lancer un programme de satellites radar complète la capacité optique dont dispose la France avec Hélios.
Dans ce domaine important, d'autres coopérations sont également possibles en particulier avec l'Italie. Avec la montée en puissance de l'OCCAR (Organisation Conjointe de Coopération en matière d'Armement) et la signature la semaine prochaine à Farnborough de la L.O.I. (Letter of Intent), l'ensemble constitue un bilan encourageant pour l'avenir. J'espère que nous pourrons faire de nouveaux progrès, notamment dans la coordination de nos efforts de recherche en matière de Défense.
L'union européenne peut-elle lancer des programmes publics de recherche en matière de défense ?
Je décris simplement une intention. Il me semble désormais souhaitable que l'OCCAR intervienne pour promouvoir des activités communes de préparation de l'avenir et de recherche. Alors que nos crédits de recherche ne sont pas tout à fait suffisants - et que nous aurions de bons motifs de souhaiter qu'ils augmentent -, des duplications entre Européens existent.
C'est un domaine où l'action des Quinze est difficile et insuffisamment efficace, notamment parce que certaines nations ont des crédits de recherche en matière de défense très faibles. Le dispositif de l'OCCAR, fondé sur l'engagement volontaire de certaines nations qui ont un niveau de contribution substantiel en matière industrielle, peut donc être une bonne base pour avoir des contrats communs de recherche.
Par ailleurs, les conditions d'ouverture du marché transatlantique, de façon équilibrée, nous paraissent meilleures qu'elles n'ont jamais été. Des discussions entre les Européens et les Américains doivent s'engager pour faciliter des coopérations et des échanges équilibrés. Vous constatez donc que malgré les progrès intervenus, il reste encore aux Etats européens de nombreux travaux à mener en commun.
(Source : http://www.defense.gouv.fr, le 1er août 2000).