Interview de M. Robert Hue, président du PCF, à RTL le 13 juin 2002, sur le problème posé par la mise en examen de M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre dans le gouvernement Raffarin, sur les perspectives du parti communiste après ses mauvais résultats à l'élection présidentielle et au premier tour des législatives et sur le danger que représenterait la domination à l'Assemblée nationale d'un seul parti, l'UMP.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrief On va parler évidemment du Parti communiste dans un instant, mais peut-être une première réaction à ce qu'on appelle "l'affaire R. Donnedieu de Vabres" ; vous avez été mis vous-même en examen dans une affaire de financement du Parti communiste, vous avez bénéficié d'un non-lieu mais, dans l'intervalle, cela vous a empêché d'être ministre - c'est ce qu'on disait en tout cas. Est-ce que vous pensez qu'il faut changer la jurisprudence ? Est-ce qu'un ministre mis en examen peut rester ou au contraire, est-ce qu'il doit partir ?
- "Cela ne m'a pas empêché d'être ministre, parce que je n'ai pas souhaité être ministre. L. Jospin pourrait en attester aujourd'hui."
C'est ce qui s'est dit en tout cas...
- "Oui, c'est ce qui s'est dit. Mais c'est un problème difficile. La présomption d'innocence est un des aspects fondamentaux des principes de notre justice et incontestablement, tant qu'il n'y a pas jugement, tant qu'il n'y a pas effectivement la démonstration faite par la justice de la culpabilité, il est difficile de porter d'emblée atteinte à l'honorabilité de quelqu'un, en disant même qu'il ne faut pas qu'il soit dans le gouvernement. Néanmoins, compte tenu de ce qu'est aujourd'hui pour la vie politique française, de cette question importante de la nécessité de transparence, qu'aucun populisme, aucune démagogie ne puissent récupérer le fait que tel ou tel responsable politique est en examen, il eut été judicieux que R. Donnedieu de Vabres ne soit pas nommé. Aujourd'hui, la question est posée à ce gouvernement, il faudra trouver des réponses à cela. J'avoue qu'elles ne sont pas simples..."
On vous sent quand même tenté de dire que cette jurisprudence de la démission systématique est un peu rude, est un peu sévère, peut-être injuste même ?
- "En tous les cas, l'idéal est que nous puissions donner suffisamment de transparence à la vie politique et au financement de la vie politique pour éviter que des questions comme celles-là puissent venir en débat et gêner, rendre plus flou encore un débat politique sur la situation d'un pays comme la France, qui est déjà d'une grande complexité."
Le Parti communiste [a obtenu] 3,3 % à peu près quand vous avez été candidat à la présidentielle, 4,4 environ à la législative quelques temps après. Franchement, c'est la fin du Parti communiste ?
- "On a souvent dit qu'un résultat électoral était la fin du Parti Communiste. Non, je ne crois pas..."
C'est une agonie sans fin, une agonie qui dure ?
- "Oui, mais vous savez "l'agonie", "la mort", ce sont des propos qui sont effectivement durs à entendre et qui ne correspondent pas, je crois, je le dis très sincèrement, à la réalité et à ce que doit être l'analyse que l'on fait du résultat du Parti communiste. Au premier tour de la présidentielle, la gauche a connu un terrible revers, le Parti communiste un échec sérieux ; et dimanche dernier le résultat, les résultats ont montré que pour la gauche comme pour le Parti communiste, mais pour la gauche en particulier et le Parti communiste plus particulièrement encore, la sanction n'était pas circonscrite à la présidentielle, mais était en quelque sorte confirmée par les législatives."
J'essaie de décoder ce que vous dites : vous voulez dire par-là que finalement ce n'est pas vous qui étiez sanctionné comme candidat, votre stratégie de participation au gouvernement et de présence à l'intérieur et d'alliance avec les socialistes, mais c'est globalement la gauche et notamment le Parti, mais pour d'autres raisons ? C'est ce que vous voulez dire ?
- "Il faudra en faire l'analyse et réfléchir à ce qui s'est passé. On est toujours responsable à un degré différent peut-être ; quand on est le premier, quand on est candidat, c'est évident, on n'a pas à se défausser. Je suis de ceux qui prennent leurs responsabilités et je veux réfléchir avec les communistes - nous le ferons dans la prochaine période, il y aura une conférence nationale. Je pense qu'il faudra un congrès du Parti communiste. En tous les cas, il faudra que les communistes en décident. Mais je le souhaite"
L. Jospin est parti. Est-ce que vous vous êtes posé la question ? Ne Vous êtes vous pas dit : "J'ai été désavoué, salut !" ?
- "J'ai subi le choc de ce résultat. Je respecte tout à fait ce qu'a pu décider L. Jospin dans une situation très différente de la mienne. Moi, j'ai décidé effectivement de participer avec mes amis à l'analyse de ce qui s'était passé et de me battre. Parce que la démonstration est faite aujourd'hui, à trois jours de ce deuxième tour, qu'il ne faut vraiment pas baisser les bras, il faut se battre. Donc, j'ai choisi de me battre, j'ai choisi dans la circonscription où je suis de tenter de rester député, parce que je pense qu'une chambre avec 400 députés d'un parti unique, néo-RPR, qui va écraser cette Assemblée nationale et en fait pouvoir ainsi mettre en uvre une politique antisociale, ce n'était pas bon. Donc j'ai décidé de me battre. Je ne crois pas qu'il fallait effectivement tourner le dos à ces difficultés, même si souvent, je les affronte et je me bats."
Vous pensez que L. Jospin a mal fait de partir ?
- "Je ne dis pas cela, je me garderais de porter un jugement, chacun agit en fonction de sa situation, de ses sensibilités, de son histoire. Je ne suis pas de celui qui baisse les bras, qui démissionne : je me bats. Après, chacun doit prendre ses responsabilités, doit juger."
Qu'est-ce que vous répondez à A. Gerin par exemple, qui est député-candidat et maire de Vénissieux, qui est un communiste et qui dit que la direction du Parti Communiste est en dépôt de bilan politique ?
- "Je crois qu'à trois jours du deuxième tour, il vaut mieux réserver ses réflexions et ses coups à l'adversaire, à ceux qui sont là et qui vont tout monopoliser - la droite -dans la vie politique française, s'il n'y a pas au moins des députés qui sont là pour défendre l'intérêt d'un certain nombre de gens même s'ils n'ont pas toutes les qualités que peut-être certains voudraient leur attribuer. Mais il reste qu'on a besoin d'hommes, de femmes pour défendre les intérêts du monde du travail, défendre ceux qui sont en difficulté. Il va y avoir une politique sociale très lourde..."
Ce monde du travail n'est peut-être pas d'accord, puisqu'il vous donne seulement 4,4 % ?!
- "Partout où il y a des députés sortants communistes, où il est apparu que ces candidats étaient crédibles, ils ont eu un vote utile également. Dans ma circonscription, je suis en tête de tous les candidats, c'est une circonscription très ouvrière avec 39 % des suffrages..."
A Argenteuil...
- "Oui, à Argenteuil, le Front national a baissé, mon adversaire de droite n'a pas fait le score qu'il escomptait. Donc, quand on est en situation, quand on porte un certain nombre de questions liées à la proximité des gens, aux problèmes qu'ils rencontrent dans leur vie quotidienne, ils entendent aussi. Mais je ne gomme pas les défauts, je ne gomme pas ce qui a conduit à la sanction que nous avons connue à l'occasion de ces élections."
Face à un grand groupe UMP à l'Assemblée nationale, pourquoi est-ce qu'il n'y aurait pas un parti de la gauche rassemblé également ? Il serait plus fort, alors qu'il y aura peut-être même pas un groupe communiste, puisque vous aurez peut-être du mal à avoir 20 députés, quelques Verts par-ci, quelques radicaux etc. Après tout, c'est ce qu'on fait d'autres pays européens notamment ?
- "Je pense que le monolithisme est détestable pour la démocratie. Cette UMP, qui va être écrasante, fait déjà réagir des gens comme M. Bayrou qui ne seront pas dans cette majorité - en tous les cas physiquement, on peut se passer d'eux. Je pense que la diversité est ce qui fait vivre la démocratie. Il faut effectivement qu'il y ait une construction politique nouvelle, une dynamique nouvelle de la gauche en France, mais qu'elle préserve ce qui est fondamental à la démocratie : la diversité des sensibilités. C'est un atout considérable. Je ne crois pas au monolithisme, j'ai suffisamment avec d'autres parfois, porté"
Vous savez de quoi vous parlez !
- " ... porté le parti unique pour dire que ce n'est pas la bonne solution. Donc, je suis effectivement pour une démarche pluraliste. Et c'est ça qui pourra faire avancer, en tous les cas qu'il y ait beaucoup de députés de gauche et de députés communistes, un groupe communiste dimanche prochain. Cela garantira un véritable rempart par rapport à la politique antisociale et celle du Medef qui sera appliquée avec beaucoup de dureté dans la prochaine période."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 13 juin 2002)