Déclaration de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, sur les relations franco-chinoises à la veille de la visite d'Etat du Président de la République, Paris le 5 mai 1997.

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Circonstance : Colloque "La Chine d'aujourd'hui et de demain" à Paris le 5 mai 1997

Texte intégral

Dans dix jours, le président de la République effectuera une visite d'Etat en Chine.

Ce sera la plus longue visite qu'il mènera dans un seul pays depuis le début de son septennat. Ce sera également sa troisième visite en Asie, après celles qu'il a effectuées à Singapour et à Bangkok en mars 1996 puis au Japon en novembre dernier.

Il sera accompagné de plusieurs membres du gouvernement, qui ont tous contribué à la préparation de ce déplacement, de différentes personnalités qui jouent un rôle éminent dans la promotion des relations franco-chinoises, et d'une délégation de plus de 50 dirigeants d'entreprises, parmi lesquelles certains des plus grands groupes français.

Ce prochain déplacement a suscité dans les media toutes sortes de commentaires. Certains y voient la manifestation d'intérêts strictement mercantiles : le président n'irait en Chine que pour remporter des contrats.

D'autres -parfois les mêmes- contestent le principe même d'une telle visite au nom de la défense des Droits de l'Homme. Tous ont quelque chose à dire sur la Chine, souvent avec passion. Peu de pays, en effet, dans le monde, suscitent un tel engouement et de telles critiques en France.

Aussi, avant de céder la parole aux spécialistes qui sont ici réunis pour parler de la Chine d'aujourd'hui et de demain, permettez-moi de tenter de sortir des clichés et de vous exposer en quelques mots la politique chinoise du gouvernement à la veille de la visite présidentielle.

Je voudrais d'abord commencer par le commencement, en rappelant que la Chine est un pays d'une importance immense, dont l'Europe ne constitue que l'une des périphéries.

Les Chinois appellent leur propre pays "Zhong-Guo", littéralement "Milieu-Pays", c'est-à-dire le "pays du milieu", "l'Empire du Milieu", sous entendu : le "centre du monde".

Ce pays, qui a sans doute été le plus peuplé de la planète depuis la plus haute antiquité, se pense donc lui-même comme le centre du monde.

Les Chinois tirent une grande -et légitime- fierté de ce que leur civilisation soit la plus ancienne de la planète sans discontinuité : la première dynastie, celle des Shang, est attestée, ainsi que les premiers idéogrammes, vers 1530 avant Jésus-Christ. Elle est donc contemporaine de la XVIIIème dynastie égyptienne, celle d'Akhenaton et de Toutankhamon. Confucius et Lao Tseu, exactement contemporains du Bouddha, en 550 avant Jésus-Christ, sont nés un siècle avant Socrate.

Avec une civilisation dont l'écriture et la langue remontent à 3500 ans et dont les codes philosophiques et sociaux ont été fondés il y a 2500 ans, les Chinois, qui valorisent à l'extrême l'ancienneté et l'expérience conformément à ce que leur enseigne le confucianisme, ont une difficulté réelle à admettre que des pays ou des civilisations plus récentes prétendent leur faire la leçon.

La France, qui n'existe comme Etat-nation que depuis un millénaire, est regardée avec respect, mais somme toute comme une cadette.

Pour les responsables chinois, notre déclaration des Droits de l'Homme, ou l'aspiration au bonheur individuel proclamée par la constitution américaine, qui n'ont, l'une et l'autre, que deux siècles d'existence, sont d'abord des inventions étrangères et des inventions récentes, dont il ne va pas de soi qu'elle peuvent prétendre à l'universalité.

Ce point de vue est partagé aussi bien par M. Lee Kwan Yew, l'auteur du miracle économique singapourien, que par M. Li Peng, Premier ministre chinois, et pas seulement parce que cela les arrange politiquement.

D'ailleurs, cette volonté des pays occidentaux à faire la morale à la pluri-millénaire civilisation chinoise leur semble d'autant plus prétentieuse et arrogante que ces mêmes pays occidentaux ont, à leurs yeux, beaucoup à se faire pardonner.

En témoigne le fait, toujours très présent dans l'esprit des dirigeants chinois, que ce sont les puissances occidentales qui dépecèrent la Chine tout au long du XIXème siècle. Les Anglais acquirent Hong Kong à l'issue des "Guerres de l'Opium", destinées à forcer l'Empire chinois à acheter l'opium des Indes britanniques pour rétablir l'équilibre commercial entre les deux pays. Les Allemands s'établirent dans la péninsule du Liaoning. Quant aux Français, ils mirent à sac le Palais d'Eté de Pékin en 1860, eurent des visées sur le Yunnan et l'Ile de Haïnan et s'installèrent dans une concession à Shanghaï.

Nous ne devons pas oublier les traumatismes que nos prédécesseurs ont causé hier : ils expliquent aussi pourquoi les appels à la démocratie et au respect des Droits de l'Homme en Chine que nous prodiguons si volontiers aujourd'hui sont parfois bien difficiles à accepter par les dirigeants chinois.

Le président Jiang Zemin, qui me recevait en février de l'année dernière à Pékin, n'oublia pas de mentionner cette période sombre de nos relations bilatérales, non sans souligner immédiatement que c'était "de l'histoire ancienne". De l'histoire ancienne, certes, mais qui a néanmoins laissé des traces et qu'à Pékin on omet rarement de rappeler.

A ces considérations d'ordre historique et culturel s'ajoute la question des proportions et des rapports de puissance et, plus encore, de l'irrésistible dynamique qui est en train de faire basculer le centre de gravité économique de la planète.

Troisième pays le plus vaste du monde (après la Russie et le Canada mais devant les Etats-Unis, le Brésil et l'Australie), la Chine est aussi la nation la plus peuplée, avec près de 1300 millions d'habitants, soit 22% des êtres humains vivant sur Terre, plus de 1 sur 5. En outre, la population chinoise augmente de 15 millions d'habitants chaque année, soit une France de plus tous les 4 ans.

Parallèlement, l'adoption par la Chine, depuis les réformes de 1978, d'un système économique de plus en plus proche du capitalisme libéral a libéré une formidable énergie créatrice. Depuis 18 ans, la Chine connaît presque chaque année des taux de croissance de son PNB supérieurs à 8, 10, voire 12%. Son PNB a ainsi au moins doublé depuis 1988. Pour donner une idée de l'ampleur du phénomène, et avec les réserves d'usage sur une telle comparaison, si la France avait connu la même croissance depuis 1988, c'est-à-dire depuis la réélection de François Mitterrand à la présidence de la République -ce n'est pas si vieux !- notre PNB serait aujourd'hui comparable à ceux de l'Allemagne réunifiée et du Royaume-Uni cumulés !

Une aussi prodigieuse évolution suscite évidemment son cortège de nombreux et inquiétants déséquilibres : tendances inflationnistes ardemment combattues, boulimie d'infrastructures, soif d'énergie, ouverture accélérée de l'éventail social, fortunes rapidement faites, et parfois dans des conditions douteuses, remise en cause des valeurs traditionnelles, exode rural aux proportions colossales.

D'ores et déjà, 100 millions de paysans déracinés vont et viennent dans les grands centres urbains chinois. A l'horizon de 2040, et sur ce rythme, 7 à 800 millions de paysans chinois pourraient avoir quitté la terre pour aller peupler les mégalopoles nouvelles d'un pays qui pourrait avoir rattrapé le PNB américain et qui compterait alors des dizaines de concentrations urbaines comparables à ce que sont de nos jours Tokyo, Mexico ou, déjà, Shanghaï... Ce ne sont pas des prévisions imaginaires, il suffit de voir comment actuellement poussent les villes chinoises.

Un tel géant -présent et futur- , qui est déjà l'un des 5 membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, candidat à l'Organisation mondiale du commerce, ne peut que s'affirmer politiquement au-delà de son périmètre régional.

Ses dimensions sont bien entendu à la mesure de la planète. C'est pourquoi choisir, à l'égard de la Chine, une politique d'endiguement à la Foster Dulles de ce grand pays serait une absurdité. Sa mise à l'écart dans je ne sais quelle quarantaine serait une faute grave.

Contrairement aux clichés, l'intérêt que nous portons à un dialogue substantiel avec la Chine est donc d'abord politique avant d'être économique.

La communauté internationale dans son ensemble a besoin d'une Chine stable et prospère, confiante dans son développement et intégrée dans les règles et les disciplines mondiales.

Après ces rappels qui expliquent pourquoi nous avons un intérêt essentiel à développer notre dialogue avec la Chine, vous me permettrez de replacer l'évolution des relations franco-chinoises dans une modeste perspective historique.

Les relations franco-chinoises sont ancrées dans une tradition intellectuelle et affective qui remonte loin dans l'histoire.

Lorsque j'ai effectué ma première visite en Chine, en février 1996, j'ai été personnellement frappé par la dimension affective de notre relation. Au-delà des questions politiques et économiques, sur lesquelles je reviendrai, au-delà des divergences et des convergences, au-delà même des intérêts que défendent légitimement nos deux Etats, j'ai trouvé un pays profondément attaché à sa relation avec la France.

Je crois que cette affection est réciproque. Elle plonge ses racines à l'époque des Lumières, lorsque Voltaire écrivait "l'orphelin de la Chine" et lorsque Montesquieu voyait dans le mandarinat chinois un modèle pour sortir de l'Etat de non-droit. Il est vrai que nous avons installé avec l'Ecole nationale d'Administration quelque chose qui n'est pas très loin du mandarinat chinois...

Elle s'est amplifiée à l'époque moderne, lorsque les dirigeants historiques chinois comme Zhou Enlai, Deng Xiaoping ou Chen Yi étaient venus en France comme étudiants ou travailleurs, ou lorsque Malraux prenait la défense des martyrs de la révolution chinoise dans "La Condition Humaine".

Mais bien entendu, le grand point de départ de l'amitié franco-chinoise moderne fut la décision historique -et visionnaire- du général de Gaulle d'être le premier chef d'Etat occidental à reconnaître, en 1964, la République populaire de Chine.

Cette référence-phare dans l'histoire de nos relations bilatérales, qui fait toujours l'objet d'un sentiment de gratitude de la part des dirigeants chinois, doit nous inciter aujourd'hui à faire preuve d'ardeur et d'audace dans notre dialogue avec Pékin.

Car cette décision historique nous montre que la France n'est jamais autant la France que lorsqu'elle sait faire oeuvre de visionnaire, sans se laisser intimider par les critiques et par les donneurs de leçon.

Mais nous devons aussi redoubler d'ardeur car, depuis 1964, beaucoup de choses ont changé dans le monde : dans l'intervalle de ces 33 années, la population chinoise s'est accrue d'environ 450 millions de personnes, soit 8 fois la France ou 1 fois et demi la population de l'Union européenne à 15.

Pendant la même période, le PNB chinois, dans la mesure où les statistiques dont nous disposons sont fiables, est passé de moins de 10% du PNB français à une fourchette comprise entre 60 et 80% de notre PNB d'aujourd'hui, avec la quasi-certitude qu'il nous aura dépassés au tournant du siècle.

Au cours de ces 3 décennies, l'URSS s'est effondrée, la Chine s'est ralliée à sa façon à l'économie de marché, a rompu totalement son isolement international et s'est insérée pleinement dans la zone Asie-Océanie dont le développement économique en fait déjà la zone la plus puissante en termes de PNB dans le monde.

En outre, nos relations avec la Chine ont connu pendant cette période des vicissitudes, notamment au cours du second septennat du président Mitterrand.

Plusieurs phénomènes s'étaient en effet conjugués pour altérer la qualité des relations franco-chinoises au cours des années 80 :

- en premier lieu, la perestroïka en URSS et la relecture du système communiste, venant après les drames du Cambodge et de l'Afghanistan, ont amené les thuriféraires du régime maoïste à brûler ce qu'ils avaient adoré, sans renoncer pour autant, d'ailleurs, à donner des leçons de morale, fût-ce dans le sens exactement opposé de celui qu'ils défendaient auparavant ;

La gauche française, notamment, qui s'était pourtant enflammée pour la Révolution culturelle -sans y avoir rien compris-, se fit, au cours des années 80 et 90, la championne des Droits de l'Homme en Chine.

Ce revirement est d'autant plus curieux que la décennie 80 a marqué tout au contraire, et même si beaucoup laisse encore à désirer, une amélioration de la situation des Droits de l'Homme par rapport à la meurtrière décennie de la Révolution culturelle.

- en deuxième lieu, la tragédie de la Place Tian An Men, qui a mis fin dans les conditions que l'on sait au mouvement étudiant en faveur d'une libéralisation politique du régime, a suscité une vague mondiale de protestation justifiée ; le gouvernement français de l'époque s'était porté à la tête de ce mouvement de protestation, notamment en prenant l'initiative de déposer une résolution sur les Droits de l'Homme en Chine à la Commission des Nations unies à Genève.

- enfin, le gouvernement socialiste a décidé, au début des années 90, de procéder à la vente de navires de guerre Frégate puis d'avions militaires Mirage 2000-5 à l'Ile de Taïwan, entraînant la plus grave crise des relations avec Pékin depuis l'établissement de nos relations diplomatiques en 1964.

C'est de ce climat profondément dégradé entre nos deux pays que la nouvelle majorité issue des élections législatives a hérité en 1993.

Et ce fut la tâche d'Edouard Balladur, Premier ministre, et de mon prédécesseur, Alain Juppé, que de renouer les fils du dialogue avec la Chine, avec ce pays dont j'ai longuement exposé précédemment pourquoi il est vital d'avoir avec lui des liens étroits de coopération dans tous les domaines.

Mais c'est l'arrivée de Jacques Chirac à la présidence de la République en 1995 qui a permis de tourner définitivement la page de la brouille avec Pékin.

Aujourd'hui, notre amitié réciproque et notre volonté commune de coopérer se retrouvent aussi bien dans le nombre de visites ministérielles, sans précédent, dans les deux sens, que dans la multiplication des liens non-gouvernementaux entre nos deux pays : on ne dénombre plus les jumelages franco-chinois, les associations culturelles, les initiatives individuelles, les échanges économiques, culturels ou politiques.

Mais, bien entendu, c'est avec la visite présidentielle que culminera très prochainement cette avancée spectaculaire dans le dialogue politique à haut niveau que nous avons préparé depuis 2 ans.

De quoi parlerons-nous ?
D'abord, nous conviendrons qu'il est essentiel que la France et la Chine participent aux grandes discussions internationales.

Il n'est pas normal qu'en dehors du Conseil de sécurité, le sort du monde puisse se discuter sans la Chine.

Il n'est pas normal que le dialogue avec la Chine soit le seul apanage des Russes ou des Américains, et ce d'autant plus que les relations de Pékin avec Moscou ou Washington n'ont jamais été vraiment sereines.

C'est pourquoi les Européens, et la France au premier rang, doivent entretenir un dialogue régulier, dense et constructif, avec la Chine. Que certains dans le monde cherchent à nous en empêcher, on voit bien pourquoi, c'est parce qu'ils souhaitent en conserver le monopole.

Ce dialogue doit être à la fois constructif et exigeant, sérieux et sans complaisance, pour porter ses fruits. Ce doit être aussi, vous me pardonnerez cette remarque, un dialogue "intelligent", c'est-à-dire réfléchi et partant d'une connaissance intime des ressorts de la civilisation et de l'âme chinoises.

Tel est le cas de la fameuse question des Droits de l'Homme. Sur cette question qui tend à l'emporter sur toute autre dans la discussion publique de la question chinoise, je crois utile de remettre les choses en perspective.

Contrairement à ce qui a été écrit ici ou là, la France, en refusant cette année de coparrainer un projet de résolution sur les Droits de l'Homme en Chine dont on savait par avance (par le recours à la motion dite de non-action) qu'il ne serait même pas discuté, n'a pas "cédé" à des injonctions chinoises pour je ne sais quel marché ou contrat.

Cela faisait plus d'un an que la France demandait à ses partenaires européens de changer de méthode dans la promotion des Droits de l'Homme en Chine.

La résolution de Genève, chaque année avortée, n'avait pour résultat concret que de susciter une animosité chaque fois plus forte de Pékin et des pays du Sud à l'égard des pays du Nord. Sur le terrain des droits eux-mêmes, aucun résultat, bien au contraire, n'avait été obtenu.

Plus grave encore peut être, sur le terrain de la politique internationale, nous risquions de pousser le pouvoir chinois à un comportement ultra-nationaliste, exactement contraire à notre souci de mieux intégrer la Chine dans la communauté des nations.

En outre, ce rituel annuel tendant à faire condamner la Chine à Genève témoignait en fait d'une ignorance profonde de la culture et de la mentalité chinoises, ainsi que d'une méconnaissance des traces laissées par l'Occident dans l'Histoire de la Chine, traces qui, je l'ai rappelé tout-à-l'heure, ne sont pas toujours si glorieuses que cela.

Pour ces raisons, et avec une vision de l'avenir que je n'hésite pas à comparer à celle du général de Gaulle en 1964, le président de la République a opté pour la voie du dialogue, en indiquant que la France, cette année, ne s'associerait pas au dépôt d'une résolution condamnant la Chine.

Comme en 1964, la France a été le premier pays occidental à préférer le dialogue avec Pékin à la confrontation. Comme en 1964, nous avons été rapidement suivis sur cette ligne par d'autres pays occidentaux : l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, la Grèce, le Japon, l'Australie et le Canada.

Sitôt connue la décision française, le président chinois, M. Jiang Zemin, a annoncé au gouvernement français puis au monde entier que son pays signerait avant la fin de l'année le Pacte des Nations unies relatif aux droits économiques, culturels et sociaux. Il a également précisé que son pays envisageait favorablement la signature rapide du Pacte relatif aux droits civils et politiques.

L'approche non confrontationnelle que nous avons privilégiée a ainsi déjà obtenu un résultat concret que sept années de batailles de procédure à Genève n'avaient pu atteindre. Notre attitude ne consiste donc pas à renoncer de plaider la cause des Droits de l'Homme, cause française s'il en est !, mais à prôner un changement de méthode. L'expérience a déjà montré que nous avions raison.

La France continuera dans cette voie, celle d'un dialogue constructif et exigeant à la fois.

Ce dialogue, nous le mènerons également sur les questions de sécurité régionale.

Je note à cet égard que la Chine a accepté de mener avec nous un dialogue politico-militaire régulier, qui aborde sans complexe les problèmes sensibles, y compris ceux de la non prolifération. J'observe aussi que la Chine soutient la candidature de la France pour être membre du Forum régional de sécurité de l'ASEAN.

Notre dialogue, enfin, se prolonge dans sa dimension euro-asiatique. Depuis le Sommet de Bangkok en mars 1996, la France a l'ambition de renforcer la dimension européenne de sa politique asiatique ; l'adhésion de la Chine à cette perspective est un atout important et j'ai noté avec beaucoup de plaisir de nombreux points de convergence avec mon homologue chinois, M. Qian Qichen, en particulier lors de la réunion ministérielle de l'ASEM à Singapour au mois de mars dernier.

Comme la France, la Chine souhaite que le monde de demain soit un monde respectueux de la diversité des cultures et des langues, refusant l'hégémonie d'un seul modèle culturel, d'un seul type de musique, d'art, de cinéma. Nous sommes les uns et les autres désireux de contribuer à la constitution d'un monde multipolaire.

C'est pourquoi nous espérons que le voyage du président de la République en Chine sera aussi l'occasion de marquer de nouvelles avancées dans le domaine scientifique et culturel, par exemple par l'échange d'universitaires ou par le progrès de l'enseignement du français en Chine.

Enfin, bien sûr, je ne voudrais pas conclure cet exposé sans évoquer la dimension économique de nos relations, qui est évidemment essentielle.

Un point, d'abord, doit être clair : nos succès en la matière dépendent plus de la compétitivité générale de nos entreprises, de la constance de leur présence sur le marché chinois et de leurs investissements, que de décisions gouvernementales. En d'autres termes, la meilleure façon d'aider nos entreprises à être davantage présentes sur le marché chinois, c'est d'abord de restituer sa compétitivité à l'économie française, en diminuant les charges, en réduisant les déficits budgétaires et sociaux, en maîtrisant l'inflation -comme c'est déjà fait-, afin d'obtenir des taux d'intérêt particulièrement attractifs.

La situation de nos échanges avec la Chine n'est pas particulièrement satisfaisante : avec 1,7 % de part de marché, nous ne sommes que le 13ème fournisseur de la Chine.

Notre déficit, qui se creuse, a atteint 18MdF en 1996, même s'il est vrai que ce chiffre doit être relativisé puisque notre excédent avec Hong Kong atteint 12 MdF par an et 2/3 de nos exportations vers Hong Kong sont en fait réexportées vers la Chine continentale.

Quoi qu'il en soit, nous pouvons, et nous devons, faire mieux. Nos relations politiques avec Pékin, excellentes, ne sont pas nécessairement pour grand-chose dans ces résultats : le climat bilatéral est favorable à l'accroissement des échanges, mais force est de constater que nos entreprises profitent moins de la croissance chinoise que leurs concurrentes allemandes ou italiennes.

Pourquoi ?
Les Chinois nous disent que nous sommes trop chers et pas assez agressifs sur leur marché. Je crois qu'ils n'ont pas tort.

De notre côté, nous estimons que trop de barrières tarifaires et non tarifaires limitent notre accès au marché chinois dans des conditions anormales, en particulier sur les produits où l'on nous reconnaît une compétence universelle : l'agro-alimentaire, les vins et spiritueux, les articles de luxe, notamment.

C'est pourquoi nous demandons avec insistance un rééquilibrage du marché des avions civils, dominé aujourd'hui à plus de 80 % par les Américains, c'est-à-dire par Boeing, alors qu'Airbus détient en Asie une part de marché d'environ 40% .

C'est pourquoi nous demandons aussi une ouverture des marchés financiers, à la fois dans le domaine de la banque et de l'assurance -où nous comptons certaines des plus grosses entreprises mondiales dans le domaine-, de la grande distribution -où notre savoir-faire triomphe sur tous les continents-, des services maritimes et aériens, et dans celui des télécommunications de base.

C'est pourquoi enfin, nous demandons une application plus stricte des règlements protégeant la propriété intellectuelle et industrielle en Chine.

Bien entendu, nous espérons, sur chacun de ces sujets, obtenir rapidement des avancées substantielles de la part du gouvernement chinois.

Nous n'avons pas que des déboires sur le marché chinois fort heureusement, et chacun connaît les succès remportés grâce à une série de grands contrats. Je ne citerai que 3 exemples récents, la première raffinerie de Chine construite par Total, la deuxième centrale nucléaire de Ling Ao, dans le Guangdong, ou la vente, il y a quelques mois, de 30 Airbus A 320 et de 4 Airbus A 340.

Mais, pour intéressants économiquement et mobilisateurs psychologiquement que soient ces grands contrats, il nous faut aller au-delà et développer un flux plus régulier et plus diversifié d'échanges avec la Chine.

L'exposition commerciale que le président de la République inaugurera à Shanghai le 17 mai prochain témoignera de la qualité de notre offre ; plus de 300 entreprises, dont 65 % de PME seront là. Un nouveau départ est donc en cours, et je crois que le défi à relever constitue l'une des perspectives les plus exaltantes de notre temps.

Il est temps de conclure. Je crois que nous nous trouvons devant une nouvelle ère de nos relations avec la Chine. Les contentieux sont derrière nous. Un partenariat global, qui embrasse le champ politique, économique et culturel, nous attend. Le moment est venu de franchir le gué.

C'est ce que le président de la République fera du 15 au 18 mai prochain. Sachons ensemble l'accompagner dans cette nouvelle vision de la Chine moderne.

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 octobre 2001)