Interview de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, à RTL, le 20 juin 2002, sur la situation au Proche-Orient et la perspective du Conseil européen de Séville.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q - Monsieur le Ministre, merci de nous réserver une de vos premières sorties médiatiques. Vous partez bientôt au Proche-Orient, la tension y est encore extrêmement vive. Est-ce que la politique du nouveau gouvernement va être différente de celle du précédent ?
R - La politique de la France, c'est d'abord une volonté de paix dans cette région. On le voit bien, tous les jours, il y a de nouveaux attentats. Israël a été frappé hier, avant-hier. Je voudrais d'abord exprimer mon émotion et ma compassion pour toutes les familles des victimes, pour le peuple israélien qui est si cruellement frappé.
Notre sentiment aujourd'hui, c'est évidemment celui d'une très grande inquiétude devant la douleur du peuple palestinien qui ressent aujourd'hui de l'humiliation et l'absence d'espoir.
Inquiétude aussi devant la situation d'Israël qui souffre d'une très forte inquiétude concernant sa propre sécurité. Mais notre sentiment, c'est qu'il n'y a pas de fatalité. On peut aujourd'hui avancer vers la paix pour peu qu'un espoir existe et cet espoir ne peut être autre que celui de la paix. Entre la sécurité et la paix, évidemment la paix est la seule susceptible de régler cette situation d'insécurité dans la région.
Q - Et comment concrètement est-ce que vous allez, je dirais, marquer votre différence ? Hubert Védrine était par exemple très critiqué par le gouvernement israélien, tout le monde le sait. Est-ce que vous allez mener une politique différente ? Est-ce que vous allez avoir des positions différentes ?
R - La position de la France est d'être au service de la paix. Et c'est donc évidemment, pour un premier déplacement dans la région, d'écouter les uns et les autres et de mettre toute notre énergie, toute notre détermination au service de cette paix qui doit permettre de faire avancer les esprits.
Aujourd'hui, la communauté internationale le voit bien, on sait à peu près quels sont les grands éléments qui pourraient être ceux d'un règlement de paix. Il est important que cette communauté internationale apporte son énergie, la confiance, ses garanties à la région et je crois qu'un nouvel investissement de la communauté internationale est évidemment très important. Les Américains marquent une détermination à agir et à influencer très fortement la région. Je crois que tout ce qui peut être fait par les uns et par les autres est évidemment très important.
Q - Alors, on parle de l'Europe parce que le sommet de Séville s'ouvre vendredi. C'est un peu la une de tous les quotidiens aujourd'hui. L'Europe et les promesses de Jacques Chirac, candidat, peuvent être très contradictoires. Est-ce que cela va coincer ? Est-ce que l'on va arriver et l'on va figurer un peu comme les mauvais élèves de l'Europe parce que l'on a promis des baisses d'impôts, une baisse de la TVA et que tout cela peut être contradictoire avec les règles de l'Europe ?
R - Je ne crois pas du tout. La volonté européenne de la France, chacun la connaît. Cette volonté, elle s'exprime aujourd'hui très fortement. Il y a un nouvel engagement de la France en Europe. Nous sommes à la veille d'un grand élargissement et l'un des aspects les plus forts de Séville, c'est ce signal politique qui est donné aux pays candidats.
La nature de l'Europe elle-même va changer. Ce signal politique change complètement l'approche des choses : d'une priorité donnée aux problèmes de l'économie, nous sommes amenés aujourd'hui à effacer une des grandes fractures de l'histoire.
Je ne crois pas qu'il y ait contradiction.
Q - Donc c'est l'élargissement aux pays de l'Est, notamment à un certain nombre de pays de l'Est ?
R - Elargissement aux pays de l'Est qui ouvre et qui change la nature profonde de cette Europe.
Je ne crois pas du tout qu'il y ait de contradiction. Bien évidemment, chacun des Etats membres de l'Europe a des obligations, des impératifs, des devoirs vis-à-vis de ses citoyens et dans le cadre d'une campagne électorale, il est important de répondre aux aspirations de chacun de ces citoyens, mais il est important aussi - forts de l'avenir commun qui est le nôtre en Europe - d'essayer d'avancer dans le sort de cette Europe qui nous apporte plus. L'Europe, ce ne sont pas uniquement des contraintes, c'est aussi un espace plus grand, plus de capacités pour la France. Notre conviction, le président de la République l'a évidemment exprimée, c'est qu'il faut une France forte dans une Europe forte.
Q - Alors, concrètement, par exemple, on sent déjà une certaine colère des hôteliers, des restaurateurs qui disent : "à cause de l'Europe, la TVA ne va pas pouvoir baisser". On sent un agacement des Allemands qui s'inquiètent parce qu'ils disent : eh bien, ils veulent baisser les impôts, donc ils ne vont pas tenir la baisse du déficit budgétaire et l'euro va baisser. Alors, qu'est ce que l'on fait là concrètement ? On y va et on négocie ? Qu'est ce que l'on fait ?
R - Je crois qu'il faut travailler et c'est le sens de l'action du gouvernement français aujourd'hui. C'est-à-dire bien sûr respecter les engagements qui sont les nôtres au titre du pacte de stabilité qui est aussi d'ailleurs un pacte de croissance. Il faut donc se fixer des objectifs, respecter ses engagements, c'est très important.
Q - On respectera ?En 2004 ?
R - Respecter les engagements qui sont les nôtres. Vous savez que les ministres de l'Economie et des Finances se réuniront cet après-midi à Madrid pour essayer d'avancer et de régler le dossier avant le Sommet de Séville.
Il y a là une échéance importante. La France est déterminée à respecter ses engagements et déterminée à le faire au service, évidemment, des intérêts de la France parce que c'est un impératif pour nous sur le plan démocratique. Il y a des aspirations, il y a des problèmes qui se posent en France et au service de ce qu'est aujourd'hui notre ambition, une grande ambition, qui est celle de l'Europe.
Je ne crois pas que l'on puisse opposer ou que les choses soient contradictoires. Vous parliez tout à l'heure de la TVA pour les hôteliers : bien sûr les choses ne sont pas faciles, nous sommes tenus par un réseau de contraintes, mais il y a une volonté d'avancer et nous allons essayer de convaincre nos partenaires.
Vous savez que ce sont des décisions qui se prennent à l'unanimité, ce n'est pas la Commission seule qui décide dans son coin.
Q - C'est le Conseil des ministres ?
R - Absolument. Et l'important, c'est de respecter ce qui est la règle de l'Europe aujourd'hui. C'est à dire la volonté politique. C'est la volonté politique qui doit l'emporter et c'est pour cela que nous allons travailler aussi à Séville sur une Europe plus démocratique, plus transparente. C'est pour cela qu'il y a une autre grande échéance à laquelle nous travaillons tous ensemble, qui est la préparation de la Convention : Convention pour l'avenir de l'Europe, qui va essayer de déterminer les réformes institutionnelles indispensables. Le président Giscard d'Estaing, de ce point de vue, fait un formidable travail. Il porte la réflexion dans ce domaine et fera d'ores et déjà un point sur la réflexion commune à Séville. Il y a là, je l'espère, et j'en suis sûr, des propositions qui permettront d'être plus efficaces au niveau de l'Europe.
Il y a une réforme du Conseil qui a été proposée par Javier Solana, il y a là toute une série d'éléments sur la table qui permettront d'être plus efficaces, une réflexion sur la façon de prendre des décisions dans de meilleures conditions, car à Quinze aujourd'hui ce n'est pas facile. Imaginez à 25 ou 27 ! Il faut donc trouver des conditions, des moyens qui permettront de dégager évidemment des majorités ou un processus de décision qui permettra d'avancer.
Q - Donc, pour une Europe plus efficace et plus concrète. En un mot sur l'immigration, on va arriver à un accord très rapidement ?
R - Nous allons arriver à un accord, parce qu'il y a une volonté commune, parce que l'Europe dans son ensemble fait face à un problème très cruel, très difficile et qui est évidemment très compliqué sur le plan humain. L'Europe veut être fidèle à sa vocation humaniste et universaliste. Il n'est pas question de s'enfermer dans une Europe forteresse. Mais il faut évidemment faire en sorte que la législation commune soit renforcée pour faire face aux problèmes de l'asile, des réfugiés, de l'immigration clandestine. Vous savez qu'en Europe il y a plus de 3 millions d'immigrés clandestins. C'est donc un problème important. Il y a aussi, bien évidemment, le problème du contrôle des frontières et il y a le problème de la coopération avec les Etats tiers, c'est-à-dire ceux qui sont la source, l'origine de l'émigration clandestine. Ces pays souvent sont en grande difficulté. Nous pensons plutôt que de faire face....
Q - C'est plutôt les aider que les sanctionner, c'est cela la position de la France ?
R - Voilà, plutôt les aider, les encourager, prévoir des incitations qui leur permettent d'être plus efficaces. On est toujours plus efficace quand on convainc, quand on est partenaires vis à vis d'un problème, et le problème c'est d'établir là un partenariat pour lutter contre l'émigration.
Q - Votre ministre délégué, Noëlle Lenoir, est accusée par la gauche aujourd'hui d'avoir finalement reçu cette nomination de ministre en échange de son rapport favorable au président de la République lorsqu'elle était au Conseil constitutionnel et qu'elle a établi qu'il était protégé, qu'il bénéficiait d'une immunité ?
R - Noëlle Lenoir est une femme que je connais bien. C'est une femme de grande qualité, de grande expérience et c'est pour cela, et pour cela seul, qu'elle a été choisie pour entrer au gouvernement.
Vous savez en politique, évidemment la tentation est grande, surtout quand on perd, de s'adonner à la critique, et parfois à la basse critique. Je crois qu'il ne faut jamais se laisser guider par l'amertume. L'amertume est mauvaise conseillère.
Q - Il n'y a pas de remerciements, pas d'échanges de services ?
R - L'amertume ne vous grandit pas, et elle n'élève pas la démocratie. C'est je crois, quelque chose qu'il faut méditer.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le mardi 25 juin 2002)