Conférence de presse conjointe de MM. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, et Igor Ivanov, ministre des affaires étrangères de Russie, sur l'embargo en Irak, le conflit en Tchétchénie, le conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan sur le Haut-Karabakh et les relations diplomatiques franco-russes, Paris le 28 octobre 1999.

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Circonstance : Visite de M. Igor Ivanov, ministre des affaires étrangères de Russie, à Paris les 27 et 28 octobre 1999

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Je vais faire un bref résumé des sujets que nous avons abordés, Igor Ivanov et moi, même, hier et ce matin. Je ne vais pas faire un long développement, mais je voudrais simplement vous rappeler, avant de commencer que j'avais invité Igor Ivanov il y a déjà deux ou trois mois. Nous avons déjà eu très souvent déjà l'occasion de nous voir, de nous rencontrer, de participer à des réunions ensemble, mais il y a longtemps que je souhaitais qu'il puisse venir plus tranquillement, deux journées à Paris pour que l'on puisse parler de plus de sujets et de façon plus approfondie.
Nous avions donc fixé ces dates des 27 et 28 octobre et nous avons pu, en effet, à cette occasion, faire un point général des relations bilatérales entre les deux pays, passer en revue toute une série de questions liées à la sécurité en Europe et dans le monde et au désarmement.
Nous avons parlé du rôle de l'ONU, passé en revue un certain nombre de questions et de crises régionales. Nous avons parlé des Balkans bien sûr et du Kosovo, de l'Iraq, du Proche-Orient, de l'Asie centrale, de la situation du Pakistan et en Inde.
Nous avons parlé de la situation au Caucase du sud, notamment après les événements tragiques qui se sont produits en Arménie. Vous savez que nos deux pays font partie du Groupe de Minsk et qu'à ce titre ou à d'autres, nous sommes actifs pour, notamment, essayer d'aider l'Arménie et l'Azerbaïdjan à dépasser leurs contentieux et leurs conflits. Et bien sûr, nous avons, par ailleurs, parlé de la situation en Tchétchénie. J'ai dit à Igor Ivanov ce que nous en pensions, comment nous voyons les choses et il m'a présenté son analyse de la situation.
Je n'entre pas dans le détail des points, nous allons le faire maintenant et je dois dire que j'ai été très heureux d'accueillir Igor Ivanov qui était accompagné à Paris par son épouse et je crois qu'il est très utile, dans cette relation franco-russe qui est vraiment dense, vraiment importante pour nous, à tout point de vue, cela nous permet d'aborder de grands sujets il est très important d'avoir ce type de rendez-vous plus approfondis, indépendamment des échéances immédiates, de l'actualité immédiate et indépendamment des grands sommets, nous avons besoin de travailler ainsi, sérieusement, en confiance mutuelle et sur le fond des sujets.
C'est ce que nous avons fait ensemble et c'est ce que nous continuerons à faire dans les temps qui viennent.
Q - (sur l'Iraq)
R - Sur l'Iraq, nous continuons naturellement à penser que la mise en place d'un nouveau système de contrôle satisfaisant, aussi bien sur le plan du réarmement que sur le plan financier devrait nous permettre de suspendre l'embargo. C'est la ligne générale de notre travail ; nous y travaillons depuis longtemps, depuis plusieurs mois au sein du Conseil de sécurité, nous espérons toujours aboutir à un résultat qui permette aux cinq membres permanents de voter un même texte; C'est dans cet esprit que nous avons aujourd'hui, encore, travaillé ensemble, à rapprocher les points de vue au sein du Conseil de sécurité, à partir de nos démarches qui sont très convergentes.
Q - la France condamne-t-elle les actions de l'armée russe en Tchétchénie ?
R - Notre position par rapport à la Tchétchénie est la suivante : nous reconnaissons évidemment l'intégrité territoriale russe et la souveraineté russe qui n'est contestée d'ailleurs par personne sur ce Caucase du nord. Nous sommes tout à fait d'accord qu'il faut lutter contre le terrorisme et beaucoup d'Occidentaux ont d'ailleurs été victimes, dans cette région du Caucase du nord, de crimes épouvantables de la part de divers terroristes, notamment des gens qui étaient là pour des raisons humanitaires, pour aider les populations. Pour autant, nous pensons que ces deux points ne justifient pas l'escalade telle qu'elle s'est déroulée, telle que nous l'avons constatée ces dernières semaines. Nous déplorons les conséquences humanitaires qui découlent de cet engrenage et de cet enchaînement ainsi que les conséquences pour la stabilité régionale. Nous pensons que des moyens purement militaires ne peuvent évidemment pas aboutir à une solution qui soit durable et stable et que, par conséquent, il faudrait revenir à la recherche d'une solution politique, c'est d'ailleurs ce qui avait été envisagé il y a quelques années.
Une solution politique, un processus politique, cela signifie dialogue politique à un moment donné. J'ai donc demandé à Igor Ivanov, dans nos conversations dans quelles conditions la Russie pouvait s'engager dans la désescalade et d'autre part, ce que ferait la Russie pour veiller à la sauvegarde des populations civiles et pour veiller aux conséquences humanitaires. Je lui ai demandé ce qu'il pouvait faire pour garantir des conditions de sécurité en vue d'un libre accès par les organisations spécialisées aux personnes réfugiées et déplacées. Il a en partie tout à heure en répondant à une autre question sur ce plan; mais la clef, c'est la relance d'un processus politique permettant d'aboutir à une solution durable et stable.
Q - Quels progrès pensez-vous pouvoir faire après les événements en Arménie sur la recherche d'une solution pour le Karabagh avant le sommet d'Istanbul ?
R - Au sein du Groupe de Minsk, nous avons beaucoup travaillé, ces dernières années à la recherche d'une solution pour que cet affrontement sur le Haut-Karabagh puisse être dépassé et pour permettre à l'Arménie et à l'Azerbaïdjan, ayant réglé ce contentieux de développer des relations normales qui sont très importantes pour la région. Vous connaissez l'activité de la diplomatie russe qui est considérable, l'activité de la diplomatie américaine également, nous ne savons pas encore exactement quel est le rapport entre ceci et cela. Vous parliez des événements récents, évidemment, ce sont des événements consternant que nous avons déplorés de toutes les façons et je réexprime ici, publiquement, notre sympathie, nos condoléances, notre compassion par rapport aux familles des personnalités, des dirigeants et des différentes personnes qui ont été assassinés dans ces conditions tragiques. Nous sommes en train de procéder à l'évaluation de cet événement et des conséquences de cet événement sur une situation déjà très compliquée. Il y avait eu, ces dernières semaines, quelques espoirs d'évolution justement sur cette question du Haut-Karabagh, nous sommes en train de voir si cela les remet en cause ou non. Et nous avons bien l'intention de travailler intensément, d'ici au sommet d'Istanbul, pour essayer de nous rapprocher d'une solution. Dans les prochains jours, il y aura donc un certain nombre de contacts entre les uns et les autres, et nous restons notamment en contact entre Russe et Français pour voir ce que nous pouvons faire.
Il faut tout faire pour que cet événement, même s'il n'était pas lié à cette question du Haut-Karabagh, de toute façon, c'est un événement qui est désastreux par rapport à la situation régionale, il faut tout faire pour que les conséquences de cet événement soient limitées le plus possible et que nous puissions reprendre ce travail pour la recherche d'une solution dans le Caucase, travail déjà bien difficile mais que nous devons mener à bien pour essayer d'apporter un peu plus de paix et de stabilité dans cette région.
Q - (sur les échanges d'archives)
R - Sur les archives, nous nous sommes mis d'accord, nous avons signé un texte qui va permettre une excellente coopération. Ce texte a été signé hier. Sur les initiatives, nous ne sommes plus à l'époque de l'Union soviétique. A l'époque de l'Union soviétique, c'était extraordinaire et étonnant qu'il y aient des initiatives conjointes et elles étaient présentées de façon spectaculaire mais nous n'en avons plus besoin aujourd'hui parce que nous travaillons ensemble très fréquemment, nous sommes toujours en train de traiter d'un sujet ou d'un autre, d'agir étroitement, de discuter ensemble sur l'Iraq au sein du Conseil de sécurité, de travailler ensemble au sein du G-8 sur beaucoup de sujets, comme nous l'avons fait avec beaucoup de résultats je crois au sein du Groupe de contact, de travailler ensemble pour préparer Istanbul, travailler ensemble à propos de la sécurité en Europe, nous n'avons donc pas besoin d'initiatives conjointes spectaculaires. Cela aurait aujourd'hui un caractère un peu artificiel en réalité compte tenu du degré de relations que nous avons atteint et du degré de coopérations et de travail en commun. Nous n'en avons pas besoin pour travailler comme nous le faisons de façon moderne, normale, informelle, efficace. Nous allons continuer comme cela, et les sujets sur lesquels nous travaillons sont ceux que nous avons tous les deux énumérés dans nos introductions et vous voyez qu'ils sont nombreux.
Q - La guerre en Tchétchénie a-t-elle affectée les relations avec les Etats-Unis et y a-t-il des discussions de désarmement avec les Etats-Unis prévu et quand ?
R -Je rappelle que la France est évidemment favorable à ces ratifications et de même que la France est évidemment favorable aux respects du Traité ABM, autre sujet important dont nous avons parlé.
Q - Avez-vous parlé du processus de paix ? Comment allez-vous agir pour aider ce processus à progresser dans la cadre de la visite prochaine de M. Védrine?
R - Nous en avons parlé, nous avons fait le point de la situation, nous avons analysé les difficultés. (...).
Nous allons continuer à encourager les protagonistes soit à ouvrir les négociations, soit à les continuer et à les faire aboutir et nous avons des vues assez voisines sur le type d'accord équitable et stable auquel il faudrait parvenir dans les deux cas. Nous resterons en liaison pour voir comment nous pouvons être utile ensemble.
Q - (sur le blanchiment d'argent)
R - En ce qui concerne la France, nous sommes évidemment très engagés dans la lutte contre le blanchiment, cela se traduit à la fois par des perfectionnements constants de la législation nationale, par les initiatives que nous prenons au niveau européen ou par les textes et les mesures que nous soutenons et que nous acceptons au niveau européen, par ce qui se passe au sein du G-8. Igor Ivanov a fait allusion à une réunion récente à Moscou qui était tout à fait utile et d'autre part, par le travail qui est fait au sein des institutions financières internationales, ceci formant un tout puisque l'on ne peut être efficace sur cette question que si on a une approche globale à tous les niveaux. Notre engagement est clair et entier sur ce point./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 novembre 1999)