Interviews de M. Hamlaoui Mekachera, secrétaire d'Etat aux anciens combattants, à Europe 1 et RTL le 5 juillet 2002, sur les harkis, l'anniversaire de l'indépendance de l'Algérie et la question de la torture pendant la guerre d'Algérie.

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Circonstance : 40e anniversaire de l'indépendance de l'Algérie

Média : Emission L'Invité de RTL - Europe 1 - RTL

Texte intégral

Quelle est votre première pensée en ce jour anniversaire ?
- "L'anniversaire de l'indépendance de l'Algérie n'est pas un problème franco-algérien ; c'est un problème algérien. C'est un problème algérien, ils fêtent leur indépendance, c'est tout à fait normal. Cela n'implique pas la moindre réflexion, sinon que chaque pays a le droit de fêter les dates anniversaires qui sont les plus importantes."
Vous avez rencontré, ce matin, je crois, le président de la Fédération nationale des Anciens combattants d'Afrique du Nord ?
- " Oui, la Fnacan.
De quoi avez-vous parlé ?
- "De tous les dossiers que nous avons à ouvrir, et à essayer de rapprocher les points de vue. Ils ont quelques revendications, ce qui est tout à fait normal et légitime, pour leur mouvement associatif. Pour notre part, nous essayons d'ouvrir un certain nombre de dossiers qui n'ont peut-être pas été assez ouverts. Dans la franchise et dans la clarté, nous essayons de rapprocher nos points de vue sur des dossiers plus ou moins faciles à traiter."
Par exemple, est-ce que la situation des harkis en France vous préoccupe ?
- "Oui, cela ne peut pas laisser les Français indifférents, et surtout moi. Mais ceci dit, moi qui suis secrétaire d'Etat aux Anciens combattants, la spécificité des Anciens combattants est de s'occuper, comme dirait La Palice, des anciens combattants..."
...Qui sont de moins en moins nombreux.
- "Ils sont quand même 4, 5 millions de ressortissants. Pour les rapatriés, les harkis, - comme vous venez de le dire -, le Gouvernement a pris une initiative très importante - le Premier ministre et l'impulsion également du Premier ministre -, de mettre en place une mission interministérielle auprès du Premier ministre ; c'est très fort et très important. Son président a été installé par le Premier ministre ; l'organe est en train de se mettre en place pour prendre ce dossier à bras-le-corps, sans perte de temps. Nous sommes à la disposition, comme les autres ministères - puisque c'est une mission interministérielle - de cette mission, dans la mesure où on peut l'aider sur des demandes concernant tel ou tel point."
Que pensez-vous de l'Algérie d'aujourd'hui ? Certains disent "quel gâchis !"
- " D'abord, on leur souhaite évidemment d'avoir la paix - ce sont nos voisins, c'est à 700 km, c'est-à-dire à une portée de voiture s'il n'y avait pas la Méditerranée - et puis la réussite. Nos relations sont bonnes avec l'Algérie ; elles pourraient être encore meilleures s'il n'y avait pas tous ces problèmes-là. Franchement, on souhaite qu'ils aient la paix, la prospérité car, maintenant, à l'échelle planétaire, tous les pays ont évidemment des intérêts sous-jacents.
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 juillet 2002)
R. Elkrief Vous êtes né en 1930 en Algérie et vous avez été "enfant de troupe", c'est-à-dire fils de militaire. Vous avez également été directeur d'hôpital par la suite en France, où vous vous êtes beaucoup intéressé à la prise en charge psychologique. Vous êtes le deuxième ministre musulman français dans le Gouvernement aujourd'hui. Cela veut-il dire que la droite est plus sensible à l'intégration que la gauche ?
- "Je ne peux vous répondre qu'affirmativement puisqu'on a tous la preuve que d'autres ont promis mais n'ont jamais mis à exécution. Cela n'a été que des discours. Le Président Chirac a pris des engagements, il les a respectés, dont acte. Et tout le monde constate que deux ministres..."
Avec T. Saïfi, la secrétaire d'Etat au Développement durable.
- "Tout à fait et qui est une excellente collègue."
Vous voulez être un symbole ?
- "Non. C'est toujours un symbole, bien entendu. En tous les cas, c'est une prise de décision de la part du président de la République, qui est très importante. Il ne faut pas l'amenuiser. Mais il faudrait que cette prise de responsabilité par cette population devienne banale, c'est-à-dire comme tout un chacun, selon les capacités d'assumer des responsabilités, que cela se fasse sans que pour cela on puisse mettre en exergue l'origine ou l'appartenance extérieure des uns ou des autres."
Vous avez dit, vous qui travaillez aussi sur l'intégration, que c'est l'obligation d'être en harmonie avec le reste de la société dans laquelle on vit.
- "C'est évident. Un habitant de l'Amazonie ne vient pas se promener en petite tenue sur la Place de la Concorde à midi."
Cela veut dire quoi ? Cela veut dire que les populations d'origine immigrée ont le devoir de s'adapter ?
- "Cela n'empêche pas que l'on garde ses racines, ses souches, etc. Mais quand on vit au milieu d'une collectivité humaine organisée comme la nôtre, il y a une obligation d'être en conformité avec le milieu qu'on a choisi librement. Personne n'est quelque part de force ! Il y a une minimum comportemental, un minimum d'appartenance à la collectivité humaine vivant en France."
Vous êtes secrétaire d'Etat aux Anciens combattants : c'est 4,5 millions de personnes, c'est-à-dire les Anciens combattants, mais aussi leur famille et les ayants-droit. Qu'attendent-ils aujourd'hui de vous ? Que pouvez-vous leur apporter ?
- "Il attendent d'abord de l'Etat une véritable reconnaissance. Un ancien président de la République - c'était Giscard d'Estaing en l'occurrence - disait que les Français avaient surtout besoin de reconnaissance et de considération. Ensuite, ils ont un certain nombre de revendications, comme tout groupe humain dans une société démocratique comme la nôtre, ils ont des aspirations, ils ont des demandes Nous sommes en train d'ouvrir un certain nombre de dossiers. Nous n'avons pas fait de choix de priorité, mais nous ne perdons pas de temps, comme d'ailleurs tous mes autres collègues dans leur domaine. Nous travaillons beaucoup et nous ne voulons surtout pas perdre une journée de notre travail."
Certains, quand ils entendent Anciens combattants, entendent souvent harki. Cela va-t-il passer aussi par une reconnaissance plus grande des droits des harkis ?
- "En connaissance des droits des harkis, même si cela s'adosse un peu aux Anciens combattants, c'est un peu spécifique. C'est une population qui a été chahutée, bahutée, revenant d'Algérie dans des conditions épouvantables, et que nous avons prise en considération déjà le 11 juillet 1994 par la loi dite "Romani". C'était un débat législatif important qui a été - et c'est rare chez nous - voté à l'unanimité par les deux chambres, par le Parlement. Bien sûr, il reste des choses à faire. Avec le président de la République, on a mis en place une mission interministérielle auprès du Premier ministre. Vous voyez, là aussi, le symbole important..."
C'est une importance accordée au problème.
- "Donc, c'est en cours. Les Anciens combattants ne se désintéressent pas, mais ce n'est pas leur sphère de compétences directes."
Parlons des relations franco-algériennes ; cette semaine, les 4-5 juillet marquent l'indépendance de l'Algérie en 1962. Ne faut-il pas vider les contentieux ? Dit-on vraiment les choses ? A-t-on fait ce devoir de mémoire indispensable, à la fois en France sur la guerre d'Algérie et aussi évidemment en Algérie sur les premières années du nouveau pouvoir ?
- "Pas tout à fait, certainement. Cela se fait progressivement. Il ne faut pas précipiter les choses. Il faut les faire doucement mais sûrement. Et c'est en train de se faire. Quand on voit des tas de révélations..."
Sous la torture, notamment, de l'armée...
- "Voilà. Mais il faut que cela appartienne à l'Histoire même si elle est pénible. Il faut vivre avec son temps aussi, il faut vivre avec l'avenir. Il y a des générations nouvelles qui n'ont pas connu cette guerre d'Algérie et ce n'est pas la peine de les traumatiser. Il faut leur expliquer sainement : l'Algérie est un pays indépendant, souverain, avec lequel la France a de bonnes relations."
Passionnées néanmoins ?
- "Oui, tout à fait mais dans le bon sens du terme. Il y a beaucoup de choses à dire encore certainement..."
Vous comptez participer personnellement à ce devoir de vérité ?
- "J'ai été jeune officier en Algérie, on avait donc des responsabilités limitées. Très franchement, je n'étais pas aseptisé mais je vous assure que je n'ai pas vu ces tortures personnellement. C'est a posteriori que j'ai entendu des tas de choses, et probablement il y a eu des débordements. Mais dans les unités où j'ai servi, jamais je n'ai vu ce genre de choses et je ne l'aurais pas admis."
Certains demandent de définir une autre date anniversaire de la fin de la guerre d'Algérie que celle du 19 mars - date des accords d'Evian - parce qu'elle était trop douloureuse et qu'il y a eu des affrontements après.
- "Les gens se jettent des chiffres de part et d'autre pour savoir combien... Il y a eu des exactions importantes - il faut le savoir - qui ont suivi les accords d'Evian à partir du 19 mars. C'est vrai que pour les harkis, pour ceux qu'on appelle des Pieds-noirs, des Français d'Algérie, c'est une date pénible. Maintenant, pour le monde combattant, la solution est entre les mains des associations représentatives. C'est à elles de se mettre autour d'une table. Et qui est mieux placé que des frères d'armes au sein des Anciens combattants pour s'entendre ? Ils doivent s'entendre sur une date et l'Etat, dont acte. Ce n'est pas à l'Etat d'imposer une date."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 juillet 2002)