Conférence de presse conjointe de MM. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères et Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur la situation en Irak après la mission de M. Kofi Annan, la volonté européenne de voir appliquées les résolutions de l'ONU et sur la poursuite des aides financières européennes au Proche-Orient, Bruxelles le 23 février 1998.

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Circonstance : Conseil affaires générales à Bruxelles (Belgique) le 23 février 1998

Texte intégral

Mesdames et Messieurs, nous allons vous dire brièvement les sujets qui ont été abordés au cours de ce Conseil Affaires générales, jusqu'ici en tout cas. Nous avons procédé à une analyse des positions de l'Union européenne sur la Chine, d'autre part sur l'Iran et le déjeuner de travail du Conseil Affaires générales, qui se termine maintenant, a été consacré essentiellement, mais pas uniquement à la situation en Iraq. Avant le déjeuner, nous avions également entendu un rapport fort intéressant du président Santer sur son voyage au Proche-Orient et, au cours du déjeuner, M. Robin Cook nous a présenté plus en détail le calendrier de la suite de la Présidence britannique, et notamment celui du mois de mars où nous aurons une période extrêmement chargée, en ce qui concerne la Conférence, à l'occasion du lancement des négociations d'élargissement. Voilà les points principaux qui ont été abordés jusqu'ici.
Maintenant je préfère vous demander si vous avez des questions.
Q - Quel est le sentiment de la France après l'accord atteint par M. Annan à Bagdad ? Est-ce que les Etats membres ont retrouvé leur unité aujourd'hui sur la crise iraquienne ?
R - Le ministre - D'abord sur le premier point, aujourd'hui ce que nous connaissons à ce stade, c'est que M. Kofi Annan a annoncé qu'un accord avait pu être réalisé. Cet accord a été signé entre lui et M. Tarek Aziz. Nous réservons à la réunion du Conseil de sécurité, qui aura lieu sans doute demain, je pense, nos analyses et nos réactions puisque nous ne connaissons pas encore les termes exacts de cet accord. Donc, nous saluons l'effort qui a été fait par M. Kofi Annan et sa mission, et le travail persévérant qu'il a accompli. Nous nous réjouissons naturellement de cette annonce et nous espérons que l'accord qui sera présenté répondra aux attentes, que vous connaissez bien, du Conseil de sécurité . Voilà où nous en sommes. A ce stade c'est tout à fait prématuré d'aller au-delà dans le commentaire et ce sera le cas jusqu'à la réunion du Conseil de sécurité.
En ce qui concerne les pays de l'Union européenne, ils ont toujours été unis sur l'essentiel, c'est-à-dire la nécessité de voir appliquer les résolutions du Conseil de sécurité qui ont créé la Commission de contrôle de façon à ce que celle-ci puisse effectuer son travail complètement et sans entrave, et aboutir au bout du compte au démantèlement de toutes les armes de destruction massive dont l'Iraq avait pu se doter. Il n'y a jamais eu la moindre divergence sur ce point, sur ce principe général - qui est fondamental - et sur cet objectif, ni au sein du Conseil de sécurité, ni au sein de l'Union européenne. Il avait pu apparaître, par anticipation en quelque sorte, des différences de position à propos de l'éventuelle utilisation de frappe militaire dans l'hypothèse où aucun accord n'aurait pu être réalisé. C'était des spéculations par anticipation sur une hypothèse qui ne s'est pas concrétisée. Nous ne sommes pas dans cette situation. Les pays membres de l'Union n'ont donc pas de mal aujourd'hui à saluer le travail de M. Kofi Annan, et naturellement à espérer que l'accord obtenu permettra de régler l'ensemble du problème maintenant, et de façon durable.
Q - Mais vous ne pouvez quand même pas nier que la Grande-Bretagne se soit alignée immédiatement sur les Etats-Unis, alors que la France prônait plutôt une voie diplomatique, ceci est apparu aux yeux du monde entier. De plus, il n'y a pas eu de discussions entre vous au sujet de l'Iraq...
R - Le ministre - Je ne peux que répéter ce que je viens de dire qui est que la différence de position portait sur une hypothèse qui ne s'est pas réalisée jusqu'ici. Cette différence de position ne s'est pas concrétisée puisqu'on ne s'est pas trouvé dans cette situation. En revanche, pendant toute cette période il y a eu de nombreuses discussions au sein du Conseil de sécurité ou des échanges entre les différents membres permanents, les pays de l'Union européenne et de très nombreux autres pays à propos de l'évolution de cette crise et de ses différentes étapes. Il n'y a jamais eu de désaccords, je ne peux que le répéter. Il n'y a pas eu de désaccords sur l'objectif fondamental. Il y avait des différences d'approche sur les moyens employés dans l'hypothèse où les efforts pour obtenir une solution diplomatique n'aboutissaient pas. Donc cela reste ce que j'indiquais : c'était une éventuelle différence de position à propos d'une hypothèse. Tout cela, c'était des spéculations et pour le moment nous avons plutôt le sentiment - on le saura plus complètement après la réunion du Conseil de sécurité - mais nous avons le sentiment que, précisément, les choses s'engagent dans une autre voie. C'est tant mieux.
Q - Est-ce que vous pensez que les pressions sur l'Iraq ont joué un rôle positif comme l'a dit M. Robin Cook ?
R - Le ministre - Il y a une combinaison d'éléments qui ont conduit à ce qui apparaît comme un accord, encore une fois sous réserve d'en vérifier le contenu. Il est clair que les pressions, sans une proposition acceptable, n'auraient pas suffi et qu'une proposition acceptable sans pression n'aurait peut-être pas suffi non plus. Encore une fois nous ne sommes pas tout à fait au terme. Je voudrais vous mettre en garde contre la tentation d'analyser, de tirer des conclusions et de faire des commentaires comme si l'ensemble de cette affaire était terminée. M. Kofi Annan doit présenter les termes de l'accord qu'il a signé avec les autorités iraquiennes au Conseil de sécurité. Et c'est là où l'évaluation aura finalement lieu.
Q - Est-ce que vous savez déjà si l'accord qui a été conclu par M. Kofi Annan et les Iraquiens prévoit un calendrier, éventuellement des sanctions ? Est-ce que c'était dans vos propositions ?
R - Le ministre - Les propositions françaises s'appuyaient sur la position française de toujours qui était de dire que lorsque l'ensemble des conditions posées par la résolution 687 seront remplies, eh bien l'article 22 devra jouer, c'est-à-dire la levée de l'embargo. La France a dit depuis toujours - ce n'est pas lié uniquement à la crise récente -, qu'il n'y avait pas pour elle de résolutions cachées, prescrivant que même si toutes les résolutions étaient remplies, on en trouverait d'autres pour ne pas lever l'embargo. La position de la France a toujours été claire et nette sur ce point. Seulement je ne sais pas à ce stade ce qui est ou ce qui n'est pas dans l'accord signé à Bagdad à ce sujet. Il y a peut-être des sujets liés aux autres activités du Conseil.
Q - Monsieur le Ministre, croyez-vous que c'est le moment de mettre la pression aussi sur les autres gouvernements dans la région qui ne respectent pas les résolutions de l'ONU ? Je pense notamment au gouvernement israélien...
R - Le ministre - Il faut toujours faire un effort pour que l'ensemble des résolutions du Conseil de sécurité, qui ne sont pas votées à la légère, soient appliquées quand elles ne le sont pas.
Q - Qu'est-ce que vous - je ne vous demande pas, Monsieur le Ministre, d'anticiper les discussions de demain soir - pensez de l'idée, notamment exprimée dans la presse américaine, que l'une ou l'autre puissance pourrait avoir un droit automatique de recours à la force si par malheur cet accord devrait être suspendu ?
R - Le ministre - Je ne vais pas réagir sur des spéculations de la presse américaine.
Q - Pouvez-vous nous parler de la crise asiatique et de la proposition française de faire envoyer par l'Union européenne un envoyé spécial dans la région ?
R - Le ministre - Pas encore Madame.
Q - Est-ce que vous pouvez expliquer un petit peu quelle est votre idée ?
R - Le ministre - Succinctement parce que comme la discussion n'a pas encore eu lieu, je ne voudrais pas être trop détaillé. La France pense que l'action des différents pays membres de l'Union européenne est plus profonde et plus significative que ce que l'on croit à propos de la crise en Asie, ne serait-ce qu'en raison du rôle qu'un certain nombre de pays européens importants joue au sein du Fonds monétaire international et du rôle que cette organisation a joué dans cette affaire. Donc c'est plus un problème de visibilité qu'un problème de contenu. Pour cette raison, nous avons suggéré à nos partenaires qu'il y ait un envoyé de l'Union européenne dans les prochaines semaines. Mais nous n'en sommes que là, donc je n'en dirai pas plus.
Q - Monsieur le Ministre, sur l'Iraq est-ce que vous avez le sentiment que vous avez été aidé dans votre action diplomatique par d'autres pays européens ?
R - Le ministre - L'accord c'est celui, pour le moment, signé par M. Kofi Annan. Ce que l'on peut dire c'est que depuis un certain nombre de jours la France a été très en pointe pour essayer de formuler, de concevoir - à l'intention du Secrétaire général justement pour qu'il puisse effectuer cette mission -, une proposition qui serait de nature à dénouer la crise des sites présidentiels tout en étant strictement conforme aux résolutions du Conseil de sécurité. La France a fait un travail sur ce plan qui a été reconnu. J'ai noté pendant toute cette période que cet effort de la France a été fait en très étroite concertation avec tous ses partenaires, à toutes les étapes, à tout moment, cet effort n'a jamais été critiqué et il a été même plutôt soutenu. Cet effort entre certainement en ligne de compte. Il entre pour une part, à vous de l'analyser, dans les résultats qui semblent avoir été obtenus. Encore une fois nous ne sommes pas encore arrivé au terme.
Q - En ce qui concerne le voyage de M. Santer au Proche-Orient, apparemment il est revenu assez irrité de voir que tout l'argent qu'on donne pour le développement de la Palestine ne sert pas à grand chose. Est-ce qu'on peut envisager que ce type de voyage, ce type de conclusions qui se fait ait un impact ?
R - Le ministre - D'abord vos propos rendent assez compte, en effet, de l'état d'esprit du compte-rendu du président Santer sauf de sa conclusion parce que sa conclusion est malgré tout de persévérer. L'Union européenne doit être présente. Elle doit s'obstiner, elle doit chercher à rendre son intervention - qui est financièrement dominante puisque c'est elle qui apporte le plus -, plus efficace. Ce rapport a été fait pour inciter les membres du Conseil à réfléchir à la façon de rendre cette action, ces aides, ces subventions plus efficaces.
Q - Monsieur le Ministre, l'accord sur l'Iraq. Est-ce qu'à votre avis la conduite de la présidence britannique a été représentative des différents points de vue de tous les membres ?
Il n'y a pas eu de problème de présidence puisque, comme je vous l'ai indiqué tout à l'heure, il y avait un accord profond des Européens sur l'essentiel dans cette affaire, la nécessité de faire appliquer les résolutions, la nécessité d'aboutir à ce que la Commission puisse continuer son travail, etc... Je ne vais pas reprendre toutes les résolutions. Il y avait un accord fondamental sur ce point. Il n'y a pas de commentaires particuliers à faire là-dessus.
Q - Mais la présidence avait quand même quelques réticences à publier la résolution de vendredi dernier ?
R - Je n'ai rien relevé de tel et je n'ai pas de commentaires à faire.
Q - Quelle position vous avez défendue dans la discussion sur les négociations avec la Suisse ?
R - Le ministre - C'est M. Moscovici qui va répondre :
R - Le ministre délégué - Nous sommes restés dans la ligne générale qui est de considérer qu'il fallait maintenant avoir une attitude plus positive. La Suisse elle-même semble décidée depuis le début de l'année à reprendre plus sérieusement les négociations. Donc on a eu, comme vous le savez, un pré-accord sur les transports en janvier dernier. Nous espérons que l'on pourra avancer sérieusement sur ce point . En même temps, nous pensons qu'il reste encore beaucoup de chemin à faire et beaucoup de sujets sur lesquels les Suisses doivent confirmer leur volonté de faire aboutir les négociations. Je pense notamment à la libre circulation des personnes et à l'agriculture. Au total il nous apparaît, comme à l'ensemble des pays, que le dossier n'a pas suffisamment progressé pour être conclu à ce stade. On note en même temps une attitude plus favorable des Suisses qui répond, de notre part également, à une volonté d'avancer.
Q - M. Védrine, je voudrais revenir sur l'Iraq, sur l'analyse qu'on peut en faire pour la PESC. Si je comprends bien Saddam Hussein nous a rendu un fier service puisqu'il a évité que nous constations nos divergences profondes sur l'essentiel qui est le recours à la force. Est-ce que c'est bien votre analyse ?
R - Le ministre - Ce sont vos commentaires.
Q - L'essentiel quand même dans la PESC, c'est : "va-t-on faire la guerre ou ne pas faire la guerre" ?
R - Le ministre - Non, j'ai déjà dit à ce sujet que c'étaient des spéculations sur une hypothèse qui ne s'est pas concrétisée.
L'essentiel était de savoir si les Etats membres étaient d'accord sur l'objectif. Vous auriez pu parler d'un désaccord fondamental si certains pays étaient d'accord avec les résolutions, d'autres non. Si certains pays pensaient que la Commission de contrôle devait contrôler, d'autres non. Il n'y a eu aucun désaccord fondamental de ce type, aucun. Il y avait des appréciations différentes sur l'opportunité de tel ou tel type d'actions si un accord diplomatique n'avait pas pu être conclu. Je ne peux que me répéter, mais je vous le dis sérieusement : je crois qu'il faut relativiser cette façon d'exacerber les différences de posture sur tel ou tel point.
Sur la PESC en général, c'est un jeu trop facile de constater dans telle ou telle crise, importante ou pas importante, que les pays membre de l'Union européenne n'ont pas encore exactement au millimètre près la même position. Qu'est-ce que cela prouve ? Cela ne prouve rien. Si l'Europe était déjà une Europe unie avec une politique étrangère commune, on ne serait pas en train de la fabriquer pas à pas. Donc je crois que c'est une démonstration qui n'apporte rien. Tout le monde sait que quand on a décidé d'élaborer petit à petit, avec beaucoup d'ambitions, une politique étrangère commune, ce n'est pas une décision du genre "on va mettre en service le Tunnel sous la Manche tel jour". C'est quelque chose qui s'élabore au fil du temps, étape après étape, en élargissant progressivement les positions sur lesquelles les Quinze ont une approche commune. Cela suppose du travail, cela suppose des réflexions, beaucoup d'échanges. Les Quinze sont des pays très différents, avec des histoires différentes, des cultures différentes. Naturellement c'est plus compliqué que quand on est dans un seul pays où il n'y a qu'à mettre d'accord les différents éléments du pouvoir de ce pays. Je crois que ceux qui sont ambitieux pour l'Europe sur ce plan doivent en même temps expliquer que la persévérance va de pair avec cette ambition. Si on est volontariste, plus on l'est, plus on doit être patient, plus on doit être tenace. Plutôt que de souligner à chaque étape, sinon que le phénomène d'harmonisation générale des esprits pourrait conduire à des réactions identiques sur l'ensemble des sujets qui peuvent se présenter, ne soit pas encore accompli, on pourrait également souligner que, étape après étape, les Quinze ont une approche très cohérente et très convergente sur la situation du processus de paix au Proche-Orient, qu'ils ont des positions de plus en plus convergentes sur la question chinoise ainsi que sur la façon dont il faut évoluer par rapport aux évolutions qui se produisent en Iran...
Q - Un mot sur le Proche-Orient, Monsieur le Ministre. Est-ce que finalement cette affaire a renforcé la situation d'un Netanyahou affaibli au cours des dernières semaines ? Est-ce que vous avez réfléchi à cela avec vos confrères européens et est-ce que vous envisagez, à ce sujet, une nouvelle politique, une nouvelle attitude dans les semaines qui viennent ?
R - Le ministre - Je crois que l'analyse des pays membres de l'Union européenne sur la situation du processus de paix est très convergente, qu'elle est de plus en plus convergente. Notre préoccupation est constante et même croissante. C'est difficile à ce stade de mesurer s'il y a un impact ou pas d'impact, dans quel sens, d'une crise sur l'autre. Cela a été un des objets de discussion d'aujourd'hui autour du rapport du Président Santer, comme je vous l'indiquais. Voilà, je vous remercie./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 septembre 2001)