Texte intégral
PIERRE-LUC SEGUILLON
Commençons par cette mise en uvre du devoir ou du droit d'ingérence. Nous sommes intervenus au Kosovo avec l'ensemble des alliés dans le cadre de l'OTAN. Nous sommes parvenus au retrait des forces de Milosevic. Mais ne sommes-nous pas aujourd'hui dans une situation particulièrement délicate ? Qu'est devenu exactement le Kosovo ? Ce n'est pas la province autonome yougoslave ?
ALAIN RICHARD
Si. Nous avons, en effet, des problèmes. Nos objectifs politiques centraux premiers consistaient à arrêter l'épuration ethnique et conférer aux Nations Unies la responsabilité de fixer le nouveau cadre politique. Les Nations Unies doivent désormais essayer d'établir une démocratie pluri-ethnique dans la province. Nous préférons être confrontés à ce problème plutôt que d'avoir à expliquer notre échec.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Mais à quoi correspond alors cette entité dont la monnaie est le mark, avec une UCK certes démilitarisée mais qui n'a pas l'air d'être désarmée ? Nous venons d'apprendre, par ailleurs, qu'un incident est encore survenu, qu'une grenade a explosé et que deux Serbes seraient décédés.
ALAIN RICHARD
Nous sommes nombreux à manifester un intérêt pour l'histoire de cette région de l'Europe. Il existe des exceptions dans presque tous les Balkans et chaque communauté vit l'exercice du pouvoir politique comme le résultat de la force. Nous avons donc établi une première base de pacification pour prévenir ou contenir les manifestations de violence. Certes des incidents graves, des meurtres, des exactions subsistent, mais sans commune mesure avec la situation d'avant. Nous progressons encore dans la maîtrise du terrain. La force internationale de police dont la mise en place fut décidée pendant l'été, s'élève désormais à 1 500 hommes, par exemple. Le projet est réalisé de moitié et le sera complètement d'ici un mois. Certains anciens combattants de l'UCK, et même une partie non armée de la communauté albanophone, expriment un sentiment de vengeance et manifestent leur volonté d'évincer les autres. Il nous incombe aussi d'empêcher cette tendance.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Nous avons souhaité préserver un Etat multi-ethnique. Il y avait vraisemblablement 200 000 Serbes sur deux millions de personnes. Il n'en resterait plus aujourd'hui que 50 000 ou 70 000.
ALAIN RICHARD
Plutôt 70 000 selon notre appréciation.
PIERRE-LUC SEGUILLON
N'est-ce pas un échec ?
ALAIN RICHARD
C'est un échec par rapport à une situation idéale. Cela se vérifie d'ailleurs dans n'importe quel domaine : nous sommes toujours en situation d'échec par rapport à l'idéal. Nous avons maintenu la possibilité de subsister pour cette communauté serbe. Nous sommes en train de créer les conditions de la sécurité de ces personnes. Nous avons effectivement désarmé l'UCK à la date prévue. Les membres de l'UCK ont le droit d'entrer dans une force de protection, force civile placée sous le contrôle de la force internationale dans laquelle peu de gens sont armés. Nous pouvons ainsi éliminer une force armée de type guérilla, facteur permanent d'instabilité. Naturellement, subsisteront encore des trafics d'armes et des attentats isolés, etc... Un certain nombre d'auteurs de ces exactions durant les semaines passées sont en prison et seront jugés. Nous mettons actuellement en place un dispositif de sécurité.
Quant au rapport avec la Yougoslavie, l'ONU a décidé dans la résolution 1244 que les Nations unies seraient dépositaires de la souveraineté sur le Kosovo. Si les conditions le permettent, le Kosovo a donc vocation à être rétabli au sein de la fédération dans les mois ou les années à venir.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Plus dans les années que dans les mois ?
ALAIN RICHARD
A coup sûr. Mais le maintien de Milosevic au pouvoir place tous les partenaires de la région des Balkans en position de méfiance et de défensive. Ils paient tout ce qu'il a fait depuis dix ou douze ans. Si Milosevic quitte le pouvoir en Serbie pour laisser place à un nouveau partenaire " Euro-compatible ", alors le retour du Kosovo dans une fédération de la Yougoslavie modernisée et démocratisée n'est pas une utopie.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Ne sommes-nous pas aujourd'hui de fait dans une situation de partition dans le secteur contrôlé par les Français membres de la KFOR ? Les événements de Mitrovica, et en particulier les images des soldats français sur le pont de Mitrovica, illustrent ce propos ?
ALAIN RICHARD
Oui, mais encore une fois le mieux est l'ennemi du bien. Cette manifestation était composée de gens énervés prêts à la violence et ils ont des motifs partiellement légitimes d'agir ainsi. De l'autre côté du pont se trouvait une force en poste pour maintenir la sécurité et la tranquillité. Nos soldats ont fait preuve de dignité et de force de caractère dans une situation très difficile. Il n'y d'ailleurs plus de manifestation de ce type à Mitrovica.
Notre objectif est de permettre à tous les Kosovars de vivre en paix dans cette province. Ils ne doivent pas pour autant vivre sur le palier des uns et des autres. La Suisse est un pays tranquille et pourtant peu de francophones et de germanophones habitent sur le même palier. Une certaine séparation existe au niveau des logements, mais aussi dans les villages entre les deux communautés et dans la phase de rétablissement de la sécurité, de préservation des vies humaines que nous poursuivons. Ce n'est d'ailleurs pas plus mal. Il ne s'agit pas pour autant d'instaurer un fait de droit. Nous sommes au contraire fiers de comptabiliser le moins de morts violentes depuis le début de l'entrée de la KFOR, dans un des secteurs de responsabilité les plus épineux avec une vraie imbrication des deux communautés dans le secteur Nord. Nous avons bien fait notre travail.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Dernière précision : avons-nous suffisamment aidé Bernard Kouchner qui s'est plaint de ne pas avoir suffisamment de policiers voire de gendarmes.
ALAIN RICHARD
Bernard est impulsif. Nous effectuons des progrès mais ils ne sont pas finis. L'ONU que nous, Français, défendons " mordicus " en tâchant de la faire avancer, a encore des côtés bureaucratiques. Nous avons mis à peu près un mois pour sélectionner les gendarmes les mieux préparés. Jean-Pierre Chevènement pourrait dire la même chose à propos de la police. Nos partenaires de l'ONU ont ensuite pris leur temps pendant la période des vacances pour procéder à la vérification des aptitudes individuelles des gendarmes. Une partie de la sélection finale s'est d'ailleurs faite à Pristina. Si nos personnels n'avaient pas exactement correspondu, un certain nombre d'entre eux seraient venus passer l'été à Pristina, puis seraient repartis. L'ONU, comme nous tous, a encore quelques progrès à faire. Au total 1 500 policiers sont tout de même déployés à ce jour et 3 000 le seront pour la fin octobre. Nous nous passons actuellement le relais au sein de la KFOR qui continue à faire du maintien de l'ordre mais qui va désormais se répartir le travail avec la police.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Trois cents soldats français sont actuellement au Timor oriental - peut-être tardivement - et 300 autres sont prévus. N'avez-vous pas le sentiment que dans la mesure où aucune organisation européenne n'était impliquée, nous avons confié la mission aux Australiens, mais avec beaucoup de retard ?
ALAIN RICHARD
Oui. Le retard est dû à l'absence de compromis avec un pouvoir indonésien faible et transitoire. Alors tout le monde " marche un peu sur des ufs ". L'Indonésie compte 200 millions d'habitants. La pression des forces armées sur le pouvoir politique est permanente. Il fallait donc aussi gérer cette situation avec un peu de délicatesse et, certes, de lenteur, pour ne pas provoquer une crise interne majeure en Indonésie. Chaque jour des manifestations sont dirigées contre les ambassades de certains pays. Nous reconnaissons que l'organisation de ce référendum par l'ONU et de cet accès à l'indépendance souhaité par tout le monde, mais non imposable à un grand pays comme l'Indonésie, a été partiellement défectueuse...
PIERRE-LUC SEGUILLON
... Et mal préparée, avec une mauvaise anticipation des conséquences.
ALAIN RICHARD
Le dispositif de protection et de prise en compte par une force internationale aurait été préférable juste après le référendum. Si Kofi Annan avait voulu imposer cela au président Habibie, il n'aurait pas eu gain de cause. Nous arrivons tard avec des dommages déjà réalisés, comme dans toutes les crises, mais nous avons fait des progrès si nous comparons notre action depuis cinq, dix ou quinze ans dans des crises comparables dont tout le monde se lavait les mains. Nous intervenons maintenant aux côtés des Australiens et des Thaïlandais en particulier, deux composantes principales. En ce qui nous concerne, nous apportons un complément humanitaire, des capacités de transport et nous pouvons aussi apporter une capacité de combat issue d'unités présentes en Nouvelle-Calédonie et capables de rapidement se déployer. Nous contribuons effectivement à faire passer dans les faits un progrès du bon ordre international, de la démocratie internationale qui a consisté à donner l'indépendance à ce pays qui la demandait.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Nous intervenons parfois et parfois nous nous demandons s'il faudrait intervenir ? Le ministre de la Défense doit sans doute considérer avec attention la situation en Tchétchénie où les Russes procèdent à des bombardements, où vous avez de nombreux réfugiés. Ne pouvons-nous rien faire ?
ALAIN RICHARD
Nous pouvons agir, comme dans beaucoup de cas, par la voie politique, par des pressions économiques et politiques, etc...
PIERRE-LUC SEGUILLON
Mais est-il intouchable dans la mesure où il s'agit cette fois d'un grand pays ? Etes-vous obligé d'accepter cet état de fait ?
ALAIN RICHARD
Nous sommes obligés. Nos successeurs ne seront peut-être plus obligés d'ici vingt ou trente ans. Il faut trouver le progrès en marchant. Par ailleurs, la situation en Tchétchénie est tout de même de nature très différente. Ce pays possède en effet une très grande diversité d'états d'esprits, de mentalités et de communautés de population. Nous ne pouvons sûrement pas penser que la Russie, au cours de son histoire, a bien géré cette diversité. La rencontre de deux civilisations dans la fédération russe elle-même avec des facteurs d'exclusion mutuelle présents en Russie, n'ont pas été bien maîtrisés. Nous ne pouvons pas non plus demander aux autorités russes de ne pas s'opposer à des actions de terrorisme et de déstabilisation sur leur propre territoire. Une vraie rébellion islamiste a été organisée et des millions de gens ont été égorgés de la sorte.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Certes, mais certains se demandent si ces attentats ne sont pas organisés par le pouvoir lui-même.
ALAIN RICHARD
Il ne faut pas céder au roman. La situation intérieure russe s'y prête en quelque sorte, mais il ne faut pas exagérer !
PIERRE-LUC SEGUILLON
Il nous reste peu de temps pour aborder un dernier sujet. Où en sont vos projets de construction européenne ? Vous avez récemment célébré le dixième anniversaire de la brigade franco-allemande, corps assez réduit pour l'instant.
ALAIN RICHARD
Les ministres de la Défense, mais aussi les ministres des Affaires étrangères des pays concernés, travaillent pour appliquer ce qui est maintenant une décision politique du Conseil européen des chefs d'Etat et de gouvernement, c'est-à-dire l'obligation de réaliser toute une série d'outils communs aux Européens. Nous avons beaucoup de travail, mais enfin l'échelon commun européen des décisions politiques va être à l'ordre du jour du prochain sommet en décembre. Un certain nombre de moyens communs, tels le renseignement ou les projections navales et aériennes, vont également faire l'objet de décisions concrètes. Nous nous sommes donc fixés un plan de marche à l'exemple de ce qu'a fait Jacques Delors en 1989 pour la monnaie européenne. La déclaration de juin se trouve approximativement à ce stade. Il faudra quelques années mais nous avançons.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Merci beaucoup M. Alain Richard.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 25 octobre 1999)
Commençons par cette mise en uvre du devoir ou du droit d'ingérence. Nous sommes intervenus au Kosovo avec l'ensemble des alliés dans le cadre de l'OTAN. Nous sommes parvenus au retrait des forces de Milosevic. Mais ne sommes-nous pas aujourd'hui dans une situation particulièrement délicate ? Qu'est devenu exactement le Kosovo ? Ce n'est pas la province autonome yougoslave ?
ALAIN RICHARD
Si. Nous avons, en effet, des problèmes. Nos objectifs politiques centraux premiers consistaient à arrêter l'épuration ethnique et conférer aux Nations Unies la responsabilité de fixer le nouveau cadre politique. Les Nations Unies doivent désormais essayer d'établir une démocratie pluri-ethnique dans la province. Nous préférons être confrontés à ce problème plutôt que d'avoir à expliquer notre échec.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Mais à quoi correspond alors cette entité dont la monnaie est le mark, avec une UCK certes démilitarisée mais qui n'a pas l'air d'être désarmée ? Nous venons d'apprendre, par ailleurs, qu'un incident est encore survenu, qu'une grenade a explosé et que deux Serbes seraient décédés.
ALAIN RICHARD
Nous sommes nombreux à manifester un intérêt pour l'histoire de cette région de l'Europe. Il existe des exceptions dans presque tous les Balkans et chaque communauté vit l'exercice du pouvoir politique comme le résultat de la force. Nous avons donc établi une première base de pacification pour prévenir ou contenir les manifestations de violence. Certes des incidents graves, des meurtres, des exactions subsistent, mais sans commune mesure avec la situation d'avant. Nous progressons encore dans la maîtrise du terrain. La force internationale de police dont la mise en place fut décidée pendant l'été, s'élève désormais à 1 500 hommes, par exemple. Le projet est réalisé de moitié et le sera complètement d'ici un mois. Certains anciens combattants de l'UCK, et même une partie non armée de la communauté albanophone, expriment un sentiment de vengeance et manifestent leur volonté d'évincer les autres. Il nous incombe aussi d'empêcher cette tendance.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Nous avons souhaité préserver un Etat multi-ethnique. Il y avait vraisemblablement 200 000 Serbes sur deux millions de personnes. Il n'en resterait plus aujourd'hui que 50 000 ou 70 000.
ALAIN RICHARD
Plutôt 70 000 selon notre appréciation.
PIERRE-LUC SEGUILLON
N'est-ce pas un échec ?
ALAIN RICHARD
C'est un échec par rapport à une situation idéale. Cela se vérifie d'ailleurs dans n'importe quel domaine : nous sommes toujours en situation d'échec par rapport à l'idéal. Nous avons maintenu la possibilité de subsister pour cette communauté serbe. Nous sommes en train de créer les conditions de la sécurité de ces personnes. Nous avons effectivement désarmé l'UCK à la date prévue. Les membres de l'UCK ont le droit d'entrer dans une force de protection, force civile placée sous le contrôle de la force internationale dans laquelle peu de gens sont armés. Nous pouvons ainsi éliminer une force armée de type guérilla, facteur permanent d'instabilité. Naturellement, subsisteront encore des trafics d'armes et des attentats isolés, etc... Un certain nombre d'auteurs de ces exactions durant les semaines passées sont en prison et seront jugés. Nous mettons actuellement en place un dispositif de sécurité.
Quant au rapport avec la Yougoslavie, l'ONU a décidé dans la résolution 1244 que les Nations unies seraient dépositaires de la souveraineté sur le Kosovo. Si les conditions le permettent, le Kosovo a donc vocation à être rétabli au sein de la fédération dans les mois ou les années à venir.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Plus dans les années que dans les mois ?
ALAIN RICHARD
A coup sûr. Mais le maintien de Milosevic au pouvoir place tous les partenaires de la région des Balkans en position de méfiance et de défensive. Ils paient tout ce qu'il a fait depuis dix ou douze ans. Si Milosevic quitte le pouvoir en Serbie pour laisser place à un nouveau partenaire " Euro-compatible ", alors le retour du Kosovo dans une fédération de la Yougoslavie modernisée et démocratisée n'est pas une utopie.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Ne sommes-nous pas aujourd'hui de fait dans une situation de partition dans le secteur contrôlé par les Français membres de la KFOR ? Les événements de Mitrovica, et en particulier les images des soldats français sur le pont de Mitrovica, illustrent ce propos ?
ALAIN RICHARD
Oui, mais encore une fois le mieux est l'ennemi du bien. Cette manifestation était composée de gens énervés prêts à la violence et ils ont des motifs partiellement légitimes d'agir ainsi. De l'autre côté du pont se trouvait une force en poste pour maintenir la sécurité et la tranquillité. Nos soldats ont fait preuve de dignité et de force de caractère dans une situation très difficile. Il n'y d'ailleurs plus de manifestation de ce type à Mitrovica.
Notre objectif est de permettre à tous les Kosovars de vivre en paix dans cette province. Ils ne doivent pas pour autant vivre sur le palier des uns et des autres. La Suisse est un pays tranquille et pourtant peu de francophones et de germanophones habitent sur le même palier. Une certaine séparation existe au niveau des logements, mais aussi dans les villages entre les deux communautés et dans la phase de rétablissement de la sécurité, de préservation des vies humaines que nous poursuivons. Ce n'est d'ailleurs pas plus mal. Il ne s'agit pas pour autant d'instaurer un fait de droit. Nous sommes au contraire fiers de comptabiliser le moins de morts violentes depuis le début de l'entrée de la KFOR, dans un des secteurs de responsabilité les plus épineux avec une vraie imbrication des deux communautés dans le secteur Nord. Nous avons bien fait notre travail.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Dernière précision : avons-nous suffisamment aidé Bernard Kouchner qui s'est plaint de ne pas avoir suffisamment de policiers voire de gendarmes.
ALAIN RICHARD
Bernard est impulsif. Nous effectuons des progrès mais ils ne sont pas finis. L'ONU que nous, Français, défendons " mordicus " en tâchant de la faire avancer, a encore des côtés bureaucratiques. Nous avons mis à peu près un mois pour sélectionner les gendarmes les mieux préparés. Jean-Pierre Chevènement pourrait dire la même chose à propos de la police. Nos partenaires de l'ONU ont ensuite pris leur temps pendant la période des vacances pour procéder à la vérification des aptitudes individuelles des gendarmes. Une partie de la sélection finale s'est d'ailleurs faite à Pristina. Si nos personnels n'avaient pas exactement correspondu, un certain nombre d'entre eux seraient venus passer l'été à Pristina, puis seraient repartis. L'ONU, comme nous tous, a encore quelques progrès à faire. Au total 1 500 policiers sont tout de même déployés à ce jour et 3 000 le seront pour la fin octobre. Nous nous passons actuellement le relais au sein de la KFOR qui continue à faire du maintien de l'ordre mais qui va désormais se répartir le travail avec la police.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Trois cents soldats français sont actuellement au Timor oriental - peut-être tardivement - et 300 autres sont prévus. N'avez-vous pas le sentiment que dans la mesure où aucune organisation européenne n'était impliquée, nous avons confié la mission aux Australiens, mais avec beaucoup de retard ?
ALAIN RICHARD
Oui. Le retard est dû à l'absence de compromis avec un pouvoir indonésien faible et transitoire. Alors tout le monde " marche un peu sur des ufs ". L'Indonésie compte 200 millions d'habitants. La pression des forces armées sur le pouvoir politique est permanente. Il fallait donc aussi gérer cette situation avec un peu de délicatesse et, certes, de lenteur, pour ne pas provoquer une crise interne majeure en Indonésie. Chaque jour des manifestations sont dirigées contre les ambassades de certains pays. Nous reconnaissons que l'organisation de ce référendum par l'ONU et de cet accès à l'indépendance souhaité par tout le monde, mais non imposable à un grand pays comme l'Indonésie, a été partiellement défectueuse...
PIERRE-LUC SEGUILLON
... Et mal préparée, avec une mauvaise anticipation des conséquences.
ALAIN RICHARD
Le dispositif de protection et de prise en compte par une force internationale aurait été préférable juste après le référendum. Si Kofi Annan avait voulu imposer cela au président Habibie, il n'aurait pas eu gain de cause. Nous arrivons tard avec des dommages déjà réalisés, comme dans toutes les crises, mais nous avons fait des progrès si nous comparons notre action depuis cinq, dix ou quinze ans dans des crises comparables dont tout le monde se lavait les mains. Nous intervenons maintenant aux côtés des Australiens et des Thaïlandais en particulier, deux composantes principales. En ce qui nous concerne, nous apportons un complément humanitaire, des capacités de transport et nous pouvons aussi apporter une capacité de combat issue d'unités présentes en Nouvelle-Calédonie et capables de rapidement se déployer. Nous contribuons effectivement à faire passer dans les faits un progrès du bon ordre international, de la démocratie internationale qui a consisté à donner l'indépendance à ce pays qui la demandait.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Nous intervenons parfois et parfois nous nous demandons s'il faudrait intervenir ? Le ministre de la Défense doit sans doute considérer avec attention la situation en Tchétchénie où les Russes procèdent à des bombardements, où vous avez de nombreux réfugiés. Ne pouvons-nous rien faire ?
ALAIN RICHARD
Nous pouvons agir, comme dans beaucoup de cas, par la voie politique, par des pressions économiques et politiques, etc...
PIERRE-LUC SEGUILLON
Mais est-il intouchable dans la mesure où il s'agit cette fois d'un grand pays ? Etes-vous obligé d'accepter cet état de fait ?
ALAIN RICHARD
Nous sommes obligés. Nos successeurs ne seront peut-être plus obligés d'ici vingt ou trente ans. Il faut trouver le progrès en marchant. Par ailleurs, la situation en Tchétchénie est tout de même de nature très différente. Ce pays possède en effet une très grande diversité d'états d'esprits, de mentalités et de communautés de population. Nous ne pouvons sûrement pas penser que la Russie, au cours de son histoire, a bien géré cette diversité. La rencontre de deux civilisations dans la fédération russe elle-même avec des facteurs d'exclusion mutuelle présents en Russie, n'ont pas été bien maîtrisés. Nous ne pouvons pas non plus demander aux autorités russes de ne pas s'opposer à des actions de terrorisme et de déstabilisation sur leur propre territoire. Une vraie rébellion islamiste a été organisée et des millions de gens ont été égorgés de la sorte.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Certes, mais certains se demandent si ces attentats ne sont pas organisés par le pouvoir lui-même.
ALAIN RICHARD
Il ne faut pas céder au roman. La situation intérieure russe s'y prête en quelque sorte, mais il ne faut pas exagérer !
PIERRE-LUC SEGUILLON
Il nous reste peu de temps pour aborder un dernier sujet. Où en sont vos projets de construction européenne ? Vous avez récemment célébré le dixième anniversaire de la brigade franco-allemande, corps assez réduit pour l'instant.
ALAIN RICHARD
Les ministres de la Défense, mais aussi les ministres des Affaires étrangères des pays concernés, travaillent pour appliquer ce qui est maintenant une décision politique du Conseil européen des chefs d'Etat et de gouvernement, c'est-à-dire l'obligation de réaliser toute une série d'outils communs aux Européens. Nous avons beaucoup de travail, mais enfin l'échelon commun européen des décisions politiques va être à l'ordre du jour du prochain sommet en décembre. Un certain nombre de moyens communs, tels le renseignement ou les projections navales et aériennes, vont également faire l'objet de décisions concrètes. Nous nous sommes donc fixés un plan de marche à l'exemple de ce qu'a fait Jacques Delors en 1989 pour la monnaie européenne. La déclaration de juin se trouve approximativement à ce stade. Il faudra quelques années mais nous avançons.
PIERRE-LUC SEGUILLON
Merci beaucoup M. Alain Richard.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 25 octobre 1999)