Interview de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe parlementaire PS à l'Assemblée nationale, à France Inter le 28 juin 2002, sur les résultats de l'audit des finances publiques demandé par le gouvernement, sur les marges de manoeuvre du gouvernement et son incapacité à tenir ses promesses, sur les perspectives du parti socialiste.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral

S. Paoli Les promesses de campagnes pourront-elles être tenues malgré le déficit ? L'audit des finances publiques révèle un déficit compris entre 2,3 et 2,6 % du PIB. C'est le budget de l'Etat, sous l'effet de moindres recettes, qui a le plus dérapé : 15 milliards d'euros. Quant au pari de 3 % de croissance sur lequel compte le Gouvernement, dans une conjoncture mondiale instable, peut-il être tenu sans crainte ? On avait dit que cet audit ne devait pas servir à un grand débat politique, et voilà que P. Méhaignerie s'exclame : "Mensonge d'Etat !", qu'en dites-vous ?
- "C'est très caricatural. C'est normal que la nouvelle majorité fasse procéder à un audit ; nous l'avions fait en 1997. Si on veut être très honnête, la situation s'est améliorée depuis 1997. Mais c'est vrai que dans la dernière période, les choses ont été beaucoup plus difficiles pour le gouvernement de L. Jospin. N'oublions pas : non seulement, c'était une année pré-électorale - c'est toujours un peu plus compliqué -, mais c'est surtout un audit qui porte sur la période de l'après-11 septembre, après les attentats du 11 septembre et les conséquences sur la croissance. Souvenez-vous de toutes nos craintes, et c'est vrai qu'elles étaient fondées. Mais même au-delà, nous pensions que la reprise se ferait beaucoup plus vite. Cela n'a pas été le cas. On le retrouve dans cet audit."
On avait vu L. Fabius réviser les hypothèses de croissance. Or, aujourd'hui, à nouveau, tout ce qui concerne l'activité gouvernementale - et même le pacte de stabilité européen -, tout s'inscrit sur une hypothèse de croissance. Pensez-vous qu'on puisse construire quelque chose en politique, aujourd'hui, sur une hypothèse de la croissance ?
- "Il faut toujours faire des hypothèses, c'est indispensable, il faut faire de la prévision. Mais il faut aussi être souple et il faut savoir ajuster les choses. Donc, c'est vrai que L. Fabius l'avait fait, mais la croissance n'est pas revenue aussi vite que nous le souhaitions. Maintenant, il y a une sorte de mise en scène de l'audit par la nouvelle majorité, par le gouvernement de monsieur Raffarin, qui a pour but de préparer le Français à l'abandon des promesses. J. Chirac est un habitué des promesses non tenues. Mais là, cela va très vite ! Le Gouvernement est empêtré dans ses promesses et cet audit, c'est un petit peu l'audit de la défausse."
Vous pensez que la baisse d'impôts de 5 % ne pourrait pas être tenue, compte tenu de ce déficit ?
- "Tous les économistes le disent. Tout le monde considère que c'est une erreur de se lancer dans ce projet. Le Gouvernement dit que cela va améliorer la croissance, que cela va soutenir la consommation. Mais cela ne concerne qu'une petite partie des Français les plus riches. Dans le même temps, le Gouvernement a refusé le coup de pouce pour le Smic, qui aurait donné un signe pour l'augmentation des bas salaires. Là, on voit bien qu'il y a une divergence et, je crois, aussi, une faute de politique économique qui rappelle les erreurs de 1995 du gouvernement Juppé. Car si nous avons encouragé la dépense publique - on nous le reproche souvent mais la dépense publique n'est pas, en soi, un fétiche -, c'est vrai que la dépense publique peut être utile. Monsieur Mer critique le coût des 35 heures mais le coût des 35 heures, c'est des baisses de charges, c'est les baisses de cotisations salariales pour permettre la relance de la croissance et de l'emploi. C'est un choix de politique économique. Et quand on augmente le nombre d'emplois - nous avons créé, en cinq ans, plus de deux millions d'emplois -, c'est davantage de cotisations, c'est davantage de rentrées fiscales. C'est en partie ce qui explique que la France a toujours le taux le plus élevé de croissance de toute l'Europe. Cela reste encore vrai aujourd'hui."
Chacun défend son action et sa politique, néanmoins, aujourd'hui, telle qu'est la situation, où se trouveraient des marges de manoeuvre ?
- "Ce qui est important, encore et toujours, c'est de tout faire pour consolider la croissance et donc, encourager la création d'emplois. Le Gouvernement fait fausse route avec sa politique car il nous annonce, au fond, une purge : d'un côté, il va baisser les impôts pour une petite catégorie de Français les plus aisés, ce qui ne va pas avoir d'effet sur la croissance ; de l'autre côté, il va serrer la vis. Et il va serrer la vis comment ? Il a annoncé une augmentation des prestations payées pour les médecins : la visite à vingt euros. Il va falloir payer et qui va payer ? Ce sont les contribuables ou les assurés sociaux. La CSG risque d'augmenter, ce sera un effet négatif sur la croissance. On nous annonce aussi des baisses de dépenses : quelles baisses de dépenses ? Des dépenses sociales, celles que nous avions mis en oeuvre avec les grandes réformes ? Je pense à la CMU, à l'Allocation personnalisée pour l'autonomie, et à beaucoup d'autres choses... Est-ce que c'est le budget de l'Education nationale qui va baisser, alors que d'un côté on nous dit qu'il faut plus de policiers et de juges ? Ce n'est pas très clair. J. Chirac avait dit pendant sa campagne électorale que les marges de manoeuvre étaient inexistantes. Juste après, pendant plusieurs semaines, il a multiplié les promesses, et maintenant, une fois de plus, il bute sur la réalité. Cela me rappelle étrangement la fracture sociale et son abandon presque aussi vite qu'elle avait été annoncée."
Les privatisations : imaginez-vous que, là aussi, il puisse y avoir pour le Gouvernement, à court terme, des marges de manoeuvre ?
- "Je ne crois pas que ce soit la bonne solution, parce que c'est un peu une fuite en avant. S'il s'agit de combler des déficits par des ventes d'entreprises publiques, cela risque de dégrader notre service public - je pense par exemple à EDF, qui est un peu dans le collimateur -, et puis, ce ne sera pas une solution durable."
Le Parti socialiste est à la veille du conseil national, qui doit installer une direction un peu rénovée. Qu'en est-il de l'ambiance au sein du PS ? Parce qu'on a tout entendu ces derniers jours !
- "Oui, c'est vrai. J'ai été un petit peu consterné, parce qu'après une défaite comme celle-là, la tentation est toujours très grande de la querelle, de la recherche du responsable, du bouc émissaire, alors que nous sommes tous concernés, collectivement concernés. Et donc, il fallait se ressaisir. C'est en train de se faire, la raison devrait l'emporter. Demain, au conseil national du Parti socialiste, F. Hollande devrait avoir autour de lui une direction rassemblée, qui aura en charge de préparer la grande consultation des militants, des sympathisants et des citoyens, pour préparer notre congrès du printemps 2003, qui devra fixer les orientations du PS et des années à venir."
La pression a été forte sur F. Hollande, s'agissant de la question de L. Fabius comme porte-parole du PS.
- "Une solution va être trouvée pour que L. Fabius soit associé, mais que tous les autres le soient aussi. Nous avons besoin de toutes ces personnalités. Mais nous avons aussi besoin d'associer à la direction du PS des responsables de terrain. Les messages qui nous ont été adressés sont très forts et ce serait vraiment une erreur de limiter la discussion à ce que qu'on appelle "les éléphants", ce serait une profonde erreur. Nous avons déjà connu cela dans le passé, cela nous a conduit au congrès de Rennes. Il faut tourner cette page définitivement. F. Hollande a la tâche difficile, après l'échec de la présidentielle et des législatives. Mais il a la légitimité des militants du PS et de la base. Et je crois qu'il a raison de procéder ainsi."
Néanmoins, il y a des personnalités très fortes au sein du mouvement : L. Fabius, D. Strauss-Kahn, M. Aubry qui est peut-être un peu encore en état de choc, mais qui finira peut-être par se redresser. Qui pour diriger, pour incarner le PS aujourd'hui ? La question est-elle vraiment posée, est-elle tranchée ?
- "Elle ne peut pas être tranchée définitivement pour l'avenir. D'ici 2007, il y a beaucoup de chemin à parcourir pour les prochaines échéances présidentielle et législatives. Il y en aura d'autres entre temps : les prochaines élections au Parlement européen. Donc, notre responsable aujourd'hui, qui est légitime, désigné par l'ensemble des militants, c'est F. Hollande. C'est lui qui doit animer toute cette équipe. Mais, nous avons besoin de ces personnalités, aussi bien L. Fabius que M. Aubry ou J. Dray ou quelques autres - vous avez cité aussi D. Strauss-Kahn. Mais il va venir, dans les années qui viennent, d'autres personnalités - qui viennent de la base, qui exercent des responsabilités locales ou régionales, ou des parlementaires - aux responsabilités. C'est cela aussi que les Français attendent : un profond renouvellement des pratiques, mais aussi des hommes et des femmes qui, demain, les représenteront. Mais cela demande aussi un très gros effort politique, un très gros effort intellectuel parce qu'on voit bien que la gauche est en crise, non seulement en France, mais dans toute l'Europe. Il est important de s'opposer au gouvernement Raffarin et à la droite, mais il est important aussi de préparer la renaissance de la gauche, et de proposer une alternative au moment de l'alternance."
Et donc de choisir une ligne politique entre la barre à gauche, telle que J. Lang l'a exprimée il y a 48 heures, ou entre le blairisme ?
- "Je dirais à J. Lang qu'avant de dire "grand coup de barre à gauche" ou "grande formule anti-impérialiste" - tout cela est très sympathique -, qu'il y a besoin de se ressourcer, et d'abord de faire preuve de modestie, d'écouter les gens, d'écouter les Français, d'écouter les citoyens et d'essayer de comprendre ce qu'ils attendent. Ils ont besoin de voir que leurs dirigeants sont d'abord à leur écoute, avant d'affirmer qu'il faut faire ceci ou qu'il faut faire cela. Donc, le coup de barre à droite ou le coup de barre à gauche, c'est un peu simpliste. J'ai dit moi-même, dans une formule ramassée, que ce n'était "ni le blairisme ni le molletisme" qui pouvaient être notre ligne pour l'avenir. Cela veut dire qu'il y a un large espace pour imaginer un socialisme de notre temps, pour la France, pour l'Europe. Nous avons sous-estimé les conséquences des attentats du 11 septembre, les peurs, les inquiétudes... Dans mes contacts pendant cette campagne électorale, j'ai entendu beaucoup de gens me demander des réponses à leurs problèmes immédiats, leurs conditions de vie qui souvent sont difficiles. Mais en même temps, on me disait souvent : "mais où va le monde ?" Et "qu'est-ce que vous nous proposez pour apporter des réponses à la mondialisation, à toutes les conséquences des délocalisations, sur les grands phénomènes migratoires ?", "qu'est-ce que vous allez dire ? " Ce sont toutes ces questions qu'il faut qu'on aborde entre Français, mais aussi entre Européens, et aussi d'un point de vue international."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 28 juin 2002)