Déclaration de M. Jean-François Mattéi, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, sur la politique de la famille, les aides aux handicapés et la situation financière du régime général de la sécurité sociale, Paris le 16 juillet 2002.

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Circonstance : Audition par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale le 16 juillet 2002

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames,
Messieurs les députés,
Je suis heureux de vous rencontrer en tant que ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Ce grand ministère sanitaire et social, à part entière, n'est pas un regroupement arbitraire mais la poursuite, au plan politique, d'un projet professionnel et l'expression d'une politique sanitaire et sociale.
Je vous dirai quelques mots sur la famille et le handicap - que M. Jacob et Mme Boisseau complèteront - avant de vous parler plus longuement de santé et d'assurance maladie.
1. La famille est, comme le Premier ministre l'a souligné, le creuset de la société et le lieu de la fraternité. C'est pourquoi nous avons besoin de conduire une politique familiale ambitieuse. Cette politique doit répondre à quelques principes simples :
la liberté : la politique familiale doit répondre aux choix différents que les familles peuvent faire en matière de garde d'enfant ou de conciliation de la vie professionnelle et familiale.
l'universalité. Une politique de la famille doit s'adresser à toutes les familles quelles que soient leurs conditions de vie et leur forme.
Or, que constate-t-on dans ce domaine ? D'une part le plafond du quotient familial a été modifié et l'allocation de garde d'enfant à domicile a été réduite de moitié; d'autre part rien n'a été fait pour les femmes qui ont leur premier enfant.
L'allocation de libre choix pour l'accueil du jeune enfant exprime notre conception de la politique familiale.
Elle ne sera pas un substitut à la politique des crèches, qui doit demeurer un axe fort de notre politique.
Elle ne sera pas non plus un salaire maternel destiné à inciter les femmes à se retirer du marché du travail.
Elle sera l'instrument de la liberté de leur choix d'avoir un enfant, de travailler ou non, d'élever elles-mêmes leur enfant ou de le mettre en garde.
Vous l'avez compris, l'allocution unique est une réforme exigeante car elle nous oblige à repenser l'accueil lui-même du jeune enfant dans un continuum allant de la garde individuelle à la scolarisation en maternelle en passant par un mode collectif de garde.

2. Il est temps de faire jouer véritablement la solidarité nationale en faveur des personnes handicapées.
Et, comme dans le domaine de la famille, il nous faut adapter notre système d'aide pour le tourner vers la personne et non le service ou l'institution qui intervient auprès de lui.
C'est le sens du droit à compensation pour les personnes handicapées.
Jusqu'ici les personnes handicapées bénéficient d'un minimum social, l'Allocation aux adultes handicapés. Le handicap lui-même n'est pris en compte qu'à travers l'allocation compensatrice de tierce personne (ACTP), les services d'auxiliaires de vie et le placement en institution. Mais ces services et les institutions montrent aujourd'hui leurs limites, particulièrement face aux personnes handicapées lourdement dépendantes.
Enfin, j'observe que notre législation ne favorise pas l'insertion des personnes handicapées en milieu ordinaire de travail. C'est pourtant une exigence vis à vis de nos concitoyens.

3. Il est temps maintenant d'aborder avec vous la politique de santé et d'assurance maladie de notre pays dont vous savez combien elle me tient à cur.
La situation est tendue où que l'on se tourne. Je savais que ce serait difficile mais, comme je l'ai dit devant la Commission des comptes de la sécurité sociale, la situation est plus détériorée encore que je ne l'imaginais avant les élections. C'est vrai en ce qui concerne le monde de la santé; c'est également vrai en ce qui concerne la situation des comptes sociaux.
Dans le secteur libéral par exemple,
l'évolution des honoraires au cours des dernières années a été source d'un profond mécontentement des professionnels ;
leurs revenus ne sont pas toujours en rapport avec le niveau de compétence et de responsabilité acquis au terme de longues études ;
la répartition des médecins dans certaines zones géographiques ou dans certaines spécialités est inadéquate.
Dans le secteur hospitalier la situation n'est pas meilleure,
On assiste dans de trop nombreux services à une certaine dégradation des conditions de travail,
Les patients et les professionnels souffrent de l'insuffisant renouvellement des équipements,
ainsi que d'un manque d'effectifs soignants.
La RTT a fortement aggravé une situation déjà très difficile et les congés estivaux sont aujourd'hui, je le sais, une menace sur la permanence du service public hospitalier,
la situation financière des établissements est tendue, ce qui crée reports de charges et déficits,
l'absence de financement suffisant pour la RTT ou le protocole "filières professionnelles" constitue une menace sur les droits sociaux des personnels
En un mot, j'ai trouvé à mon arrivée un monde de la santé qui traverse une grave crise matérielle et morale s'exprimant par des revendications nombreuses et par une profonde exaspération. Le découragement et la démotivation guettent des personnels traditionnellement habités par l'enthousiasme de servir.
Je voudrais terminer ce constat assez sombre, j'en conviens, en vous faisant part de mes réflexions sur la situation financière du régime général.
La situation des comptes dont j'hérite est préoccupante.
La situation financière du régime général est, c'est indéniable, dégradée. Les rapporteurs de l'audit sur les finances publiques l'avaient constaté sans ambages: le déficit du régime général atteindrait 2,4 milliards d'euros en 2002. C'est le premier déficit constaté du régime général après trois années d'excédents. Nous retrouvons les niveaux de déficit de 1998 et, de façon plus éloignée dans le temps, de 1991 et 1992.
On est surtout bien loin des excédents prévisionnels affichés par le gouvernement précédent lors de la commission des comptes de septembre 2001. Les prévisions étaient alors bien peu réalistes. Toutefois, nous sommes face à une situation assez contrastée des différentes branches.
Ainsi, la branche maladie est clairement dans le rouge, avec un déficit prévisionnel de 5,6 milliards d'euros en 2002. Les branches famille, retraite et accidents du travail sont, pour leur part, toujours en excédent. Mais cela tient, à vrai dire, d'abord aux dynamiques particulières de leurs recettes et de leurs dépenses. Et, de ce point de vue, la situation des retraites va rapidement devenir préoccupante en l'absence de réformes.
Le déficit du régime général doit évidemment être remis en perspective.
Il nous faut d'abord connaître et expliquer les origines d'un tel déficit.
Il est indéniable que le rythme de croissance des dépenses ne s'est pas infléchi en 2002 : les dépenses d'assurance maladie devraient augmenter de 7 % en 2002, comme en 2001. Et, au total, l'ensemble des dépenses du régime général croîtra de 5,6 % en 2002 contre 4,7 % en 2001.
L'utilisation des ressources de la sécurité sociale pour financer des politiques dont l'objet est éloigné de la sécurité sociale est également à l'origine du déficit. Je pense en particulier à la réduction du temps de travail qui ponctionne la sécurité sociale à hauteur de 5 milliards d'euros, dont la moitié environ pèse sur la branche maladie.
La dernière raison du déficit est le ralentissement marqué de l'évolution des recettes de la sécurité sociale. La masse salariale va croître en 2002 de 3,9 % contre 6,4 % par an en 2000 et 2001. En 2002, elle devrait être de 3,9% seulement. Cela a un impact considérable sur les comptes : 2,5 % de croissance en moins, ce sont 3,2 milliards d'euros de déficit en plus pour le régime général. Cela explique pour ainsi dire l'essentiel de l'écart entre l'excédent des comptes du régime général en 2001 (+1,1 milliard d'euros) et le déficit prévisionnel de cette année (-2,4 milliards d'euros).
La vérité, c'est que le régime général n'a été en équilibre au cours des années 1999 à 2001 que grâce à l'exceptionnelle conjoncture économique internationale. Alors que le Gouvernement aurait dû entreprendre les réformes de fond indispensables, rien de sérieux n'a été fait dans les différentes branches.
Au contraire, la situation financière à moyen terme de notre sécurité sociale s'est trouvée profondément affaiblie par les différentes ponctions effectuées sur ses ressources dans la plus totale opacité. Hormis quelques rares spécialistes, plus personne ne comprend rien.
Pour autant nous ne sommes pas au bord d'une crise financière à court terme de la sécurité sociale et je tiens à rassurer les Français. 2,4 milliards d'euros sur un total de dépenses de 234 milliards d'euros, cela représente un déficit de 1 % seulement des dépenses totales. Voilà qui remet les choses en perspective.
Ce sur quoi je veux insister, c'est qu'il nous faut changer de regard sur le monde de la santé et laisser place à une nouvelle logique.
La croissance des dépenses de santé - je dis bien santé et pas assurance - maladie, j'y insiste - dans le budget des ménages est inéluctable en raison notamment :
du vieillissement de la population et du développement rapide des pathologies chroniques,
de l'amélioration des techniques, et donc du progrès médical,
de notre aspiration au mieux-être.
Le Fonds monétaire international - dont je viens de recevoir les représentants - ainsi que l'OCDE ont réalisé de nombreuses études qui montrent clairement cette réalité économique. Loin de la déplorer, il faut constater cette loi de l'économie. Les spécialistes disent que l'élasticité-revenu des dépenses de santé est supérieure à 1.
Ce qui est plus préoccupant, c'est la question du niveau des dépenses d'assurance maladie dans le budget de la Nation. Vous le savez, les ressources publiques ne sont pas infinies.
Cela nous oblige donc à conduire une nouvelle politique qui assure aux Français que les dépenses couvertes par l'assurance maladie sont celles qui sont les plus légitimes médicalement, une politique qui pourchasse les gaspillages, une politique qui place l'excellence des soins et des pratiques comme un critère-clé de prise en charge et une politique qui responsabilise toutes les parties prenantes.
La nouvelle politique de santé que j'entends mener repose sur plusieurs piliers :
l'écoute, la concertation et le dialogue : il faut prendre le temps nécessaire de l'écoute et de la concertation avec l'ensemble des parties ( professionnels, caisses, patients, organismes publics)
la ténacité et la constance : il faut inscrire notre action dans la durée ;
la confiance : on n'obtient rien en agissant contre les professions de santé et contre les patients. C'est ensemble que nous pourrons mener les réformes dont notre pays a besoin ;
la responsabilité partagée enfin: les quatre acteurs (l'Etat, l'assurance maladie, les professions de santé et les patients) doivent être sollicités pour accomplir le redressement nécessaire.
Dès mon arrivée, et conformément aux engagements que nous avons pris lors de la campagne, mon souci a été de restaurer la confiance.
Une première étape a consisté à remettre autour de la table les partenaires conventionnels, vous le savez.
L'accord du 5 juin, fruit de la volonté politique et du dialogue social, a permis d'enclencher une dynamique positive dont nous voyons aujourd'hui les premiers résultats. Je suis persuadé que la négociation conventionnelle traduira les conséquences de cette nouvelle logique.
Et, vous le savez, cet accord est autofinancé grâce aux engagements pris par les professionnels de modifier leurs pratiques et de prescrire des génériques. Ce point est essentiel si nous voulons réussir ensemble : chaque partie au contrat est responsable et doit apporter sa contribution à la sauvegarde de notre système solidaire de sécurité sociale et d'assurance maladie .
Une autre priorité majeure a été, pour moi, d'assurer la continuité et la sécurité des soins à l'hôpital. C'est pourquoi j'ai décidé d'autoriser les hôpitaux à ajuster en 2002 de 700 M leurs dépenses :
300 M couvrent la sous-estimation très significative des mesures catégorielles signées par le précédent gouvernement et permettent d'éviter que les hôpitaux n'accentuent leurs déficits,
400 M financent le compte épargne temps des médecins et de l'ensemble des personnels à l'hôpital. Le financement de cet important dispositif, prévu dans le cadre de la RTT, n'a pas été assuré par le précédent gouvernement.
La décision que nous avons prise montre notre détermination à mettre en uvre les engagements pris par l'Etat. Elle est un facteur de paix sociale à l'hôpital.
Toutes ces mesures étaient indispensables.
Ma politique de santé comporte 5 orientations majeures:
1.Bâtir une véritable politique de prévention (loi de programmation de santé publique)
2.Instaurer une nouvelle gouvernance du système de santé et d'assurance maladie. Ce qui comporte trois chantiers:
la régionalisation: proximité avec les citoyens, décloisonnement entre ville et hôpital,
la gestion de l'assurance maladie : clarifier les relations entre l'Etat et l'assurance-maladie et créer des agences régionales de santé,
la responsabilisation accrue des professionnels de santé et des caisses mais aussi des patients (tout ce qui est gratuit est gaspillé).
3.Promouvoir l'excellence de notre système de soins
rénover l'hôpital public; c'est le projet "hôpital 2007" qui comporte plusieurs volets : programme quinquennal d'investissement; déconcentration et de centralisation, assouplissement de la gestion, réforme du financement (tarification à la pathologie), partenariat public-privé,
développer les bonnes pratiques médicales: formation initiale et continue, évaluation et accréditation,
mettre en place les outils de régulation de la démographie des professions de santé,
concevoir et appliquer une politique du médicament centrée sur l'amélioration du service médical rendu, qui ne brime pas l'innovation, respecte un secteur industriel important (restaurer la rationalité économique) et qui soit soucieuse d'un bon emploi des deniers publics (développement des génériques),
diversifier les modes d'exercice de la médecine libérale.
4.Améliorer la sécurité sanitaire
5.Clarifier et sécuriser le financement de l'assurance maladie
répartir les ressources et les charges entre Etat et sécurité sociale en fonction des missions de chacun,
ne pas faire de la LFSS une variable d'ajustement de la LF.
Donner à notre système de santé et d'assurance maladie les moyens de conserver ses hautes ambitions de liberté professionnelle, de qualité des soins accessible à tous et de solidarité implique de dépasser les égoïsmes catégoriels. Le dialogue social, la confiance des engagements réciproques doivent contribuer à l'exercice d'une responsabilité partagée. Les fonctions économiques des uns ne peuvent être opposées aux fonctions médicales des autres. Chaque partie au contrat doit apporter sa contribution au pilotage du système, au développement des bonnes pratiques et à la sauvegarde du financement solidaire.
Oui, la santé n'a pas de prix, mais oui également, elle a des coûts. Nous devons, ensemble, assurer la couverture de ces coûts de la façon la plus rationnelle au plan médical, au plan social et au plan économique et financier.
La plupart des instruments de maîtrise de l'évolution des dépenses d'assurance maladie, qui ont été mis en uvre jusqu'à présent, ont montré leur échec.
A nous la responsabilité de réinventer un système qui place le patient au centre et qui garantisse tant l'excellence des soins que les deniers publics. C'est possible et c'est ensemble que nous y parviendrons.


(Source http://www.sante.gouv.fr, le 19 août 2002)