Texte intégral
Je suis très heureuse de vous réunir aujourd'hui avec mon ami François HUWART, Secrétaire d'Etat au commerce extérieur, à un moment particulièrement important : nous sommes en effet à quelques semaines de la conférence de Seattle qui marquera le début d'un nouveau cycle de négociation dans le cadre de l'Organisation Mondiale du Commerce. Il nous a semblé opportun, à F. Huwart et à moi-même, de vous rencontrer sans attendre cette échéance. L'approche de ces négociations suscite en effet des interrogations légitimes, mais aussi des craintes.
Je crois donc nécessaire de vous présenter les objectifs et la méthode retenus, qui répondront je l'espère à vos préoccupations. Cette réunion plénière a naturellement été précédée d'autres échanges avec certains d'entre vous, notamment dans le cadre de groupes de travail, qui ont très bien fonctionné, animés conjointement par les trois ministères concernés : c'est-à-dire, outre le mien, celui du commerce extérieur, responsable de la conduite de la négociation, et enfin naturellement, celui des affaires étrangères.
Je tiens d'emblée à vous dire que ces trois ministères partagent le même souci de défendre la diversité culturelle et les industries culturelles qui en sont le vecteur, à travers un régime d'exception pour la culture et l'audiovisuel dans les négociations à venir. Cette préoccupation est aussi vous le savez partagée par le Premier ministre, très attentif à ce dossier, comme en témoigne l'extrême fermeté de la position de la France lors du conseil européen de lundi dernier. Vous savez en effet que la France a refusé d'adopter le projet d'orientations générales pour le nouveau cycle de négociation, estimant que sa volonté de préserver l'exception culturelle était insuffisamment affirmée dans le texte proposé par les Finlandais, qui assurent jusqu'à la fin de l'année la présidence de l'Union européenne. Estimant que ces orientations formaient un tout, la France a donc refusé d'adopter ce texte, qui doit, je le rappelle, recueillir l'unanimité des Etats membres.
1 - Je crois que cette fermeté sera d'autant plus payante que nous éviterons de diaboliser l'OMC qui n'a rien de comparable avec l'AMI :
Je ne prendrai qu'un exemple, dans un domaine qui vous concerne : la propriété intellectuelle. Depuis les accords de Marrakech de 1994, il est prévu que les règles négociées à l'OMPI en la matière soient incorporées dans le corps des règles dont l'OMC assure le respect dans les échanges internationaux. La possibilité de saisir un organe impartial de règlement des différends qui existe à l'OMC et non à l'OMPI est essentielle, comme l'illustre la récente condamnation par l'OMC des Etats-Unis, au motif que la législation américaine en matière de copyright accorde une exemption aux bars, restaurants et magasins pour le paiement de droits lorsqu'ils diffusent de la musique.
Cette négociation qui va s'ouvrir à Seattle, nous en sommes F. Huwart et moi persuadés, n'a rien de comparable avec l'accord multilatéral sur les investissements (l'AMI), que j'ai, comme vous le savez combattu aussi vigoureusement que vous, et dont nous avons obtenu l'échec.
La France s'est en effet retirée en octobre 1998 des négociations sur le projet d'AMI négocié depuis 1995 au sein de l 'OCDE. Certains principes de ce projet d'accord , notamment l'octroi aux investisseurs étrangers du traitement national, étaient en effet susceptibles de remettre en cause les fondements des politiques nationales et européenne en matière culturelle, et d'interdire aux Etats membres de l'Union européenne en vertu du principe du statu quo, d'adopter à l'avenir des politiques plus ambitieuses. Notre détermination a conduit à l'arrêt des négociations.
(Nous avons aussi déjà obtenu au début de l'année 1998, je le rappelle, la reconnaissance de la spécificité de l'audiovisuel, par l'exclusion de ce secteur du programme de travail du Partenariat Economique Transatlantique entre l'Europe et les Etats-Unis).
Notre mobilisation en faveur de l'exception culturelle sera cette fois, j'en suis persuadée, d'autant plus productive que nous mènerons collectivement le bon combat : ce n'est pas l'existence même de l'OMC qu'il faut condamner, attitude qui conduirait à nous marginaliser aux yeux de nos partenaires, c'est la culture et l'audiovisuel qu'il faut mettre à l'abri de toute tentative de dérégulation. Ce que nous souhaitons c'est obtenir la consécration juridique de cette volonté. Nous ne pourrons l'obtenir que par une présence déterminée à la table des négociations.
La France est à la pointe d'un combat constant pour la préservation d'un régime d'exception culturelle. Nous voulons que l'Europe affirme d'une seule voix, à l'écho puissant sur la scène internationale, qu'elle n'entend pas que les biens culturels soient traités comme simples marchandises, qu'elle n'entend pas que les Etats qui la composent soient dépossédés de la capacité de définir et de mettre en uvre librement leurs politiques culturelles.
2 - Nos motivations sont profondes :
Elles sont à la fois culturelles, économiques et sociales. J'ai en effet la conviction qu'une libéralisation du secteur de l'audiovisuel et de la culture ne serait porteuse d'aucun bienfait.
Banaliser le traitement de la culture ne permettrait pas de préserver les identités linguistiques et culturelles qui, dans un contexte de mondialisation, s'accompagne d'une tendance à l'uniformisation des comportements et des modes de vie.
D'un strict point de vue économique, la logique du libre échange voudrait aussi que les Etats se spécialisent que dans les secteurs les plus compétitifs. Or, vous le savez, dans certains domaines, nos biens culturels ne sont pas en mesure de rivaliser économiquement avec les " produits " importés. La compétition n'est donc pas équitable : les films hollywoodiens par exemple sont amortis sur un vaste marché avant d'être exportés à bas prix, sans subir l'obstacle de la langue.
Les chiffres sont éloquents : le déficit des échanges de services audiovisuels entre les Etats-Unis et l'Europe ne cesse de se creuser depuis 10 ans, passant de 2 milliards de dollars en 1988, à 6, 5 milliards de dollars en 1998. En dépit des mesures prises pour soutenir l'industrie européenne des programmes, encore insuffisantes, la part de marché moyenne des films américains en salle et à la télévision est supérieure à 60 %. Celle du film européen aux Etats-Unis n'est que de 3 %. Ces chiffres constituent aussi, je crois, la meilleure réponse à ceux qui dénoncent un soit disant protectionnisme de l'Union européenne.
Le maintien d'un régime d'exception pour la culture et l'audiovisuel apparaît donc indispensable. A défaut, l'Europe prendrait le risque de se marginaliser. Cela n'est pas admissible compte tenu de l'importance culturelle, économique, et sociale, des industries culturelles et audiovisuelles qui connaissent aujourd'hui une mutation profonde, porteuse de croissance et d'emplois, résultant notamment de la révolution numérique, et de l'explosion de l'offre audiovisuelle.
Il est donc essentiel de préserver et de développer nos dispositifs réglementaires et de soutien, dont les effets positifs ont conduit certains Etats à s'en inspirer, notamment la Corée, avec un tel succès, que de fortes pressions se sont exercées pour les démanteler.
J'ajoute qu'il serait difficile de faire admettre aux pays candidats à une adhésion à l'Union européenne, que nous astreignons à ne pas prendre d'engagements de libéralisation dans le secteur audiovisuel lors de leur adhésion à l'OMC, qu'ils ont résisté à la forte pression des Etats-Unis pour rien. L'Union ne peut que maintenir pour elle, à l'avenir, un régime d'exception culturelle qu'elle impose pour l'heure à des pays qui ne sont qu'associés.
3 - L'objectif pendant les prochaines négociations multilatérales sera de ménager toute la marge de manoeuvre nécessaire pour mettre en place et gérer les instruments permettant la promotion de la diversité culturelle : réglementation et financement de la radiodiffusion, notamment publique, soutien aux industries de programmes, sous toutes leurs formes.
Un plafonnement des subventions serait par exemple inacceptable. Il est de même essentiel de préserver les différents outils d'aide à la création mis en place en Europe (directive Télévision sans Frontières, programme MEDIA, Eurimages) et les accords de co-production préférentiels.
Il convient de préserver l'avenir. Nous ne pouvons en effet nous en tenir à l'existant. Il n'est pas inutile de mentionner à ce titre quelques avancées récentes qu'il conviendra d'amplifier à l'avenir : l'enveloppe budgétaire du programme Media a été multipliée par deux (150/310 millions d'euros), et nous comptons aller plus loin à brève échéance ; des programmes de soutien ont été mis en place dans les domaines de la société de l'information que nous comptons aussi développer ; le protocole d'Amsterdam a été adopté, marquant une étape dans notre volonté d'affirmer clairement la spécificité de l'audiovisuel public. De nombreux Etats membres ont aussi renforcé leurs dispositifs nationaux de soutien, notamment la Grande-Bretagne en matière cinématographique, avec les fonds de la loterie nationale.
Les services concernés par cette négociation sont nombreux. Dans le domaine de la musique, il convient par exemple de protéger les petits labels. De même, notre système de quota de diffusion de chansons françaises, qui trouve sa justification même dans la notion de diversité culturelle, ne serait plus applicable en cas de libéralisation du secteur. Comment imaginer aussi une libéralisation des services de bibliothèques, des archives, des musées alimentés essentiellement par des subventions publiques ?
De même les restrictions à l'accès au marché et au traitement national dans le secteur de l'édition sont essentielles : les limitations à un certain pourcentage du capital social et des droits de vote dans les sociétés garantissent la diversité.
S'agissant des services audiovisuels qui sont sans doute les plus menacés, l'approche ne peut être que large, englobant production, distribution, radiodiffusion sonore et télévisuelle et nouveaux services audiovisuels.
Le développement du commerce électronique constitue à ce titre un enjeu important dans les négociations à venir. Il n'est pas certain que des négociations aient lieu dans ce domaine. Mais, si tel était le cas, nul doute que les Etats-Unis tenteraient de faire échapper les services offerts via internet au régime services, en soutenant que nous sommes en présence de biens virtuels, de marchandises immatérielles en quelque sorte. Les transactions relèveraient alors du GATT qui va plus loin dans la libéralisation que le GATS.
L'Union européenne défend au contraire l'idée, avec le soutien actif de la France, que le mode de transmission d'un service ne modifie en rien la nature de ce dernier. Dès lors, ces transactions électroniques doivent être qualifiée de services. Ce principe de neutralité technologique est fondamental. A cet égard, il convient d'observer que l'absence d'offre de l'Union européenne lors du précédent cycle de négociation couvre l'ensemble des services audiovisuels, quel que soit leur mode de diffusion, et donc à priori via Internet
4 - J'en viens pour terminer à la méthode qui, vous l'imaginez, a toute son importance :
Pour obtenir ce que nous souhaitons, il nous semble utile cette fois, de faire acter dès le début des négociations, que nous ne reviendrons pas sur les acquis du précédent cycle de négociation. Cela signifie en pratique une absence d'offre de libéralisation de l'Union européenne dans les secteurs de la culture et de l'audiovisuel, et le maintien des précédentes exemptions à la clause de la nation la plus favorisée, afin de permettre le traitement préférentiel de certains Etats.
La négociation sera comme par le passé menée, à la différence de la négociation AMI, et quels que soient les sujets, selon la méthode éprouvée des listes positives : seuls les secteurs ouverts explicitement à la négociation pourront faire l'objet d'une libéralisation.
Ainsi, d'éventuelles discussions sur l'investissement seraient menées selon le même mode que celles sur les services, à savoir donc, celle des listes positives, qui nous permet d'exclure le secteur culturel et audiovisuel des secteurs concernés par une libéralisation, ce qui n'était techniquement pas possible dans le cadre de l'AMI.
La France souhaite donc, dans la continuité de la déclaration que 17 ministres de la culture ont signé à OAXACA en septembre sur ma proposition, que soit clairement acté le fait que ces négociations ne porteront pas atteinte à la capacité de l'Union et des Etats membres à définir et à mettre en uvre leurs politiques culturelles et audiovisuelles.
Cette volonté d'affirmer la légitimité d'une intervention publique souveraine dans les domaines de la culture et de l'audiovisuel est pour le moment appuyée ouvertement par d'autres Etats membres de l'Union, notamment l'Allemagne, la Belgique, l'Autriche, le Luxembourg, l'Irlande. Nous sommes déterminés, avec leur appui, à ne pas céder sur ce qui nous paraît vital.
Sans notre implication, sans votre implication, sans l'union de tous, de nombreux Etats se laisseraient dicter irréversiblement leur conduite sous la pression d'intérêts économiques bien connus. Nous ne pouvons l'accepter. Je crois cette cause commune à l'ensemble des créateurs, reste à en persuader beaucoup à l'étranger, qui n'ont pas une aussi claire conscience que vous des enjeux en cause. Votre implication est donc vitale.
Pour ma part, je compte dès le 2 novembre, en faire mon message principal à l'occasion d'une importante session à l'Unesco, que je co-présiderai avec ma collègue canadienne Sheila Copps. Nous présenterons à cette occasion la déclaration adoptée au Mexique, afin de sensibiliser le plus grand nombre d'Etats à nos préoccupations.
L'Unesco peut, à la différence de l'OMC, être une enceinte utile pour discuter sans risques des moyens permettant de préserver la diversité culturelle. Le faire à l'OMC serait, pour reprendre l'expression de Louise Beaudoin, ministre des affaires étrangères du Québec, " introduire le loup dans la bergerie ".
Croyez bien que ces utiles efforts diplomatiques à l'UNESCO, et vous pouvez compter à cet égard sur ma détermination, ne nous détourneront pas de notre objectif premier : le maintien de l'exception culturelle dans les négociations multilatérales à venir. Je vous remercie de votre attention
(source http://www.culture.gouv.fr, le 15 octobre 1999)
Je crois donc nécessaire de vous présenter les objectifs et la méthode retenus, qui répondront je l'espère à vos préoccupations. Cette réunion plénière a naturellement été précédée d'autres échanges avec certains d'entre vous, notamment dans le cadre de groupes de travail, qui ont très bien fonctionné, animés conjointement par les trois ministères concernés : c'est-à-dire, outre le mien, celui du commerce extérieur, responsable de la conduite de la négociation, et enfin naturellement, celui des affaires étrangères.
Je tiens d'emblée à vous dire que ces trois ministères partagent le même souci de défendre la diversité culturelle et les industries culturelles qui en sont le vecteur, à travers un régime d'exception pour la culture et l'audiovisuel dans les négociations à venir. Cette préoccupation est aussi vous le savez partagée par le Premier ministre, très attentif à ce dossier, comme en témoigne l'extrême fermeté de la position de la France lors du conseil européen de lundi dernier. Vous savez en effet que la France a refusé d'adopter le projet d'orientations générales pour le nouveau cycle de négociation, estimant que sa volonté de préserver l'exception culturelle était insuffisamment affirmée dans le texte proposé par les Finlandais, qui assurent jusqu'à la fin de l'année la présidence de l'Union européenne. Estimant que ces orientations formaient un tout, la France a donc refusé d'adopter ce texte, qui doit, je le rappelle, recueillir l'unanimité des Etats membres.
1 - Je crois que cette fermeté sera d'autant plus payante que nous éviterons de diaboliser l'OMC qui n'a rien de comparable avec l'AMI :
Je ne prendrai qu'un exemple, dans un domaine qui vous concerne : la propriété intellectuelle. Depuis les accords de Marrakech de 1994, il est prévu que les règles négociées à l'OMPI en la matière soient incorporées dans le corps des règles dont l'OMC assure le respect dans les échanges internationaux. La possibilité de saisir un organe impartial de règlement des différends qui existe à l'OMC et non à l'OMPI est essentielle, comme l'illustre la récente condamnation par l'OMC des Etats-Unis, au motif que la législation américaine en matière de copyright accorde une exemption aux bars, restaurants et magasins pour le paiement de droits lorsqu'ils diffusent de la musique.
Cette négociation qui va s'ouvrir à Seattle, nous en sommes F. Huwart et moi persuadés, n'a rien de comparable avec l'accord multilatéral sur les investissements (l'AMI), que j'ai, comme vous le savez combattu aussi vigoureusement que vous, et dont nous avons obtenu l'échec.
La France s'est en effet retirée en octobre 1998 des négociations sur le projet d'AMI négocié depuis 1995 au sein de l 'OCDE. Certains principes de ce projet d'accord , notamment l'octroi aux investisseurs étrangers du traitement national, étaient en effet susceptibles de remettre en cause les fondements des politiques nationales et européenne en matière culturelle, et d'interdire aux Etats membres de l'Union européenne en vertu du principe du statu quo, d'adopter à l'avenir des politiques plus ambitieuses. Notre détermination a conduit à l'arrêt des négociations.
(Nous avons aussi déjà obtenu au début de l'année 1998, je le rappelle, la reconnaissance de la spécificité de l'audiovisuel, par l'exclusion de ce secteur du programme de travail du Partenariat Economique Transatlantique entre l'Europe et les Etats-Unis).
Notre mobilisation en faveur de l'exception culturelle sera cette fois, j'en suis persuadée, d'autant plus productive que nous mènerons collectivement le bon combat : ce n'est pas l'existence même de l'OMC qu'il faut condamner, attitude qui conduirait à nous marginaliser aux yeux de nos partenaires, c'est la culture et l'audiovisuel qu'il faut mettre à l'abri de toute tentative de dérégulation. Ce que nous souhaitons c'est obtenir la consécration juridique de cette volonté. Nous ne pourrons l'obtenir que par une présence déterminée à la table des négociations.
La France est à la pointe d'un combat constant pour la préservation d'un régime d'exception culturelle. Nous voulons que l'Europe affirme d'une seule voix, à l'écho puissant sur la scène internationale, qu'elle n'entend pas que les biens culturels soient traités comme simples marchandises, qu'elle n'entend pas que les Etats qui la composent soient dépossédés de la capacité de définir et de mettre en uvre librement leurs politiques culturelles.
2 - Nos motivations sont profondes :
Elles sont à la fois culturelles, économiques et sociales. J'ai en effet la conviction qu'une libéralisation du secteur de l'audiovisuel et de la culture ne serait porteuse d'aucun bienfait.
Banaliser le traitement de la culture ne permettrait pas de préserver les identités linguistiques et culturelles qui, dans un contexte de mondialisation, s'accompagne d'une tendance à l'uniformisation des comportements et des modes de vie.
D'un strict point de vue économique, la logique du libre échange voudrait aussi que les Etats se spécialisent que dans les secteurs les plus compétitifs. Or, vous le savez, dans certains domaines, nos biens culturels ne sont pas en mesure de rivaliser économiquement avec les " produits " importés. La compétition n'est donc pas équitable : les films hollywoodiens par exemple sont amortis sur un vaste marché avant d'être exportés à bas prix, sans subir l'obstacle de la langue.
Les chiffres sont éloquents : le déficit des échanges de services audiovisuels entre les Etats-Unis et l'Europe ne cesse de se creuser depuis 10 ans, passant de 2 milliards de dollars en 1988, à 6, 5 milliards de dollars en 1998. En dépit des mesures prises pour soutenir l'industrie européenne des programmes, encore insuffisantes, la part de marché moyenne des films américains en salle et à la télévision est supérieure à 60 %. Celle du film européen aux Etats-Unis n'est que de 3 %. Ces chiffres constituent aussi, je crois, la meilleure réponse à ceux qui dénoncent un soit disant protectionnisme de l'Union européenne.
Le maintien d'un régime d'exception pour la culture et l'audiovisuel apparaît donc indispensable. A défaut, l'Europe prendrait le risque de se marginaliser. Cela n'est pas admissible compte tenu de l'importance culturelle, économique, et sociale, des industries culturelles et audiovisuelles qui connaissent aujourd'hui une mutation profonde, porteuse de croissance et d'emplois, résultant notamment de la révolution numérique, et de l'explosion de l'offre audiovisuelle.
Il est donc essentiel de préserver et de développer nos dispositifs réglementaires et de soutien, dont les effets positifs ont conduit certains Etats à s'en inspirer, notamment la Corée, avec un tel succès, que de fortes pressions se sont exercées pour les démanteler.
J'ajoute qu'il serait difficile de faire admettre aux pays candidats à une adhésion à l'Union européenne, que nous astreignons à ne pas prendre d'engagements de libéralisation dans le secteur audiovisuel lors de leur adhésion à l'OMC, qu'ils ont résisté à la forte pression des Etats-Unis pour rien. L'Union ne peut que maintenir pour elle, à l'avenir, un régime d'exception culturelle qu'elle impose pour l'heure à des pays qui ne sont qu'associés.
3 - L'objectif pendant les prochaines négociations multilatérales sera de ménager toute la marge de manoeuvre nécessaire pour mettre en place et gérer les instruments permettant la promotion de la diversité culturelle : réglementation et financement de la radiodiffusion, notamment publique, soutien aux industries de programmes, sous toutes leurs formes.
Un plafonnement des subventions serait par exemple inacceptable. Il est de même essentiel de préserver les différents outils d'aide à la création mis en place en Europe (directive Télévision sans Frontières, programme MEDIA, Eurimages) et les accords de co-production préférentiels.
Il convient de préserver l'avenir. Nous ne pouvons en effet nous en tenir à l'existant. Il n'est pas inutile de mentionner à ce titre quelques avancées récentes qu'il conviendra d'amplifier à l'avenir : l'enveloppe budgétaire du programme Media a été multipliée par deux (150/310 millions d'euros), et nous comptons aller plus loin à brève échéance ; des programmes de soutien ont été mis en place dans les domaines de la société de l'information que nous comptons aussi développer ; le protocole d'Amsterdam a été adopté, marquant une étape dans notre volonté d'affirmer clairement la spécificité de l'audiovisuel public. De nombreux Etats membres ont aussi renforcé leurs dispositifs nationaux de soutien, notamment la Grande-Bretagne en matière cinématographique, avec les fonds de la loterie nationale.
Les services concernés par cette négociation sont nombreux. Dans le domaine de la musique, il convient par exemple de protéger les petits labels. De même, notre système de quota de diffusion de chansons françaises, qui trouve sa justification même dans la notion de diversité culturelle, ne serait plus applicable en cas de libéralisation du secteur. Comment imaginer aussi une libéralisation des services de bibliothèques, des archives, des musées alimentés essentiellement par des subventions publiques ?
De même les restrictions à l'accès au marché et au traitement national dans le secteur de l'édition sont essentielles : les limitations à un certain pourcentage du capital social et des droits de vote dans les sociétés garantissent la diversité.
S'agissant des services audiovisuels qui sont sans doute les plus menacés, l'approche ne peut être que large, englobant production, distribution, radiodiffusion sonore et télévisuelle et nouveaux services audiovisuels.
Le développement du commerce électronique constitue à ce titre un enjeu important dans les négociations à venir. Il n'est pas certain que des négociations aient lieu dans ce domaine. Mais, si tel était le cas, nul doute que les Etats-Unis tenteraient de faire échapper les services offerts via internet au régime services, en soutenant que nous sommes en présence de biens virtuels, de marchandises immatérielles en quelque sorte. Les transactions relèveraient alors du GATT qui va plus loin dans la libéralisation que le GATS.
L'Union européenne défend au contraire l'idée, avec le soutien actif de la France, que le mode de transmission d'un service ne modifie en rien la nature de ce dernier. Dès lors, ces transactions électroniques doivent être qualifiée de services. Ce principe de neutralité technologique est fondamental. A cet égard, il convient d'observer que l'absence d'offre de l'Union européenne lors du précédent cycle de négociation couvre l'ensemble des services audiovisuels, quel que soit leur mode de diffusion, et donc à priori via Internet
4 - J'en viens pour terminer à la méthode qui, vous l'imaginez, a toute son importance :
Pour obtenir ce que nous souhaitons, il nous semble utile cette fois, de faire acter dès le début des négociations, que nous ne reviendrons pas sur les acquis du précédent cycle de négociation. Cela signifie en pratique une absence d'offre de libéralisation de l'Union européenne dans les secteurs de la culture et de l'audiovisuel, et le maintien des précédentes exemptions à la clause de la nation la plus favorisée, afin de permettre le traitement préférentiel de certains Etats.
La négociation sera comme par le passé menée, à la différence de la négociation AMI, et quels que soient les sujets, selon la méthode éprouvée des listes positives : seuls les secteurs ouverts explicitement à la négociation pourront faire l'objet d'une libéralisation.
Ainsi, d'éventuelles discussions sur l'investissement seraient menées selon le même mode que celles sur les services, à savoir donc, celle des listes positives, qui nous permet d'exclure le secteur culturel et audiovisuel des secteurs concernés par une libéralisation, ce qui n'était techniquement pas possible dans le cadre de l'AMI.
La France souhaite donc, dans la continuité de la déclaration que 17 ministres de la culture ont signé à OAXACA en septembre sur ma proposition, que soit clairement acté le fait que ces négociations ne porteront pas atteinte à la capacité de l'Union et des Etats membres à définir et à mettre en uvre leurs politiques culturelles et audiovisuelles.
Cette volonté d'affirmer la légitimité d'une intervention publique souveraine dans les domaines de la culture et de l'audiovisuel est pour le moment appuyée ouvertement par d'autres Etats membres de l'Union, notamment l'Allemagne, la Belgique, l'Autriche, le Luxembourg, l'Irlande. Nous sommes déterminés, avec leur appui, à ne pas céder sur ce qui nous paraît vital.
Sans notre implication, sans votre implication, sans l'union de tous, de nombreux Etats se laisseraient dicter irréversiblement leur conduite sous la pression d'intérêts économiques bien connus. Nous ne pouvons l'accepter. Je crois cette cause commune à l'ensemble des créateurs, reste à en persuader beaucoup à l'étranger, qui n'ont pas une aussi claire conscience que vous des enjeux en cause. Votre implication est donc vitale.
Pour ma part, je compte dès le 2 novembre, en faire mon message principal à l'occasion d'une importante session à l'Unesco, que je co-présiderai avec ma collègue canadienne Sheila Copps. Nous présenterons à cette occasion la déclaration adoptée au Mexique, afin de sensibiliser le plus grand nombre d'Etats à nos préoccupations.
L'Unesco peut, à la différence de l'OMC, être une enceinte utile pour discuter sans risques des moyens permettant de préserver la diversité culturelle. Le faire à l'OMC serait, pour reprendre l'expression de Louise Beaudoin, ministre des affaires étrangères du Québec, " introduire le loup dans la bergerie ".
Croyez bien que ces utiles efforts diplomatiques à l'UNESCO, et vous pouvez compter à cet égard sur ma détermination, ne nous détourneront pas de notre objectif premier : le maintien de l'exception culturelle dans les négociations multilatérales à venir. Je vous remercie de votre attention
(source http://www.culture.gouv.fr, le 15 octobre 1999)