Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur le bilan de la politique gouvernementale et la poursuite du mouvement de réformes, La Rochelle le 30 août 1998.

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Circonstance : Université d'été du PS à La Rochelle du 28 au 30 août 1998

Texte intégral

Cher(e)s camarades,
Cher(e)s ami(e)s,
Le mois d'août s'achève. Conformément à la tradition, notre rencontre marque le retour au travail. Avec le Premier secrétaire, François Hollande, je suis heureux de vous retrouver, ici à La Rochelle chez Michel Crespeau, pour clore, à l'invitation d'Henri Weber, l'Université d'été du Parti socialiste. L'an passé, le décès tragique à Paris de la Princesse de Galles nous avait touchés, comme nos concitoyens. Cette année, au contraire, c'est le souvenir d'une grande joie et d'une belle fête, celle de la victoire de l'équipe de France en Coupe du monde de football, qui reste dans nos mémoires.
Au plan politique, il y a un an nous ouvrions tout juste nos premiers chantiers. Aujourd'hui, une pleine année de travail accomplie, le visage de notre pays a commencé à changer. Il y a un an, j'avais souligné devant vous la nécessité de restaurer la confiance. Aujourd'hui, elle a amorcé son retour. La France va mieux. Les Français se sentent mieux. Mais ils savent que beaucoup reste à faire. Nous aussi.
Je suis ici un socialiste devant les militants de sa famille politique. Mais je m'exprimerai en tant que chef d'un gouvernement qui émane d'une majorité plurielle. Et je dois prendre en compte l'intérêt du pays comme les attentes des Français. A l'occasion de la rentrée parlementaire, le gouvernement déclinera les projets précis qu'il proposera pour continuer de mettre en oeuvre son programme. Intervenant, ce dimanche, au terme d'une série d'universités d'été des composantes de la majorité, je voudrais dire le sens de l'action que nous avons conduite, la direction dans laquelle nous avançons. Ce sera ma contribution à ce que je considère comme un important moment de réflexion politique.
(I) Depuis quatorze mois nous avons engagé un profond mouvement de réforme que nous poursuivrons cette année et qui traduit nos engagements. (II) Ce qui donne son sens à cette action et fait son unité, c'est la synthèse politique nouvelle qu'elle opère.
I - FIDÈLES À NOS ENGAGEMENTS, NOUS POURSUIVRONS CETTE ANNÉE LE MOUVEMENT DE RÉFORME.
En cette rentrée politique, on s'accorde à dire que le moment ne nous est pas défavorable. Si l'équipe que j'anime bénéficie effectivement d'un certain crédit, c'est parce que nos concitoyens, et peut être même ceux qui n'ont pas voté pour la majorité, reconnaissent une chose : nous gouvernons la France. La démocratie, c'est le pouvoir délégué par le peuple à des représentants, élus pour gouverner. Gouverner : c'est ce que nous faisons. Et pour respecter les engagements pris devant le peuple français, nous avons lancé un vaste mouvement de réformes.
1 - Nous avons en effet engagé un vaste et profond mouvement de réforme.
Gestion et réforme sont les deux faces de notre action politique. Toutes les deux requièrent une ambition, de la volonté, le même effort soutenu. Il n'y a pas, pour moi, d'opposition entre les deux termes. Pour qui est animé d'une ambition réformatrice et rejette les effets d'annonce, il existe d'ailleurs une gestion de la réforme. Gestion du temps, de la durée dans laquelle le changement s'inscrit nécessairement, gestion de la concertation avec les partenaires, gestion du traitement politique de la réforme.
C'est pourquoi l'on peut dire : dès le début nous avons géré, jusqu'au terme nous continuerons à réformer.
La réforme est notre méthode de transformation sociale : entre l'immobilisme et le passage en force. Elle est un élément central de notre identité politique : notre socialisme est réformiste. Elle est enfin au coeur de la démarche démocratique : la démocratie vit quand la réforme avance.
En démocratie, c'est à la façon dont un gouvernement hiérarchise les priorités de son action que l'on juge de son orientation politique. La croissance, l'emploi, la justice sociale, l'éducation et la recherche, la protection de l'environnement, l'Europe, la sécurité : les priorités du gouvernement sont connues, elles sont celles de la gauche. Après les avoir fixées ensemble, après les avoir exposées, dans la clarté, à nos concitoyens, nous les mettons en oeuvre avec sérieux et ambition. Nous traitons, je crois, les vrais problèmes du pays, commençons à répondre aux attentes des Français, faisons bouger la France.
Ce mouvement de réforme traduit en actes les convictions politiques de la majorité. Mais la force de la conviction ne peut se confondre avec l'esprit partisan. Nos convictions doivent être compatibles avec l'intérêt général. La vocation d'un gouvernement est précisément de réussir cette synthèse entre l'engagement politique et la prise en compte des réalités du pays.
La réforme entretient un rapport particulier avec le temps. Pas seulement parce que pour transformer une société, il faut réussir une série de réformes, théoriquement illimitées en nombre, alors que le temps de l'action, lui, est compté. Mais surtout, parce que l'action réformatrice se laisse difficilement enfermer dans le cadre du calendrier et l'approche comptable du " bilan ". La plupart des réformes supposent, pour aboutir, une mise en uvre inscrite dans la durée. Prenez l'exemple de la réforme de la justice actuellement en cours : elle a requis une profonde réflexion, nourrie de concertations ; elle trouve sa traduction à travers un long et complexe travail législatif ; elle implique une révision constitutionnelle ; son application, enfin, se concrétisera sur plusieurs années. Prenez aussi l'exemple des 35 heures : le cadre législatif est fixé ; mais pour donner son plein impact à la réforme, des négociations sont nécessaires.
Il existe une unité entre le premier " bilan " du gouvernement après un an et le développement de son " projet " : celle de nos engagements, qui donnent sa continuité à notre action politique.
2 - Nous continuerons à tenir nos engagements
Affirmés dans ma déclaration de politique générale du 19 juin 1997, les engagements pris sont tenus ou le seront.
La lutte pour l'emploi restera l'objectif central de notre politique.
Nous avons fait reculer le chômage. Le choix de la croissance, le plan pour l'emploi des jeunes, les 35 heures, la progression réelle du pouvoir d'achat la baisse - même ciblée - de la TVA : autant d'engagements tenus, autant d'éléments d'une politique économique volontariste et réaliste. Une politique qui connaît ses premiers résultats : depuis dix mois, le chômage a amorcé sa décrue. Nous ne relâcherons pas nos efforts. Pour lutter contre le chômage, nous mettrons en oeuvre tous les moyens à notre disposition, nous l'attaquerons par tous les angles possibles.
- Nous devons chercher à passer d'un regain de croissance à un régime de croissance. Pour que la croissance trouve en elle-même les ressorts de son essor, il faudra, au plan national, et il faudrait, au plan international, introduire les régulations nécessaires et la rendre plus harmonieuse, plus équilibrée : c'est là la condition de son caractère durable. Dans notre pays, nous recherchons le meilleur équilibre entre l'offre et la demande, entre les profits des uns et les revenus des autres, entre la demande étrangère et la demande intérieure, entre la consommation et l'investissement.
- Nous allons veiller à la réalisation effective de la réduction du temps de travail. Et je suis heureux de savoir qu'en l'espace de trois mois, ce sont 150 accords qui ont déjà été signés. Si nous sommes prêts à prendre en compte les besoins des entreprises, nous n'entendons pas céder à ceux qui, au sein du CNPF, auraient pour seul objectif de détourner ou de contourner la loi, au lieu d'en explorer, de bonne foi, et dans la négociation avec les partenaires, toutes les virtualités au service de l'emploi. Rien ne sert de jouer la montre : l'emploi est une cause nationale. Chacun doit avoir à coeur de la servir.
- Nous assurerons aussi la mise en oeuvre du plan pour l'emploi des jeunes. L'objectif de 150 000 emplois-jeunes fin 1998 sera tenu.
Nous poursuivrons l'ambition de rénover notre démocratie.
Réforme de la justice, limitation du cumul des mandats électifs, inscription automatique des jeunes, dès leur majorité, sur les listes électorales, déontologie de la police, réforme du secret-défense, parité entre les femmes et les hommes : la démocratie française reprend des couleurs. On me dit que des obstacles surgiront, au Sénat ou ailleurs, notamment en ce qui concerne le cumul des mandats. Nous verrons bien. Le gouvernement, avec sa majorité, avance ses propositions. L'opposition y réagit et prendra ses responsabilités. Les Français seront juges, de ceux qui veulent faire bouger les choses, et de ceux qui ne le veulent pas.
Nous continuerons à rééquilibrer le cours de la construction européenne.
Démocratie, emploi, croissance : la direction prise depuis plus d'un an est la bonne. Des engagements nouveaux sur " la croissance et l'emploi " sont venus équilibrer le " pacte de stabilité budgétaire ". Un sommet exceptionnel sur l'emploi s'est tenu en novembre dernier et des plans nationaux pour l'emploi ont été lancés pour la première fois en Europe. Nous avons rempli les conditions que nous avions nous-mêmes posées à l'entrée dans l'euro. Un Conseil de l'Euro, contrepoids politique à la Banque centrale européenne, a été mis en place pour coordonner les politiques économiques. Nous continuerons en ce sens, pour construire une Europe plus sociale, une Europe de la régulation. On voit bien aujourd'hui que l'euro est un facteur de stabilité et un élément de protection ; mais il faut aller plus loin. Hier l'Asie, aujourd'hui la Russie, demain, peut-être, l'Amérique latine : les crises financières nous rappellent que le capitalisme est une force qui va, mais qui ne sait pas où elle va. La mission des socialistes est d'en maîtriser le cours, de le réguler et de le transformer pour plus de justice. Le gouvernement fera, au niveau européen comme dans les instances internationales, des propositions pour renforcer une régulation que les désordres économiques internationaux actuels rendent indispensable.
Les deux années qui viennent seront, avec la réalisation de l'union monétaire et la perspective de l'élargissement, cruciales pour l'Europe. C'est pourquoi nous devons, au-delà du traité d'Amsterdam, instrument imparfait mais au sujet duquel la parole de la France était engagée, bâtir une Europe qui soit plus efficace dans son mécanisme de décision, plus solidaire dans son inspiration, plus démocratique dans ses relations avec les citoyens. Ainsi, nous affirmerons un modèle de civilisation et nous renforcerons notre influence dans le monde.
Nous renforçons la cohésion de la société française.
La croissance retrouvée, la baisse du chômage, l'effort en faveur de l'éducation notamment dans les zones défavorisées, l'aménagement du territoire, les dispositions nouvelles prises contre l'exclusion, l'aide aux familles à travers l'allocation de rentrée scolaire, les mesures en faveur du logement social, la revalorisation de certains minima sociaux, la sécurité juridique donnée à des dizaines de milliers d'étrangers jusque là en situation irrégulière : tout cela rend un espoir concret à nombre de femmes et d'hommes dans notre pays. Nous ouvrirons d'autres chantiers. Parmi ceux-ci : les retraites, affaire de solidarité entre les générations ; l'assurance maladie universelle, enjeu de solidarité entre tous ; la maîtrise des dépenses de santé, afin de préserver l'égalité des Français devant les soins et dans la sécurité sociale. J'ajoute qu'au moment où la croissance se confirme, les entreprises ne doivent pas considérer la précarité comme le mode normal de travail. Celle-ci, on le sait, touche particulièrement les femmes et les jeunes. Je souhaite qu'avec nous les partenaires sociaux abordent de front ce problème.
Nous préparons l'avenir, en rétablissant la priorité accordée à l'enseignement et à la recherche, en donnant l'impulsion indispensable au développement des nouvelles technologies et à l'émergence d'une " société de l'information solidaire ".
Nous travaillons au rayonnement de la France
Notre diplomatie obéit à des constantes, s'inscrit dans de grandes orientations, qui tirent leur force de notre histoire. Il y a donc, dans la conduite de la politique extérieure, une permanence, une continuité. Mais le gouvernement a donné, depuis quatorze mois, une nouvelle coloration, de nouveaux accents à notre politique étrangère. Nous avons imprimé un style différent à nos relations avec nos partenaires européens et transatlantiques.
Nous avons fait avancer la promotion des droits de l'homme et poursuivi les efforts de désarmement. Nous avons réformé notre politique de coopération et réorienté notre action en Afrique.
Par tout cela, nous sommes fidèles à nos engagements, mais nous répondons aussi aux attentes des Français. C'est pourquoi ...
3 -Nous garderons le cap.
Dans le contexte plutôt favorable d'aujourd'hui, j'entends dire parfois que se prépareraient " les vraies difficultés " et que se dresseraient bientôt devant nous " les vrais problèmes ". Comme si, depuis quatorze mois, la France n'avait traversé aucune difficulté, le gouvernement connu aucun problème Le " budget impossible ", la Nouvelle-Calédonie, le conflit des routiers, celui des pilotes d'Air France, les mouvements de protestation de chômeurs, les restructurations industrielles en panne : autant de dossiers qui étaient autant de problèmes avant qu'ils ne soient traités. Le lot d'un gouvernement est de rencontrer des difficultés. La vocation d'un gouvernement est de régler des problèmes. On ne le juge pas à sa bonne fortune, mais à sa capacité à franchir les obstacles, quand ils surviennent.
Notre politique commence à porter ses premiers fruits. Elle est comprise et, d'une certaine façon, accompagnée par la majorité des Français. Elle a été élaborée collectivement, débattue, combattue parfois, soutenue au total. Elle est l'expression de la démocratie. Il n'y aura ni recentrage politique, ni dérive, le cap sera maintenu.
Notre action s'inscrit dans la durée. Il ne s'agit donc pas tant pour nous d'inventer " un nouveau souffle " que de trouver ce " souffle régulier " qui permet de tenir la distance. Nous proposons un chemin aux Français. Mais un chemin qu'ils acceptent de suivre. Sur ce chemin, pas la peine de forcer l'allure, si c'est pour avoir le souffle coupé. Notre rythme est le bon, parce que c'est celui qui nous permet d'aller loin. Il n'y aura ni pause, ni accélération.
Quant à la méthode, elle restera celle de l'écoute, du débat puis de la décision. Je suis attentif, à cet égard, à l'exigence de concertation avant les prises de décision importantes, formulée encore récemment par plusieurs responsables syndicaux
Dans la situation politique que nous connaissons, avec une droite plongée dans la crise, et face à une extrême-droite qui caricature le visage de la France, notre responsabilité est grande. Pour beaucoup de nos concitoyens, nous sommes un pôle de stabilité ; nous devons aussi créer le mouvement capable de préparer l'avenir de notre pays. Nous le ferons, nous le faisons déjà en élaborant une synthèse politique nouvelle. Je voudrais maintenant en préciser le sens.
II - NOUS PRÉPARONS L'AVENIR EN OPÉRANT UNE SYNTHÈSE POLITIQUE NOUVELLE.
Cette synthèse, c'est l'ensemble de la gauche qui l'élabore. Elle le fait en mariant ses diverses sensibilités - socialiste, communiste, radicale, citoyenne, écologiste - dans un projet commun, en tirant parti de sa diversité tout en affirmant son unité. Principale force de la majorité, le Parti socialiste se trouve logiquement au coeur de ce mouvement de transformation culturelle et politique. Mais chaque composante de la majorité concourt à cette nouvelle synthèse.
Exigence de transformation sociale, prise en compte du développement durable, retour à la tradition républicaine, qui est au coeur de la pensée socialiste - Jaurès le disait déjà : " Le socialisme, c'est la République jusqu'au bout ", approfondissement de notre démocratie, ambition de voir établie en droit et dans les faits l'égalité entre femmes et hommes : chaque composante, de la majorité apporte sa pierre à l'édifice commun.
Chacune de ces forces de gauche, en participant à l'action gouvernementale et aux changements de la société, se change elle-même. Cette mutation, qui est à la fois commune à toute la gauche et propre à chacune de ses composantes, ne va pas sans tiraillements, sans interrogations, sans perplexité. Comment en serait-il autrement puisqu'il s'agit pour nous, dans un même mouvement de redéfinir notre identité et de transformer la société ? Tel est l'enjeu de cette synthèse politique nouvelle, dont le gouvernement est, je le ressens chaque jour, un des lieux privilégiés.
Cette synthèse, je la crois moderne. Moderne, parce qu'elle ne procède pas par effets d'affichage. Moderne, parce qu'elle répond aux attentes des Français. Moderne, parce qu'elle est à même de faire passer à la France, à tous les Français, ensemble, le cap du XXIe siècle. Pour moi, la modernité n'est ni un fétiche, ni un tabou. C'est une valeur, complexe et délicate à appréhender, qui contribue à la définition même de la gauche. Elle comprend le refus de la nostalgie de ce qui de toute façon ne revient pas, le courage d'innover sans jamais oublier les valeurs fondamentales.
1 - Pour garder vivantes nos valeurs, il nous faut parfois savoir les servir autrement
La justice sociale, la maîtrise collective de notre destinée, la liberté, les libertés : ces valeurs nous définissent, nous y sommes tous profondément attachés. Je ne partage pas l'opinion émise jadis par BERNSTEIN : " La fin n'est rien, le mouvement est tout " L'Histoire a fait justice d'un autre slogan : " La fin justifie les moyens ". Pour moi, le socialisme démocratique, c'est l'invention constante d'une juste articulation entre les fins et les moyens: Ce sont nos valeurs qui fondent notre identité politique, plus que les moyens à mettre en oeuvre pour les atteindre. Si les fins que poursuit notre engagement doivent rester pérennes, les moyens, eux, peuvent être reconsidérés, adaptés, voire changés, si les circonstances le requièrent, si c'est là la condition pour qu'ils restent efficaces et continuent à faire vivre nos valeurs. Pour ma part, je reste ferme quant aux fins, mais je sais être souple quant aux moyens.
C'est au nom de cette vision politique que nous avons, pour consolider la croissance, maîtrisé les comptes publics. Déjà réduit en 1998 à 2,9 % du PIB, le déficit budgétaire sera ramené à 2,3 % l'an prochain. J'entends dire, ici ou là, que cet effort serait insuffisant ou, à l'inverse, qu'il serait excessif. Que le choix ainsi fait serait trop à gauche ou trop à droite. Tout cela n'a guère de sens. Le déficit budgétaire n'est pas un critère politique permettant de distinguer la gauche de la droite. Le seul critère d'une politique économique de gauche c'est, dans la recherche de l'efficacité économique, la priorité donnée à l'emploi et à la lutte contre les inégalités sociales. Et c'est bien là la priorité du gouvernement.
C'est dans le même esprit que, depuis un an, nous avons abordé la question du renforcement de notre appareil industriel. Ce gouvernement n'entend pas mener une politique de privatisations. Il conduit une politique industrielle. Il veut préserver des secteurs décisifs de notre économie, il veut rendre la France plus forte dans la compétition mondiale. Chaque fois que des alliances industrielles se sont révélées indispensables - en particulier à l'échelle européenne -, nous les avons rendues possibles. Et quand elles ont nécessité des ouvertures de capital, voire des privatisations, - parce que les partenaires indispensables étaient eux-mêmes privés et que le regroupement opté changeait la composition du capital -, nous les avons consenties. Parce que la fin est plus décisive que le moyen. Les opérations menées - à Thomson, à France Télécom, à l'Aérospatiale, par exemple - ont toujours été réfléchies, mesurées, menées avec rigueur et, chaque fois que cela était possible, dans la concertation. Si ces décisions ont été peu contestées, dans l'opinion ou au sein des entreprises concernées, c'est bien parce qu'elles ont été comprises.
Vous avez raison de conduire une réflexion à propos du secteur public et du service public. Elle sera importante pour le gouvernement. Pour nous, le service public représente une valeur. Il relève d'une vision de la société à laquelle nous tenons absolument. Il est au coeur du lien social. Il est un des garants de l'égalité entre les citoyens. Le service public n'est ni archaïque ni dépassé. Nous aurons l'occasion de le démontrer lorsque nous présenterons nos orientations pour l'audiovisuel public. Un audiovisuel public fort est indispensable pour garantir la qualité et la diversité des programmes, pour affirmer le souci de la création culturelle. Il doit contribuer à l'accès de tous au savoir. Il s'agit là d'exigences démocratiques.
2 - Nous définissons un nouvel équilibre entre l'État et le marché.
Le 19 juin dernier, m'exprimant à Washington, puis à Londres le 23 juillet j'ai ramassé ma pensée en une formule : " Oui à l'économie de marché, non à la société de marché " .
Oui à l'économie de marché. L'économie de marché est la réalité dans laquelle nous agissons. Face au marché, nous n'avons ni la fascination de ses chantres libéraux, ni le zèle de certains néophytes. Pour nous, le marché est une donnée et une technique. Une technique de production et d'allocation des ressources que nous voulons maîtriser. Le marché n'est pas, pour nous, une valeur.
C'est pourquoi nous disons non à la société de marché. Quelles que soient son dynamisme, sa souplesse, sa plasticité, l'économie de marché ne saurait former l'horizon d'une société. Celle-ci a besoin de se donner un sens, de maîtriser sa destinée, de construire un avenir conforme aux aspirations des hommes et des femmes qui la composent. Le marché, s'il génère des richesses, ne produit ni solidarité, ni projet commun.
Que la rationalité du marché l'emporte sur celle de État, et ce serait l'explosion des inégalités, le délitement du lien social, la mise en danger de notre environnement, l'affaiblissement de notre richesse culturelle, la perte des perspectives de long terne, l'oubli d'un projet national. Dans un pays démocratique comme le notre, l'État n'est pas d'abord une bureaucratie, encore moins une force de domination. Il est par son exécutif et son Parlement élus, le produit du débat démocratique ; il reçoit les contradictions de la société qu'il a vocation à résoudre ; il doit tendre à incarner l'intérêt général et à traduire les exigences des citoyens.
Le marché a sa rationalité ; il n'est pas la raison de la Démocratie.
La France a besoin d'un équilibre entre l'État et le marché. Au marché revient l'échange des biens et services, la création de richesses, l'allocation des ressources, le soin de récompenser la prise de risque dans l'économie. A l'État revient la régulation, la protection, la cohésion sociale, la justice, la sécurité, l'affirmation de principes autour desquels une nation peut se rassembler et se projeter dans l'avenir.
3 - Nous réconcilions volontarisme et réalisme
Suivre le cours des choses, subir des lois économiques prétendument naturelles, nous résigner à l'uniformisation politique et culturelle : voilà ce que nous refusons. Nous voulons partir du réel pour mieux le transformer. Je suis pour un volontarisme réaliste.
C'est dans cet esprit que nous recherchons un point d'équilibre entre l'ordre et le mouvement. La gauche et la droite existent. Les clivages qui les séparent aussi. Longtemps, la géographie politique a été ordonnée autour de deux reliefs : le parti de l'ordre - la droite - et celui du mouvement - la gauche. Cette présentation a eu son importance historique et sa pertinence politique. Ordre ou mouvement : cette alternative me paraît désormais un peu sommaire. Si la gauche d'aujourd'hui reste le parti de la transformation sociale, je pense qu'elle doit être aussi celui du respect de la règle collective, des normes nécessaires à l'harmonie de la vie en société.
C'est l'esprit qui inspire notre action en ce qui concerne l'immigration. Nous conduisons une politique qui renoue avec la tradition républicaine, une politique ferme et humaine. Maîtriser les flux migratoires, favoriser l'intégration : toute la gauche est d'accord sur cette approche. Encore faut-il admettre qu'elle implique, en pratique, des reconduites dans leurs pays de personnes présentes illégalement sur notre territoire. Si l'on raisonnait dans un système clos et statique, on pourrait sans doute envisager une régularisation générale des étrangers en situation irrégulière. Mais, parce que nous vivons dans un système ouvert et dynamique, nous ne pouvons pas le faire. Cette prétendue façon de " solder un problème " en créerait un autre plus aigu encore en augmentant les mouvements de population en direction de notre pays et remettrait en cause le principe même de la maîtrise des flux migratoires. C'est pour cela que, conformément à nos engagements, nous avons organisé la régularisation des seules personnes répondant à des critères raisonnables. Elles sont des dizaines de milliers de plus à pouvoir désormais vivre en famille ou à avoir retrouvé des chances d'intégration. J'aimerais que l'on nous en sache gré plutôt que de nous faire reproche de ne pas vouloir mener une politique impossible et jugée telle par les Français.
Des règles sont définies. Elles sont le fruit de notre démocratie. Je respecte sans doute les minorités agissantes. Mais je ne leur reconnais pas le droit de faire la loi. L'État lui, a le devoir de la faire respecter. Nous le ferons.
Il en va de même pour ce qui concerne notre politique en matière de sécurité. La sécurité est un droit ; son absence est une injustice sociale. Elle frappe avant tout les plus défavorisés de nos concitoyens. La gauche ne peut accepter cet état de fait. C'est pourquoi nous travaillons à ce que la loi républicaine soit respectée en tout point de notre sol. La loi républicaine, mais également les règles de civilité et de vie en société.
Cher(e)s camarades,
Cher(e)s ami(e)s,
Vous êtes, parmi les partis de la gauche, le pôle principal de la synthèse politique nouvelle qui, je le crois, s'opère dans la majorité. Cela vous confère des responsabilités, celles d'une grande formation moderne, attractive, capable de nourrir le débat et de faire des propositions répondant aux attentes de nos concitoyens.
Ce mouvement de réflexion avait été engagé avant les élections législatives de 1997 ; il a été poursuivi depuis dans un contexte politique qui est celui de l'exercice du pouvoir. Nous avons réussi les premiers rendez-vous qui ont marqué l'année. D'autres, importants, sont devant nous. Vos débats sont nécessaires non seulement à la vie même du parti, mais aussi pour le gouvernement, pour ce que nous sommes en train de construire ensemble.
Par les responsables du Parti socialiste - et en particulier le Premier secrétaire-, par les groupes parlementaires, vous êtes pleinement associés à la conception de la politique du gouvernement. Par vos travaux et vos débats, par votre présence sur le terrain, vous nous aidez à faire vivre une politique authentiquement de gauche, une politique résolument moderne.
Ce matin, je ressentais, vous l'avez compris, l'envie et le besoin de partager plus directement avec vous, un moment de réflexion politique. Demain, nous partagerons à nouveau le temps de l'action.
Mes cher(e)s camarades,
Le monde a changé, il nous a changés, mais nous n'avons pas perdu la volonté de le changer.