Texte intégral
C'est votre première rentrée, et elle est riche en sujets sociaux. Etes vous satisfait de la manière dont le gouvernement les aborde ?
Les discours sur le dialogue social sont conformes à nos souhaits. Mais pas les actes. Je passe sur le faux pas du smic, que j'attribue à une erreur de démarrage. Deux décisions plus récentes m'inquiètent davantage. D'abord, la création du contrat-jeunes, pour lequel on ne nous a pas demandé notre avis. Ensuite, la loi sur la justice : elle comprend deux mesures qui nécessitaient un minimum de concertation avec les professionnels et les associations famililales, qu'il s'agisse de la répression des insultes aux enseignants ou de la suspension, dans certains cas, des allocations familiales. Ce second exemple montre que je ne défends pas exclusivement le rôle des syndicats, mais celui de l'ensemble de la société civile, dont les associations. L'actuelle majorité est si large qu'elle s'imagine représenter à elle seule le peuple. Dans ce cas, elle n'aurait rien compris à notre demande, qui vise à renforcer la démocratie en crise. Elle n'aurait rien compris non plus au message de défiance adressé le 21 avril par les électeurs aux politiques. Alors, nous lançons un avertissement au gouvernement : il faut arrêter les discours sur le dialogue social et passer aux actes en permettant aux partenaires sociaux de négocier.
Le gouvernement veut justement rencontrer les Français en envoyant les ministres une fois par mois sur le terrain...
Rencontrer les gens n'est jamais mauvais, mais, si la démarche en reste là, on tombe dans la démagogie. Nous ne sommes pas partisans de la démocratie directe. Il existe en France des corps intermédiaires, syndicats et associations, en permanence sur le terrain, et qui ont la capacité à en exprimer les demandes. Si les politiques court-circuitent cette société civile, le fossé entre citoyens et les et les élites révélé par le séisme du 21 avril risque de se creuser encore.
Concrètement, qu'attendez-vous du gouvernement ?
Qu'il distingue clairement les sujets qui relèvent de sa responsabilité, et pour lesquels nous souhaitons simplement être consultés, de ceux qui, au contraire, dépendent de la négociation entre patronats et syndicats. Le smic par exemple relève, clairement de la première catégorie ; les salaires, la politique de l'emploi et en particulier la formation professionnelle, de la seconde.
Diriez-vous que le gouvernement a une ligne sociale clairement définie ?
Oui, pour l'instant, en ce qui concerne le ministre des Affaires sociales. Mais pour le reste, je ressens beaucoup de contradictions au sein du gouvernement comme de la majorité. Par exemple, sur l'opportunité de baisser les charges sociales ou les impôts, et ce d'autant plus que l'évolution économique est incertaine. Chacun y va de sa petite recette.
Vous attendez du gouvernement qu'il réforme les règles de la négociation collective ? Quelles assurances avez-vous recues ?
Actuellement, il suffit qu'une seule organisation signe un accord avec le patronat pour qu'il soit applicable. C'est un système caduque qui encourage les syndicats à ne pas s'engager. La CFDT souhaite que seuls les accords signés par un ou des syndicats représentant la majorité des salariés soient validés. Le poids de chaque organisation serait mesuré par uine élection ayant lieu le même jour dans toutes les entreprises de chaque branche professionnelle. Le Premier ministre s'est dit interressé par l'évolution de ces règles. S'il veut vraiment développer le dialogue social, le gouvernement doit s'impliquer dans cette réforme essentielle pour resserrer le lien entre syndictas et salariés, qui, du coup, auront leur mot à dire sur les accords que l'on signe en leur nom. La démocratie sociale y gagnerait beaucoup.
Le Premier ministre semble reporter le traitement de certains sujets difficiles, comme les retraites à l'après-prud'homales. Qu'en pensez-vous ?
Nous, nous sommes disponibles pour aborder tous les sujets, dès maintenant !
Mais, vous-même, n'êtes-vous en train de durcir le ton à l'égard du gouvernement parce que l'on approche des échéances prud'homales ?
Non. Il y a un moment pour faire des promesses et un moment pour passer aux actes. Nous y sommes !
Le Medef vient de signer une tribune dans Le Figaro. Il y affirme sa volonté de poursuivre la refondation sociale, qu'il a lui-même lancée il y a deux ans. Ce texte, n'auriez-vous pas pu le signer ?
Je prends acte que cette démarche, qui nous est commune, n'est pas abandonnée alors que le Medef semblait tenté de changer son fusil d'épaule, de faire appel exclusivement à la loi pour changer la loi, par exemple sur les 35 heures ou les plans sociaux, en renonçant à la négociation. Mais nous lançons un avertissement au patronat : les discours ne suffiront pas, nous attendons des actes. Il ne peut y avoir y avoir d'alternance dans la politique contractuelle. Et pour le prendre au mot, nous lui proposons tout de suite un menu de négociations : l'emploi, avec avec la prévention des licenciements, la formation professionnelle, le développement de l'alternance et de l'apprentissage, et des négociations sur les salaires dans les branches professionnelles
Comment comptez-vous l'amener à négocier sur les salaires ?
Je le reconnais, cela ne va pas être facile. Il y a une forme de cynisme dans le raisonnement du Medef. Dans la tribune du Figaro, il laisse penser que si les salaires sont insuffisants pour permettre aux salariés de vivre décemment, c'est au gouvernement de les compléter par une politique de revenus. Et, parrallèlement, il réclame une baisse des charges et des impôts ! Si l'on s'aventurait dans cette démarche, les entreprises se désengageraient de leur responsabilité sociale. C'est inacceptable.
Après plusieurs années de modération liée aux 35 heures, les revendications salariales risquent d'être fortes...
En France, les négociations de branches sont si pauvres que que toute une partie des salariés n'espère plus qu'une augmentation du smic pour être mieux rémunérée. Du coup, beaucoup de smicards restent collés à vie au salaire minimum, et les salariés payés juste au-dessus se font très souvent rattraper par le smic. Ce n'est pas normal. Les partenaires sociaux ont une vraie responsabilité : celle de reconstruire les grilles de salaires, trop souvent obsolètes.
La mise en place des 35 heures a aussi multiplié les niveaux de smic. Comment accueillez-vous les promesses d'harmonisation de François Fillon ?
Le gouvernement semnble d'accord pour faire converger les différents smic au niveau le plus haut. C'est très bien. Maintenant, il faut discuter des délais et de la façon d'y arriver le plus rapidement possible : entre deux et trois ans.
Et sur l'emploi, que comptez-vous négocier avec lui ?
Le partenaires sociaux disposent de quelques mois pour apporter au gouvernement la preuve qu'ils sont capables de faire des propositions innovantes en la matière, sinon il fauidra arréter de se plaindre que l'État nous empêche de négocier ! Nous devons notamment mener à bien le chantier de la formation professionnelle, améliorer la situation des salariés des PME en cas de licenciement, car la fameuse loi de modernisatoin sociale ne concerne que les grandes entreprises, c'est-à-dire à peine 15 % des licenciements économiques. Cela dit, nous sommes prêts à discuter du contenu de cette loi. Il me semble, par exemple, que l'alourdissement des procédures des plans sociaux qu'elle prévoit est contre-productif et nuit aux salariés.
Vous, le syndicat emblématique des 35 heures, qu'êtes-vous prêt à accepter en matière d'assouplissement de cette loi ?
Nous ne sommes pas demandeurs d'un tel assouplissement. Notre objectif demeure que tous les salariés aient accès aux 35 heures. Mais nous sommes pragmatiques et nous savons que certaines entreprises ont du mal à y arriver, à cause de problèmes de taille ou de recrutement. C'est l'objet de l'actuelle discussion avec le gouvernement : que la loi permette aux branches professionnelles de négocier des volants d'heures supplémentaires supérieurs à ceux autorisés aujourd'hui, et ce de manière temporaire, car il n'y a aucune raison de figer éternellement des inégalités. Mais qu'on ne fasse pas croire, comme l'a fait la droite pendant la campagne électorale, que l'on va donner le droit aux salariés de choisir leur temps de travail et leur rémunération ! Ce n'est pas sérieux, parce que c'est le patron qui décide de recourir aux heures suppléméntaires, le salarié n'ayant d'ailleurs même pas le droit de les refuser. Dans l'hôtellerie, par exemple, beaucoup de salariés disent qu'ils font trop d'heures supplémentaires et qu'ils ne parviennent pas toujours à se les faire payer.
Au-delà, diriez-vous qiue les 35 heures ont donné de la valeur au travail ?
J'ai du mal à comprendre ces discours. Dans un pays où il y a encore plus de 2 millions de chômeurs et de nombreux travailleurs en situation précaire, il me semble que le travail rete l'élément central de la reconnaissance sociale. Cela dit, dans une société où la culture et les loisirs prennent de plus en plus d'importance, que les Français s'épanouissent aussi hors du travail me paraît plutôt positif.
Concernant les retraites, comment comptez-vous persuader les fonctionnaires qu'ils devront travailler plus longtemps ?
Vous ne prenez pas les choses par le bon bout ! D'abord, la retraite n'est pas le problème des seuls fonctionnaires, mais celui de la société tout entière. Ensuite, les fonctionnaires eux-mêmes ont intérêt à une réforme. En voici deux preuves. Ceux dont la rémunération comporte une forte part de primes perçoivent de faibles retraites, car celles-ci ne sont pas prises en compte dans le calcul des pensions. De nombreux fonctionnaires de catégorie C sont dans cette situation. En outre, de nombreux fonctionnaires qui ont commencé à travailler tôt cotisent déjà quarante ans et plus au moment où ils partent à la retraite. Situation aussi injuste que dans le privé !
Votre position sur les retraites a été chahutée lors du dernier congrès de la CFDT, en mai dernier. Ne craignez-vous pas des remous internes quand on abordera ce dossier ?
Ces réactions ont été largement surmédiatisées. Mais elles sont normales : ce sujet est difficile pour la population dans son entier, et la CFDT en est le reflet.
Passons à la santé. Le 4 juin, la Cnam, que la CFDT préside, n'a-t-elle pas signé un accord de dupes avec les médecins, dont l'engagement à prescrire des médicaments génériques est libre de toute contrainte ?
Non, car nous avons évité que les médecins ne décident d'eux-mêmes le montant de leur consultation, imposant ainsi aux assurés sociaux une partie non remboursée. Et puis il faut faire confiance aux syndicats de médecins pour expliquer à leurs mandants qu'ils ne doivent pas scier la branche sur laquelle ils sont assis. Un engagement, c'est un engagement ! De toute façon, nous ferons un bilan de l'utilisation des génériques. Ce qui mérite aussi d'être éclairci, c'est le discours du ministre de la Santé, Jean-François Mattei, qui laisse s'installer l'idée que, face à l'augmentation des dépenses de santé, la Sécu pourrait se désengager en partie, obligeant les Français à payer plus de leur poche, ou à s'assurer davantage auprès de mutuelles ou de compagnies privées. On prendrait le risque d'une privatisation partielle de la Sécu. Or, aujourd'hui, certains foyers ne souscrivent pas de mutuelle, car ils n'en ont pas les moyens. Nous proposons donc d'instituer un système d'assurance-maladie complémentaire obligatoire, comme il existe déjà des retraites complémentaires à celles de la Sécu, avec une partie payée par les employeurs. Voilà encore un sujet de négociation avec le patronat.
Pour l'heure, le Medef ne semble pas disposé à revenir siéger à la Cnam. Cet échec du paritarisme n'est-il pas un peu celui de la CFDT ?
Il est plutôt celui des gouvernements successifs à définir le rôle des uns et des autres dans la gestion de l'assurance-maladie. Nous proposons de redéfinir les responsabilités de l'État et des caisses, et de clarifier le financement de la Sécu. C'est, en grande partie, pour n'avoir pas obtenu satisfaction sur ces points que le Medef a quitté les instances dirigeantes de la Sécu. Si le gouvernement accepte de donner les bonnes réponses, le Medef sera au pied du mur.
Et le sentez-vous prêt à aller dans ce sens ?
Jean-Pierre Raffarin a parlé de " nouvelle gouvernance ", sans toutefois préciser sa pensée. Il faut que le gouvernement comprenne bien qu'il a la responsabilité de maintenir le système actuel ou de faire un saut dans l'inconnu.
À plusieurs reprises vous avez évoqué le choc du 21 avril. Quelles leçons en tirez-vous pour la CFDT ?
Nous devons poursuivre et approfondir la démarche que nous avons entamée il y a vingt ans sur la place des partenaires sociaux et leur légitimité. C'est pour cela que nous défendons un syndicalisme d'adhérents : la faiblesse du syndicalisme français - et cela inclut la CFDT - est l'une des explications à ce qui s'est passé le 21 avril. Après treize années de progression, nous comptons 875 000 adhérents, et notre objectif est d'arriver à 1,2 million d'ici à 2007 pour renforcer notre capacité d'écoute des salariés et d'action.
Cela fait cent jours que vous dirigez la CFDT. Quelle est votre première impression ?
Celle de ne pas être seul ! J'ai trouvé ici une dynamique très stimulante, un désir de faire et de réussir. Les militants ont envie d'occuper le terrain. Moi-même, passé les premiers moments d'inquiétude, je suis enthousiaste, j'ai hâte que la rentrée se fasse, que la partie s'engage avec le gouvernement et avec le patronat.
Voilà un bon moment que nous parlons et vous n'avez pas prononcé une seule fois le nom de Nicole Notat. Vous vous exercez ?
[Rires.] Non, pas du tout. La vérité est qu'elle me fout une paix royale ; elle a tout fait pour me faciliter la tâche et, aujourd'hui, elle me laisse faire. Pourtant elle est, pour quelques jours encore, dans la maison, à deux étages au-dessus de mon bureau. Je la croise de temps en temps. Je suis allé lui dire bonjour à son retour de vacances, mais, si je ne sollicite pas son avis, elle ne me le donne pas.
Vous ne ressentez donc pas de difficultés particulières à chausser ses escarpins ?
J'aurais bien du mal ! Je reste dans les miens et j'y suis très bien.
(Source http://www.cfdt.fr, le 30 août 2002)
Les discours sur le dialogue social sont conformes à nos souhaits. Mais pas les actes. Je passe sur le faux pas du smic, que j'attribue à une erreur de démarrage. Deux décisions plus récentes m'inquiètent davantage. D'abord, la création du contrat-jeunes, pour lequel on ne nous a pas demandé notre avis. Ensuite, la loi sur la justice : elle comprend deux mesures qui nécessitaient un minimum de concertation avec les professionnels et les associations famililales, qu'il s'agisse de la répression des insultes aux enseignants ou de la suspension, dans certains cas, des allocations familiales. Ce second exemple montre que je ne défends pas exclusivement le rôle des syndicats, mais celui de l'ensemble de la société civile, dont les associations. L'actuelle majorité est si large qu'elle s'imagine représenter à elle seule le peuple. Dans ce cas, elle n'aurait rien compris à notre demande, qui vise à renforcer la démocratie en crise. Elle n'aurait rien compris non plus au message de défiance adressé le 21 avril par les électeurs aux politiques. Alors, nous lançons un avertissement au gouvernement : il faut arrêter les discours sur le dialogue social et passer aux actes en permettant aux partenaires sociaux de négocier.
Le gouvernement veut justement rencontrer les Français en envoyant les ministres une fois par mois sur le terrain...
Rencontrer les gens n'est jamais mauvais, mais, si la démarche en reste là, on tombe dans la démagogie. Nous ne sommes pas partisans de la démocratie directe. Il existe en France des corps intermédiaires, syndicats et associations, en permanence sur le terrain, et qui ont la capacité à en exprimer les demandes. Si les politiques court-circuitent cette société civile, le fossé entre citoyens et les et les élites révélé par le séisme du 21 avril risque de se creuser encore.
Concrètement, qu'attendez-vous du gouvernement ?
Qu'il distingue clairement les sujets qui relèvent de sa responsabilité, et pour lesquels nous souhaitons simplement être consultés, de ceux qui, au contraire, dépendent de la négociation entre patronats et syndicats. Le smic par exemple relève, clairement de la première catégorie ; les salaires, la politique de l'emploi et en particulier la formation professionnelle, de la seconde.
Diriez-vous que le gouvernement a une ligne sociale clairement définie ?
Oui, pour l'instant, en ce qui concerne le ministre des Affaires sociales. Mais pour le reste, je ressens beaucoup de contradictions au sein du gouvernement comme de la majorité. Par exemple, sur l'opportunité de baisser les charges sociales ou les impôts, et ce d'autant plus que l'évolution économique est incertaine. Chacun y va de sa petite recette.
Vous attendez du gouvernement qu'il réforme les règles de la négociation collective ? Quelles assurances avez-vous recues ?
Actuellement, il suffit qu'une seule organisation signe un accord avec le patronat pour qu'il soit applicable. C'est un système caduque qui encourage les syndicats à ne pas s'engager. La CFDT souhaite que seuls les accords signés par un ou des syndicats représentant la majorité des salariés soient validés. Le poids de chaque organisation serait mesuré par uine élection ayant lieu le même jour dans toutes les entreprises de chaque branche professionnelle. Le Premier ministre s'est dit interressé par l'évolution de ces règles. S'il veut vraiment développer le dialogue social, le gouvernement doit s'impliquer dans cette réforme essentielle pour resserrer le lien entre syndictas et salariés, qui, du coup, auront leur mot à dire sur les accords que l'on signe en leur nom. La démocratie sociale y gagnerait beaucoup.
Le Premier ministre semble reporter le traitement de certains sujets difficiles, comme les retraites à l'après-prud'homales. Qu'en pensez-vous ?
Nous, nous sommes disponibles pour aborder tous les sujets, dès maintenant !
Mais, vous-même, n'êtes-vous en train de durcir le ton à l'égard du gouvernement parce que l'on approche des échéances prud'homales ?
Non. Il y a un moment pour faire des promesses et un moment pour passer aux actes. Nous y sommes !
Le Medef vient de signer une tribune dans Le Figaro. Il y affirme sa volonté de poursuivre la refondation sociale, qu'il a lui-même lancée il y a deux ans. Ce texte, n'auriez-vous pas pu le signer ?
Je prends acte que cette démarche, qui nous est commune, n'est pas abandonnée alors que le Medef semblait tenté de changer son fusil d'épaule, de faire appel exclusivement à la loi pour changer la loi, par exemple sur les 35 heures ou les plans sociaux, en renonçant à la négociation. Mais nous lançons un avertissement au patronat : les discours ne suffiront pas, nous attendons des actes. Il ne peut y avoir y avoir d'alternance dans la politique contractuelle. Et pour le prendre au mot, nous lui proposons tout de suite un menu de négociations : l'emploi, avec avec la prévention des licenciements, la formation professionnelle, le développement de l'alternance et de l'apprentissage, et des négociations sur les salaires dans les branches professionnelles
Comment comptez-vous l'amener à négocier sur les salaires ?
Je le reconnais, cela ne va pas être facile. Il y a une forme de cynisme dans le raisonnement du Medef. Dans la tribune du Figaro, il laisse penser que si les salaires sont insuffisants pour permettre aux salariés de vivre décemment, c'est au gouvernement de les compléter par une politique de revenus. Et, parrallèlement, il réclame une baisse des charges et des impôts ! Si l'on s'aventurait dans cette démarche, les entreprises se désengageraient de leur responsabilité sociale. C'est inacceptable.
Après plusieurs années de modération liée aux 35 heures, les revendications salariales risquent d'être fortes...
En France, les négociations de branches sont si pauvres que que toute une partie des salariés n'espère plus qu'une augmentation du smic pour être mieux rémunérée. Du coup, beaucoup de smicards restent collés à vie au salaire minimum, et les salariés payés juste au-dessus se font très souvent rattraper par le smic. Ce n'est pas normal. Les partenaires sociaux ont une vraie responsabilité : celle de reconstruire les grilles de salaires, trop souvent obsolètes.
La mise en place des 35 heures a aussi multiplié les niveaux de smic. Comment accueillez-vous les promesses d'harmonisation de François Fillon ?
Le gouvernement semnble d'accord pour faire converger les différents smic au niveau le plus haut. C'est très bien. Maintenant, il faut discuter des délais et de la façon d'y arriver le plus rapidement possible : entre deux et trois ans.
Et sur l'emploi, que comptez-vous négocier avec lui ?
Le partenaires sociaux disposent de quelques mois pour apporter au gouvernement la preuve qu'ils sont capables de faire des propositions innovantes en la matière, sinon il fauidra arréter de se plaindre que l'État nous empêche de négocier ! Nous devons notamment mener à bien le chantier de la formation professionnelle, améliorer la situation des salariés des PME en cas de licenciement, car la fameuse loi de modernisatoin sociale ne concerne que les grandes entreprises, c'est-à-dire à peine 15 % des licenciements économiques. Cela dit, nous sommes prêts à discuter du contenu de cette loi. Il me semble, par exemple, que l'alourdissement des procédures des plans sociaux qu'elle prévoit est contre-productif et nuit aux salariés.
Vous, le syndicat emblématique des 35 heures, qu'êtes-vous prêt à accepter en matière d'assouplissement de cette loi ?
Nous ne sommes pas demandeurs d'un tel assouplissement. Notre objectif demeure que tous les salariés aient accès aux 35 heures. Mais nous sommes pragmatiques et nous savons que certaines entreprises ont du mal à y arriver, à cause de problèmes de taille ou de recrutement. C'est l'objet de l'actuelle discussion avec le gouvernement : que la loi permette aux branches professionnelles de négocier des volants d'heures supplémentaires supérieurs à ceux autorisés aujourd'hui, et ce de manière temporaire, car il n'y a aucune raison de figer éternellement des inégalités. Mais qu'on ne fasse pas croire, comme l'a fait la droite pendant la campagne électorale, que l'on va donner le droit aux salariés de choisir leur temps de travail et leur rémunération ! Ce n'est pas sérieux, parce que c'est le patron qui décide de recourir aux heures suppléméntaires, le salarié n'ayant d'ailleurs même pas le droit de les refuser. Dans l'hôtellerie, par exemple, beaucoup de salariés disent qu'ils font trop d'heures supplémentaires et qu'ils ne parviennent pas toujours à se les faire payer.
Au-delà, diriez-vous qiue les 35 heures ont donné de la valeur au travail ?
J'ai du mal à comprendre ces discours. Dans un pays où il y a encore plus de 2 millions de chômeurs et de nombreux travailleurs en situation précaire, il me semble que le travail rete l'élément central de la reconnaissance sociale. Cela dit, dans une société où la culture et les loisirs prennent de plus en plus d'importance, que les Français s'épanouissent aussi hors du travail me paraît plutôt positif.
Concernant les retraites, comment comptez-vous persuader les fonctionnaires qu'ils devront travailler plus longtemps ?
Vous ne prenez pas les choses par le bon bout ! D'abord, la retraite n'est pas le problème des seuls fonctionnaires, mais celui de la société tout entière. Ensuite, les fonctionnaires eux-mêmes ont intérêt à une réforme. En voici deux preuves. Ceux dont la rémunération comporte une forte part de primes perçoivent de faibles retraites, car celles-ci ne sont pas prises en compte dans le calcul des pensions. De nombreux fonctionnaires de catégorie C sont dans cette situation. En outre, de nombreux fonctionnaires qui ont commencé à travailler tôt cotisent déjà quarante ans et plus au moment où ils partent à la retraite. Situation aussi injuste que dans le privé !
Votre position sur les retraites a été chahutée lors du dernier congrès de la CFDT, en mai dernier. Ne craignez-vous pas des remous internes quand on abordera ce dossier ?
Ces réactions ont été largement surmédiatisées. Mais elles sont normales : ce sujet est difficile pour la population dans son entier, et la CFDT en est le reflet.
Passons à la santé. Le 4 juin, la Cnam, que la CFDT préside, n'a-t-elle pas signé un accord de dupes avec les médecins, dont l'engagement à prescrire des médicaments génériques est libre de toute contrainte ?
Non, car nous avons évité que les médecins ne décident d'eux-mêmes le montant de leur consultation, imposant ainsi aux assurés sociaux une partie non remboursée. Et puis il faut faire confiance aux syndicats de médecins pour expliquer à leurs mandants qu'ils ne doivent pas scier la branche sur laquelle ils sont assis. Un engagement, c'est un engagement ! De toute façon, nous ferons un bilan de l'utilisation des génériques. Ce qui mérite aussi d'être éclairci, c'est le discours du ministre de la Santé, Jean-François Mattei, qui laisse s'installer l'idée que, face à l'augmentation des dépenses de santé, la Sécu pourrait se désengager en partie, obligeant les Français à payer plus de leur poche, ou à s'assurer davantage auprès de mutuelles ou de compagnies privées. On prendrait le risque d'une privatisation partielle de la Sécu. Or, aujourd'hui, certains foyers ne souscrivent pas de mutuelle, car ils n'en ont pas les moyens. Nous proposons donc d'instituer un système d'assurance-maladie complémentaire obligatoire, comme il existe déjà des retraites complémentaires à celles de la Sécu, avec une partie payée par les employeurs. Voilà encore un sujet de négociation avec le patronat.
Pour l'heure, le Medef ne semble pas disposé à revenir siéger à la Cnam. Cet échec du paritarisme n'est-il pas un peu celui de la CFDT ?
Il est plutôt celui des gouvernements successifs à définir le rôle des uns et des autres dans la gestion de l'assurance-maladie. Nous proposons de redéfinir les responsabilités de l'État et des caisses, et de clarifier le financement de la Sécu. C'est, en grande partie, pour n'avoir pas obtenu satisfaction sur ces points que le Medef a quitté les instances dirigeantes de la Sécu. Si le gouvernement accepte de donner les bonnes réponses, le Medef sera au pied du mur.
Et le sentez-vous prêt à aller dans ce sens ?
Jean-Pierre Raffarin a parlé de " nouvelle gouvernance ", sans toutefois préciser sa pensée. Il faut que le gouvernement comprenne bien qu'il a la responsabilité de maintenir le système actuel ou de faire un saut dans l'inconnu.
À plusieurs reprises vous avez évoqué le choc du 21 avril. Quelles leçons en tirez-vous pour la CFDT ?
Nous devons poursuivre et approfondir la démarche que nous avons entamée il y a vingt ans sur la place des partenaires sociaux et leur légitimité. C'est pour cela que nous défendons un syndicalisme d'adhérents : la faiblesse du syndicalisme français - et cela inclut la CFDT - est l'une des explications à ce qui s'est passé le 21 avril. Après treize années de progression, nous comptons 875 000 adhérents, et notre objectif est d'arriver à 1,2 million d'ici à 2007 pour renforcer notre capacité d'écoute des salariés et d'action.
Cela fait cent jours que vous dirigez la CFDT. Quelle est votre première impression ?
Celle de ne pas être seul ! J'ai trouvé ici une dynamique très stimulante, un désir de faire et de réussir. Les militants ont envie d'occuper le terrain. Moi-même, passé les premiers moments d'inquiétude, je suis enthousiaste, j'ai hâte que la rentrée se fasse, que la partie s'engage avec le gouvernement et avec le patronat.
Voilà un bon moment que nous parlons et vous n'avez pas prononcé une seule fois le nom de Nicole Notat. Vous vous exercez ?
[Rires.] Non, pas du tout. La vérité est qu'elle me fout une paix royale ; elle a tout fait pour me faciliter la tâche et, aujourd'hui, elle me laisse faire. Pourtant elle est, pour quelques jours encore, dans la maison, à deux étages au-dessus de mon bureau. Je la croise de temps en temps. Je suis allé lui dire bonjour à son retour de vacances, mais, si je ne sollicite pas son avis, elle ne me le donne pas.
Vous ne ressentez donc pas de difficultés particulières à chausser ses escarpins ?
J'aurais bien du mal ! Je reste dans les miens et j'y suis très bien.
(Source http://www.cfdt.fr, le 30 août 2002)