Extraits de l'interview de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, dans "Corriere della sera" du 8 novembre 2002, sur le bilan du sommet entre la France et l'Italie, les relations et la coopération militaires entre la France et l'Italie et sur la position française par rapport à la mission d'inspection de l'ONU sur le désarmement en Irak.

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Média : Corriere della sera

Texte intégral

Q - Monsieur le Premier Ministre, pouvez-vous faire un bilan du Sommet ?
R - Le résultat le plus important est d'avoir remis sur la bonne voie les relations franco-italiennes. C'est un résultat politique auquel le président de la République et moi-même attribuons une grande valeur. Nous sommes des pays voisins. Nous sommes, l'un pour l'autre, des partenaires commerciaux importants. "Les surs latines" doivent se serrer les coudes. Il y a d'autres résultats importants. L'ouverture de cols alpins progresse, à un rythme que d'aucuns trouveront lent, mais qui est rapide étant donné l'importance des travaux et des investissements. La coopération militaire est excellente, comme le prouve la signature d'un contrat de constructions de navires pour nos marines militaires. Les échanges culturels sont intenses, en particulier en ce qui concerne le cinéma et l'édition.
Q - On peut donc parler d'amitié renforcée ?
R - Oui. Cette amitié est fondée sur un terrain déjà riche qu'il faut nourrir. C'est à cela que servent les sommets et les rencontres ministériels. Prenons, par exemple, l'avenir de l'Europe. L'Italie et la France ont un poids comparable, des aspirations similaires, des intérêts convergents. Le poids de notre contribution ne peut qu'augmenter. Ensemble, nous devons faire valoir une position visant à une meilleure répartition du coût de l'élargissement que nos deux pays souhaitent.
Q - Peut-on considérer que les polémiques du passé sont dépassées ? Par exemple, l'incident du Salon du Livre ?
R - Vous venez de le dire. On a donné trop d'importance à ce qui n'était, pour l'essentiel, que des polémiques personnelles et des divergences de sensibilité. La mise en lumière excessive - et, permettez-moi de le dire, facile et injuste - d'un petit épisode, a occulté la réalité des relations bilatérales de longue date. Aujourd'hui, cette polémique a été oubliée. Heureusement. Et ce Sommet le prouve.
Q - La coopération militaire place la France et l'Italie en première ligne dans le projet de défense commune européenne ?
La France et l'Italie sont des partenaires fondateurs de l'Union. Elles sont amenées à s'entendre pour donner au projet européen une pleine dimension en matière de défense. Cela présuppose que nous soyons prêts, ensemble, à assumer nos responsabilités, par exemple, pour garantir la relève des troupes de l'OTAN en Macédoine, où le maintien d'une présence internationale est indispensable.
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Q - Le président Chirac et son gouvernement ont pris une position internationale forte et autonome, notamment sur la question de la guerre en Iraq et de l'alliance avec les Etats-Unis dans la lutte contre le terrorisme. Comment répondez-vous aux critiques sur le soi-disant "anti-américanisme" des Français ?
R - Notre objectif est simple : les inspecteurs de l'ONU doivent pouvoir faire leur travail pour garantir le désarmement de l'Iraq. En cas de difficultés, il reviendrait au Conseil de sécurité de tirer les conséquences d'éventuelles violations de la part de Bagdad. Cela ne peut pas se faire de façon automatique. Il ne s'agit donc pas de prendre des décisions en contradiction avec les Etats-Unis, mais de chercher des solutions garantissant l'unité de la communauté internationale, la légitimité de son action et donc son efficacité, en adressant de toute façon un message très ferme à l'Iraq. La guerre doit rester l'ultime recours. Je suis persuadé que cette conviction est largement partagée en Europe. La discussion sur l'Iraq n'influence pas la coopération antiterroriste : nous sommes alliés dans la lutte contre le terrorisme, nous avons manifesté concrètement notre solidarité avec les Etats-Unis - sur le plan militaire également - lorsqu'ils ont été attaqués. Il se peut que certains Français soient anti-Américains, mais les Français dans leur ensemble ne sont pas anti-Américains et n'ont pas la mémoire courte du point de vue de l'Histoire. C'est un cliché un peu facile : dès qu'il y a un désaccord, ne serait-ce qu'un simple débat avec les Etats-Unis, alors on est anti-Américain ! Alors que le fait de discuter avec honnêteté de sujets sur lesquels nous pouvons avoir des positions différentes rend service à notre alliance avec les Etats-Unis.
Q - Comment envisagez-vous les relations européennes et les soi-disant "axes" stratégiques entre les différents pays ?
R - Pour que l'Europe progresse, il faut une dynamique. Elle est souvent franco-allemande. Mais l'Europe ne peut avancer contre l'avis des partenaires. La construction européenne est le fruit d'une volonté collective. Chacun doit y apporter sa propre contribution selon les formes qui, à son avis, correspondent le mieux à ses aspirations, à son Histoire. Alors, dans ces conditions, parler d'axes est une formule journalistique commode mais qui ne reflète pas la réalité des choses. L'Italie est un partenaire privilégié et nous l'avons réaffirmé lors de ce Sommet. Nous sommes déterminés à faire en sorte que le Traité historique de la nouvelle constitution européenne soit signé à Rome, sous la présidence italienne de l'Union européenne./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 novembre 2002)