Déclaration de Mme Marie-George Buffet, secrétaire nationale du PCF, sur les raisons de l'échec de la gauche aux élections présidentielle et législative de 2002, à Malo-les-Bains (Nord) le 29 août 2002.

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Texte intégral

Cher-e-s ami-e-s, Cher-e-s camarades,
Je suis très heureuse d'être avec vous aujourd'hui à Malo-les-Bains pour cette journée de vacances. J'apprécie ce moment de solidarité et votre générosité. Je sais aussi vos souffrances et aspirations d'hommes et de femmes du monde du travail. J'entends que vous ne voulez pas vous laisser faire, j'entends vos espoirs d'un monde plus juste. Ici, dans le Nord, tout cela est enraciné profondément. C'est pour cela que je me sens, si cela ne vous dérange pas, un peu comme chez moi dans votre région.
Aussi, lorsque mes amis de la fédération du Parti communiste, Pascal Lenglet, Alain Bocquet, Michèle Demessine, Yvan Renar, m'ont demandé si je voulais me joindre à vous pour cette journée au bord de la mer, je n'ai pas hésité une seconde. Pendant que d'autres formations politiques sont aux prises à des débats de sommet entre dirigeants, les communistes proposent cette journée à la mer à des centaines de familles privées du droit aux vacances. Dans une société où peu importent les droits des salariés, des familles, du moment que la Bourse s'éclate, cette initiative compte. Là voilà votre rentrée politique : une rentrée ancrée dans la vie où l'on se retrouve ensemble pour vivre des moments de joie et inventer des chemins porteurs d'avenir. Rassemblés à Malo, vous êtes la raison d'être du Parti communiste. Après le séisme démocratique du printemps, après le choc historique connu par le Parti communiste, là voilà notre boussole.
Les communistes sont debout, rassemblés, déterminés à répondre au message que vous leur avez adressé et déterminés à être à vos côtés, vous qui avez tant de mal à vivre de votre travail ou qui en êtes privés.
Ensemble, nous allons faire face. La droite n'aura pas les mains libres. Contrairement à ceux qui ne pensent qu'à retrouver le pouvoir dans cinq ans ou à le garder, nous allons, avec vous, agir au quotidien pour alléger vos difficultés, résister aux mauvais coups et construire une alternative progressiste.
Ici, personne n'est dupe : le Premier ministre parle avec mépris de "la France d'en bas" comme les grands bourgeois du 19ème siècle parlaient des bas quartiers, et il nomme un grand patron Francis Mer, de triste mémoire dans la région, pour gérer l'économie de notre pays. Il refuse d'augmenter le Smic et parle de geler son montant pendant plusieurs années mais autorise ses ministres à s'augmenter de 70%. Il parle du travail mais il refuse aux jeunes toute qualification et n'a pour objectif que de diminuer les charges des entreprises. A son programme, il a la mise en cause de notre système de retraite, de l'assurance maladie, la réduction des emplois dans la fonction publique. Il parle sécurité mais en fait il nous prépare une société particulièrement insécuritaire. Il veut privatiser l'Electricité et le Gaz de France ou supprimer la loi de modernisation sociale. Il remet en cause l'allocation autonomie pour les personnes âgées -trop chère- et l'ordonnance de 1945 visant à la protection et à la prévention des mineurs. Trop éducative ! De 7 ans à 77 ans, M. Raffarin, la droite et le Medef ont prévu de nous priver de nos droits, de nos acquis. Chacune de ses décisions se prend au nom de la France d'en haut, celle qui domine, qui exploite, qui s'enrichit. Aussi, quand j'entends des personnalités socialistes se plaindre que la droite copie aujourd'hui sur certaines questions ce qu'ils voulaient faire hier, j'ai envie de dire : "à gauche, réveillez-vous". Car enfin, cette société que la droite a la volonté d'installer, mesure après mesure, loi après loi, c'est une société du chacun pour soi où seuls quelques uns, presque toujours les mêmes peuvent s'en sortir. C'est une société de plus d'injustices et d'inégalités, où les hommes et les femmes sont licenciés, rejetés, broyés par la recherche du profit tandis que la République capitule et laisse les clefs aux patrons. C'est une société de grilles, une société où l'on se méfie les uns des autres, où lorsqu'on est " du populaire " on est considéré comme délinquant potentiel. Nous ne voulons pas de cette société qui ne produit rien de beau entre les individus. Nous n'acceptons pas les ravages produits par le capitalisme ici et dans le monde. Les discours sentencieux du Premier ministre n'y feront rien. Nous disons non à cette société de violence, de méfiance, d'égoïsme, d'inégalités, d'insécurité.
Alors quelles solutions ? Beaucoup d'entre vous doivent s'interroger : si de la droite vous n'attendez rien, la gauche plurielle en cinq ans de pouvoir n'a pas changé vraiment votre vie.
Comme vous, je m'interroge beaucoup sur ce qui vient de se passer.
Pendant cinq ans, dans ma responsabilité, avec les autres ministres communistes, avec les parlementaires, avec les communistes, nous avons essayé de peser du plus fort que nous pouvions pour lutter contre la loi de l'argent qui s'infiltre partout, pour donner la parole aux jeunes, au monde du travail, pour que ce gouvernement aille plus loin dans la réponse à vos attentes. Si j'ai le sentiment que nous avons été un peu utiles, il est clair que ce qui domine ce sont les insatisfactions, elles se sont exprimées lors des élections, je les porte en moi. Il y a eu des acquis, mais soyons lucides ce gouvernement de gauche n'a pas osé affronter les tenants du système capitaliste, il n'a pas osé agir pour construire une Europe du progrès social. De concessions en concessions, la gauche n'a pas suffisamment mené le combat des droits des salariés, des familles modestes. Et dans cette gauche, le Parti communiste n'a pas pu, n'a pas su peser pour que soit répondu à vos attentes.
Certains d'entre vous nous l'ont dit au printemps, vous avez eu l'impression que le Parti communiste français n'était plus votre parti, un parti à vos côtés sur le terrain de la vie quotidienne, un parti capable de vous donner une part de rêve. Quelque part, vous avez eu le sentiment que nous étions devenus un parti comme les autres.
Alors que faire ?
Les responsables socialistes auraient trouvé, ces jours-ci, la solution : constituer " un grand parti unique de la gauche ". Un grand parti, pourquoi faire ? Pour refaire ce qui a déçu le peuple de gauche ces dernières années ? Non, l'heure n'est pas à ce genre de réponses politiciennes, mais à un vaste débat pour tirer les enseignements de ce qui a fait échouer la gauche et pour construire une politique qui réponde vraiment à vos problèmes et attentes.
Car en vérité, entre la droite qui met en berne la démocratie avec ses projets de réformes des scrutins électoraux et un débat politique réduit à deux grands partis qui alterneraient au pouvoir sans mener les grandes réformes nécessaires, qui joueraient l'alternance à l'anglaise, le choix pour vous est piégé.
Piégé et porteur de risques graves, car l'extrême droite est là, en embuscade, pour embarquer notre peuple, déçu une nouvelle fois, dans un populisme xénophobe.
Alors, quelle alternative de progrès ? Si pour vous, comme pour moi, la gauche et la droite, ce n'est pas pareil, il faut, à gauche, toute l'expérience le montre, une force qui refuse la pédagogie du renoncement, une force qui vise à dépasser enfin le système capitaliste, une force qui veut contribuer à créer de nouveaux rapports entre les individus et entre les peuples. C'est ce combat qui anime les communistes.
Je crois pour cette raison à l'avenir d'une force communiste. Une force capable de porter l'espoir d'une société de solidarité et de progrès, d'une perspective de dépassement du capitalisme et de ses maux, d'un communisme à la fois actuel et ressourcé.
Une force, assumant le devoir d'audace et d'inventions politiques qu'appelle le grave échec des dernières élections. Car si le communisme peut et doit rouvrir un horizon que l'immense offensive du capitalisme a ces dernières décennies fortement obscurci, il ne pourra le faire qu'en rendant possible une véritable contre-offensive des forces progressistes face à la mondialisation capitaliste. Il nous faut imaginer pour cela les conditions d'un large rassemblement politique autour de solutions alternatives répondant aux attentes fortes de notre peuple.
J'entends bien un peu partout dire que l'idée communiste est morte. La mode est à l'acceptation du système en place. Passez, il n'y a rien a voir, on ne peut pas mieux fairemoi, je crois qu'il y a besoin, en ce troisième millénaire, de redonner un sens positif au mot progrès, de faire vivre des choix audacieux, bousculant l'ordre progressiste. Rien ne nous oblige à accepter la société telle qu'elle est aujourd'hui ; d'accepter que pour beaucoup d'entre vous cette journée à la mer soit le seul moment de vacances dans l'année alors qu'une minorité de milliardaires flambent des milliards en Bourse ? d'accepter qu'une femme soit moins bien payée qu'un homme parce qu'elle est femme ? d'accepter que l'on doit moins bien vivre aujourd'hui qu'hier parce que le capitalisme est mondialisé ? d'accepter qu'un jeune aujourd'hui puisse démarrer sa vie en se disant que son avenir se conjugue avec précarité ? d'accepter que l'on détruise la planète, que l'on mette en danger les générations de demain, pour des profits immédiats, que des hommes et des femmes soient contraints à l'exil, que des peuples soient voués à la famine et au sida ? d'accepter une société de discriminations racistes, sociales ? Est-il sûr que notre avenir tient dans un dilemme : être écrasé ou écraser les autres ? Devons-nous abandonner la quête humaine vers le bonheur ? A toutes ces questions, je réponds NON, mille fois NON. C'est le sens de l'engagement communiste. Un communisme d'aujourd'hui émancipateur, libérateur d'humanité. Un communisme qui réinvente les contours d'une société nouvelle, possible car nécessaire. Qui porte un projet rassembleur car ambitieux, humaniste car porteur des valeurs progressistes, mobilisateur car redonnant de l'espoir, de la dignité à toutes celles et tous ceux qui subissent des dominations, utile à changer concrètement la vie de tous les jours et pour façonner l'avenir.
C'est à cela que je vous invite. Vous en avez besoin, nous en avons besoin! Nous voulons ensemble un monde de fraternité, où chacune, chacun se sente respecté, où chacune, chacun trouve sa place. Nous pouvons ensemble réinventer la politique, une politique honnête et courageuse, une politique proche de vous, qui veut changer ce monde. Vous le savez, il y a beaucoup à inventer, beaucoup à construire. Avec vous, les communistes vont en débattre ces prochaines semaines de la fête de l'humanité jusqu'à leur congrès au printemps.
Il y a des mots que le baron Sellière et quelques autres vont devoir s'habituer à entendre, même si cela les dérange : justice sociale, égalité, droits.
Cher-e-s amis, Cher-e-s camarades,
Nous traversons une période difficile. Mais vous tous ici, vous représentez tant de solidarité, d'intelligence, de révolte et d'humanité que cela donne envie de faire face. C'est du moins ce que je ressens.
Alors avec vous, ici à Malo-les-Bains, je l'affirme très fort : on ne va pas se laisser faire, tous ensemble. On va se donner les moyens de vivre mieux et pourquoi pas de rêver ?
(source http://www.pcf.fr, le 30 août 2002)