Texte intégral
Entretien à Publico le 27 mai 2000 :
Q - Dans quelle mesure pensez-vous que le débat lancé par les propositions de Fischer peut-il influencer la présidence française ? Et, notamment, le travail de la Conférence intergouvernementale (CIG) que la France devra conclure ?
R - La réflexion du ministre Fischer est très intéressante, mais elle n'est pas la première. Il y eut celle de Jacques Delors, et beaucoup d'autres points de vue, italiens, britanniques, portugais...
Cette réflexion sur l'avenir de l'Europe, dans une perspective à long terme, est indispensable. En se rendant compte que l'Union va s'élargir à vingt ou à trente pays, il est clair qu'on ne peut pas continuer à fonctionner comme nous fonctionnons aujourd'hui. On voit apparaître, d'un côté, des solutions très pragmatiques et, de l'autre, des solutions de type fédéraliste. Chacune des deux a des avantages et des inconvénients.
Les solutions fédéralistes donnent l'impression d'une grande efficacité et simplicité, mais elles posent un problème très compliqué en ce qui concerne la répartition des pouvoirs entre le niveau fédéral et les Etats nationaux. Les solutions pragmatiques évitent ce problème, mais elles sont moins radicales en termes d'efficacité...
Q - Et moins démocratiques aussi, celle-ci est une préoccupation de Fischer ...
R - Non, elles ne sont pas moins démocratiques dans la mesure où les décisions sont prises par des gouvernements démocratiques qui officient en pleine transparence, qui sont contrôlés par les parlements et par les opinions publiques. Il ne s'agit pas d'une question de démocratie mais de simplicité et d'efficacité.
Q - Et quant à la CIG ?
R - Notre rôle immédiat durant la future présidence n'est pas de mettre sur la table un plan très intéressant mais qui provoquera la division des Etats membres en deux, trois ou quatre groupes. Là n'est pas l'objectif de notre présidence. L'Allemagne n'a également pas présenté ses propositions avant sa présidence.
Q - Vous avez dit lors d'un entretien que les propositions de Fischer correspondaient à un long travail conjoint entre la France et l'Allemagne. Cela veut-il dire que la France se reconnaît dans celles-ci ?
R - Ces propositions sont, en partie, le résultat d'une réflexion que nous avons maintenue, lui et moi, depuis l'automne 1998, et je pense que son discours n'aurait pas été le même sans cette discussion. Mais ce sont les idées de Fischer.
Q - Il n'y a pas par conséquent une signature française au bas des propositions allemandes ?
R - Non, comme il n'y a pas non plus de signature allemande. Les Allemands ne nous demandent pas que ces idées soient discutées durant cette CIG. Le point de cette réforme qui permettra de passer d'un court terme à une réflexion à long terme sont les coopérations renforcées...
Q - Là est donc la grande priorité de la France pour la réforme institutionnelle ?
R - Non, notre priorité est de parvenir à un accord sur l'ensemble, soit trouver des solutions pour les trois points d'Amsterdam (l'extension des décisions à la majorité qualifiée, la repondération des votes au Conseil et la composition de la Commission), plus les coopération renforcées. Et je note que le ministre Fischer a introduit les coopérations renforcées comme étant la première étape du processus qu'il propose. On est donc face à un instrument auquel tous les gens peuvent s'identifier.
Q - Le travail de la présidence portugaise dans la CIG a conduit à une apparente impasse en termes de vieille fracture entre petits et grands pays. Comment pensez-vous dépasser cette situation ?
R - Pour commencer j'aimerais vous dire que la présidence portugaise a fait, jusqu'à maintenant, un excellent travail. Sur tous les plans. Le Conseil européen de Lisbonne a été excellent. La réunion que nous avons actuellement (sur le partenariat Euro-Méditerranée) se révèle très utile. Le travail développé par MM. Guterres et Gama s'est avéré très intelligent, du point de vue des équilibres internes au sein de l'Union.
En ce qui concerne la CIG, le travail de la présidence portugaise a permis une importante clarification, car elle a travaillé surtout sur la question de l'extension des votes à la majorité qualifiée, qui a mis en lumière de nombreuses disponibilités mais, malheureusement, sans que tout le monde soit accord quant à la manière de l'appliquer. Quant à la repondération des votes, les grands pays non pas accepté la majorité qualifiée dans certains domaines, si elle est maintenue dans le système actuel, qui n'est, d'aucune façon, représentatif de la réalité. Mais, si tout le monde se dit disposé à faire quelques compromis courageux, nous aurons la possibilité de conclure ce travail.
Q - Etes-vous optimiste quant à cette possibilité ?
R - Je suis déterminé.
Q - La France a montré quelques préoccupations quant à la faiblesse de l'euro. Comment est-ce que vous allez gérer ce problème ?
R - Premièrement, nous n'avons pas été très préoccupés, il n'y a jamais eu des déclarations de la France en ce sens. Nous avons seulement fait quelques suggestions pour améliorer les choses. Mais il est bon de se souvenir que le lancement d'une nouvelle monnaie est quelque chose qui ne se solutionne pas en quelques mois. C'est une aventure considérable. Deuxièmement, les fondements économiques européens sont tous bons et sont même excellents. La période de grande croissance que l'on constate dans l'économie américaine a été précédée d'une longue période caractérisée par la faiblesse du dollar.
Je pense que nous devons réfléchir sur l'amélioration de la conduite politique de l'euro et sur le rôle des ministres de l'Economie et des Finances des Onze.
Q - Comment est-ce que la présidence française a l'intention de gérer la question autrichienne, sachant que la France est l'un des pays ayant la position la plus dure ?
R - Nous ne pouvons pas dire que la France est le pays qui a la position la plus dure. Les Quatorze ont été d'accord pour exprimer une position ferme. Je pense que la présidence portugaise a géré cette situation avec fermeté et intelligence. Jusqu'à maintenant, les autorités françaises ne disposent pas d'éléments nouveaux qui puissent faire avancer les choses.
Q - Mais il y a chaque fois plus de pressions pour un changement de position, pas seulement de la part de Vienne mais également de la part de pays comme le Danemark, la Finlande, la Grèce...
R - Il est utile de distinguer les choses. Si nous considérons les Quatorze, quelques pays souhaitent une évolution, même si elle n'est pas forcément immédiate. Mais ces pays ne sont pas majoritaires et n'ont fait aucune proposition précise. Pour la France, quant à sa future présidence, il n'y pas d'éléments nouveaux et importants qui puissent justifier un changement de la ligne définie par les Portugais.
Q - Il n'y a pas un boycott de l'Autriche à la CIG ?
R - Nous n'en sommes pas encore là./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 mai 2000)
Entretien avec LCI le 31 mai (extraits) :
Q - Parlons des otages. Avez-vous des informations sur les 21 otages, dont 2 Français, détenus depuis le 23 avril par des rebelles musulmans du groupe Abu Sayyaf ?
R - Nous avons certaines informations car nous avons mis en place un dispositif pour être très au contact des autorités philippines. Dans un premier temps, comme vous le savez, nous avons agi de suite, par différents canaux, dont M. Solana que nous avons envoyé là-bas exprès pour que les autorités philippines renoncent à tout projet d'actions par la force, si jamais elles avaient conçu ce projet. Cette perspective est écartée, je crois qu'elle aurait été dangereuse pour les otages. Aujourd'hui, nous avons un travail auprès des autorités philippines qui sont responsables et nous nous assurons qu'il puisse y avoir des visites, des secours humanitaires et nous sommes le plus au contact possible des négociations menées par les Philippins.
Q - Il y a un nouvel émissaire libyen qui est parti ?
R - C'est autre chose, moi je vous parle de l'action européenne. Les Philippins utilisent différents canaux pour essayer de parler à ces ravisseurs. Malheureusement, c'est une région où le rapt est de pratique, c'est une industrie, cela dure même parfois assez longtemps. Nous faisons tout ce que nous pouvons, nous sommes constamment mobilisés, mon ministère suit cela vraiment constamment, nous sommes également en contact constant avec les familles, avec les Philippins. J'ai envoyé il y a quelques jours le Secrétaire général du Quai d'Orsay à Manille, il y a des hauts fonctionnaires qui se relaient là-bas pour que l'on aie des contacts les plus opérationnels, je le répète, d'abord pour éviter toute erreur, et ensuite, pour être en mesure de donner à un moment précis, le conseil ou l'indication décisive. Il faut que les otages s'en tirent sains et sauf. On ne sait jamais dans ces histoires d'otages. Vous le voyez bien, nous avons à faire à des gens qui ont des motivations complexes à démêler, cela dure de toute façon toujours plus longtemps qu'on ne le souhaiterait. Un jour de captivité, c'est un jour de trop. Nous prenons cela très à cur et très au sérieux.
Q - Vous suivez bien évidemment le dossier du Proche-Orient, vous avez d'ailleurs je crois déjeuné à midi avec votre homologue du Vatican, vous vous êtes entretenus de la question. Avez-vous le sentiment que Ehud Barak ait décidé trop rapidement ce retrait ? Une insuffisante préparation - il était prévu le 7 juillet - il a été précipité, sans que l'on ait le sentiment qu'une alternative avait été envisagée pour remplacer les soldats israéliens qui quittaient le Sud-Liban.
R - Il ne faut pas faire de mauvais procès à M. Barak. Depuis 1978, il y a une résolution du Conseil de sécurité, la 425, qui demande à Israël d'évacuer sans délai. Nous sommes en l'an 2000, ils évacuent, mieux vaut tard que jamais. La résolution ne dit pas que l'évacuation doit être précédée de je ne sais quel accord. Elle demande d'évacuer pour que le Liban retrouve sa souveraineté, ce qui devrait permettre à l'Etat libanais de restaurer son autorité. Ils le font et il y a tellement de résolutions qui ne sont pas appliquées, y compris dans la région, y compris par Israël que lorsqu'il y en a une qui l'est, je ne crois pas qu'il faille l'interpréter négativement. Les Israéliens ont retiré leur armée, c'est bien. Maintenant, il y a une situation nouvelle qui se crée.
Q - Ils retirent leur armée.
R - Oui, et c'est ce qui leur était demandé.
Q - Absolument, il y avait leur armée et celle du Sud-Liban, on pouvait s'attendre à ce que l'armée du Sud-Liban ait des difficultés.
R - L'armée du Sud-Liban, il faut expliquer, ce sont des Libanais qui avaient soutenu Israël en son temps.
Q - Ils se trouvaient un peu dans la situation de supplétifs. On pouvait s'attendre à ce que cette armée se démobilise et se détricotte d'un coup, dès le départ des israéliens et qu'elle soit aussitôt remplacée par le Hezbollah.
R - Oui, mais moi je me place sur le plan du droit international. Si nous étions à l'intérieur du débat politique israélien, il pourrait y avoir des discussions sur la façon dont Israël a traité ses différents alliés, mais nous ne sommes pas sur ce terrain. Nous sommes sur le plan du droit international, l'application des résolutions et nous nous posons la question de savoir, maintenant, ce qui doit être fait pour consolider la stabilité de cette zone et permettre à l'Etat libanais, s'il le veut vraiment, de restaurer son autorité. Voilà la question qui nous concerne nous, Français, en tant que membre permanent, en tant que pays qui a un petit contingent dans la FINUL. Voilà la question qui nous est posée.
Q - Vous avez 249 soldats français, au sein de la FINUL qui regroupe quelque chose comme 4500 hommes, il en faudrait beaucoup plus pour assurer une véritable zone tampon et faciliter, si j'ai bien compris, la progressive installation de l'armée libanaise elle-même, si elle le veut.
R - La résolution 425 qui reste l'inspiration de l'action du Conseil de sécurité, même si elle devait être adaptée ou prolongée par une autre résolution, c'est précisément aider l'Etat libanais à restaurer son autorité. Ce qui indique tout de suite la première condition logique que nous posons, puisque nous avons dit que nous étions prêts à envisager une participation française, pour une certaine durée à préciser, dans cette phase, à condition que les uns et les autres jouent le jeu. En termes simples, cela veut dire que l'Etat libanais, le gouvernement libanais doit montrer sa volonté à rétablir son autorité, ce qui veut dire en pratique, envoyer son armée au Sud-Liban. Cela veut dire aussi que les autorités syriennes doivent s'engager de façon claire à ne rien faire qui puisse déstabiliser la zone, ne rien faire, comme l'a dit le président de la République il y a quelques jours en Espagne, qui puisse être pris comme une provocation.
Q - Où en sommes-nous dans les contacts entre Beyrouth et Damas ?
R - Aujourd'hui, les conditions logiques de bon sens que nous avons demandées ne sont pas réunies parce que les autorités libanaises, encore aujourd'hui, ont dit qu'elles n'enverraient pas leur armée au Sud-Liban. Or, tout le dispositif de l'ONU, la résolution 425 n'a de sens que pour aider le Liban à restaurer son autorité, pas pour se substituer au Liban, pas pour faire, à sa place, ce qu'il devrait faire. Il s'agit donc d'aider un gouvernement. Si le gouvernement ne remplit pas cette tâche, il n'y a pas de base pour venir l'aider.
Q - En revanche, vous avez davantage d'assurances du côté de Damas ?
R - Du côté de la Syrie, il y a des déclarations, notamment du ministre des Affaires étrangères, M. El-Charaa, qui demandent à être confirmées d'une façon solennelle. Cela fera partie des éléments que le président de la République et le gouvernement prendra en compte pour décider définitivement ce que nous faisons ou pas. Aujourd'hui, nous ne sommes pas en mesure de prendre cette décision. Je rappelle que le mandat actuel de la FINUL court jusqu'à la fin juillet. Nous avons donc quelques jours pour faire cette évaluation et de toute façon, il faut attendre un événement qui a lieu avant que le retrait exact soit bien certifié par un envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies, M. Roed-Larsen qui est là-bas et qui est en train de travailler sur la zone exacte du retrait.
Q - Mais le risque d'un scénario catastrophe est-il du même coup possible, c'est-à-dire que des accrochages se passent entre le Hezbollah et l'armée israélienne et que Jérusalem soit tentée de riposter par des représailles sur le Liban. On irait donc vers un embrasement ? Tout est en zone vide.
R - Non, ce n'est pas une zone vide, c'est le Liban. Israël a évacué le Liban, nous sommes au Liban et ce serait logique que les autorités libanaises aient retrouvé cette zone alors qu'elles avaient dénoncé, depuis des années, l'appartenance à Israël. D'un point de vue politique, du point de vue de la réalité, il y a d'autres zones arabes qu'Israël a évacuées. L'Egypte par exemple, a établi son autorité sur le Sinaï lorsqu'Israël qui l'avait occupé auparavant l'a évacué. C'est très simple comme démarche. Y a-t-il des risques ? Oui, il y a des risques au Proche-Orient, on sait bien pourquoi, et il y aura des risques réels tant que la paix stable, durable, réelle n'aura pas été établie au Proche-Orient et tant que de nouveaux intérêts de coopérations ne se seront pas installés entre les uns et les autres, ce à quoi nous travaillons, c'est un grand objectif. Tant que nous n'y sommes pas, il y a des risques bien entendu. C'est pour cela que l'hypothèse d'une participation française dans la FINUL ayant un nouveau mandat limité dans le temps, pour consolider cette autorité libanaise, est examinée avec beaucoup de précautions, beaucoup de sérieux. C'est ce que nous faisons en ce moment.
Q - Ce qui a été présenté comme une victoire des Libanais et du Hezbollah, à votre avis, cela n'affaiblit-il pas Yasser Arafat, cela ne donne-t-il pas raison à ceux qui dans son opposition prônent une résistance acharnée plutôt que la négociation avec Israël ?
R - Yasser Arafat combat évidemment très fortement cette interprétation concernant l'opinion publique palestinienne. Le retrait a eu lieu, ce n'est pas comme un affrontement militaire et une défaite. Le retrait a eu lieu car M. Barak l'a décidé dans sa démarche générale, pour tenter d'obtenir la paix au Proche-Orient et car ce maintien de l'armée israélienne au Sud-Liban n'avait plus de raison d'être. Je crois que c'est aux Palestiniens de tirer les leçons entre eux ; ils se tromperaient s'ils tiraient ce type de leçons et je crois que Yasser Arafat a raison de contester cette interprétation.
Q - Avez-vous bon espoir qu'une reprise programmée des discussions entre Israël et les Palestiniens aboutisse à ce processus de paix toujours...
R - Je le souhaite, c'est la seule issue non tragique pour les peuples de la région. A propos du Proche-Orient, il ne faut jamais être ni pessimiste ni optimiste. Il faut juste être obstiné et déterminé, il faut chercher inlassablement et discuter toujours. Il faut surmonter les difficultés et, historiquement, il n'y a pas d'autre voie que de bâtir la paix avec les compromis nécessaires. Et dans cette affaire, il ne faut pas se tromper, Israël a appliqué une résolution, c'est très bien. Cela crée des problèmes, bien sûr, mais ils doivent être résolus. Il faut que les uns et les autres prennent leurs responsabilités, à commencer par le Liban, et il faut revenir ensuite au cur du sujet, c'est la question israélo-palestinienne en n'oubliant pas que les questions israélo-syriennes ne sont pas réglées et que, là aussi, il ne faut pas cesser nos efforts sur la question du Golan.
Q - Autre pays, l'Algérie. Le président Algérien va être accueilli à Paris, dans quelques jours, les 13 et 14 juin si je ne me trompe en voyage officiel ; avez-vous le sentiment que les choses s'améliorent en Algérie ou bien au contraire que rien n'a changé ; on parle de 1000 morts depuis l'arrêt de la trêve au mois de janvier dernier.
R - On voit que cela reste très difficile, on voit que ce pays n'est pas encore au bout de ses peines. Nous avons manifesté, dès l'arrivée au pouvoir du président Bouteflika beaucoup de disponibilités à travailler avec l'Algérie, à relancer la coopération avec ce pays, à l'adapter en fonction de ses souhaits et dans quelques jours, le président Bouteflika sera reçu là aussi dans un esprit d'amitié très positive et très constructive.
Q - Que propose la France ?
R - Il faut partir de ce qu'il peut souhaiter. Je pense que son comportement indique qu'il souhaite que la coopération franco-algérienne soit relancée dans beaucoup de domaines mais il connaît notre disponibilité.
Q - Dernier sujet, énorme, on en parle depuis des semaines, c'est la présidence française. Avec les propositions de Joschka Fischer. Il présente cette proposition comme au fond, d'une certaine manière, la réponse à une question que vous vous posiez, dont vous avez souvent discuté tous les deux : comment l'Europe pourra-t-elle fonctionner lorsque l'on sera 30 membres dans l'Union européenne ?
R - C'est vrai qu'il était urgent que l'on commence à s'interroger là-dessus.
Q - Il a formulé un certain nombre de propositions sur l'avenir de l'Europe, il en a parlé à Rambouillet.
R - Non, nous n'avons pas spécialement parlé de cela, nous avons beaucoup plus parlé de la Conférence intergouvernementale.
Q - C'est vrai mais vous en avez tout de même parlé de ces propositions.
R - Oui, elles ont été évoquées.
Q - Je sais qu'il y avait confidentialité sur les propos qui étaient échangés à Rambouillet, mais mon " petit doigt " m'a dit que finalement, et vous allez peut-être me dire si cela est exact ou non, Jacques Chirac avait accueilli avec plus d'enthousiasme que Lionel Jospin les propositions de Joschka Fischer.
R - Votre " petit doigt " est mal informé car il y avait vraiment une unité de réaction du côté français. C'est compliqué ces interprétations. J'ai réagi moi-même, de suite, après que Joschka Fischer ait fait ce discours en disant que sa participation à ce débat était la bienvenue. A Rambouillet, nous avons surtout travaillé sur les problèmes très immédiats et très concrets qui se posent à nous en tant que président dans la CIG et si nous n'arrivons pas à régler ces problèmes, ce n'est pas la peine de spéculer sur l'Europe de 2010. Les 14 autres pays d'Europe attendent de nous que l'on fasse réussir la CIG avec un vrai résultat, y compris l'Allemagne. D'autre part, il faut que nous participions, et nous allons le faire, à ce vaste débat qui se développe enfin, qui est absolument indispensable sur l'avenir de l'Europe. Comment s'organiser concernant une Europe très élargie ? Faut-il des solutions purement pragmatiques, des solutions de type fédéralistes ? Le débat ne fait que s'engager. Il faut calmement, méthodiquement, de façon ouverte, démocratiquement soupeser les avantages et les inconvénients des différentes formules. Cela ne doit pas nous empêcher de présider. Il ne faut pas que, sous prétexte du grand intérêt, très excitant de ce débat sur l'avenir de l'Europe, nous laissions tomber nos responsabilités immédiates. Nous ne sommes pas dans la même position en ce moment qu'un autre pays d'Europe ou que l'Allemagne qui ne s'apprête pas à prendre la présidence. Nous avons une responsabilité spéciale.
Q - Vous avez parlé de ces coopérations renforcées. Pour vous, sont-elles un premier pas vers cette avant-garde, ce noyau dur ou bien est-ce une alternative à ce noyau dur ?
R - Ce n'est pas une alternative. Pour moi, cela permet deux choses et, précisément, c'est une méthode qui peut réconcilier ceux qui ont une conception purement pragmatique de l'avenir de l'Europe et ceux qui ont une position plus futuriste ou fédéraliste. Cela permet les deux évolutions, c'est ce qui permet à quelques pays de se regrouper pour faire autre chose ensemble, ou faire plus ensemble. Dans un cas, ils s'occupent d'un sujet qui les intéresse et pas les autres, dans un autre cas, cela préfigure l'évolution générale de l'Europe. L'intérêt de cette méthode dite des coopérations renforcées, un peu comme on a fait l'euro au début, c'est précisément de permettre ces deux évolutions et d'éviter, dans l'immédiat, le débat un peu théorique, un peu abstrait entre souverainistes et fédéralistes ou entre réalistes et utopistes. Ce que nous voulons surtout, c'est que l'Europe avance, qu'elle ne s'enlise pas et qu'elle reste capable de fonctionner, même de fonctionner mieux. Ce sera notre priorité pendant la présidence
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 juin 2000)
Q - Dans quelle mesure pensez-vous que le débat lancé par les propositions de Fischer peut-il influencer la présidence française ? Et, notamment, le travail de la Conférence intergouvernementale (CIG) que la France devra conclure ?
R - La réflexion du ministre Fischer est très intéressante, mais elle n'est pas la première. Il y eut celle de Jacques Delors, et beaucoup d'autres points de vue, italiens, britanniques, portugais...
Cette réflexion sur l'avenir de l'Europe, dans une perspective à long terme, est indispensable. En se rendant compte que l'Union va s'élargir à vingt ou à trente pays, il est clair qu'on ne peut pas continuer à fonctionner comme nous fonctionnons aujourd'hui. On voit apparaître, d'un côté, des solutions très pragmatiques et, de l'autre, des solutions de type fédéraliste. Chacune des deux a des avantages et des inconvénients.
Les solutions fédéralistes donnent l'impression d'une grande efficacité et simplicité, mais elles posent un problème très compliqué en ce qui concerne la répartition des pouvoirs entre le niveau fédéral et les Etats nationaux. Les solutions pragmatiques évitent ce problème, mais elles sont moins radicales en termes d'efficacité...
Q - Et moins démocratiques aussi, celle-ci est une préoccupation de Fischer ...
R - Non, elles ne sont pas moins démocratiques dans la mesure où les décisions sont prises par des gouvernements démocratiques qui officient en pleine transparence, qui sont contrôlés par les parlements et par les opinions publiques. Il ne s'agit pas d'une question de démocratie mais de simplicité et d'efficacité.
Q - Et quant à la CIG ?
R - Notre rôle immédiat durant la future présidence n'est pas de mettre sur la table un plan très intéressant mais qui provoquera la division des Etats membres en deux, trois ou quatre groupes. Là n'est pas l'objectif de notre présidence. L'Allemagne n'a également pas présenté ses propositions avant sa présidence.
Q - Vous avez dit lors d'un entretien que les propositions de Fischer correspondaient à un long travail conjoint entre la France et l'Allemagne. Cela veut-il dire que la France se reconnaît dans celles-ci ?
R - Ces propositions sont, en partie, le résultat d'une réflexion que nous avons maintenue, lui et moi, depuis l'automne 1998, et je pense que son discours n'aurait pas été le même sans cette discussion. Mais ce sont les idées de Fischer.
Q - Il n'y a pas par conséquent une signature française au bas des propositions allemandes ?
R - Non, comme il n'y a pas non plus de signature allemande. Les Allemands ne nous demandent pas que ces idées soient discutées durant cette CIG. Le point de cette réforme qui permettra de passer d'un court terme à une réflexion à long terme sont les coopérations renforcées...
Q - Là est donc la grande priorité de la France pour la réforme institutionnelle ?
R - Non, notre priorité est de parvenir à un accord sur l'ensemble, soit trouver des solutions pour les trois points d'Amsterdam (l'extension des décisions à la majorité qualifiée, la repondération des votes au Conseil et la composition de la Commission), plus les coopération renforcées. Et je note que le ministre Fischer a introduit les coopérations renforcées comme étant la première étape du processus qu'il propose. On est donc face à un instrument auquel tous les gens peuvent s'identifier.
Q - Le travail de la présidence portugaise dans la CIG a conduit à une apparente impasse en termes de vieille fracture entre petits et grands pays. Comment pensez-vous dépasser cette situation ?
R - Pour commencer j'aimerais vous dire que la présidence portugaise a fait, jusqu'à maintenant, un excellent travail. Sur tous les plans. Le Conseil européen de Lisbonne a été excellent. La réunion que nous avons actuellement (sur le partenariat Euro-Méditerranée) se révèle très utile. Le travail développé par MM. Guterres et Gama s'est avéré très intelligent, du point de vue des équilibres internes au sein de l'Union.
En ce qui concerne la CIG, le travail de la présidence portugaise a permis une importante clarification, car elle a travaillé surtout sur la question de l'extension des votes à la majorité qualifiée, qui a mis en lumière de nombreuses disponibilités mais, malheureusement, sans que tout le monde soit accord quant à la manière de l'appliquer. Quant à la repondération des votes, les grands pays non pas accepté la majorité qualifiée dans certains domaines, si elle est maintenue dans le système actuel, qui n'est, d'aucune façon, représentatif de la réalité. Mais, si tout le monde se dit disposé à faire quelques compromis courageux, nous aurons la possibilité de conclure ce travail.
Q - Etes-vous optimiste quant à cette possibilité ?
R - Je suis déterminé.
Q - La France a montré quelques préoccupations quant à la faiblesse de l'euro. Comment est-ce que vous allez gérer ce problème ?
R - Premièrement, nous n'avons pas été très préoccupés, il n'y a jamais eu des déclarations de la France en ce sens. Nous avons seulement fait quelques suggestions pour améliorer les choses. Mais il est bon de se souvenir que le lancement d'une nouvelle monnaie est quelque chose qui ne se solutionne pas en quelques mois. C'est une aventure considérable. Deuxièmement, les fondements économiques européens sont tous bons et sont même excellents. La période de grande croissance que l'on constate dans l'économie américaine a été précédée d'une longue période caractérisée par la faiblesse du dollar.
Je pense que nous devons réfléchir sur l'amélioration de la conduite politique de l'euro et sur le rôle des ministres de l'Economie et des Finances des Onze.
Q - Comment est-ce que la présidence française a l'intention de gérer la question autrichienne, sachant que la France est l'un des pays ayant la position la plus dure ?
R - Nous ne pouvons pas dire que la France est le pays qui a la position la plus dure. Les Quatorze ont été d'accord pour exprimer une position ferme. Je pense que la présidence portugaise a géré cette situation avec fermeté et intelligence. Jusqu'à maintenant, les autorités françaises ne disposent pas d'éléments nouveaux qui puissent faire avancer les choses.
Q - Mais il y a chaque fois plus de pressions pour un changement de position, pas seulement de la part de Vienne mais également de la part de pays comme le Danemark, la Finlande, la Grèce...
R - Il est utile de distinguer les choses. Si nous considérons les Quatorze, quelques pays souhaitent une évolution, même si elle n'est pas forcément immédiate. Mais ces pays ne sont pas majoritaires et n'ont fait aucune proposition précise. Pour la France, quant à sa future présidence, il n'y pas d'éléments nouveaux et importants qui puissent justifier un changement de la ligne définie par les Portugais.
Q - Il n'y a pas un boycott de l'Autriche à la CIG ?
R - Nous n'en sommes pas encore là./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 mai 2000)
Entretien avec LCI le 31 mai (extraits) :
Q - Parlons des otages. Avez-vous des informations sur les 21 otages, dont 2 Français, détenus depuis le 23 avril par des rebelles musulmans du groupe Abu Sayyaf ?
R - Nous avons certaines informations car nous avons mis en place un dispositif pour être très au contact des autorités philippines. Dans un premier temps, comme vous le savez, nous avons agi de suite, par différents canaux, dont M. Solana que nous avons envoyé là-bas exprès pour que les autorités philippines renoncent à tout projet d'actions par la force, si jamais elles avaient conçu ce projet. Cette perspective est écartée, je crois qu'elle aurait été dangereuse pour les otages. Aujourd'hui, nous avons un travail auprès des autorités philippines qui sont responsables et nous nous assurons qu'il puisse y avoir des visites, des secours humanitaires et nous sommes le plus au contact possible des négociations menées par les Philippins.
Q - Il y a un nouvel émissaire libyen qui est parti ?
R - C'est autre chose, moi je vous parle de l'action européenne. Les Philippins utilisent différents canaux pour essayer de parler à ces ravisseurs. Malheureusement, c'est une région où le rapt est de pratique, c'est une industrie, cela dure même parfois assez longtemps. Nous faisons tout ce que nous pouvons, nous sommes constamment mobilisés, mon ministère suit cela vraiment constamment, nous sommes également en contact constant avec les familles, avec les Philippins. J'ai envoyé il y a quelques jours le Secrétaire général du Quai d'Orsay à Manille, il y a des hauts fonctionnaires qui se relaient là-bas pour que l'on aie des contacts les plus opérationnels, je le répète, d'abord pour éviter toute erreur, et ensuite, pour être en mesure de donner à un moment précis, le conseil ou l'indication décisive. Il faut que les otages s'en tirent sains et sauf. On ne sait jamais dans ces histoires d'otages. Vous le voyez bien, nous avons à faire à des gens qui ont des motivations complexes à démêler, cela dure de toute façon toujours plus longtemps qu'on ne le souhaiterait. Un jour de captivité, c'est un jour de trop. Nous prenons cela très à cur et très au sérieux.
Q - Vous suivez bien évidemment le dossier du Proche-Orient, vous avez d'ailleurs je crois déjeuné à midi avec votre homologue du Vatican, vous vous êtes entretenus de la question. Avez-vous le sentiment que Ehud Barak ait décidé trop rapidement ce retrait ? Une insuffisante préparation - il était prévu le 7 juillet - il a été précipité, sans que l'on ait le sentiment qu'une alternative avait été envisagée pour remplacer les soldats israéliens qui quittaient le Sud-Liban.
R - Il ne faut pas faire de mauvais procès à M. Barak. Depuis 1978, il y a une résolution du Conseil de sécurité, la 425, qui demande à Israël d'évacuer sans délai. Nous sommes en l'an 2000, ils évacuent, mieux vaut tard que jamais. La résolution ne dit pas que l'évacuation doit être précédée de je ne sais quel accord. Elle demande d'évacuer pour que le Liban retrouve sa souveraineté, ce qui devrait permettre à l'Etat libanais de restaurer son autorité. Ils le font et il y a tellement de résolutions qui ne sont pas appliquées, y compris dans la région, y compris par Israël que lorsqu'il y en a une qui l'est, je ne crois pas qu'il faille l'interpréter négativement. Les Israéliens ont retiré leur armée, c'est bien. Maintenant, il y a une situation nouvelle qui se crée.
Q - Ils retirent leur armée.
R - Oui, et c'est ce qui leur était demandé.
Q - Absolument, il y avait leur armée et celle du Sud-Liban, on pouvait s'attendre à ce que l'armée du Sud-Liban ait des difficultés.
R - L'armée du Sud-Liban, il faut expliquer, ce sont des Libanais qui avaient soutenu Israël en son temps.
Q - Ils se trouvaient un peu dans la situation de supplétifs. On pouvait s'attendre à ce que cette armée se démobilise et se détricotte d'un coup, dès le départ des israéliens et qu'elle soit aussitôt remplacée par le Hezbollah.
R - Oui, mais moi je me place sur le plan du droit international. Si nous étions à l'intérieur du débat politique israélien, il pourrait y avoir des discussions sur la façon dont Israël a traité ses différents alliés, mais nous ne sommes pas sur ce terrain. Nous sommes sur le plan du droit international, l'application des résolutions et nous nous posons la question de savoir, maintenant, ce qui doit être fait pour consolider la stabilité de cette zone et permettre à l'Etat libanais, s'il le veut vraiment, de restaurer son autorité. Voilà la question qui nous concerne nous, Français, en tant que membre permanent, en tant que pays qui a un petit contingent dans la FINUL. Voilà la question qui nous est posée.
Q - Vous avez 249 soldats français, au sein de la FINUL qui regroupe quelque chose comme 4500 hommes, il en faudrait beaucoup plus pour assurer une véritable zone tampon et faciliter, si j'ai bien compris, la progressive installation de l'armée libanaise elle-même, si elle le veut.
R - La résolution 425 qui reste l'inspiration de l'action du Conseil de sécurité, même si elle devait être adaptée ou prolongée par une autre résolution, c'est précisément aider l'Etat libanais à restaurer son autorité. Ce qui indique tout de suite la première condition logique que nous posons, puisque nous avons dit que nous étions prêts à envisager une participation française, pour une certaine durée à préciser, dans cette phase, à condition que les uns et les autres jouent le jeu. En termes simples, cela veut dire que l'Etat libanais, le gouvernement libanais doit montrer sa volonté à rétablir son autorité, ce qui veut dire en pratique, envoyer son armée au Sud-Liban. Cela veut dire aussi que les autorités syriennes doivent s'engager de façon claire à ne rien faire qui puisse déstabiliser la zone, ne rien faire, comme l'a dit le président de la République il y a quelques jours en Espagne, qui puisse être pris comme une provocation.
Q - Où en sommes-nous dans les contacts entre Beyrouth et Damas ?
R - Aujourd'hui, les conditions logiques de bon sens que nous avons demandées ne sont pas réunies parce que les autorités libanaises, encore aujourd'hui, ont dit qu'elles n'enverraient pas leur armée au Sud-Liban. Or, tout le dispositif de l'ONU, la résolution 425 n'a de sens que pour aider le Liban à restaurer son autorité, pas pour se substituer au Liban, pas pour faire, à sa place, ce qu'il devrait faire. Il s'agit donc d'aider un gouvernement. Si le gouvernement ne remplit pas cette tâche, il n'y a pas de base pour venir l'aider.
Q - En revanche, vous avez davantage d'assurances du côté de Damas ?
R - Du côté de la Syrie, il y a des déclarations, notamment du ministre des Affaires étrangères, M. El-Charaa, qui demandent à être confirmées d'une façon solennelle. Cela fera partie des éléments que le président de la République et le gouvernement prendra en compte pour décider définitivement ce que nous faisons ou pas. Aujourd'hui, nous ne sommes pas en mesure de prendre cette décision. Je rappelle que le mandat actuel de la FINUL court jusqu'à la fin juillet. Nous avons donc quelques jours pour faire cette évaluation et de toute façon, il faut attendre un événement qui a lieu avant que le retrait exact soit bien certifié par un envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies, M. Roed-Larsen qui est là-bas et qui est en train de travailler sur la zone exacte du retrait.
Q - Mais le risque d'un scénario catastrophe est-il du même coup possible, c'est-à-dire que des accrochages se passent entre le Hezbollah et l'armée israélienne et que Jérusalem soit tentée de riposter par des représailles sur le Liban. On irait donc vers un embrasement ? Tout est en zone vide.
R - Non, ce n'est pas une zone vide, c'est le Liban. Israël a évacué le Liban, nous sommes au Liban et ce serait logique que les autorités libanaises aient retrouvé cette zone alors qu'elles avaient dénoncé, depuis des années, l'appartenance à Israël. D'un point de vue politique, du point de vue de la réalité, il y a d'autres zones arabes qu'Israël a évacuées. L'Egypte par exemple, a établi son autorité sur le Sinaï lorsqu'Israël qui l'avait occupé auparavant l'a évacué. C'est très simple comme démarche. Y a-t-il des risques ? Oui, il y a des risques au Proche-Orient, on sait bien pourquoi, et il y aura des risques réels tant que la paix stable, durable, réelle n'aura pas été établie au Proche-Orient et tant que de nouveaux intérêts de coopérations ne se seront pas installés entre les uns et les autres, ce à quoi nous travaillons, c'est un grand objectif. Tant que nous n'y sommes pas, il y a des risques bien entendu. C'est pour cela que l'hypothèse d'une participation française dans la FINUL ayant un nouveau mandat limité dans le temps, pour consolider cette autorité libanaise, est examinée avec beaucoup de précautions, beaucoup de sérieux. C'est ce que nous faisons en ce moment.
Q - Ce qui a été présenté comme une victoire des Libanais et du Hezbollah, à votre avis, cela n'affaiblit-il pas Yasser Arafat, cela ne donne-t-il pas raison à ceux qui dans son opposition prônent une résistance acharnée plutôt que la négociation avec Israël ?
R - Yasser Arafat combat évidemment très fortement cette interprétation concernant l'opinion publique palestinienne. Le retrait a eu lieu, ce n'est pas comme un affrontement militaire et une défaite. Le retrait a eu lieu car M. Barak l'a décidé dans sa démarche générale, pour tenter d'obtenir la paix au Proche-Orient et car ce maintien de l'armée israélienne au Sud-Liban n'avait plus de raison d'être. Je crois que c'est aux Palestiniens de tirer les leçons entre eux ; ils se tromperaient s'ils tiraient ce type de leçons et je crois que Yasser Arafat a raison de contester cette interprétation.
Q - Avez-vous bon espoir qu'une reprise programmée des discussions entre Israël et les Palestiniens aboutisse à ce processus de paix toujours...
R - Je le souhaite, c'est la seule issue non tragique pour les peuples de la région. A propos du Proche-Orient, il ne faut jamais être ni pessimiste ni optimiste. Il faut juste être obstiné et déterminé, il faut chercher inlassablement et discuter toujours. Il faut surmonter les difficultés et, historiquement, il n'y a pas d'autre voie que de bâtir la paix avec les compromis nécessaires. Et dans cette affaire, il ne faut pas se tromper, Israël a appliqué une résolution, c'est très bien. Cela crée des problèmes, bien sûr, mais ils doivent être résolus. Il faut que les uns et les autres prennent leurs responsabilités, à commencer par le Liban, et il faut revenir ensuite au cur du sujet, c'est la question israélo-palestinienne en n'oubliant pas que les questions israélo-syriennes ne sont pas réglées et que, là aussi, il ne faut pas cesser nos efforts sur la question du Golan.
Q - Autre pays, l'Algérie. Le président Algérien va être accueilli à Paris, dans quelques jours, les 13 et 14 juin si je ne me trompe en voyage officiel ; avez-vous le sentiment que les choses s'améliorent en Algérie ou bien au contraire que rien n'a changé ; on parle de 1000 morts depuis l'arrêt de la trêve au mois de janvier dernier.
R - On voit que cela reste très difficile, on voit que ce pays n'est pas encore au bout de ses peines. Nous avons manifesté, dès l'arrivée au pouvoir du président Bouteflika beaucoup de disponibilités à travailler avec l'Algérie, à relancer la coopération avec ce pays, à l'adapter en fonction de ses souhaits et dans quelques jours, le président Bouteflika sera reçu là aussi dans un esprit d'amitié très positive et très constructive.
Q - Que propose la France ?
R - Il faut partir de ce qu'il peut souhaiter. Je pense que son comportement indique qu'il souhaite que la coopération franco-algérienne soit relancée dans beaucoup de domaines mais il connaît notre disponibilité.
Q - Dernier sujet, énorme, on en parle depuis des semaines, c'est la présidence française. Avec les propositions de Joschka Fischer. Il présente cette proposition comme au fond, d'une certaine manière, la réponse à une question que vous vous posiez, dont vous avez souvent discuté tous les deux : comment l'Europe pourra-t-elle fonctionner lorsque l'on sera 30 membres dans l'Union européenne ?
R - C'est vrai qu'il était urgent que l'on commence à s'interroger là-dessus.
Q - Il a formulé un certain nombre de propositions sur l'avenir de l'Europe, il en a parlé à Rambouillet.
R - Non, nous n'avons pas spécialement parlé de cela, nous avons beaucoup plus parlé de la Conférence intergouvernementale.
Q - C'est vrai mais vous en avez tout de même parlé de ces propositions.
R - Oui, elles ont été évoquées.
Q - Je sais qu'il y avait confidentialité sur les propos qui étaient échangés à Rambouillet, mais mon " petit doigt " m'a dit que finalement, et vous allez peut-être me dire si cela est exact ou non, Jacques Chirac avait accueilli avec plus d'enthousiasme que Lionel Jospin les propositions de Joschka Fischer.
R - Votre " petit doigt " est mal informé car il y avait vraiment une unité de réaction du côté français. C'est compliqué ces interprétations. J'ai réagi moi-même, de suite, après que Joschka Fischer ait fait ce discours en disant que sa participation à ce débat était la bienvenue. A Rambouillet, nous avons surtout travaillé sur les problèmes très immédiats et très concrets qui se posent à nous en tant que président dans la CIG et si nous n'arrivons pas à régler ces problèmes, ce n'est pas la peine de spéculer sur l'Europe de 2010. Les 14 autres pays d'Europe attendent de nous que l'on fasse réussir la CIG avec un vrai résultat, y compris l'Allemagne. D'autre part, il faut que nous participions, et nous allons le faire, à ce vaste débat qui se développe enfin, qui est absolument indispensable sur l'avenir de l'Europe. Comment s'organiser concernant une Europe très élargie ? Faut-il des solutions purement pragmatiques, des solutions de type fédéralistes ? Le débat ne fait que s'engager. Il faut calmement, méthodiquement, de façon ouverte, démocratiquement soupeser les avantages et les inconvénients des différentes formules. Cela ne doit pas nous empêcher de présider. Il ne faut pas que, sous prétexte du grand intérêt, très excitant de ce débat sur l'avenir de l'Europe, nous laissions tomber nos responsabilités immédiates. Nous ne sommes pas dans la même position en ce moment qu'un autre pays d'Europe ou que l'Allemagne qui ne s'apprête pas à prendre la présidence. Nous avons une responsabilité spéciale.
Q - Vous avez parlé de ces coopérations renforcées. Pour vous, sont-elles un premier pas vers cette avant-garde, ce noyau dur ou bien est-ce une alternative à ce noyau dur ?
R - Ce n'est pas une alternative. Pour moi, cela permet deux choses et, précisément, c'est une méthode qui peut réconcilier ceux qui ont une conception purement pragmatique de l'avenir de l'Europe et ceux qui ont une position plus futuriste ou fédéraliste. Cela permet les deux évolutions, c'est ce qui permet à quelques pays de se regrouper pour faire autre chose ensemble, ou faire plus ensemble. Dans un cas, ils s'occupent d'un sujet qui les intéresse et pas les autres, dans un autre cas, cela préfigure l'évolution générale de l'Europe. L'intérêt de cette méthode dite des coopérations renforcées, un peu comme on a fait l'euro au début, c'est précisément de permettre ces deux évolutions et d'éviter, dans l'immédiat, le débat un peu théorique, un peu abstrait entre souverainistes et fédéralistes ou entre réalistes et utopistes. Ce que nous voulons surtout, c'est que l'Europe avance, qu'elle ne s'enlise pas et qu'elle reste capable de fonctionner, même de fonctionner mieux. Ce sera notre priorité pendant la présidence
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 juin 2000)