Interview de M. Denis Kessler, vice-président délégué du MEDEF à RTL le 4 octobre 1999, sur le rassemblement du patronat contre le projet de loi sur les 35 heures, la croissance et les créations d'emplois, le dialogue social et la reconnaissance des accords avec les partenaires sociaux.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Bonjour Denis Kessler... Qu'attendez-vous de votre rassemblement de cet après-midi ? les patrons qui manifestent...
- D'abord, montrer que tous les entrepreneurs de France, et je crois qu'ils seront nombreux ceux qui viennent à Paris, ceux qui sont en province et qui s'associent à notre rassemblement, eh bien de montrer que les projets du gouvernement sont des projets qui vont à l'encontre des intérêts des entreprises.
- Mais concrètement, vous pensez pouvoir encore influer sur le débat à l'Assemblée nationale ?
- Ecoutez, normalement ce n'est pas une loi qu'il aurait fallu trousser en ce qui concerne la durée et l'aménagement du temps de travail... Ce qu'il aurait fallu, c'est laisser les partenaires sociaux dans les professions, dans les branches, dans les entreprises, définir ensemble les conditions de cet aménagement du temps de travail et les conditions de la réduction du temps de travail. A la place de ça, on a fait une loi. Effectivement, que voulez-vous que l'on fasse face à une loi ? faire entendre haut et fort à l'ensemble des parlementaires, au gouvernement, qu'un certain nombre de dispositions, les modalités qui sont envisagées vont dans le sens contraire réellement du développement des entreprises.
- Les patrons sont-ils aussi unanimes ? D'abord toutes les organisations patronales ne seront pas là cet après-midi... Et puis La Tribune qui devait paraître ce matin, et qui en est empêché pour cause de grève, évoquait un sondage des chambres de commerce et d'industrie et PME, qui semble indiquer que finalement les 35 heures ne sont pas si mal vues par les patrons des PME...
- Non, ceci je ne le crois pas. D'abord, toutes les organisations seront là puisque nous avons le MEDEF, bien entendu, la CG/PME, mais nous avons aussi les professions libérales, nous avons bien entendu le soutien par exemple des exploitants agricoles...
- ... il en manque quand même... Les jeunes entrepreneurs ne seront pas là.
- Ecoutez nous avons le président de Croissance Plus par exemple, Bruno Vanreeb, qui est à la tête d'une association qui regroupe les 300 entreprises qui connaissent la plus forte croissance, entreprises de technologie. Non non, ne vous trompez pas et n'essayons pas de dire que cet après-midi nous ne sommes pas représentatifs des entrepreneurs, bien au contraire, j'ai le sentiment que ceci va être une très grande, très grande manifestation, un très grand rassemblement. Et j'appelle à 14H30 tous ceux qui se reconnaissent dans l'entreprise, pour être parmi nous, et montrer notre détermination.
- Comment expliquez-vous que les patrons français se montrent optimistes, qu'ils croient en l'avenir ? ils sont imprévoyants ? ils n'ont pas pris en compte les conséquences de la deuxième loi sur les 35 heures ?...
- Pour le moment, les 35 heures ne sont pas rentrées dans la réalité, vous savez comme moi...
- ... enfin ils prévisionnent un peu les patrons quand même !...
- ... 1 % des entreprises seulement sont passées à l'heure actuelle aux 35 heures. L'immense masse, 1 million 200.000 entreprises pour le moment ne sont pas passées aux 35 heures, ne savent même pas comment elles vont passer aux 35 heures...
- ... mais quand ils font leurs prévisions les patrons français savent qu'il va y avoir une loi quand même, ils disent : on est optimistes...
- Pour le moment il y a de la croissance, pour le moment, les patrons voient leurs carnets de commande tout à fait gonflés et remplis. Pour le moment, les patrons voient leurs exportations augmenter. Nous disons la conjoncture est bonne, et les patrons le savent. Mais les effets de cette loi sur les 35 heures, eh bien ce n'est pas aujourd'hui qu'on va les voir, on les verra en 2001, 2002, 2004, et c'est là où on aura perdu la compétitivité, c'est là où on aura perdu je crois l'esprit d'entreprise.
- Que répondez-vous à ceux qui croient, et ils sont nombreux, qu'il y a une sorte de répartition des rôles... Vous, vous protestez énergiquement. Vous dites, jamais. On n'en veut pas de cette loi... Et puis, de l'autre côté, le gouvernement qui dit : on applique une politique de gauche, et chacun est content à la sortie...
- Attendez, nous, nous ne sommes pas contents. Et nous ne disons pas : cette loi, jamais. Nous disons simplement que cette loi devrait reconnaître les accords qui ont été préparés, qui ont été signés, qui ont été négociés avec les partenaires sociaux dans les 117 branches professionnelles, industrielles et de services en France. Voilà ce que nous disons. Nous disons : attention, la loi à l'heure actuelle est en train d'invalider, le dialogue social est en train de bafouer toutes ces heures, ces journées, ces mois de négociations, et nous considérons que là il y a effectivement véritablement une atteinte très grave à ce qu'on appelle le dialogue social en France. Voilà ce que nous disons.
- Martine Aubry ne sera pas votre principale alliée dans le débat qui va avoir lieu à l'Assemblée nationale pour faire barrage, justement, à ceux qui réclament plus...
- Ecoutez, c'est un peu ubuesque ce débat qui s'ouvre à l'Assemblée nationale, où des députés dont ce n'est pas le rôle vont aller discuter du temps de casse-croûte, du temps d'habillage et de déshabillage, vont aller regarder les problèmes de repos compensateurs, vont essayer de savoir comment s'appliquent les dispositions pour le temps partiel, bref... des tas de choses qu'aucun parlement au monde à l'heure actuelle n'est en train d'examiner... Aucun parlement en Europe ! Ces questions-là ne relèvent pas de la loi. Ces questions-là relèvent des partenaires sociaux, il faut faire confiance aux partenaires sociaux. Et vous voyez bien qu'on demande aux parlementaires de s'occuper d'une matière, de choses, qui concernent directement les entreprises, et non pas la représentation nationale. Et c'est bien ça le problème qui est posé depuis que ce gouvernement a décidé de faire des lois dans le domaine social en permanence, peut-être parce qu'il n'arrive pas à faire des lois dans le domaine économique.
- Lionel Jospin à Strasbourg lundi dernier devant les parlementaires socialistes a fixé un objectif. Il a dit : la croissance est décisive dans la lutte contre le chômage. Et donc il faut que la deuxième loi sur les 35 heures soit une loi équilibrée... Vous ne croyez pas à ce mot d'ordre, à cette directive ?
- D'abord, ce qui fait rire les entrepreneurs à l'heure actuelle c'est de voir le gouvernement s'approprier les créations d'emplois. Les 560.000 créations d'emplois de mi-1997 à mi-1999, ce n'est pas le gouvernement qui les a créées. Ce sont les entreprises ! donc il faut rappeler en permanence les choses. A l'heure actuelle, l'économie française produit des emplois. C'est qui ? c'est le secteur privé. Ce sont les entreprises concurrentielles. Ce sont les entrepreneurs qui créent de l'emploi. Et cessons de croire que c'est le gouvernement qui crée de l'emploi ! Jamais un coup de tampon n'abolira le chômage. Voilà ce que nous allons dire aujourd'hui. On peut multiplier toutes les mesures. Ce que l'on peut faire c'est dérégler l'activité économique, on peut démoraliser une partie des entrepreneurs. On peut les pousser à se délocaliser. Nous, nous souhaitons au contraire ce que l'on voit dans les autres pays, c'est que le gouvernement nous soutienne, nous appuie, nous dise : allez-y, investissez, innovez...
- ... enfin si la politique gouvernementale était si néfaste, la croissance serait-elle là et pourriez-vous créer des emplois ?...
- La croissance d'aujourd'hui, comme vous le savez, c'est une croissance de ce qu'on appelle l'économie des 39 heures. La croissance d'aujourd'hui, c'est la croissance d'une économie dans laquelle il n'y a pas eu de réduction du temps de travail. Nous verrons les conséquences de la réduction du temps de travail, non pas aujourd'hui comme je le disais, mais dans malheureusement deux ans, trois ans, et il sera trop tard, parce que les autres pays ne le font pas...
- ... vous aviez déjà dit ça après la première loi, qu'elle était extrêmement néfaste, inapplicable, et puis finalement vous avez négocié... Alors est-ce que vous n'êtes pas en train de crier au loup ?... Vous ferez la même chose après la deuxième...
- Nous avons dit qu'elle était néfaste et qu'elle n'était pas applicable, la preuve c'est qu'à l'heure actuelle il n'y a qu'un pour cent qui y sont passées. Il y a à peu près 10 % des salariés. Et lorsqu'on nous dit : regardez, vous avez obtenu une année transitoire, c'est souvent parce qu'il était impossible de l'appliquer. C'est impossible d'appliquer tout ceci. On ne peut pas marcher au son du canon, avec une loi sociale le lendemain matin, toutes les entreprises de France sont à 35 heures, enfin tout ceci ce n'est pas la réalité, ce n'est pas la vérité, il faut être au plus près du terrain, et il faut être au plus près des branches, au plus près des entreprises, je dirais même au plus près des établissements, au plus près des ateliers. C'est comme ça que l'on pourra éventuellement trouver les moyens d'aménager le temps de travail, de réduire le temps de travail, en respectant je dis bien la réalité de l'entreprise, les aspirations des salariés.
- Vous dites vouloir reconquérir l'opinion publique... mais pouvez-vous le faire en défendant Michelin dans toute son activité, c'est-à-dire par la manière dont l'entreprise a appris aux salariés les suppressions de postes ?
- Ecoutez, moi je ne hurlerai pas avec les loups, et je trouve indigne la campagne anti-Michelin à l'heure actuelle. J'ai beaucoup de respect pour cette entreprise. 130.000 emplois créés. Ce sont eux qui contribuent à la richesse de ce pays. C'est une génération et des générations d'entrepreneurs qui ont fait cette énorme entreprise. Je considère pour ma part qu'à l'heure actuelle, vraiment, je veux dire critiquer Michelin, alors que les gens ne connaissent rien à cette entreprise...
- ... mais les conditions de l'annonce...
- ... mais ne connaissent rien...
- ... les conditions de l'annonce... les salariés ne savaient même pas...
- Personne ne connaît la réalité à l'heure actuelle de Michelin, la compétition féroce qui existe avec Good Year ou avec Fire Stone. Soyons sérieux. L'économie ce n'est pas des petites phrases et des anathèmes comme ça. Je considère pour ma part encore une fois qu'il faut saluer ceux qui créent de l'emploi. Michelin a créé 130.000 emplois. Je crois que c'est vraiment une performance tout à fait remarquable. Nous aurions besoin de davantage de Michelin et non pas de moins de Michelin, et nous avons intérêt à avoir des sièges sociaux en France. Nous avons intérêt à avoir des multinationales qui choisissent notre pays. Nous avons intérêt à avoir des PME qui choisissent notre pays. C'est la raison pour laquelle, tout cet après-midi nous dirons : nous croyons dans le destin économique de ce pays, à condition qu'on nous respecte.
- Merci Denis Kessler.
(source http://www.medef.fr, le 9 février 2001)