Déclaration de M. Charles Pasqua, président du RPF et président du groupe parlementaire européen Union pour l'Europe des Nations, sur son opposition aux propositions de la France à l'occasion de la présidence française de l'Union européenne notamment la construction d'une Europe fédérale placée au dessus des Etats-Nations, Strasbourg le 4 juillet 2000.

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Madame la Présidente, Monsieur le Président.
"La preuve du pudding, c'est qu'on le mange", disent les Anglais. Telle est bien la recette de cette improbable Union européenne qui s'impose chaque jour davantage dans la vie quotidienne des peuples européens.
Pour 6 mois, le chef sera donc Français, ce qui en toute autre matière nous garantirait le meilleur, ainsi que nous venons de le voir. Hélas, il y en aura deux, qui semblent avoir quelques difficultés à s'accorder sur le menu qui nous sera servi à Nice. Dieu merci, la gastronomie locale que je connais bien permet de sortir d'embarras : c'est une cuisine pauvre qui donne le meilleur d'elle-même avec très peu d'ingrédients.
La Conférence Intergouvernementale, pour parler plus sérieusement, mes chers Collègues, s'apparente à la quadrature du cercle. Et ce pour une raison simple, mais que tout le monde s'entend pour dissimuler. Il ne s'agit pas de régler quelques détails mais de choisir un nouveau processus de décision au sein d'un ensemble d'institutions qui régissent 80 % de la vie des Européens et qui est déjà, qu'on le veuille ou non, de nature quasi fédérale.
L'enjeu, c'est pour chacun de nos pays, et d'abord les moins peuplés, le maintien ou la disparition de leur présence à l'échelon communautaire, l'abandon ou le maintien de leur pouvoir de dire non, le consentement ou le refus d'être placés sous la tutelle des autres. La Commission de Bruxelles, depuis l'origine, et le Conseil des Ministres, depuis que le traité d'Amsterdam lui a retiré l'initiative, sont des institutions fédérales, comme l'est ce Parlement, comme le sont par ailleurs la Banque Centrale et la Cour de Justice.
Aussi, si les propositions présentées par la Présidence française, notamment la généralisation du vote à la majorité qualifiée, devaient être confirmées à Nice, alors nous aurions définitivement permis à cette Europe fédérale de fonctionner en vase clos, à l'abri de toutes les démocraties nationales, tout juste réunies pour la photo bimestrielle du Conseil européen.
Après le pouvoir monétaire et le pouvoir judiciaire, c'est tout le pouvoir exécutif et tout le pouvoir législatif qui aura échappé aux Etats-Nations.
Ces difficultés expliquent sans doute que, délaissant l'aridité des figures imposées par la CIG, de hauts responsables, à la suite du Ministre allemand des Affaires Etrangères, aient voulu se lancer dans l'exercice des figures libres. Cela a des avantages et cela a des inconvénients, ceux-ci l'emportant assez rapidement à mon sens sur ceux-là.
Car l'Union européenne est ce qu'en français on appelle une auberge espagnole. L'Angleterre y voit un marché, la France une politique, l'Italie une croyance, l'Espagne un espoir, l'Allemagne un devenir. Chacun de nos pays projette à l'échelle de l'Europe sa propre recette de la grandeur qui n'est pas la même que celle du voisin. Il est déjà bien difficile de faire une seule monnaie avec cela, alors, vous pensez, une Constitution !
Les Etats souverains contractent entre eux par Traités et non pas à l'intérieur d'une même Constitution. La seule exception connue à cette règle fut la très éphémère Confédération d'Etats Indépendants à laquelle fait irrésistiblement penser le concept de Fédération d'Etats-Nations.
Une Constitution n'est ni une nomenclature, ni un catalogue, ni un répertoire. Une constitution est fondatrice d'un ordre juridique nouveau dont elle est la loi suprême et qui s'impose à toutes les autres. L'adoption d'une Constitution européenne rendrait ipso facto caduques toutes les Constitutions nationales ravalées au simple rang de règlement intérieur des Etats-membres.
La vérité, Madame la Présidente, Monsieur le Président en exercice de l'Union européenne, c'est que cette Europe est et restera condamnée à la fuite en avant tant qu'elle persistera à se penser comme d'essence supérieure aux Nations qui la composent et par conséquent destinée tôt ou tard à les remplacer.
Ce n'est plus tant, d'ailleurs, la présomption du projet qui est en cause, que son obsolescence. Votre Europe s'efface chaque jour davantage devant une mondialisation par la finance dont le centre de gravité se trouve aux Etats-Unis. C'est maintenant par le biais de l'Europe, par le biais de la Commission de Bruxelles, par le biais de ce Parlement que les règles les plus contestables de cette mondialisation sont imposées à nos concitoyens. C'est ici qu'on abolit le chocolat mais qu'on légalise les OGM ! C'est ici qu'on s'oppose à toute tentative de freiner la spéculation mondiale, c'est ici que sous couvert d'harmonisation on déroule en fait le tapis rouge devant les multinationales. Voilà pourquoi, Madame La Présidente, Monsieur le Président, les peuples européens veulent profondément, et de plus en plus activement, une "autre Europe" fondée sur leur droit à disposer d'eux-mêmes, droit dont il serait pour le moins paradoxal que l'avant inventé ils soient les premiers à en être dépossédés ?
(source http://www.rpfie.org, le 20 décembre 2002)