Déclaration de M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, sur la relance du dialogue social et de la négociation collective, à Paris le 24 juin 2002.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Ouverture de la réunion annuelle de la Commission nationale de la négociation collective, à Paris le 24 juin 2002

Texte intégral

I. La méthode : la concertation, la confiance
En ouvrant ce matin cette nouvelle session de la CNNC, j'ai à l'esprit l'engagement du Président de la République et du gouvernement : relancer le dialogue social, relancer la négociation collective.
Je sais que cet objectif, à un titre ou à un autre, peut ici nous rassembler. Je sais aussi ce que requiert cet engagement, pour être autre chose qu'une intention sans lendemain : la confiance réciproque, et le respect mutuel, qui se forgent à l'épreuve du temps. C'est dans cet esprit que moi-même, mon cabinet, les services du ministère entendons travailler avec vous. Il n'y avait pas de lieu plus adapté, je crois, pour rappeler cet engagement devant l'ensemble des organisations représentatives des salariés et des employeurs.
La réunion annuelle de la CNNC constitue en effet un moment essentiel de notre vie sociale. C'est l'occasion de dresser le bilan de la négociation collective de l'année écoulée. C'est l'occasion pour les partenaires sociaux et l'État d'envisager, sur la base des données objectives fournies par l'administration la méthode de travail qui permettra de dessiner ensemble des perspectives à long terme et des orientations nouvelles.
J'aborde pour la première fois cet exercice avec détermination mais aussi humilité et écoute. Détermination, car la tâche est immense. S'il est en effet une leçon à tirer des élections qui viennent d'avoir lieu, c'est bien la nécessité de retisser, et de recréer, dans notre pays des liens sociaux. Nous sommes confrontés à un défi commun : celui de revitaliser le pacte républicain et social. Aujourd'hui, il existe trois France aux frontières, je le crains, de plus en plus étanches. Une France qui réussit et évolue avec aisance dans les arcanes de la modernité économique et culturelle, la France qui peine et travaille dur sans avoir le sentiment de voir ses efforts récompensés à leur juste valeur, la France qui décroche. Ce sont ces trois France qu'il faut rassembler autour d'une idée centrale : celle du progrès partagé, et, pour ce faire, négocié collectivement. Dans cet esprit, le gouvernement est plus décidé que jamais à faire du dialogue social une de ses priorités, et de la concertation, le fil conducteur de son action.
L'esprit d'écoute dans lequel je me présente devant vous aujourd'hui, m'a déjà permis d'entendre certaines attentes, parfois contradictoires, mais c'est bien normal dans le champ des relations sociales et professionnelles. Il nous faudra tout à la fois assouplir les 35 heures, que la loi a imposé de façon trop rigide, aussi bien aux salariés qu'aux entreprises, lutter contre la précarité dont sont victimes un trop grand nombre de salariés, insérer dans l'emploi les jeunes et les moins jeunes qui, faute de qualifications adaptées ou victimes des restructurations, se retrouvent exclus du marché du travail, améliorer le pouvoir d'achat des revenus tirés du travail, se doter de règles de négociation collectives rénovées.
Nous devons répondre à ces attentes, et pour cela, définir ensemble une méthode fondée sur la concertation. Elle nous permettra, je l'espère, de trouver les solutions aux problèmes concrets qui se posent.
A rebours de cette démarche, je suis toutefois conscient qu'il existe dans notre pays une tendance séculaire à se retourner vers l'État et le législateur, dès qu'un problème se fait jour, dès qu'une catégorie professionnelle présente une revendication aussi légitime soit-elle. Pour crédibiliser notre démarche, il faudra donc savoir résister, résister à l'urgence illusoire, résister à la pression factice de l'événement, résister à la tentation de la précipitation. Je compte sur vous, pour ensemble faire gagner l'idée que la seule action qui vaille est celle que précède utilement la concertation.
Les chantiers qui sont devant nous ne peuvent d'ailleurs se concevoir sans une concertation étroite avec les partenaires sociaux, que ce soit l'emploi, dans lequel j'inclus la question des 35 heures, la formation professionnelle, les retraites et enfin la relance du dialogue social lui-même. Le moment venu, cette concertation menée avec chacun d'entre vous pourra déboucher soit sur l'ouverture de négociations, soit sur la modification de textes législatifs et réglementaires.
Je suis bien entendu ouvert à vos suggestions, qui sont utiles, notamment, dans la perspective du discours de politique générale que le Premier Ministre prononcera dans les jours qui viennent et qui précisera les orientations de la politique sociale du gouvernement ainsi que sa méthode.
II. Le dialogue social, la relance de la négociation collective, le bilan de la négociation collective.
La confiance retrouvée entre l'État et les partenaires sociaux, c'est aussi la condition d'un dialogue social restauré, d'une relance de la négociation collective et de la dynamique conventionnelle.
A cet égard, je voudrai m'arrêter sur quelques aspects riches de promesses du bilan de la négociation collective - et je salue l'action de mes services pour la qualité et l'objectivité des données qui vous ont été transmises.
Premier aspect de ce bilan, la négociation entre partenaires sociaux au plan interprofessionnel a été riche et a pu aboutir à de substantiels résultats. Je pense en particulier, dans le domaine des retraites complémentaires, aux dispositions prises pour réorganiser l'ARGIC et l'ARRCO ou à la position commune sur les voies et moyens de la négociation collective. Dans d'autres domaines, les discussions n'ont pas pu aujourd'hui aboutir. Je pense notamment à la formation professionnelle, domaine d'intervention traditionnel des partenaires sociaux où les enjeux d'avenir sont essentiels mais je suis sûr que vous pourrez reprendre les discussions. Je ferai tout, en ce qui me concerne, pour vous y aider.
Second aspect du bilan que j'aimerais souligner, les négociations collectives au niveau de l'entreprise comme de la branche se sont situées à un niveau quantitatif élevé. Sur un plan plus qualitatif, si l'effet négociation 35 heures continue d'influencer ce bilan, on note un certain rééquilibrage des différents thèmes abordés. Ces dernières années, la négociation de l'ARTT, dans le cadre des 2 lois qui se sont succédées sur les 35 heures, a présenté la particularité d'être contrainte et le champ des partenaires sociaux strictement délimité par le législateur - quand ces derniers n'avaient en fait pour toute possibilité que de recopier la loi pour pouvoir prétendre aux aides de l'État.
Je veux voir dans la remontée en charge des thèmes aussi essentiels pour l'équilibre des relations sociales, que la formation professionnelle et les salaires, le signe d'un renouveau contractuel, d'un renouveau conventionnel. J'attache un intérêt tout particulier à ce que les partenaires sociaux négocient, hors de toute démarche coercitive de l'État, sur l'ensemble des champs des relations du travail, sans oublier les conditions de travail.
Dernière observation sur le bilan, il faut, je crois, se réjouir des progrès simultanément enregistrés sur l'ensemble des niveaux de négociation, l'entreprise, la branche et l'interprofession. Ce sont les partenaires sociaux qui sont les acteurs de cette cohérence du tissu conventionnel, permettant de définir un cadre de régulation des rapports sociaux adapté à la réalité de chaque secteur, de chaque entreprise. Ce sont aussi les partenaires sociaux qui sont le mieux à même de définir les modes d'articulation les plus adaptés entre ces différents niveaux.
J'en viens maintenant à l'essentiel, la rénovation du dialogue social, le développement de la négociation collective. Dans ce domaine, les enjeux ne se réduisent pas à une question institutionnelle, juridique, voire constitutionnelle.
Il s'agit, en réalité, de modeler une nouvelle architecture des relations sociales, ceci sans esprit de système mais avec l'exigence d'être au plus près des préoccupations quotidiennes des salariés et des chefs d'entreprises et des contraintes auxquelles ils sont confrontés. Ce sera le souci constant de l'élu local que je suis et c'est précisément la raison pour laquelle j'ai, dès mon arrivée au ministère, demandé que les directeurs régionaux et départementaux du travail me fassent part des conditions concrètes dans lesquelles s'organise le dialogue social dans leur ressort.
Donner la priorité au dialogue social, c'est en effet redonner les moyens et la capacité aux acteurs légitimes concernés de trouver les solutions les plus adaptées aux problèmes qui se posent, aux conflits et aux tensions, aux défis à venir, grâce à la négociation collective. Le dialogue social est une méthode. Mais c'est en même temps plus que cela. Le dialogue et la négociation portent intrinsèquement des valeurs de respect, de tolérance, de responsabilité, de reconnaissance réciproque et de liberté qui sont caractéristiques des sociétés modernes. C'est, d'une certaine façon, sinon un choix de société, du moins un choix de régulation sociale.
Le dialogue social et la négociation collective impliquent naturellement l'autonomie des partenaires sociaux. Permettez moi d'anticiper tout de suite un faux procès qui ne manquera pas d'être conduit sur le thème du désengagement de l'État. S'engager pour le dialogue social et la négociation collective, ce n'est pas pour l'État fuir ses responsabilités. C'est au contraire prendre pleinement celles qui lui reviennent - la définition des principes fondamentaux du droit du travail, la garantie de l'égalité des droits, la dignité de l'homme au travail, son intégrité physique, sa santé, la liberté dans l'exercice de ses droits. C'est ensuite laisser aux partenaires sociaux la capacité d'exercer les leurs, et intervenir, de façon supplétive, en cas d'absence, de carence ou de défaillance de la norme conventionnelle. L'Etat ne cesse pas pour autant de jouer son rôle mais ce n'est pas l'Etat prescripteur, l'Etat normatif.
C'est ensemble désormais que nous devons fixer le cap. Il s'agit pour nous d'encourager, de faciliter une négociation libre, loyale et équilibrée. A cet égard, je salue l'action des présidents de commission mixte paritaire qui, dans près de 80 branches, concourt à la vitalité du tissu conventionnel. Plus généralement, j'attache une grande importance à la fonction médiatrice des services du ministère, en particulier de l'inspection du Travail, pour faciliter le lien social et le dialogue.
Dans ce cadre, la position commune sur les " voies et moyens d'approfondissement de la négociation collective " que je citais précédemment prend toute son importance. Ce document vise à présenter des voies d'amélioration du système français de relations professionnelles. Il est un acte important qui contribue à alimenter et éclairer le débat sur les réformes nécessaires, tant en ce qui concerne les conditions de validation des accords, que les moyens de vivifier le dialogue social, la hiérarchie des normes législatives et contractuelles, les rapports entre la loi et la négociation, ou enfin les rapports entre la négociation de branche et la négociation d'entreprise.
Le choix du dialogue social nous engage tous collectivement. Nous ne relèverons le défi qu'en inscrivant notre démarche dans un pacte de confiance et de respect mutuel. L'action de mon ministère sera caractérisée par la concertation et la transparence, à l'opposé des manoeuvres, et de la tentation de l'instrumentalisation. Tel est le contrat que je vous propose.
Les années qui viennent seront donc décisives et c'est avec la conscience de faire, au nom du nouveau gouvernement, un des premiers pas de cette démarche que j'ouvre cette réunion de la commission nationale de la négociation collective.
(Source http://www.travail.gouv.fr, le 26 juin 2002)