Déclarations de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, sur le développement des relations politiques, économiques et culturelles entre la France et la Russie, le partenariat entre l'OTAN et la Russie et le processus de paix au Proche-Orient, Paris les 8 et 9 avril 1997.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Entretien de M. de Charette avec M. Evgueni Primakov, ministre russe des affaires étrangères à Paris le 8 avril 1997

Texte intégral


Mesdames et Messieurs, merci d'être là et pardon pour ce retard dû au fait que notre rencontre s'est prolongée au-delà de ce qui était prévu.

Nous sommes très heureux d'accueillir Evgueni Primakov, en visite officielle à Paris. M. Primakov est non seulement le ministre des Affaires étrangères de Russie mais il est aussi mon ami.

Je suis très heureux, personnellement de l'accueillir. Ensemble, nous avons fait un tour, non pas complet mais très important, des questions internationales.

Bien sûr, nous avons abordé le chapitre de l'architecture européenne de sécurité. Vous savez que la rénovation de l'Alliance atlantique, comme l'élargissement en perspective, fait partie d'un projet global qui concerne l'architecture européenne de sécurité. Dans ce projet global, les relations avec la Russie, en particulier la perspective d'un arrangement entre la Russie et l'OTAN, est un sujet tout à fait majeur.

Nous sommes très heureux que les discussions soient engagées, que des progrès importants aient été accomplis. Comme vous le savez, la visite du chancellier Kohl à Moscou, en janvier, la visite du président Chirac à Moscou, en février, la rencontre entre le président Eltsine et le président Clinton à Helsinski, en mars, ont constitué autant d'étapes dans cette discussion et dans ces progrès. Vous savez également que les Seize ont donné mandat à M. Solana, Secrétaire général de l'Alliance, pour négocier en leurs noms avec les autorités russes en vue de parvenir à cet arrangement entre l'OTAN et la Russie. Nous espérons qu'il contribuera de facon décisive à cette architecture européenne de sécurité.

Naturellement, nous avons évoquer un certain nombre de crises. Nous avons partagé ensemble notre extrême inquiétude sur la situation concernant le Proche-Orient et le processus de paix. Nous sommes convenus de rester en rapport très étroit de facon à unir nos efforts entre la Russie, la France, et l'Europe en vue de permettre de renouer les fils du processus de paix sur la base des principes qui seuls permettent d'aboutir à des résultats satisfaisants.

J'ai évoqué avec Evgueni Primakov mon voyage dans la Caucase et nous avons fait ensemble le point sur les travaux de la co-présidence russo-américano-francaise du processus de Minsk.

Bien sûr, nous avons évoqué un certain nombre de sujets d'intérêt général et en particulier je me réjouis que nous soyons en train de mettre la dernière main au projet concernant le lycée francais de Moscou, c'est-à-dire l'ouverture d'un grand lycée dans le centre historique de Moscou, là ou se trouvait jadis implantée la communauté francaise autour de la paroisse St Louis des Francais. C'est désormais un projet qui avance dans d'excellentes conditions. Nous aurons l'occasion de poursuivre nos travaux dans la journée de demain, puisque vous le savez, M. Primakov sera recu par le président de la République et que j'aurai le plaisir de l'accueillir ici pour un déjeuner officiel demain.

Bienvenu à Paris, cher ami.
Q - Sur le Proche-Orient et la concertation entre la France et la Russie à ce
sujet.

R - Naturellement, nous avons échangé ensemble nos analyses, nos points de vue et nos initiatives, et en particulier j'ai exposé à M. Primakov les propositions que la France avait faites à ses partenaires européens et la démarche entreprise, à la suite de l'initiative française, par la présidence européenne. Nous sommes tombés d'accord pour constater, comme je l'ai dit tout à l'heure, que la situation est critique. C'est sans doute la plus grave crise que nous ayons connue depuis les Accords de Madrid, et nous pensons, nous sommes convaincus, l'un et l'autre, que c'est seulement en s'appuyant sur les principes agréés à Madrid, à Oslo et à Taba que le processus de paix peut repartir. Naturellement, la question de la construction d'une nouvelle implantation est une question qui a mis le feu aux poudres. Par conséquent, il faut y renoncer. Ensuite, nous souhaitons ensemble joindre nos initiatives, naturellement à l'action et aux efforts du gouvernement américain, pour faire en sorte que les parties puissent renouer, ensemble, avec ce processus de paix.

Nous allons poursuivre notre action, et bien entendu, nous allons nous concerter très étroitement, aussi bien pour échanger nos informations que pour associer notre action.

Q - Y aura-t-il un sommet à cinq à Paris en mai en vue de finaliser et de signer le document OTAN/Russie ?

R - Nous n'avons pas parlé de questions d'agenda. Mais, bien entendu, la France, avec ses partenaires de l'Alliance atlantique, comme avec la Russie, entretient un dialogue et une négociation permanente. Il va de soi que nous pesons dans le cours des événements. Ne doutez pas que dans les travaux qui sont conduits actuellement, la France, sous l'autorité du président de la République, donne une impulsion extrêmement importante, et elle continuera bien sûr à le faire. Merci, Mesdames et Messieurs.
C'est un grand honneur et un vif plaisir pour moi d'accueillir pour ce déjeuner au Palais d'Orsay, M. Evgueni Primakov, ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie. Nous nous sommes déjà rencontrés à de nombreuses reprises, Monsieur le Ministre. Mais il m'est tout particulièrement agréable de vous recevoir aujourd'hui pour votre première visite officielle en France. Et nous nous réjouissons, mon épouse et moi-même, de la présence de Mme Primakova en cette occasion.

Cher Evgueni Maximovitch, la France observe avec intérêt, admiration et confiance les développements qui se produisent dans votre pays. Nous avons conscience de l'immensité de la tâche à accomplir. Edifier en même temps une économie de marché efficace et une véritable démocratie représentative est en effet un défi immense. Nous mesurons bien les résistances qu'une transformation de cette ampleur suscite inévitablement. Nous mesurons aussi les difficultés de ceux qui peinent à s'adapter.

Mais que de chemin déjà parcouru ! La maturité que montre le peuple russe au fil des échéances électorales est des plus remarquables. L'économie, enregistre des signes de stabilisation. Ce sont là des bases solides sur lesquelles on peut construire. J'ai été frappé par la vigueur de l'impulsion donnée par le président Eltsine, dans son adresse à l'Assemblée fédérale le 6 mars dernier. Des objectifs clairs ont été assignés avec force sur la voie des réformes.

Nous comprenons que la Russie, avec une équipe gouvernementale dynamique et rajeunie, entende aller résolument de l'avant. Ce mouvement est impressionnant. Il est de nature à inspirer confiance, chez vous bien entendu, mais aussi à l'extérieur de la Russie, auprès de tous vos amis qui vous observent. Nous savons le poids de la politique étrangère à cet égard : les relations de la Russie avec le reste du monde - et d'abord avec ses principaux partenaires économiques que sont les pays européens -, apportent leur contribution à l'effort de réforme. Soyez assuré, Monsieur le Ministre, qu'une Russie forte, prospère, prenant sa place dans toutes les structures de coopération européennes et mondiales, est notre voeu le plus sincère. Nous ne négligerons aucun effort en ce sens. Qu'il s'agisse du développement de notre coopération économique et de notre concertation politique, ou de l'appui que la France peut apporter à la Russie pour son intégration dans les enceintes internationales comme le G7- que nous souhaitons transformer en G8 - l'Organisation mondiale du commerce ou l'OCDE.

La même préoccupation nous anime dans les domaines politique et de sécurité. Alors que les mois qui viennent seront décisifs pour dresser les fondations de l'architecture européenne de sécurité du XXIème siècle, il est important que la France et la Russie contribuent ensemble à cette édification. Le processus d'élargissement de l'Alliance atlantique, pour important qu'il puisse être, ne résume pas, à lui seul, cette construction ambitieuse. C'est un élément certes important pour répondre aux préoccupations de sécurité des uns. L'élaboration d'une charte entre la Russie et l'OTAN est un élément au moins aussi important et sans doute déterminant. Je suis convaincu qu'un compromis raisonnable, de nature à prendre en compte les préoccupations russes peut être trouvé, avant le Sommet de Madrid. Nous en avons très longuement parlé ici ainsi qu'à l'audience chez le président de la République.

Nous devrons ensuite nous atteler tous ensemble à une approche globale des problèmes de sécurité en Europe. La charte sur la sécurité européenne que nous mettrons au point dans le cadre de l'OSCE et dont nous devons ensemble accélérer les travaux, sera un élément central de ce nouvel équilibre où chacun
aura sa place, sa sécurité et son avenir garantis.
Sur les grands dossiers de l'actualité internationale, nous échangeons régulièrement nos points de vue. Et nous constatons que nos deux pays ont le
plus souvent des analyses convergentes.
Au Moyen-Orient, - admettons-le - le processus de paix est dans une phase d'extrême gravité. La France est très préoccupée par la situation dans cette région. Elle se félicite du rôle joué par la Russie, en sa qualité de co-parrain du processus de paix, en vue de réactiver le dialogue, sur la base des accords conclus. Elle entend n'épargner aucun effort pour contribuer à ce même objectif. Que ce soit à titre national, ou au travers de l'action menée par l'Union européenne dont elle inspire le plus souvent les mouvements.

En Bosnie, la France et la Russie poursuivent, au sein du groupe de contact, et par le biais de leur participation commune d'abord à l'IFOR puis à la SFOR, des objectifs communs : consolider des acquis encore trop fragiles, créer les conditions d'un avenir de paix et de prospérité pour toutes les populations concernées, pourvu qu'elles-mêmes y mettent du leur.

La France apprécie également à sa juste valeur la contribution apportée par la Russie au règlement des conflits régionaux dans les pays de la CEI. Dans le Caucase plus particulièrement, vous le savez, la France a décidé de s'impliquer davantage dans le règlement du conflit du Haut-Karabakh. Elle compte sur l'expérience irremplaçable de la Russie dans ce dossier complexe. Elle compte aussi sur la capacité d'initiative et de cohésion des trois co-présidents de la Conférence de Minsk pour aider les parties à progresser dans la recherche d'un règlement négocié.

Sur le plan bilatéral enfin, nous avons à coeur de renforcer encore le partenariat privilégié que nous avons décidé d'établir entre nous.

Dans le domaine économique notamment, où le potentiel de développement de nos échanges et des investissements de nos entreprises en Russie reste très important. Je salue leurs représentants, nombreux dans cette assistance. Voyez-y le signe, Monsieur le Ministre, de l'intérêt qu'ils témoignent à votre pays. Mais les entreprises, vous le savez, ne s'embarrassent pas d'idées reçues. Elles voient en Russie une économie en mutation, des partenaires ouverts à la coopération internationale, de nouveaux marchés qui se créent et s'élargissent peu à peu. Aussi ne demandent-elles qu'à être plus présentes encore dans votre pays, à y trouver de nouveaux partenaires, à mettre en oeuvre de nouveaux investissements. Elles ont besoin pour ce faire d'un cadre juridique raisonnable et stable. Le gouvernement russe a la volonté d'améliorer leurs conditions de travail. Il s'y emploie, je m'en réjouis. Nous avons redit ensemble, et je m'en félicite, la nécessité de mettre très rapidement en oeuvre le mémorandum sur les emprunts russes qui tournera une page des relations franco-russes, ouvrant la voie à une relation plus solide parce que plus confiante. Notre coopération économique et financière peut et doit être plus dynamique. Elle doit pour cela associer tous les acteurs possibles, c'est-à-dire les petites et moyennes entreprises, qui sont le ferment du progrès économique.

La culture est également l'un des domaines privilégiés de notre coopération. Je me réjouis de l'installation prochaine du nouveau lycée français dans le centre historique de Moscou. Cette réalisation sera le symbole des ambitions nouvelles que nous assignons à notre relation bilatérale et notre accord sur ce point devrait être signé prochainement. Je ne voudrais pas évoquer nos relations bilatérales sans rappeler toute l'importance que nous attachons, et moi tout personnellement, à la résolution de l'accord sur la restitution des archives françaises comme à la question des biens culturels spoliés et emportés en Russie, car il s'agit là de morale et de justice. Deux valeurs auxquelles nos deux peuples sont fondamentalement attachés.

J'évoquerai enfin notre coopération parlementaire, qui fait preuve d'une vitalité et d'un dynamisme exemplaires. J'en remercie les membres de nos deux assemblées, réunis ici autour de nous, dont c'est l'oeuvre assidue et qui savent que leur mission est essentielle.

Notre dialogue politique est, je le rappelais à l'instant, dense et permanent. Votre présence aujourd'hui, Monsieur le Ministre, en est un nouveau témoignage et je sais que le président de la République a été très heureux de vous recevoir à l'instant.

La tenue prochaine de la commission mixte Juppé/Tchernomyrdine et surtout la visite d'Etat du président de la République en Russie les 25 et 27 septembre prochains sont autant de jalons essentiels de ce dialogue étoffé.

Moments importants dans notre relation ancienne et sans cesse renouvelée. Voilà pourquoi je forme des voeux pour le succès de la Russie, pour le bonheur et la prospérité du peuple russe et vous invite, Mesdames, Messieurs, à lever votre verre à l'amitié entre la France et la Russie
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 octobre 2001)