Déclaration de M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur l'organisation économique du secteur fruitier, légumier et horticole, le marché et la production de ce secteur, la distribution et le coût du travail, Paris le 5 avril 2000.

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Circonstance : Congrès de la Fédération française de la coopération fruitière, légumière et horticole (Felcoop) à Paris le 5 avril 2000

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux de l'occasion qui m'est donnée de m'exprimer devant les représentants des coopératives fruitières, légumières et horticoles, me permettant ainsi de vous dire à nouveau toute l'importance que j'attache à votre secteur, et de vous indiquer les orientations du gouvernement pour ce secteur afin de lui permettre de relever les défis auxquels vous êtes confrontés et de valoriser au mieux vos atouts.
1. Avant de rentrer dans le vif du sujet, laissez moi commencer par un thème qui me tient à cur : l'organisation économique.
Vous savez ma conviction profonde : face aux enjeux auxquels est confronté votre secteur, le succès passe par le regroupement des forces sans lequel les producteurs ne seront pas en mesure de faire le poids face à une demande sans cesse plus concentrée.
Ce choix, le Gouvernement en a fait l'axe fort de sa politique que ce soit dans l'adhésion aux principes qui fondent l'organisation commune de marché, dans la définition des priorités pour les investissements ou dans le versement des aides en cas de crises conjoncturelles graves. Ce cap n'est pas toujours facile à tenir, surtout quand la crise frappe durement les exploitations indépendamment de leur statut mais cette orientation est indispensable.
Pour conforter ce message, il convient d'apporter aux producteurs organisés un soutien clair et tirer les leçons de la crise de cette année où certaines organisations de producteurs se sont parfois livrées à des luttes fratricides comme cela a été relevé par des responsables professionnels lucides et courageux. Une solution en ce sens consiste à renforcer les comités de bassin. Ainsi, sans établir une confusion entre la démarche d'entreprise des organisations de producteurs et la mission des comités, leur rôle d'animation économique des bassins de production doit être renforcé afin de développer des projets communs et de limiter les concurrences stériles entre structures dont les acheteurs s'empressent de tirer parti ; de même, ces comités doivent s'ouvrir aux producteurs indépendants, afin que les pratiques de ces derniers ne mettent pas en péril les disciplines que les producteurs organisés, au prix d'efforts financiers importants, se sont imposés. Tel est l'objet du projet de décret en discussion interministérielle.
Si l'organisation économique doit être renforcée afin d'être économiquement plus efficace, elle doit également plus respectueuse des agriculteurs qui sont sa raison d'être comme de l'ensemble des sensibilités qui peuvent s'exprimer en son sein.
Il faut que dans ce domaine comme plus largement dans la société, les règles du débat démocratique soient respectées c'est à dire la reconnaissance du fait majoritaire mais aussi le respect des minorités. Je veillerai à ce que partout ces règles élémentaires de démocratie soient respectées et que l'organisation économique profite au plus grand nombre.
Enfin, je me dois de souligner le rôle, chaque jour plus essentiel, que doivent tenir vos interprofessions : c'est par le dialogue au sein de la filière que nous construirons un meilleur équilibre des relations entre les différentes familles afin que chacun d'eux trouve la juste rémunération de son travail. Je renouvelle tous mes encouragements au Président Laffitte et au Président Cuxac dans leurs missions.
2. Je vais maintenant suivre le plan que j'ai choisi en commençant par le principal sujet de préoccupation de votre secteur, les relations avec la distribution. A cet égard, je dois dire que vous avez appelé l'attention de tous sur un problème de fond qui concerne aujourd'hui largement nos concitoyens, industriels comme agriculteurs. Le Premier ministre a répondu à votre appel dénonçant des relations par trop déséquilibrées et demandant d'instituer en ce domaine quelques règles simples : tel fut l'objet des assises du commerce et de la distribution du 13 janvier dernier. Des avancées concrètes en sont issues et un projet de loi sur les régulations économiques a été rédigé, incluant la question des catalogues à laquelle je vous sais particulièrement sensible.
Il sera soumis à l'examen du Parlement dans les prochaines semaines, permettant ainsi de compléter et d'améliorer un texte qui comporte déjà des avancées considérables.
Cette évocation du développement à long terme de votre filière me permet de saluer l'action du Centre interprofessionnel des fruits et légumes (CTIFL) que vous présidez également, Monsieur LE JOB : j'ai entendu vos inquiétudes sur le devenir de votre taxe parafiscale, qui parvient à échéance en 2002. Nous avons donc un peu de temps pour convaincre, ensemble, les autres ministères concernés de l'utilité de ce dispositif avec pour meilleur argument l'efficacité de l'action que mène le CTIFL. Soyez assuré de mon appui.
3. Autre sujet de préoccupation, le coût du travail.
Vous avez fait part de votre inquiétude concernant l'impact de la loi sur les trente-cinq heures qui prévoit la réduction négociée du temps de travail qui commence à porter ses fruits puisqu'elle contribue de façon sensible à la décrue importante que connaît le chômage dans notre pays.
Je rappelle qu'elle ne touche pas aux possibilités actuelles concernant l'emploi des travailleurs saisonniers et ne modifie pas les spécificités de la réglementation agricole, notamment en matière de durée maximale du travail : votre accord de branche est confirmé.
Vous faites valoir le renchérissement du coût de la main-d'uvre saisonnière qu'elle est susceptible d'entraîner dans un contexte de concurrence très forte.Vous le savez, attentif au maintien de la compétitivité de votre filière, j'ai proposé un aménagement du système actuel de réduction des charges sociales patronales qui vise à porter l'abattement de 75 à 90% pour réduire le coût de l'emploi de travailleurs saisonniers.
En outre, j'ai proposé un allongement de la durée des contrats ouvrant droit à l'abattement pendant la période de 100 jours. Cette disposition permettra de lutter contre la précarité du travail et de faciliter la gestion de la main d'uvre saisonnière si importante pour vous. J'espère que ce nouveau dispositif sera applicable dès la prochaine campagne fruits d'été.
En outre, je vous invite à tirer tout le parti des possibilités qu'offre la loi sur les 35 heures. Vous pouvez compter sur moi pour me faire votre avocat auprès de mes collègues du gouvernement pour éviter de déstabiliser un secteur si fondamental en terme d'emplois.
4. Autre contrainte, les crises de marché ou les accidents climatiques. Là encore, l'Etat répond présent qu'il s'agisse par exemple du gel, des tempêtes, des crises de marché ou de l'embargo décidé par les Anglais à la suite de nos décisions de protection des consommateurs français. Sur ce dernier aspect, je me suis engagé à Nîmes à répondre aux difficultés des producteurs de pommes. Nous y travaillerons dès la prochaine semaine au vu du bilan définitif des entreprises apprécié et des décisions seront prises, je l'espère, très vite.
Permettez-moi deux considérations supplémentaires sur les conditions d'intervention du budget de l'Etat dans ce type de situations.
Tout d'abord l'Etat consacre à votre filière des crédits très importants ; ainsi, l'Oniflhor est-il, chaque année, parmi les offices les mieux dotés, en raison de l'importance spécifique que le Gouvernement attache à votre filière. Et c'est normal.
En second lieu, je crois qu'il est plus que jamais nécessaire de réorienter les moyens d'interventions conjoncturels de l'Etat : la crise de cet été a clairement mis en évidence leur inefficacité, sans parler des effets pervers qu'ils provoquent parfois en entretenant, à partir de crédits publics, des concurrences acharnées entre organisations de producteurs. A la fin, c'est le producteur qui est la victime, sans que le marché se soit pour autant redressé. Sans écarter l'utilité ciblée de certains de ces dispositifs, je crois qu'ils doivent être plus limités et plus strictement encadrés dans leurs modalités d'utilisation, les disponibilités ainsi dégagées étant consacrées au développement à plus long terme de votre filière.
C'est pourquoi comme mon directeur de cabinet l'avait dit à Brive l'an dernier, les crédits destinés à répondre aux crises conjoncturelles, les plans de campagne doivent voir leur niveau décroître pour que l'on puisse bâtir l'avenir de votre filière sur des projets plus intéressants, sur des projets structurants. C'est l'un des points forts de ma politique.
5. C'est ce qui permet de faire la transition avec mon second thème : comment mieux valoriser vos atouts ? Votre premier atout, c'est de pouvoir parler directement aux consommateurs. Un fruit ou un légume peut être transformé ou cuisiné à l'infini mais il peut aussi être croqué tel quel.
Et je me souviens de la belle énumération qu'avait faite M. Cuxac lors de l'inauguration de l'odyssée végétale : chasselas de Moissac, carotte de Créance, noix du Périgord, ratte du Touquet, muscat du Ventoux, et j'en oublie comme le coco tarbais.
Vous avez de beaux produits et de belles dénominations que vous devez valoriser pour répondre au goût du consommateur et le faire rêver comme le font les vignerons.
Pour prendre ce virage, vous disposez d'un outil qui arrive à point nommé, le contrat territorial d'exploitation, pour lequel votre filière, je le rappelle, est prioritaire.
Il me revient des difficultés de mise en route et c'est bien normal. Il est toujours plus difficile de défricher que de cultiver des jardins bien connus. Il est plus délicat de préparer des cahiers des charges pour des systèmes de productions très spécialisées qui associent plusieurs cultures que dans des systèmes plus simples mais je prends l'engagement de vous aider à surmonter ces difficultés.
En particulier, compte tenu de l'importance des marges à l'hectare de ces cultures et de la nature des contraintes, le niveau des montants financiers à l'hectare devra être adapté, même si nous devrons respecter les plafonds prévus au plan européen.
De même, il sera nécessaire de tenir compte des variabilités de la main d'uvre consécutives à l'importance des récoltes. Il serait quand même paradoxal que le principal secteur agricole pourvoyeur d'emplois fasse l'objet d'une limitation en ce domaine.
Vous avez également évoqué les problèmes de compatibilité entre le CTE et les programmes opérationnels : vous suggérez que, la démarche environnementale étant obligatoire aussi bien au titre des procédures " CTE " que des procédures " programmes opérationnels ", le fait, pour une exploitation, de conduire cette démarche dans le cadre des programmes opérationnels soit pris en compte au titre du CTE ; la condition environnementale serait dés lors supposée remplie et inscrite " pour mémoire " dans le cahier des charges CTE. Je n'y vois pas d'obstacle majeur, pour autant que les exigences spécifiques de la réglementation CTE en la matière soient observées au titre des programmes opérationnels.
En outre, je souligne que vos coopératives sont, par la démarche collective qu'elles peuvent mettre en uvre au service d'un territoire, susceptibles de jouer un rôle essentiel pour le développement des CTE.
Sur tous ces points, je vous invite à rechercher des solutions de bon sens avec Christian Dubreuil, le directeur des exploitations, de la politique sociale et de l'emploi, en liaison naturellement avec M. Laneret.
Je voudrais finir sur ce point avec un commentaire qui ne sortira pas d'ici. Vos amis vignerons ont fait sur les CTE un travail remarquable. Les coopératives viticoles sont le fer de lance de la réflexion sur ce sujet dans de nombreux départements. C'est vrai qu'il est plus facile de faire des projets quand la situation est globalement bonne -à la suite des efforts énormes que ce secteur a su faire depuis 30 ans, il faut le dire aussi- que quand la pérennité de son exploitation ou de son groupement est sur le fil du rasoir. Mais vous devez relever ce défi car, en vérité je vous le dis, cet instrument est fait pour vous.
6. Je finirai en abordant les sujets internationaux et principalement les thèmes communautaires qui là encore doivent permettre d'accompagner vos projets et de favoriser votre développement.
Nous avons besoin en effet d'une Organisation commune de marché qui soit plus simple et plus incitative pour appuyer les efforts des organisations économiques pour développer des projets porteurs d'avenir et encourager les agriculteurs à rejoindre l'organisation économique. Pour atteindre cet objectif ambitieux, nous avons tous ensemble tenté de préparer le terrain le mieux possible.
C'est ainsi que les pays méditerranéens, faisant fi de leurs querelles anciennes, se sont mis autour de la table pour préparer un mémorandum conjoint au printemps 1999 qui met en exergue deux objectifs majeurs : renforcer l'attractivité financière du régime des programmes opérationnels et simplifier leurs modalités de mise en uvre. Ce nouvel état d'esprit a été rendu possible par le travail du groupe franco-espagnol sur les fruits et légumes qui continue à se réunir avec succès et qui a permis de passer d'un climat d'affrontement à un climat de travail et coopération. J'espère que la campagne fraise qui commence ne me démentira pas.
L'aboutissement sous présidence française de la réforme de l'OCM fruits et légumes dans un sens conforme à nos vues constitue pour moi une priorité. Je ne sous estime pas l'ampleur de la tâche : d'abord, il faut que la Commission nous fasse des propositions le plus tôt possible afin que le Conseil puisse travailler, il faut également que nous disposions d'une marge de manuvre budgétaire suffisante.
En effet, répondre à nos demandes nécessitera des ajustements pour améliorer le co-financement des programmes opérationnels ; il faudra donc dégager des marges de manuvre budgétaire, ce qui ne sera pas facile dans le contexte actuel.
Ces difficultés, n'entament en rien ma détermination, je dirai presque au contraire.
La simplification de cette OCM est également un impératif : elle est liée à la préoccupation que vous avez exprimée, s'agissant des contrôles. Plus de simplicité doit pouvoir signifier moins de contraintes pour les organisations de producteurs et donc moins de pression en matière de contrôles. Je tiens à saluer les efforts de tous sur ce sujet et souligner les fruits qu'ils ont portés puisque la Commission n'a pas fait de refus d'apurement cette année pour le secteur des fruits et légumes en France. La rigueur a payé et c'est pour le bien du pays et du secteur tout à la fois. Car quel crève cur pour un ministre de devoir reverser à Bruxelles plus d'un milliard de francs par an pour des contrôles mal faits ou des libertés prises avec la réglementation européenne.
Ce bon résultat ne doit pas nous laisser nous endormir. Vous avez rappelé et je vous en remercie les efforts de mes services pour que, en partenariat avec vos représentants, nous puissions faire le maximum pour simplifier les procédures nationales.
Il faut aller au-delà. Sans vous cacher ma préoccupation devant les nombreuses irrégularités relatives aux programmes opérationnels, je conçois que des contrôles effectués par des administrations différentes, dans des délais rapprochés, n'est pas acceptable.
Sans remettre en question les attributions de quelque administration que ce soit, je m'ouvrirai de cette question à de mon collègue en charge de l'Economie et des Finances.
Vous avez évoqué la réforme de l'OCM bananes : il s'agit là d'un enjeu majeur pour les producteurs de l'Outre mer français auquel ce gouvernement est très attaché, qui s'inscrit dans le cadre délicat des relations de l'Union européenne avec les Etats Unis. En outre, nous avons le handicap d'être avec l'Espagne les deux seuls pays à être véritablement mobilisés pour la défense des intérêts de nos producteurs. Soyez cependant bien convaincus de notre détermination à défendre ce dossier, et notamment l'approche contingentaire que vous avez évoquée, avec toute l'énergie nécessaire. Il y va de la survie d'une filière, de régions françaises et du modèle de développement économique fondé sur l'homme que l'Europe représente sur 3 continents.
Quant à l'OCM pommes de terre, s'il se présente à Bruxelles une chance d'aboutir sur ce dossier, je la saisirai. Toutefois, l'expérience des présidences passées ne me conduit pas à beaucoup d'optimisme sur ce dossier.
Vous avez enfin évoqué les négociations " OMC " et " élargissement ", en exprimant la crainte que les fruits et légumes servent de monnaie d'échange mais nous résistons avec détermination et avec succès à ces pressions, notamment lors de l'accord de libre échange avec l'Afrique du sud.
Reste que la pression pour libéraliser les échanges se renforce, que nous le voulions ou non, et nous oblige à toujours plus d'efforts en matière de compétitivité et de qualité, pour différencier nos produits et les valoriser.
Notre approche ne peut être seulement défensive et je considère que notre stratégie doit être guidée par les 3 principes suivants : être intransigeant en matière sanitaire, favoriser le développement social des populations concernées, exiger des contreparties en matière d'accès au marché des pays concernés, ce que nous ne faisons pas assez souvent alors même que ces marchés présentent des opportunités pour peu que des produits adaptés leur soient proposés.
7. Enfin, je souhaiterais conclure en vous disant que j'ai souhaité ouvrir la présidence française du Conseil Agriculture en réunissant un colloque sur les fruits et légumes à Bruxelles le lundi 17 juillet à Bruxelles élaboré conjointement avec l'Espagne et l'Italie.
Cela permettra de mettre au grand jour l'importance accordée à ce secteur, de souligner ses atouts et de mettre en avant les opportunités qu'il présente pour l'Europe tout entière. Cela permettra également de valoriser ses vertus afin que les Européens et en particulier les jeunes aient envie de se faire plaisir en dégustant des fruits et des légumes sous toutes leurs formes. Ce colloque associera des chercheurs, des producteurs, des économistes, des consommateurs, et j'espère que vous serez nombreux à venir y participer.
Comme vous le constatez, Monsieur le Président, de très nombreux chantiers s'offrent à nous qui sont autant de défis : comptez sur moi pour vous aider à les relever. Pour ma part je sais pouvoir m'appuyer sur le mouvement coopératif qui a de beaux jours devant lui, tant que vous conserverez et mettrez en uvre votre principe fondateur qui place les coopératives que vous constituez au seul service du producteur. Je vous remercie.
(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 7 avril 2000)