Texte intégral
L'Europe avance et les changements qui se préparent - élargissement, réformes institutionnelles - sont tels que certains se demandent si ses progrès ne se font pas au détriment de la place de notre pays, au point que la tâche centrale de nos diplomates, qui est de promouvoir nos principes et nos intérêts nationaux, serait remise en cause.
Il importe ici de comprendre à quel point les relations entre Etats au sein de l'Union européenne n'ont que peu à voir avec les relations extérieures au sens classique, multilatérales ou bilatérales : la construction européenne apparaît en effet, sur bien des aspects, comme un élément constitutif de notre politique intérieure qu'elle oriente, contraint ou aiguillonne. La négociation, cur du métier diplomatique, se noue ici entre des partenaires liés par des traités et animés du même objectif de coopération. Ceci a deux conséquences pour notre diplomatie dans l'espace européen : elle est plus que jamais un élément vital de la conduite du pays, car les relations avec les autres pays membres et les institutions de l'Europe structurent toujours plus avant notre quotidien ; elle est appelée à explorer des champs d'action nouveaux, susceptibles d'accroître notre capacité d'influence.
L'heure est propice à un nouvel élan du travail diplomatique, car le socle économique des relations intracommunautaires - le Marché commun et l'euro - est désormais bien établi. Et la priorité revient dès lors au processus politique. Soyons clairs : bâtir l'Europe ne signifie pas sonner le glas des souverainetés étatiques mais, au contraire, développer en parallèle des domaines de "souveraineté partagée".
L'idée que plusieurs souverainetés nationales se soumettent volontairement à des normes communes pour former une communauté n'est pas facile à mettre en perspective tant elle repose sur des mécanismes complexes. Mais elle n'est pas si neuve !
Depuis les Traités de Westphalie au XVIIème siècle - souvent qualifiés de véritable charte constitutionnelle de l'Europe - l'idée européenne s'est déployée dans la tension entre l'affirmation de la souveraineté des Etats et l'obligation de coopération.
L'expérience tragique des deux guerres mondiales a conduit les nations européennes à vouloir aller plus loin. Le préambule de la Constitution française de 1946 en atteste, lorsqu'il énonce que : "sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et à la défense de la paix".
Aujourd'hui, la dialectique de l'Union européenne demeure fidèle à ces principes sous une forme renouvelée conjuguant coopération et intégration. Or, les diplomaties nationales, qui portent en elles la mémoire des relations souvent difficiles entre nos nations européennes, sont bien placées pour mesurer les contraintes et nourrir le travail d'invention de cette souveraineté partagée.
Le caractère unique de la construction européenne ne tient pas seulement à son histoire. Il concerne aussi son rapport au droit. Tout d'abord, les normes européennes touchent de plus en plus directement la vie des citoyens : que l'on songe aux relations économiques, aux droits sociaux, à la sécurité alimentaire, à l'environnement, aux transports ou encore à l'énergie... En cela, elles ne font cependant que répondre à une évolution générale des besoins de régulation, dont témoignent, par exemple, les débats tenus dans le cadre du Sommet de Johannesburg qui ont clairement posé la question de l'accès des habitants de la planète aux biens essentiels.
En réalité, l'originalité des textes européens réside moins dans leur contenu, que dans leur mode d'adoption et d'exécution. Celui-ci repose sur des institutions sui generis qui évoquent les pouvoirs exécutifs et législatifs (commission, conseil des ministres et Parlement européen), bien que, par ailleurs, les normes européennes soient toujours le fruit d'un compromis entre les intérêts nationaux, avant de devenir la loi commune de l'Europe. Dès l'origine, en effet, l'Europe a fait le choix du droit et de la négociation ; ainsi chaque pays a-t-il dû mettre en place une véritable "diplomatie du juridique". Dans l'Union, la parole diplomatique se fait droit dès lors qu'elle rencontre un écho favorable et que sur cette base s'établissent des règles communes. C'est certainement dans la voie du droit négocié et de la souveraineté partagée que l'Europe trouvera les ressources nécessaires pour faire face aux deux grands défis actuels : l'élargissement et l'affirmation de son rôle international.
L'élargissement de l'Union européenne à partir de 2004 lui donnera en effet une dimension véritablement continentale, en regroupant près de 500 millions d'habitants. Il est aussi l'occasion historique de réunir deux parties de l'Europe trop longtemps séparées. Mais l'élargissement suppose de simplifier les institutions pour les rapprocher des citoyens. Les citoyens entendent que l'Union se concentre sur l'essentiel, qu'elle soit efficace et lisible, légitime et démocratique, contrôlable et responsable. Faire des suggestions en ce sens est la tâche actuelle de la Convention sur l'avenir de l'Europe présidée par Valéry Giscard d'Estaing, et dont les travaux sont alimentés en permanence par les contributions des Etats, y compris des Etats candidats.
Voici un bel exemple de l'infléchissement du travail diplomatique : les diplomates des différents pays sont à présent les chevilles ouvrières de la réforme institutionnelle de l'Europe. Tandis que leur rôle est relayé par des débats au sein des délégations parlementaires de l'Union européenne. Les parlements nationaux sont impliqués comme jamais dans le grand débat sur l'Europe, tandis que les diplomaties nationales le sont à entretenir un dialogue sans précédent avec les parlementaires.
Le second grand défi consiste pour l'Europe à devenir un acteur majeur de la scène internationale. Nos intérêts nationaux convergent en effet devant les menaces actuelles. Le 11 septembre 2001 a mis en lumière l'importance de la menace terroriste qui nous concerne tous et fait écho à d'autres dangers de nature globale : la prolifération des armes de destruction massive, les trafics d'argent sale, la propagation des drogues, la traite d'êtres humains. Donner à l'Europe, à une véritable Europe puissance, les moyens de peser sur les affaires du monde, conjuguer les politiques étrangères des Etats membres pour les faire converger vers des buts identiques, conduire une politique forte de sécurité et de défense commune : voilà la mission qui s'impose à l'Europe en ce début de XXIème siècle.
Car il apparaît urgent de chercher à organiser un monde moins dangereux et en même temps plus humain. L'Europe doit faire entendre sa voix propre dans la gestion des grandes affaires du monde. Forte de sa compétence juridique et diplomatique inégalée sur la scène internationale, elle a les moyens d'apporter sa contribution, en agissant en puissance responsable, c'est-à-dire en veillant à situer son action dans le champ du droit international.
Nous sommes donc à la veille d'un nouveau grand rendez-vous, celui de la naissance d'une Europe puissance aujourd'hui encore en devenir. C'est dans cette perspective que s'inscrit l'intervention du président de la République, le 29 août devant les ambassadeurs de France, proposant de doter l'Union européenne d'un ministre des Affaires étrangères. Ce qui n'implique en rien un effacement de la diplomatie. Bien au contraire, celle-ci est appelée à gagner en influence à cette nouvelle échelle.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 septembre 2002)
Il importe ici de comprendre à quel point les relations entre Etats au sein de l'Union européenne n'ont que peu à voir avec les relations extérieures au sens classique, multilatérales ou bilatérales : la construction européenne apparaît en effet, sur bien des aspects, comme un élément constitutif de notre politique intérieure qu'elle oriente, contraint ou aiguillonne. La négociation, cur du métier diplomatique, se noue ici entre des partenaires liés par des traités et animés du même objectif de coopération. Ceci a deux conséquences pour notre diplomatie dans l'espace européen : elle est plus que jamais un élément vital de la conduite du pays, car les relations avec les autres pays membres et les institutions de l'Europe structurent toujours plus avant notre quotidien ; elle est appelée à explorer des champs d'action nouveaux, susceptibles d'accroître notre capacité d'influence.
L'heure est propice à un nouvel élan du travail diplomatique, car le socle économique des relations intracommunautaires - le Marché commun et l'euro - est désormais bien établi. Et la priorité revient dès lors au processus politique. Soyons clairs : bâtir l'Europe ne signifie pas sonner le glas des souverainetés étatiques mais, au contraire, développer en parallèle des domaines de "souveraineté partagée".
L'idée que plusieurs souverainetés nationales se soumettent volontairement à des normes communes pour former une communauté n'est pas facile à mettre en perspective tant elle repose sur des mécanismes complexes. Mais elle n'est pas si neuve !
Depuis les Traités de Westphalie au XVIIème siècle - souvent qualifiés de véritable charte constitutionnelle de l'Europe - l'idée européenne s'est déployée dans la tension entre l'affirmation de la souveraineté des Etats et l'obligation de coopération.
L'expérience tragique des deux guerres mondiales a conduit les nations européennes à vouloir aller plus loin. Le préambule de la Constitution française de 1946 en atteste, lorsqu'il énonce que : "sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et à la défense de la paix".
Aujourd'hui, la dialectique de l'Union européenne demeure fidèle à ces principes sous une forme renouvelée conjuguant coopération et intégration. Or, les diplomaties nationales, qui portent en elles la mémoire des relations souvent difficiles entre nos nations européennes, sont bien placées pour mesurer les contraintes et nourrir le travail d'invention de cette souveraineté partagée.
Le caractère unique de la construction européenne ne tient pas seulement à son histoire. Il concerne aussi son rapport au droit. Tout d'abord, les normes européennes touchent de plus en plus directement la vie des citoyens : que l'on songe aux relations économiques, aux droits sociaux, à la sécurité alimentaire, à l'environnement, aux transports ou encore à l'énergie... En cela, elles ne font cependant que répondre à une évolution générale des besoins de régulation, dont témoignent, par exemple, les débats tenus dans le cadre du Sommet de Johannesburg qui ont clairement posé la question de l'accès des habitants de la planète aux biens essentiels.
En réalité, l'originalité des textes européens réside moins dans leur contenu, que dans leur mode d'adoption et d'exécution. Celui-ci repose sur des institutions sui generis qui évoquent les pouvoirs exécutifs et législatifs (commission, conseil des ministres et Parlement européen), bien que, par ailleurs, les normes européennes soient toujours le fruit d'un compromis entre les intérêts nationaux, avant de devenir la loi commune de l'Europe. Dès l'origine, en effet, l'Europe a fait le choix du droit et de la négociation ; ainsi chaque pays a-t-il dû mettre en place une véritable "diplomatie du juridique". Dans l'Union, la parole diplomatique se fait droit dès lors qu'elle rencontre un écho favorable et que sur cette base s'établissent des règles communes. C'est certainement dans la voie du droit négocié et de la souveraineté partagée que l'Europe trouvera les ressources nécessaires pour faire face aux deux grands défis actuels : l'élargissement et l'affirmation de son rôle international.
L'élargissement de l'Union européenne à partir de 2004 lui donnera en effet une dimension véritablement continentale, en regroupant près de 500 millions d'habitants. Il est aussi l'occasion historique de réunir deux parties de l'Europe trop longtemps séparées. Mais l'élargissement suppose de simplifier les institutions pour les rapprocher des citoyens. Les citoyens entendent que l'Union se concentre sur l'essentiel, qu'elle soit efficace et lisible, légitime et démocratique, contrôlable et responsable. Faire des suggestions en ce sens est la tâche actuelle de la Convention sur l'avenir de l'Europe présidée par Valéry Giscard d'Estaing, et dont les travaux sont alimentés en permanence par les contributions des Etats, y compris des Etats candidats.
Voici un bel exemple de l'infléchissement du travail diplomatique : les diplomates des différents pays sont à présent les chevilles ouvrières de la réforme institutionnelle de l'Europe. Tandis que leur rôle est relayé par des débats au sein des délégations parlementaires de l'Union européenne. Les parlements nationaux sont impliqués comme jamais dans le grand débat sur l'Europe, tandis que les diplomaties nationales le sont à entretenir un dialogue sans précédent avec les parlementaires.
Le second grand défi consiste pour l'Europe à devenir un acteur majeur de la scène internationale. Nos intérêts nationaux convergent en effet devant les menaces actuelles. Le 11 septembre 2001 a mis en lumière l'importance de la menace terroriste qui nous concerne tous et fait écho à d'autres dangers de nature globale : la prolifération des armes de destruction massive, les trafics d'argent sale, la propagation des drogues, la traite d'êtres humains. Donner à l'Europe, à une véritable Europe puissance, les moyens de peser sur les affaires du monde, conjuguer les politiques étrangères des Etats membres pour les faire converger vers des buts identiques, conduire une politique forte de sécurité et de défense commune : voilà la mission qui s'impose à l'Europe en ce début de XXIème siècle.
Car il apparaît urgent de chercher à organiser un monde moins dangereux et en même temps plus humain. L'Europe doit faire entendre sa voix propre dans la gestion des grandes affaires du monde. Forte de sa compétence juridique et diplomatique inégalée sur la scène internationale, elle a les moyens d'apporter sa contribution, en agissant en puissance responsable, c'est-à-dire en veillant à situer son action dans le champ du droit international.
Nous sommes donc à la veille d'un nouveau grand rendez-vous, celui de la naissance d'une Europe puissance aujourd'hui encore en devenir. C'est dans cette perspective que s'inscrit l'intervention du président de la République, le 29 août devant les ambassadeurs de France, proposant de doter l'Union européenne d'un ministre des Affaires étrangères. Ce qui n'implique en rien un effacement de la diplomatie. Bien au contraire, celle-ci est appelée à gagner en influence à cette nouvelle échelle.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 septembre 2002)