Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur la responsabilité de l'Etat français dans les rafles contre les Juifs durant la deuxième guerre mondiale, le devoir de mémoire et la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, Paris le 21 juillet 2002.

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Circonstance : Commémoration du 60ème anniversaire de la rafle du Vel' d'Hiv à Paris le 21 juillet 2002

Texte intégral

Monsieur le président de l'Assemblée nationale,
Mesdames et messieurs les Ministres,
Madame la présidente de la fondation de la Shoah,
Monsieur l'Ambassadeur,
Monsieur le Maire de Paris,
Messieurs les préfets,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Mesdames et messieurs les élus,
Messieurs les officiers généraux,
Monsieur le président du Crif,
Messieurs les grands rabbins,
Mesdames et messieurs les présidents,
Mesdames, Messieurs,
Et vous, les enfants,
Il y a soixante ans, ici même, à Paris, capitale de la France, capitale de la patrie des Lumières et des droits de l'Homme, des hommes mais aussi des enfants, des femmes, des vieillards, des malades étaient pourchassés, arrêtés puis rassemblés pour être déportés. Il y a soixante ans, ici même, à Paris, mais aussi sur l'ensemble du territoire national, l'épouvantable tragédie se nouait. La marche vers l'horreur s'accélérait. Déjà, l'ombre de la Shoah enveloppait les innocents parqués au Vélodrome d'Hiver.
Les rafles de juillet 1942 n'étaient hélas pas les premières. Mais elles marquaient par leur ampleur et leur nature un changement profond, une aggravation dans la tragédie incommensurable vécue par les juifs. Quelques mois auparavant - c'était en janvier -, les nazis avaient décidé à Wannsee de déporter tous les Juifs d'Europe. L'Etat français, en organisant ces rafles systématiques, s'enfonçait dans la collaboration et trahissait les principes fondateurs de notre nation.
Oui, le président de la République a eu raison de dénoncer au nom de la France les complices des nazis. Oui, " la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l'Etat français ", selon ses mots, si forts, si justes, si nécessaires.
Cette année, comme chaque année, nous sommes réunis en ce lieu, comme dans toutes les préfectures de France, pour nous souvenir. Pour ne rien oublier des persécutions, de la traque et du destin brisé de tant de juifs de France. Pour regarder en face le visage hideux qui était celui de l'Etat en ces instants terribles où la capitulation, la détresse, l'humiliation le jetèrent dans les bras de l'occupant.
Oui, le Vel' d'Hiv, Drancy, Compiègne et tous les camps de transit, ces antichambres de la mort, ont été organisés, gérés, gardés par des Français. Oui, le premier acte de la Shoah s'est joué ici, avec la complicité de l'Etat français. Après la tragédie du Vel' d'Hiv, d'autres rafles ont suivi : soixante-seize mille juifs ont été déportés depuis la France. Si peu revinrent.
Dire la vérité, transmettre la mémoire, évoquer les heures sombres, c'est rappeler à chacun et d'abord aux plus jeunes, que le pire n'est jamais loin, que la liberté, l'égalité et la fraternité sont un combat sans fin. Une civilisation qui oublie son passé se condamne à le revivre.
Mais, dire la vérité, transmettre la mémoire, c'est rappeler aussi qu'en ces temps troublés et périlleux, le gouvernement de Vichy n'était pas toute la France. Raconter l'histoire, l'abandon des élites et la collaboration, c'est raconter aussi le courage de tous ceux qui ont dit non : le général de Gaulle, les Français libres qui se battaient au même moment dans les sables de Libye et les résistants de tous bords qui s'organisaient et s'armaient pour refuser l'inacceptable.
Raconter l'histoire, c'est raconter les justes, ces hommes et ces femmes anonymes, ces villages entiers qui ont caché des Juifs, qui se sont élevés publiquement, avec courage et efficacité, contre l'antisémitisme. Nous pensons à Mgr Saliège, au pasteur Boegner, à ces agents de l'Etat, à ces civils et à ces militaires, qui furent fidèles à leurs principes. Des principes qui étaient ceux de leur foi ou de leur éducation. Des principes qui étaient ce principe d'humanité qui n'aurait jamais dû cesser d'être au coeur du message de la France. Des principes humanistes que nous devons inlassablement réaffirmer, durablement réactiver.
Aujourd'hui, l'action des justes, comme les drames vécus par nos compatriotes, nous oblige. Parce que nous assumons nos responsabilités, nous pouvons agir et ancrer dans l'action le devoir de mémoire si souvent invoqué. Il faut transmettre, témoigner encore et encore, inlassablement, parce que la mémoire ne doit pas être le " cimetière abandonné " dont nous parle Marguerite Yourcenar.
Je veux saluer le rôle majeur des associations, des fondations de mémoire et de ceux qui se sont investis pour que la vérité et la justice s'affirment pleinement. Nous savons combien ils ont uvré, parfois bien seuls, pour savoir d'abord, pour faire prendre conscience ensuite, pour transmettre enfin. Je tiens ici à rendre hommage au travail remarquable accompli par la commission que Monsieur Jean Mattéoli a présidée. Reprenant ses conclusions, l'Etat s'est engagé avec détermination dans la création de la Fondation pour la mémoire de la Shoah. Avec sa présidente, madame Simone Veil, son rôle pour la perpétuation de la mémoire est essentiel. Je compte sur son action, elle peut compter sur notre soutien.
La France prend également à cur son rôle actuel à la présidence du groupe d'action international sur la mémoire de la Shoah. Sous mon autorité, six ministères sont mobilisés pour accomplir cette mission à laquelle j'attache une très grande importance. La réunion de Strasbourg, en octobre prochain, devra permettre, avec le Conseil de l'Europe, de faire en sorte que nous puissions tous ensemble mener cette mobilisation si importante, qui est si classique dans notre combat pour la République et ses valeurs. Je voudrais dire avec détermination combien il est nécessaire aujourd'hui de poursuivre sans relâche ce combat pour la mémoire.
Il y a quelques mois, de dramatiques attentats ont endeuillé une grande démocratie. Les Etats-Unis ont été victimes de cette terreur, de cette volonté criminelle, contre laquelle nous nous battons. Nous sommes solidaires de nos alliés et amis américains, comme nous le sommes de toutes les victimes du terrorisme de par le monde. Sachez que jamais la France n'acceptera ces assassinats.
Depuis quelques mois, ici, dans notre pays, une série d'actes inadmissibles a été commise à l'encontre de la communauté juive de notre pays, de ses membres, de ses lieux de culte, de ses biens et de ses symboles. Nous refusons et je refuse cette violence, nous la condamnons et je la condamne avec la plus grande fermeté. Le chef de l'Etat et le Gouvernement que j'ai l'honneur de diriger, ont pris et prendront toutes les mesures nécessaires pour que cessent ces agressions qui insultent notre pays. Nous poursuivrons sans relâche leurs auteurs, afin qu'ils soient punis.
Agresser la communauté juive, c'est agresser la France, c'est agresser les valeurs de notre République qui ne peuvent laisser aucune place à l'antisémitisme, au racisme et à la xénophobie. Chacun a le droit à la liberté de conscience, à la liberté de culte, à la liberté de pensée. Chaque existence a droit à la différence.
Malgré ces événements tragiques, malgré une situation internationale difficile et que nous mesurons tous, je reste confiant. Confiant d'abord dans l'action des forces de l'autorité républicaine. Mais aussi parce que l'immense majorité des Français a rappelé avec force son attachement indéfectible à la République, aux valeurs de la démocratie, aux principes de notre devise nationale.
Nos compatriotes, et parmi eux la foule des jeunes, ont exprimé leur refus de tout ce qui rappelle ou pourrait conduire à l'intolérance, au racisme et à l'antisémitisme. Mesdames, Messieurs, le travail de mémoire porte ses fruits, la République nous rassemble. Elle doit toujours nous rassembler.
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 22 juillet 2002)