Interview de Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, à "RMC" le 23 juillet 2002, sur la situation du marché boursier français et sur les "chantiers" annoncés par Jacques Chirac, notamment l'insécurité routière.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

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O. Truchot - J. Chirac a défini l'insécurité routière comme l'un des trois grands chantiers pour son quinquennat. Mais avant cela, quelques questions sur l'actualité, notamment sur la chute des marchés boursiers. Aujourd'hui, on peut parler de krach : moins 5,25 hier à Paris. La Bourse de Paris a chuté de 30 % depuis janvier ! Hier, le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, s'est impliqué directement pour la première fois, en déclarant qu'il fallait garder confiance, que l'économie européenne n'était pas l'économie américaine. Faut-il tout de même s'inquiéter de ces baisses successives ? Parce qu'en ce moment, on parle d'une reprise économique, d'un retour de la croissance, et est-ce que ce qui se passe à la Bourse peut contrecarrer ce retour à la croissance ?
- "Ce qui se passe à la Bourse est souvent un peu une caricature des émotions qui ont lieu et qui s'expriment dans le milieu économique. Donc, ce sont souvent des excès en hausse et cette fois-ci, en baisse. Pourquoi ? Parce qu'il y a une série d'entreprises qui, semble-t-il, se portaient mal, mais qui ont peut-être, ici et là, pas été complètement transparentes et qui s'écroulent comme un château de cartes ou un jeu de dominos. Cela ne veut pas dire que l'économie est fondamentalement malsaine dans notre pays. Au contraire, les fondamentaux sont plutôt bons. L'économie est en train de repartir tout doucement, les taux de croissance pour l'année prochaine risquent de tourner autour de 3 % - c'est d'ailleurs sur ces bases que le budget est fait. Evidemment, ces signes de la Bourse, lorsqu'elle baisse autant, ne sont pas des éléments qui vont faire progresser la croissance ; bien au contraire, cela peut légèrement, le cas échéant, la ralentir, surtout si ce creux continue. Mais nous sommes au creux de l'été. En fait, l'instant de vérité aura lieu en septembre-octobre, lorsque tout ce ménage des entreprises en mauvaise situation aura été fait. Mais l'économie française est en bon état globalement. Ce qui est en moins bon état, c'est la situation budgétaire ; vous l'avez vu avec l'audit qui a été réalisé récemment."
Mais lorsque l'on voit ce qui se passe aux Etats-Unis où un Américain sur deux a des actions en Bourse, et lorsqu'on entend J. Chirac qui veut instaurer des fonds de pension à la française, on se demande si jouer sa retraite à la Bourse n'est pas dangereux ?
- "Les fonds de pension ou l'épargne-retraite basés sur des valeurs mobilières ne sont pas basés que sur des actions, et notamment les actions les plus volatiles. Ce sont souvent des actions "père de famille" pour une partie, ce sont beaucoup d'obligations. Cela peut également être des instruments monétaires qui sont également plus stables. C'est le panier de tous ces produits qui fait une certaine stabilité. Bien sûr, on préfère que cela monte plutôt que cela ne descende, mais sur une longue durée, de toute façon, ces valeurs mobilières - le passé nous le démontre - ont toujours été en augmentation. Et aujourd'hui, les retraites des Américains, basées sur ces fonds de pension, ne sont pas, à ma connaissance, menacées, lorsque la gestion a été saine. C'est conjoncturel, ce n'est pas structurel."
Dans l'actualité, il y a également la hausse de l'essence. Cela a augmenté de deux centimes environ pour le prix du Super 95. Je ne comprends pas très bien : d'un côté, les impôts baissent ; et de l'autre, il y a l'augmentation de l'essence, l'augmentation de la SNCF, l'augmentation des prix de la RATP, EDF, GDF, France Télécom... Alors, vous nous donnez quelque chose et vous le reprenez derrière ?
- "Ce n'est pas "vous", c'est tout le monde ! Il y a ce que paie le consommateur, c'est vrai. Et quand on utilise l'autoroute, on paie un péage, c'est l'utilisateur qui paie. S'il n'y avait pas de péage, ce serait le contribuable ; et le contribuable, c'est souvent le même. Il faut donc savoir partager les recettes pour pouvoir faire des autoroutes, pour pouvoir faire des trains, pour pouvoir avoir de l'essence à la pompe ; et puis, il faut savoir partager entre le contribuable et l'utilisateur. Si vous mettez en parallèle la baisse très forte de l'impôt sur le revenu par rapport à la hausse tout à fait minime de l'essence, vous verrez que finalement, il s'agit..."
Oui, mais ajouté à la hausse du prix du train, du prix d'EDF et du prix de France Télécom, cela commence à faire beaucoup !
- "Et pourquoi pas la hausse de la baguette si la farine augmente ?! Cela n'a rien à voir ! Il y a les produits fiscaux qui rentrent dans les caisses de l'Etat - et c'est vrai que la taxe sur les produits pétroliers est une taxe qui, effectivement, est une recette pour l'Etat. Et lorsque vous avez une hausse des chemins de fer, par exemple, cela rentre dans la SNCF. Mais lorsque vous avez une baisse de l'impôt sur le revenu, cela vient en moins dans les recettes de l'Etat. Là encore, il faut que les Français choisissent. Le Gouvernement choisit des mesures qui sont de nature à encourager les gens qui prennent des initiatives. Pas plus tard qu'avant-hier, un cadre important d'une banque me disait que la baisse de l'impôt sur le revenu avait permis à des amis qui travaillaient à Londres de revenir. C'est un signal très fort, ils espèrent que cela va continuer. Ils avaient choisi Londres, ils reviennent à Paris, parce que la fiscalité baisse. Si on pouvait récupérer beaucoup de Français qui vont travailler à l'étranger, parce que la fiscalité française est dissuasive, et notamment beaucoup de cadres qui vont utiliser leur matière grise ailleurs qu'en France, je vous assure que le pays s'en porterait mieux."
Parlons de ce grand chantier que vous allez engager sous l'impulsion de J. Chirac. L'insécurité routière est l'une des trois grandes priorités de ce quinquennat, a dit le Président le 14 juillet. Ca y est, c'est quasiment confirmé, il y aura une police de la route ?
- "Non, ce n'est pas confirmé..."
Les informations sont contradictoires !
- "Non. Monsieur Sarkozy, ministre de l'Intérieur, a pris beaucoup d'initiatives intéressantes, intelligentes et - j'en suis sûr - efficaces, au niveau de la sécurité. Notamment, il a annoncé des augmentations d'effectifs étalées sur cinq ans. Et il a dit que dans ces effectifs, il y a 1.200 personnes qui seraient en plus sur la route, pour faire de la sécurité routière. Donc, c'est une bonne nouvelle, mais ce n'est pas la création d'une police de la route, ce sont des effectifs supplémentaires sur la route, ce qui n'est pas la même chose."
Donc, il n'y aura pas de police de la route, comme aux Etats-Unis ?
- "Je ne sais pas s'il n'y en aura pas, puisque vous avez dit vous-même qu'actuellement, je suis en train d'envisager des mesures. Je ne peux pas aujourd'hui, alors que je fais l'étude de nouvelles mesures, en coordination, bien sûr, avec le ministère de l'Intérieur et avec d'autres ministères, savoir quel sera l'aboutissement de ces études. Peut-être que cela peut aboutir à des contrôles plus sévères, à tel ou tel dispositif législatif ou pénal... Mais aujourd'hui, aucune décision n'est prise. Le président de la République a donné une impulsion, le 14 juillet ; le Gouvernement, naturellement, suit cette impulsion et estime que la sécurité routière est une des grandes priorités du quinquennat. On ne peut pas rester dans l'état dans lequel nous sommes : nous sommes le pays où il y a le plus d'accidents corporels. Il y a l'équivalent de 30 gros porteurs d'aviation qui s'écraseraient chaque année sur le territoire français, parce qu'il y a 8.000 morts ! Et cela ne semble pas émouvoir grand monde. Je suis même très étonné que cela ne puisse pas émouvoir plus de monde qu'il y ait 8.000 personnes tuées chaque année et environ 150.000 personnes blessées. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que dans chaque famille où il y a cinq personnes, on est sûr statistiquement, qu'au cours d'une vie, il y aura un blessé par la route. On ne peut pas vivre avec cette perspective. J'ai donc le devoir, même si cela ne m'amuse pas forcément d'engager des hypothèses de répression - parce qu'il en faudra aussi probablement -, mais je me dis que le Gouvernement a raison de le faire, parce qu'on va éviter bien des drames familiaux. Et par conséquent, c'est aussi notre devoir, quitte à ce que l'on frise l'impopularité. Je suis prêt à prendre ma part d'impopularité, parce que je suis responsable de la sécurité routière, pour réussir à sauver des vies humaines et à éviter de nombreux blessés."
J'ai donc bien compris : pas de police de la route, mais une partie des effectifs décidés par N. Sarkozy affectés à la route ?
- "Je n'ai pas dit qu'il n'y aurait pas de police de la route ! J'ai dit que beaucoup de mesures étaient à l'étude et que parmi les effectifs décidés par N. Sarkozy, certains seraient affectés à la route. C'est lui qui l'a dit."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 23 juillet 2002)