Texte intégral
J'ai beaucoup de plaisir à vous accueillir ici, au Quai d'Orsay, avec Margie Sudre, à l'occasion de la Journée de la Francophonie. A vrai dire c'est une célébration anticipée, puisque cette journée, depuis 1986, se tient le 20 mars. Mais il est vrai aussi que d'année en année, elle prend plus d'ampleur et plus de substance, au point qu'aujourd'hui il serait plus exact de parler d'une semaine de la Francophonie.
Et partout dans le monde - pas seulement les pays totalement ou partiellement francophones - des hommes et des femmes expriment, en même temps que nous, leur attachement à la langue française, aux valeurs qu'elle exprime, et aux solidarités qu'elle inspire. Langue, valeurs, solidarités qui sont leur propriété commune, et d'ailleurs leur création commune.
Beaucoup d'entre vous sont des ardents défenseurs de la Francophonie. Vous vivez cette Francophonie avec la passion qu'elle inspire légitimement.
Je vous ferai part, très simplement, de deux convictions pour l'avenir.
Ma première conviction, c'est qu'il est temps, pour ceux qui auraient jusqu'à présent manifesté un intérêt médiocre ou un scepticisme, de prendre la Francophonie au sérieux.
La Francophonie ne relève pas essentiellement du domaine littéraire ou des affaires culturelles. Certes, la langue française a produit et offert au monde un inestimable patrimoine culturel d'oeuvres de toute nature, qui s'est illustré par des écrivains du monde entier.
La Francophonie a cette particularité d'être présente sur tous les continents : en Europe, bien sûr, en Afrique, en Amérique du Nord, en Amérique du Sud où était hier encore le président de la République et où j'ai expérimenté avec lui l'extraordinaire amour de la langue française qu'on y rencontre, mais aussi en Asie - nous serons dans quelques mois à Hanoï - et dans tous les océans.
C'est évidemment notre fierté commune. Pourtant, c'est une communauté d'un type original. Ce n'est ni une alliance militaire, ni une zone de libre échange. Ce n'est pas davantage une organisation régionale au sens de l'ONU. C'est encore moins un Commonwealth à la française, bien qu'on emploie parfois ce mot. Parce que dans l'expression "Commenwealth", il y a l'idée qu'il y aurait une sorte d'allégeance à je ne sais quelle couronne-abandonnée depuis longtemps par la nation française.
Non, la Francophonie ne rentre pas dans les schémas habituels, et l'on peut même soutenir qu'elle constitue une relation qui n'est pas d'abord fondée sur l'intérêt, ce qui ne veut pas dire qu'elle soit sans intérêt.
Quelle peut donc être la pertinence d'une organisation qui regroupe des pays si divers, si éloignés, si différents ?
Je crois que la Francophonie est une incroyable diversité de peuples qui, par la langue française, grâce à la langue française, éprouvent le goût de confronter et de mêler leurs différences.
J'ai eu la chance de participer, aux côtés du président de la République, au Sommet de Cotonou. J'ai immédiatement ressenti une atmosphère qui ne ressemble pas à ce que l'on trouve habituellement dans les enceintes internationales, même les plus amicales. Il y a une Francophonie du sentiment, du coeur et de la chaleur humaine, je dirais tout simplement un esprit de fraternité, très directement perceptible dans toute assemblée francophone.
Et les chefs d'Etat et de gouvernement s'y retrouvent sur un strict pied d'égalité. C'est sans doute une bonne façon d'aborder les affaires du monde.
Ainsi, la communauté francophone prend-elle progressivement conscience qu'elle peut et qu'elle doit devenir un acteur à part entière sur la scène internationale.
Il y a seulement dix ans une telle idée aurait fait sourire. Mais le monde change, beaucoup plus rapidement que nous ne le pensions, et parfois même trop rapidement pour nous. Cela semble nous dépasser.
Dans ce monde-là, en pleine évolution, la Francophonie est plus actuelle, utile et précieuse que jamais.
Nous sentons bien que le nouvel équilibre du monde, vers lequel nous progressons en tâtonnant, fait appel à des notions comme la mondialisation, la globalisation disent les Anglo-saxons, la généralisation des échanges, le développement exponentiel des communications.
Mais pas plus qu'hier nous ne sommes disposés à accepter quelque hégémonie que ce soit. La logique des blocs, hier, nous n'en voulions pas. Le monde unipolaire, aujourd'hui, nous n'en voulons pas davantage. Pas plus qu'hier nous n'avons l'intention d'abdiquer notre identité nationale. La loi du marché ne saurait être pour le monde un meilleur maître que l'équilibre de la terreur.
C'est bien là que se situent l'utilité et la modernité du discours francophone.
La Francophonie n'a pas l'ambition de s'opposer à qui que ce soit. Elle n'est faite contre personne. Elle ne se fonde ni sur la nostalgie de je ne sais quel passé révolu ni sur la crainte de l'avenir. Certains de nos amis anglo-saxons se plaisent à dépeindre la France et la Francophonie comme la grenouille qui veut se faire plus grosse que le boeuf. Le trait est plaisant, mais passe à côté de la réalité.
Chacun devrait se souvenir que les peuples qui sont privés de leur langue et de leur culture ne sont jamais heureux, et que les peuples malheureux sont des peuples dangereux, car ils emplissent l'histoire humaine de bruit et de fureurs.
La Francophonie ne prétend pas - même parmi ses membres - imposer l'usage exclusif du français. Elle est l'amie de toutes les langues et de toutes les cultures du monde. Mais elle a aussi la conscience sereine du rôle particulier que la langue française a joué et jouera très longtemps encore dans le mouvement des idées, et dans la formulation de valeurs universelles qui ne sont pas près de perdre leur force et leur actualité.
Ma seconde conviction, c'est que la France, aux côtés de ses partenaires francophones, a la volonté aujourd'hui de donner à la Francophonie un nouvel élan.
Dans ce domaine, comme dans bien d'autres, le président de la République et le gouvernement ont l'ambition de remettre la France en mouvement, et de ne pas accepter la tentation du repli sur soi.
Voilà pourquoi, dès le mois de décembre 1995 à Cotonou, Jacques Chirac proposait aux quarante-huit autres membres de la Communauté francophone d'affirmer la dimension politique, au sens plein et noble du terme, de la Francophonie. Sur tous les grands sujets qui intéressent les chefs d'Etat et de gouvernement, la Francophonie doit devenir une enceinte privilégiée de concertation et d'initiatives.
Encore fallait-il adapter les jeunes institutions francophones à cette nouvelle ambition et à ce nouveau projet.
Ce sera chose faite à Hanoï, où se tiendra, au mois de novembre, le prochain Sommet francophone.
Partie la plus visible de la réforme, le Secrétaire général qui y sera pour la première fois désigné aura désormais la tâche de symboliser sur la scène internationale l'unité et la vitalité de notre communauté.
J'insiste sur l'importance de cette réforme, qui n'en doutons pas, ne tardera pas à produire des effets tangibles.
Je sais que nos partenaires se réjouissent de ces nouvelles perspectives, eux qui avaient parfois des raisons de douter de la ferveur francophone des Français eux-mêmes. Cette démarche est ainsi considérée de façon positive par l'ensemble de la communauté francophone et par l'ensemble des gouvernements concernés.
Sur le plan gouvernemental, nous avons encore du chemin à faire, je le reconnais bien volontiers. La conjoncture budgétaire, malheureusement, se prête mal à des augmentations brutales de crédits. Mais notre action ne s'inscrit pas dans le court terme et je suis persuadé que la coopération multilatérale francophone trouvera, dans les années qui viennent, les financements indispensables.
Et sans attendre des jours meilleurs, Margie Sudre, depuis deux ans, ne ménage aucun effort pour faire avancer notre cause. Je voudrais, en cet instant, lui rendre légitimement hommage. Ainsi, des dossiers concrets progressent-ils, et engagent l'avenir de la Francophonie. J'en citerai seulement trois.
Tout d'abord, la place du français sur Internet. Tout le monde connaît ce nouveau réseau de communication qui va devenir, plus vite qu'on ne croit, l'équivalent du téléphone, d'un usage quotidien pour tous. Certains ont souligné, à juste titre, que la langue française n'y occupait pas une position conforme à son rang de grande langue internationale mais les choses changent, et nous ne devons pas tomber dans un défaitisme bien français. Nous devons aussi être bien déterminés à faire en sorte que toutes les langues aient leur place sur Internet, à commencer par notre langue commune.
Il est un second domaine qui me tient particulièrement à coeur, c'est celui de la politique audiovisuelle extérieure. Rien n'est plus important, aujourd'hui, que de permettre de projeter sur les télévisions du monde entier des images francophones. Si c'est nécessaire - et ce le sera - pour être accessible au grand public de tous ces continents que nous voulons toucher, nous devrons doubler ou sous-titrer ces images. Mais il est de la plus haute importance, dans un moment où de grands opérateurs mondiaux, tous américains, s'installent, où des moyens nouveaux apparaissent avec une vitesse extraordinaire qui permettront de couvrir le monde entier les chaînes disponibles, que la télévision française et francophone se préoccupe d'être présente partout, et pas simplement sur les réseaux câblés, limités et coûteux, mais sur toutes les formes de diffusion par satellite. Nous étions avec le président de la République à Brasilia et à Rio où j'ai assisté à la signature d'une convention qui permettra à TV5 d'être accessible à toute la population brésilienne, à tous les foyers qui le voudront.
Je voudrais enfin rappeler l'importance qu'il y a à préserver l'image et l'usage de la langue française en Europe. Le maintien du français comme langue privilégiée au sein d'une Union européenne n'est pas une tâche si simple. Mais le représentant de la France estime pouvoir s'exprimer en français partout dans les réunions européennes.
La défense de notre langue est, en effet, un combat d'une grande importance. La langue exprime des cultures, des civilisations - les vôtres.
La langue exprime des modes de pensée - les vôtres.
La langue et une façon de communiquer, d'échanger et finalement, dans le monde moderne, c'est aussi une façon de produire et de vendre.
Nous ne pouvons imaginer un monde dans lequel il y aurait une langue, une pensée, une culture et une production, un commerce et une monnaie uniques.
Voilà pourquoi il s'agit d'un très important combat dans un moment crucial où les technologies créent des situations et des donnes nouvelles, où la globalisation du monde crée des circonstances, des occasions mais aussi des risques nouveaux.
Voilà pourquoi la Francophonie, c'est à la fois très chaleureux, fraternel, respectueux des diversités, mais aussi un combat commun qui est destiné à faire en sorte que nous soyons présents, dans le monde demain, avec tout notre poids et toute notre ambition et toute la place que nous voulons conquérir.
Bonne chance, et bon courage à vous ! ./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 février 2002)
Le ministre - Merci beaucoup, c'est vrai que cette Francophonie, c'est un mouvement extraordinairement important. Vous évoquiez les voyages que vous allez accomplir. Par l'image aujourd'hui, la Francophonie est présente sur tous les continents. En Europe, bien sûr, en Afrique, mais aussi en Amérique du Nord et du Sud et en Asie. Elles est présente dans tous les océans. Elles est donc un vaste mouvement qui rassemble plus de 200 millions d'habitants qui ne sont pas simplement des peuples qui ne parlent que la langue, mais des peuples qui rassemblent autour d'un amour passionné de la même langue, des cultures, des façons de vivre, des civilisations, des façons d'être extraordinairement différentes. Je dirais que de ce point de vue, la Francophonie, est un bouquet extraordinaire de la diversité, un peu à l'image du monde tel qu'il est fait de cette richesses et cette diversité. La Francophonie, c'est très moderne. Ce n'est pas quelque chose d'ancien, de passéiste que l'on cultiverait comme un souvenir de notre histoire. C'est quelque chose de très moderne, de très actuel et en plein développement.
Et en même temps, ce n'est pas simplement cela, pas simplement un vaste rassemblement de cultures et de civilisations diverses partageant ensemble une même langue. C'est encore autre chose.
C'est aussi un mouvement politique, que désormais les pays francophones veulent conduire ensemble. Les 49 pays, membres de la Francophonie, vont de réunir à Hanoi, au mois de novembre. Ce sera le sommet de la Francophonie. A cette occasion, ils vont décider d'une réforme de l'organisation politique de la Francophonie en créant de nouvelles institutions et en particulier, en se dotant d'un Secrétaire général qui sera choisi et désigné par les chefs d'Etat et de gouvernement des 49 pays francophones. Il y a maintenant une idée nouvelle : ces pays de la Francophonie veulent peser sur le cours des événements, sur le destin du monde, apporter leur vision propre, leur façon d'appréhender les problèmes.
Il faut bien voir que nous sommes dans un monde qui est menacé par l'uniformité : l'uniformité de la langue. La langue véhicule une culture, des modes de comportements, une façon de penser et au bout du compte, dans le monde moderne, cela véhicule une façon de produire. Nous ne voulons, ni de la langue unique, ni de la pensée unique, ni de la culture unique, ni même du marché unique, et d'un système unique de production et de commerce dans le monde. Nous voulons la diversité et de ce point de vue, je dirais que le combat de la Francophonie est un combat des francophones mais que c'est un combat au profit de toutes les nations attachées à la diversité.
Après tout, il y a d'autres pays qui parlent d'autres langues. Il y a la communauté des pays de langues espagnoles, et bientôt, je l'espère, il y aura aussi une communauté des pays de langues portugaises. Bien entendu, il y a la langue arabe, extraordinairement puissante dans la monde. Est-ce que nous voulons accepter que toutes ces langues aient derrière elles toutes ces civilisations et toutes ces cultures soient peu à peu détruites et phagocytées, dévorées par une seule langue ? Evidemment, non. Ce combat de la Francophonie est tout à fait formidable, d'une très grande importance pour le destin des nouvelles générations et par conséquence, nous considérons que cet enjeu est essentiel.
J'ajoute un mot sur les moyens modernes de communication. Nous sommes sur des images de télévision. Vous parlez d'Internet ; eh bien, très précisément, la bataille de la Francophonie, se joue là. Serons-nous demain capables de faire en sorte qu'il y ait des images télévisuelles francophones à travers le monde ? Alors, on essaie. C'est ce que fait TV5, c'est ce que fait CFI. C'est ce que nous essayons de faire progresser par la réforme de l'audiovisuel extérieur.
Q - Et, vous venez de mettre en place ce Comité de réflexion sur la télévision française à l'extérieur.
R - Le ministre - C'est vraiment un sujet central. Il faut que nous puissions offrir à tous les consommateurs de télévision, en Asie, en Amérique Latine, en Afrique, des produits, c'est-à-dire des chaînes, des images dont ils aient envie, et qui soient tantôt en français, tantôt sous-titrées ou doublées dans leur langue, pour que le plus grand public puisse y avoir accès. Est-ce que nous voulons qu'Internet ce soit le monopole de l'anglais ? Ou est-ce que l'on peut, ou est-ce que l'on veut qu'Internet ce soit accessible, disponible pour toutes les langues ? La nôtre, naturellement, mais derrière la nôtre beaucoup d'autres aussi. Cette bataille pour la diversité des moyens modernes d'expression, c'est vraiment le combat type de la Francophonie.
Q - J'ai lu ce matin dans le Figaro que pour vous le Vietnam avait un caractère d'exemplarité sur une nouvelle manière de voir la Francophonie. Pourquoi ?
R - Le secrétaire d'Etat - D'une part, je voudrais souligner l'importance toute particulière qu'aura ce septième Sommet de la Francophonie qui se tiendra dans cette partie du monde, où aucun Sommet de ce type ne s'était tenu. Je crois qu'à partir de ce Sommet, ce sera un point de départ nouveau pour la Francophonie dans cette partie du monde. M. Hervé de Charette en a bien souligné toute l'importance.
C'est vrai que la langue française n'était plus très présente au Vietnam. Pendant de nombreuses années, la langue française avait été oubliée. Nous nous retrouvons maintenant face à toute une population qui demande à apprendre le français, qui est très demandeuse d'une éducation en français. Je crois qu'ils reconnaissent au fait d'appartenir au monde francophone, une certaine exemplarité d'une part, et aussi l'exigence de ne pas appartenir à un monde beaucoup trop uniforme ainsi que le disait M. Hervé de Charette tout à l'heure. Je crois que cela leur permettra d'avoir au moins une particularité dans ce monde vraiment très anglophone.
Tous les pays de l'ancienne Indochine, le Laos, le Cambodge, ainsi que le Vietnam, revendiquent cette particularité d'être en même temps francophones et d'appartenir pleinement au monde francophone.
Q - On connaît les liens historiques entre la France et le Vietnam. Qu'en reste-t-il aujourd'hui ? Et, surtout dans quelle mesure de nouvelles relations sont-elles en train de s'instaurer avec le Vietnam ?
R - Le ministre - Vous savez que le Vietnam est un pays qui est en train de sortir d'une histoire très longue. C'était un régime communiste. C'est toujours d'ailleurs un régime communiste, mais qui est maintenant en train de s'ouvrir complètement, notamment, à l'Asie moderne.
Pour ceux qui connaissent un peu l'Asie, c'est un monde en plein bouleversement, notamment l'Asie du Sud-est, dans laquelle les villes se développent à une vitesse incroyable, dans laquelle l'on voit pousser des gratte-ciel, j'allais dire tous les jours, et le Vietnam entre dans cet ensemble. Il fait partie maintenant de l'Association des pays du Sud-est asiatique, ce que l'on appelle l'ASEAN, et il a envie d'avoir une diplomatie internationale.
Pour avoir cette ouverture internationale, vers qui se tourne-t-il ? D'abord vers ses voisins et ensuite vers nous. Parce que nous sommes en quelque sorte, si j'ose employer cette expression, le parrain naturel du Vietnam, pour l'aider à prendre sa place dans la communauté internationale, et pour l'aider dans son développement. Il y a des liens qui se sont établis très facilement, très naturellement, se sont renoués, devrais-je dire, entre le Vietnam et la France. La France est maintenant très présente, à la fois sur le plan diplomatique, mais aussi sur le plan économique. Il y a eu un grand effort de beaucoup d'entreprises françaises pour aller à Hanoï, pour aller sur place, pour y prendre leur place. Il y a enfin un effort culturel très important que nous faisons, Mme Margie Sudre et moi, au titre du ministère des Affaires étrangères, pour montrer le retour de la culture française au Vietnam.
Tout cela se fait dans un esprit très chaleureux, assez enthousiaste, je dois le dire. Tout à l'heure Margie Sudre parlait du Sommet d'Hanoï. Quand je vous dis que nous allons aider ce pays à reprendre sa place dans la communauté internationale, je prends un exemple, elle parlait de ce Sommet d'Hanoï, ce sera la première fois depuis l'histoire du Vietnam que 49 pays vont se rassembler dans un grand Sommet à Hanoï. C'est un événement considérable pour eux, et qui va marquer le vrai début de la renaissance du nouveau Vietnam. Pour nous, c'est un moment de bonheur, parce que nous avons tant de liens avec ce pays, parce que nous sommes heureux de le voir revenir dans la vie mondiale, dans la vie internationale.
Q - On parlait tout à l'heure de l'influence anglo-saxonne. On parlait de l'influence anglo-saxonne au Vietnam, car comme vus l'avez souligné c'est une zone qui attire énormément d'entreprises et de pays aujourd'hui. Comment se distingue l'intervention française au Vietnam, les relations françaises avec le Vietnam, des influences américaines et d'autres influences anglo-saxonnes ?
R - Le secrétaire d'Etat - Nous ne pouvons pas nier la présence anglo-saxonne et la présence de l'anglo-américain, en ce qu'il est vrai que les entreprises s'installent aussi dans le Sud-Vietnam. Mais je crois que le fait du partage de la langue française donne une originalité supplémentaire au Vietnam et aux jeunes Vietnamiens.
Il y a, bien entendu, des liens culturels et historiques anciens entre la France et le Vietnam. Il y a aussi un état d'esprit particulier qui règne entre tous ceux, tous les Français qui ont pu vivre à un moment quelconque du Vietnam. Je connais peu de familles françaises qui n'aient eu, à un moment donné de sa vie, un de ses membres qui a vécu, qui a passé une partie de sa vie au Vietnam. et cela créé des liens tout à fait particuliers entre le Vietnam et nous-mêmes.
Nous préférons tous oublier les moments douloureux de notre histoire pour ne penser qu'aux moments où nous avons pu échanger, partager une culture. Les Vietnamiens, les vieux Vietnamiens en particulier, se souviennent de toute notre littérature et on les sent nos ardents défenseurs. Actuellement, le partage de la langue passe aussi par des relations économiques, par le développement économique dans lequel nous aidons particulièrement le Vietnam. Nos entreprises françaises, qui commencent à s'installer en grand nombre au Vietnam, représentent un attrait supplémentaire pour les jeunes Vietnamiens, pour l'envie qu'ils ont de partager, d'apprendre la langue française. Le développement d'une langue passera nécessairement, dans les années à venir, par les échanges économiques, entre le Vietnam et nous-mêmes.''
Q - Vous avez évoqué le sommet d'Hanoï, du mois de novembre prochain. Vous souhaitez, lors de ce sommet, donner un nouveau souffle à cette idée de la Francophonie à travers l'économie. Qu'entendez-vous précisément par-là ?
R - C'est une aspiration de tous les pays de la Francophonie. Ce n'est pas un désir qui vient de moi, personnellement. Tous les pays de la Francophonie, après avoir établi ces relations culturelles, ce partage de la langue, ces relations linguistiques, ces relations techniques, ainsi qu'un partage dans le domaine de la recherche, ont ressenti la nécessité qu'il y avait à faire reposer tout ce partage sur des relations économiques importantes. Dans l'avenir, il faudra que nos entreprises, nos hommes d'affaires, - et c'est déjà le cas -, s'installent en grand nombre au Vietnam, qu'on installe des entreprises françaises où nous pourront faire travailler des Français. Ainsi que l'a dit le président de la République, le Vietnam, l'Extrême Orient devient la nouvelle frontière de nos relations extérieures. Il faudra qu'un grand nombre de nos entreprises s'installent là-bas. Ce sera vraiment nécessaire pour que notre langue puisse persister, subsister dans cette partie du monde.
Q - Vous parliez aussi de la candidature de M. Boutros Ghali, au poste de secrétaire général de la Francophonie, ce qui semble vous ravir puisque c'est un personnage important qui vient de quitter le secrétariat général de l'ONU, il y a peu de temps. M. de Charette, c'est un bon candidat ?
R - Le ministre - M. Boutros Ghali est une personnalité mondiale. Il a été un brillant secrétaire général de l'ONU. Ceux qui le connaissent, qui sont nombreux à travers le monde, connaissent son immense culture, son histoire personnelle, celle d'un Egyptien qui a exercé de grandes responsabilités dans son pays. Ils savent aussi qu'il parle un français d'une qualité exceptionnelle. Tout cela fait que, si en effet, Boutros Ghali était choisi par les chefs d'Etat et gouvernement qui vont se réunir à Hanoi, les 49 chefs d'Etat et de gouvernement qui vont se retrouver au mois de novembre, ce sera pour le monde francophone un événement considérable, et qui, d'un coup, va donner à ce projet politique que j'évoquais tout à l'heure, faire que la Francophonie ne soit pas simplement une réunion d'amis qui partagent la même langue et la même culture, mais aussi un groupe de nations qui veulent peser dans le destin du monde. Cela donnera à ce projet un rayonnement formidable. C'est pourquoi, en effet, si vous me demandez si je milite pour lui, mais des deux mains et avec enthousiasme./.
La Francophonie aime cultiver les paradoxes. Bien avant que le terme de "Francophonie" ne soit forgé par un géographe, dans la seconde moitié du siècle dernier, la langue apparaissait déjà, depuis longtemps, comme un outil de standardisation, d'uniformisation par excellence. Face à la diversité, elle bâtissait un monde plus facile à appréhender, un ensemble de repères qui ordonnait l'espace et paraissait dominer la matière.
Plus près de nous, la langue s'est imposée comme l'outil par excellence de la nation républicaine, avec l'école laïque et obligatoire et le service militaire, susceptible de parachever l'intégration de la population. Il semblait même que l'homme relevait le défi de reconstituer le monde d'avant Babel, qui n'est peut être pas le mythe qu'on imagine si l'on en croit ce chercheur qui estime avoir démontré que tous nos idiomes dérivent d'une langue mère unique.
En un mot, la langue était l'antidote presque idéal de la diversité. Or, voici que maintenant, c'est la Francophonie elle-même qui revendique la diversité et le plurilinguisme, qui les édifie comme valeurs fondamentales et se fait le champion de leur défense contre les méfaits d'une unification qui appauvrit.
C'est sur ce renversement apparent des perspectives que je voudrais vous dire quelques mots pour introduire le débat sur les rapports entre la Francophonie et les cultures, avant de vous laisser la parole et de répondre à vos questions.
* * *
Le premier paradoxe de la Francophonie semble résider dans son origine même. Le français a été longtemps perçu -il l'est peut-être encore- comme un des instruments de la colonisation. Du Maghreb au Levant, de l'Afrique équatoriale à l'Indochine, il arrivait avec les militaires et les marchands, les réprouvés et les pères blancs, qui, par la langue française, véhiculaient une administration, une comptabilité, ou une doctrine.
Il serait inconvenant et malhonnête d'oublier ces périodes de notre histoire à tous, et ses pages noires. Il serait toutefois très réducteur de s'en tenir à cette vision.
Car la Francophonie tire aussi ses origines de la diffusion du français dans les cours européennes aux siècles passés. La philosophie des lumières et ses glorieux propagateurs s'exprimaient déjà dans notre langue pour éclairer les despotes. Le français était également la langue diplomatique, et lorsque commencèrent à se multiplier les organisations internationales, à la fin du XIXème siècle, c'est tout à fait naturellement qu'elles adoptèrent le français comme langue officielle et de travail. Elle était souvent la seule, comme à l'Union postale universelle jusqu'à nos jours, alors que d'autres pays avaient accompli déjà à ce moment une oeuvre colonisatrice au moins équivalente à la nôtre.
Il y a 20 ou 30 ans, lorsque la Francophonie a pris une dimension véritablement institutionnelle, elle l'a fait sous l'impulsion d'hommes du Sud. La demande, le souffle, l'idéal de la Francophonie sont venus d'eux : Léopold Sédar Senghor, à qui j'ai rendu visite il y a quelques jours à Verson et que nous célébrions, ici même, à l'UNESCO, à l'automne dernier, mais encore Charles Helou, Habib Bourguiba ou Norodom Sihanouk, et tant d'autres.
Et désormais la Francophonie dépasse largement l'espace dont ils étaient les glorieux représentants : la Roumanie, la Bulgarie, la Moldavie comptent au rang des membres de la communauté, et d'autres pays, venus de divers horizons, font acte de candidature : la Pologne, l'Arménie, l'Albanie, pour ne citer que ceux-là.
Ainsi, ceux qui s'attachent à une paternité trop mécanique du colonialisme sur la Francophonie commettent à l'évidence un véritable contresens. Avec une histoire et une légitimité tellement plus larges, la Francophonie va développer naturellement des conceptions et des valeurs qui l'inscrivent sans aucun doute dans la promotion de la diversité, celle des langues et des cultures.
Il y a une corrélation étroite entre la langue et la culture, même s'il est plus facile de le prétendre que de le démontrer. Le vieil aphorisme " traduttore, traditore " l'exprime d'une certaine façon : changer de langue trahit l'idée. Encore de nos jours, bien des domaines scientifiques s'accommodent mal de la traduction. Mais c'est la même chose de la langue populaire, et chacun de nous a vécu l'expérience de l'interprète s'escrimant en vain à rendre la finesse et la sensibilité d'un bon mot, d'une anecdote, dans une langue autre que celle dans laquelle ils sont racontés.
Pour nous, donc, francophones, le français n'est pas et ne sera jamais la langue que nous voulons imposer aux autres parce qu'elle aurait quelque chose de mieux ou de plus. On en est revenu, heureusement, de la sentence de Rivarol déclarant que "ce qui n'est pas clair n'est pas français".
Ce que nous proposons, c'est le français à coté des autres langues, qu'il s'agisse de parlers locaux ou nationaux, de langues véhiculaires ou même d'autres grandes langues de communication internationale.
Ceci n'a rien d'une utopie. Nos élèves apprennent dans les classes de plus en plus de langues étrangères. En France, où pourtant nous n'avons guère une flatteuse réputation en la matière, il n'est pas rare que nos jeunes quittent l'enseignement secondaire en ayant étudié trois langues, non compris évidemment le français, le latin ou le grec.
C'est bien cette conception du multilinguisme qui sous-tend notre politique à l'égard de pays où le goût pour les langues étrangères est réputé plus grand. Nous encourageons ainsi nos partenaires européens à développer l'enseignement d'au moins deux langues vivantes dans leurs établissements scolaires. Et dans les institutions internationales, nous refusons d'accepter que les difficultés budgétaires servent de prétexte pour limiter l'usage des langues tel qu'il est régulièrement prévu dans la charte de ces organisations.
Cette conception conditionne aussi notre approche de la promotion des langues. De l'enseignement traditionnel du "français langue étrangère" comme matière au même titre que les mathématiques ou la géographie nous sommes passés, chaque fois qu'il était possible, aux "classes bilingues", où l'objectif n'est plus d'enseigner du français, mais en français.
De telles classes existent déjà dans de nombreux pays où le français n'est pas langue nationale, comme en Europe centrale ou au Moyen-Orient. Et un programme très ambitieux d'ouverture de classes bilingues a été lancé il y a quelques années au Vietnam. 500 classes de cette nature fonctionneront dans tout le pays au moment où s'ouvrira dans quelques mois le VIIème sommet de la Francophonie.
Une telle ambition pourrait paraître vaine à une époque où la mondialisation croissante et le développement de moyens de communication comme Internet semblent préfigurer une uniformisation des langages au profit, évidemment, de l'anglais.
Je ne le crois pas. C'est un peu le même mouvement qui s'est produit avec l'essor de l'ergonomie. Longtemps, l'objectif de la mécanisation a été d'adapter l'homme à la machine. L'informatique a autorisé une nouvelle approche qui a permis, de plus en plus, d'adapter la machine à l'homme.
Je crois qu'il en est de même dans la communication. Le marché de l'information offre de gigantesques perspectives, et intéressera nécessairement un public de plus en plus large. Avec le développement de ce qu'on appelle les industries de la langue, on peut facilement supposer que l'information disponible sur les inforoutes sera d'un accès de plus en plus facile, sans que la langue constitue un obstacle.
Il est clair, dès lors, que l'enjeu n'est pas d'évincer l'anglais, mais de figurer parmi les langues pour lesquelles existe un réel marché de l'information.
Telle est la première dimension de la Francophonie et sa revendication, raisonnée et raisonnable, pour un multilinguisme véritable, où le respect de la langue de l'autre n'est pas qu'un slogan et où l'affirmation qu'il n'est de richesse que dans l'échange n'est plus un voeu pieux.
La seconde dimension de la Francophonie, c'est de se mettre au service de cette promotion du pluralisme culturel qui est si étroitement lié au pluralisme linguistique, et qui en est, en somme, la finalité essentielle. Sans entrer dans le détail des chiffres, je me bornerai à constater que, à l'Agence de la Francophonie, le principal opérateur de la coopération multilatérale, les programmes consacrés à la culture et à la communication représentent près de la moitié des budgets. Parmi les cinq "programmes mobilisateurs" qui constituent en fait autant de priorités définies par les chefs d'Etat pour l'action francophone, la culture conserve par conséquent nettement la primauté.
Il serait fastidieux, et ce n'est pas le propos, de reprendre par le menu les opérations qui sont engagées sous cette rubrique, mais je voudrais simplement en rappeler quelques exemples, ne serait-ce que pour illustrer l'ampleur de la palette de ce que la Francophonie considère comme son activité, sa raison d'être, et qu'elle est parfois la seule, avec l'UNESCO certainement, à promouvoir.
Il y a d'abord tout ce qui concerne le soutien à la création, à la diffusion et à la conservation des oeuvres d'art. L'Agence mène ainsi d'importantes actions en faveur du patrimoine en direction des pays où l'urgence a dicté d'autres priorités et où l'architecture et les collections muséologiques -lorsqu'elle existent- souffrent parfois d'atteintes irréversibles.
Je rappellerai pour mémoire, dans un autre domaine, le MASA, le Marché des arts du spectacle africain, qui confirme son succès avec sa troisième édition qui vient de s'achever à Abidjan, et qui a concerné plus de 500 artistes.
Je signalerai également l'ouverture et l'entretien des centres de lecture et d'animation culturelle en milieu rural, un programme pour lequel j'éprouve un attachement particulier. Ceux qui, parmi vous, ont pu visiter de tels centres auront compris mon intérêt pour ces petites unités, autonomes et pluridisciplinaires, qui viennent porter la ressource au plus profond de ces sociétés où le contact avec l'information est encore bien difficile.
Un vaste secteur de la coopération francophone touche l'audiovisuel et le multimédia. La Francophonie a sa télévision, TV5. Elle mène une action primordiale pour soutenir la production audiovisuelle dans les pays du Sud. Elle a identifié les autoroutes de l'information comme un domaine où elle jouait son avenir, tout simplement parce qu'Internet n'est pas un luxe superflu réservé à la fraction privilégiée des sociétés occidentales, mais un véritable instrument au service du développement, par lequel les francophones pourront échanger contenus et savoir-faire.
J'arrêterai là le catalogue. Il suffit à mes yeux de démontrer que partout où il est question de culture, la Francophonie doit apporter sa contribution. C'est une évidence pour les grands enjeux, le cinéma, la télévision, les inforoutes. Mais c'est vrai aussi, et peut-être surtout, pour tous ces projets de moindre ampleur, ici une radio rurale, là une bibliothèque, qui, loin des grands discours et des campagnes médiatiques, manifestent et entretiennent une francophonie bien vivante, une Francophonie de coeur et de proximité.
De cette complicité de sang entre la Francophonie et les cultures, que peut-on retenir pour guider notre action ?
Deux choses, je crois. La première est qu'il y a une convergence évidente d'intérêts entre nos institutions. Sans doute les dissemblances semblent l'emporter, au moins en apparence, ne serait-ce que le volume et le champ géographique de notre action. Mais, dans les faits, nos objectifs coïncident, et bien souvent ce que l'UNESCO ou la Francophonie ne font pas, personne ne le fera. Nous avons hélas un compagnonnage certain dans la défense de nos budgets qui, en période d'austérité, prêtent le plus le flanc à des mesures d'économies. Et enfin -mais faut-il le rappeler ? - la Francophonie, comme l'UNESCO, suscitent la même tendresse particulière de la France, qui leur montre son attachement par ses contributions humaines, financières et de toute autre nature.
Aussi faut-il continuer à prôner, c'est ce que nous faisons de notre côté, la coordination des actions que nous entreprenons. On n'en fera jamais assez pour éviter le gaspillage des ressources rares que les gouvernements consacrent à la culture.
Parmi les acteurs de cette concertation, je voudrais aussi en appeler à l'un des derniers-nés, la communauté des Etats de langue portugaise. Avant même que celle-ci n'ait mis en place ses structures, l'année dernière, francophones et lusophones s'étaient retrouvés cote à cote en de multiples circonstances, par exemple en 1995 pour voter la résolution sur le multilinguisme aux Nations unies. Trois Etats participent aux réunions des deux institutions, le Cap-Vert, la Guinée Bissau et Saint-Thomas et Prince. Les passerelles ne manquent donc pas entre nous et je ne verrais que des avantages à ce que s'instaure maintenant un véritable dialogue. Et cette coordination s'étendra un jour aussi, n'en doutons pas, aux pays de langue espagnole, dans la perspective, sans doute proche, d'une communauté d'un milliard de personnes parlant une langue d'origine latine, dont les causes partagées vont se multiplier.
La connivence intime entre la Francophonie et les cultures m'amène à une seconde observation. En liant étroitement leurs destins elles se condamnent au même dynamisme. La défense de la langue demeure un aspect fondamental de la Francophonie, qui a plus que jamais besoin de gardiens, d'instruments juridiques et sans doute de censeurs. Je ne crois pas que ce soit une grande victoire pour l'anglais que la reconnaissance officielle, aux Etats-Unis, de la langue dégénérée des banlieues de Californie, l'ebonics. L'aspect linguistique est donc essentiel, mais n'assimiler la Francophonie qu'à cela serait vraiment faire preuve d'une vision trop étriquée.
La Francophonie a besoin d'autres champs d'activité et d'autres espaces. On s'aperçoit enfin, ou plutôt on redécouvre, que là où font défaut la culture et ses valeurs, le respect d'autrui et son écoute, l'intolérance n'est pas loin. On le constate dans les relations internationales, mais on le constate aussi dans les structures de base de la société, la famille, l'école, le quartier, l'entreprise qui a aussi sa "culture", c'est à dire ses traditions, ses mécanismes propres, son identité, enfin, qui n'est pas seulement déterminée par les facteurs financiers et comptables.
Il en est de même pour la Francophonie, qui a investi progressivement certains secteurs de coopération multilatérale dans lesquels elle estimait avoir une valeur ajoutée. C'est le cas du droit, avec l'activité d'une très dynamique délégation à la coopération juridique et judiciaire au sein de l'Agence de la Francophonie. C'est le cas des Droits de l'Homme : la Francophonie a beaucoup à faire pour contribuer à la diffusion, en langue française, de la documentation pertinente et pour favoriser la recherche et la publication de productions originales. Elle était aussi présente à la conférence de Pékin sur les femmes, pour favoriser la concertation et le travail des délégations francophones. C'est aussi le cas pour l'environnement. La Francophonie était représentée à la conférence de Rio. Elle collabore aux réunions de suivi, et une résolution sur le développement durable est actuellement envisagée dans la perspective du Sommet de Hanoï.
Ce ne sont là que quelques exemples, et j'aurais pu en citer d'autres, ce qui pose d'ailleurs le problème de la sélection des priorités. Vous savez que la prochaine conférence des chefs d'Etat, à la fin de l'année, élira pour la première fois un Secrétaire général de la Francophonie, qui sera le représentant politique et le porte-parole de toute la communauté. Ce sera là une des tâches sur lesquelles il aura à se pencher dès sa prise de fonctions.
La Francophonie a aussi besoin de nouveaux espaces. Le Sommet du Vietnam, dans huit mois, va faire la démonstration que notre communauté peut se sentir chez elle au coeur même d'un continent en pleine mutation. Comme je le soulignais tout à l'heure, nous nous apprêtons par ailleurs à accueillir d'autres candidatures au sein de la communauté. Je n'en dirai rien de plus car il s'agit d'une procédure spécifique, qui se conclut par une admission où l'unanimité des membres est requise, mais c'est incontestablement un signe de dynamisme.
Enfin, il faudra que nous nous penchions rapidement sur la manière d'associer tous les francophones répartis dans le monde et résidant dans des pays qui ne peuvent prétendre rejoindre la conférence. J'ai bien sûr en tête la Louisiane, le Val d'Aoste, ou Pondichéry, mais il existe également des communautés d'importance numérique plus modeste. Il faut à la fois respecter les règles constitutionnelles des Etats dans lesquels elles vivent, mais aussi leur apporter l'aide ou la solidarité qu'elles peuvent attendre d'une Francophonie à la vocation universelle.
* * *
Il est clair que c'est un message optimiste que je souhaitais vous apporter. Des sujets d'inquiétude demeurent pour la Francophonie, c'est évident. Dans plusieurs domaines, dans plusieurs pays, on recense depuis longtemps des signes tangibles de recul de la langue française que je ne veux ni oublier, ni occulter.
Mais je me fie aussi à ce que l'on constate dans le domaine culturel. Alors que l'on redoutait tant un certain impérialisme d'une forme nouvelle, cette crainte a provoqué, par réaction, des prises de conscience, des mobilisations d'une ampleur inégalée.
C'est ce qui se passe, aussi, dans le domaine de la langue. Cultures et Francophonie, en même temps qu'elles s'alimentent réciproquement, se lient et se coalisent pour être présentes partout où on a besoin d'elles. C'est à dire partout où se trouve l'Homme./.
Et partout dans le monde - pas seulement les pays totalement ou partiellement francophones - des hommes et des femmes expriment, en même temps que nous, leur attachement à la langue française, aux valeurs qu'elle exprime, et aux solidarités qu'elle inspire. Langue, valeurs, solidarités qui sont leur propriété commune, et d'ailleurs leur création commune.
Beaucoup d'entre vous sont des ardents défenseurs de la Francophonie. Vous vivez cette Francophonie avec la passion qu'elle inspire légitimement.
Je vous ferai part, très simplement, de deux convictions pour l'avenir.
Ma première conviction, c'est qu'il est temps, pour ceux qui auraient jusqu'à présent manifesté un intérêt médiocre ou un scepticisme, de prendre la Francophonie au sérieux.
La Francophonie ne relève pas essentiellement du domaine littéraire ou des affaires culturelles. Certes, la langue française a produit et offert au monde un inestimable patrimoine culturel d'oeuvres de toute nature, qui s'est illustré par des écrivains du monde entier.
La Francophonie a cette particularité d'être présente sur tous les continents : en Europe, bien sûr, en Afrique, en Amérique du Nord, en Amérique du Sud où était hier encore le président de la République et où j'ai expérimenté avec lui l'extraordinaire amour de la langue française qu'on y rencontre, mais aussi en Asie - nous serons dans quelques mois à Hanoï - et dans tous les océans.
C'est évidemment notre fierté commune. Pourtant, c'est une communauté d'un type original. Ce n'est ni une alliance militaire, ni une zone de libre échange. Ce n'est pas davantage une organisation régionale au sens de l'ONU. C'est encore moins un Commonwealth à la française, bien qu'on emploie parfois ce mot. Parce que dans l'expression "Commenwealth", il y a l'idée qu'il y aurait une sorte d'allégeance à je ne sais quelle couronne-abandonnée depuis longtemps par la nation française.
Non, la Francophonie ne rentre pas dans les schémas habituels, et l'on peut même soutenir qu'elle constitue une relation qui n'est pas d'abord fondée sur l'intérêt, ce qui ne veut pas dire qu'elle soit sans intérêt.
Quelle peut donc être la pertinence d'une organisation qui regroupe des pays si divers, si éloignés, si différents ?
Je crois que la Francophonie est une incroyable diversité de peuples qui, par la langue française, grâce à la langue française, éprouvent le goût de confronter et de mêler leurs différences.
J'ai eu la chance de participer, aux côtés du président de la République, au Sommet de Cotonou. J'ai immédiatement ressenti une atmosphère qui ne ressemble pas à ce que l'on trouve habituellement dans les enceintes internationales, même les plus amicales. Il y a une Francophonie du sentiment, du coeur et de la chaleur humaine, je dirais tout simplement un esprit de fraternité, très directement perceptible dans toute assemblée francophone.
Et les chefs d'Etat et de gouvernement s'y retrouvent sur un strict pied d'égalité. C'est sans doute une bonne façon d'aborder les affaires du monde.
Ainsi, la communauté francophone prend-elle progressivement conscience qu'elle peut et qu'elle doit devenir un acteur à part entière sur la scène internationale.
Il y a seulement dix ans une telle idée aurait fait sourire. Mais le monde change, beaucoup plus rapidement que nous ne le pensions, et parfois même trop rapidement pour nous. Cela semble nous dépasser.
Dans ce monde-là, en pleine évolution, la Francophonie est plus actuelle, utile et précieuse que jamais.
Nous sentons bien que le nouvel équilibre du monde, vers lequel nous progressons en tâtonnant, fait appel à des notions comme la mondialisation, la globalisation disent les Anglo-saxons, la généralisation des échanges, le développement exponentiel des communications.
Mais pas plus qu'hier nous ne sommes disposés à accepter quelque hégémonie que ce soit. La logique des blocs, hier, nous n'en voulions pas. Le monde unipolaire, aujourd'hui, nous n'en voulons pas davantage. Pas plus qu'hier nous n'avons l'intention d'abdiquer notre identité nationale. La loi du marché ne saurait être pour le monde un meilleur maître que l'équilibre de la terreur.
C'est bien là que se situent l'utilité et la modernité du discours francophone.
La Francophonie n'a pas l'ambition de s'opposer à qui que ce soit. Elle n'est faite contre personne. Elle ne se fonde ni sur la nostalgie de je ne sais quel passé révolu ni sur la crainte de l'avenir. Certains de nos amis anglo-saxons se plaisent à dépeindre la France et la Francophonie comme la grenouille qui veut se faire plus grosse que le boeuf. Le trait est plaisant, mais passe à côté de la réalité.
Chacun devrait se souvenir que les peuples qui sont privés de leur langue et de leur culture ne sont jamais heureux, et que les peuples malheureux sont des peuples dangereux, car ils emplissent l'histoire humaine de bruit et de fureurs.
La Francophonie ne prétend pas - même parmi ses membres - imposer l'usage exclusif du français. Elle est l'amie de toutes les langues et de toutes les cultures du monde. Mais elle a aussi la conscience sereine du rôle particulier que la langue française a joué et jouera très longtemps encore dans le mouvement des idées, et dans la formulation de valeurs universelles qui ne sont pas près de perdre leur force et leur actualité.
Ma seconde conviction, c'est que la France, aux côtés de ses partenaires francophones, a la volonté aujourd'hui de donner à la Francophonie un nouvel élan.
Dans ce domaine, comme dans bien d'autres, le président de la République et le gouvernement ont l'ambition de remettre la France en mouvement, et de ne pas accepter la tentation du repli sur soi.
Voilà pourquoi, dès le mois de décembre 1995 à Cotonou, Jacques Chirac proposait aux quarante-huit autres membres de la Communauté francophone d'affirmer la dimension politique, au sens plein et noble du terme, de la Francophonie. Sur tous les grands sujets qui intéressent les chefs d'Etat et de gouvernement, la Francophonie doit devenir une enceinte privilégiée de concertation et d'initiatives.
Encore fallait-il adapter les jeunes institutions francophones à cette nouvelle ambition et à ce nouveau projet.
Ce sera chose faite à Hanoï, où se tiendra, au mois de novembre, le prochain Sommet francophone.
Partie la plus visible de la réforme, le Secrétaire général qui y sera pour la première fois désigné aura désormais la tâche de symboliser sur la scène internationale l'unité et la vitalité de notre communauté.
J'insiste sur l'importance de cette réforme, qui n'en doutons pas, ne tardera pas à produire des effets tangibles.
Je sais que nos partenaires se réjouissent de ces nouvelles perspectives, eux qui avaient parfois des raisons de douter de la ferveur francophone des Français eux-mêmes. Cette démarche est ainsi considérée de façon positive par l'ensemble de la communauté francophone et par l'ensemble des gouvernements concernés.
Sur le plan gouvernemental, nous avons encore du chemin à faire, je le reconnais bien volontiers. La conjoncture budgétaire, malheureusement, se prête mal à des augmentations brutales de crédits. Mais notre action ne s'inscrit pas dans le court terme et je suis persuadé que la coopération multilatérale francophone trouvera, dans les années qui viennent, les financements indispensables.
Et sans attendre des jours meilleurs, Margie Sudre, depuis deux ans, ne ménage aucun effort pour faire avancer notre cause. Je voudrais, en cet instant, lui rendre légitimement hommage. Ainsi, des dossiers concrets progressent-ils, et engagent l'avenir de la Francophonie. J'en citerai seulement trois.
Tout d'abord, la place du français sur Internet. Tout le monde connaît ce nouveau réseau de communication qui va devenir, plus vite qu'on ne croit, l'équivalent du téléphone, d'un usage quotidien pour tous. Certains ont souligné, à juste titre, que la langue française n'y occupait pas une position conforme à son rang de grande langue internationale mais les choses changent, et nous ne devons pas tomber dans un défaitisme bien français. Nous devons aussi être bien déterminés à faire en sorte que toutes les langues aient leur place sur Internet, à commencer par notre langue commune.
Il est un second domaine qui me tient particulièrement à coeur, c'est celui de la politique audiovisuelle extérieure. Rien n'est plus important, aujourd'hui, que de permettre de projeter sur les télévisions du monde entier des images francophones. Si c'est nécessaire - et ce le sera - pour être accessible au grand public de tous ces continents que nous voulons toucher, nous devrons doubler ou sous-titrer ces images. Mais il est de la plus haute importance, dans un moment où de grands opérateurs mondiaux, tous américains, s'installent, où des moyens nouveaux apparaissent avec une vitesse extraordinaire qui permettront de couvrir le monde entier les chaînes disponibles, que la télévision française et francophone se préoccupe d'être présente partout, et pas simplement sur les réseaux câblés, limités et coûteux, mais sur toutes les formes de diffusion par satellite. Nous étions avec le président de la République à Brasilia et à Rio où j'ai assisté à la signature d'une convention qui permettra à TV5 d'être accessible à toute la population brésilienne, à tous les foyers qui le voudront.
Je voudrais enfin rappeler l'importance qu'il y a à préserver l'image et l'usage de la langue française en Europe. Le maintien du français comme langue privilégiée au sein d'une Union européenne n'est pas une tâche si simple. Mais le représentant de la France estime pouvoir s'exprimer en français partout dans les réunions européennes.
La défense de notre langue est, en effet, un combat d'une grande importance. La langue exprime des cultures, des civilisations - les vôtres.
La langue exprime des modes de pensée - les vôtres.
La langue et une façon de communiquer, d'échanger et finalement, dans le monde moderne, c'est aussi une façon de produire et de vendre.
Nous ne pouvons imaginer un monde dans lequel il y aurait une langue, une pensée, une culture et une production, un commerce et une monnaie uniques.
Voilà pourquoi il s'agit d'un très important combat dans un moment crucial où les technologies créent des situations et des donnes nouvelles, où la globalisation du monde crée des circonstances, des occasions mais aussi des risques nouveaux.
Voilà pourquoi la Francophonie, c'est à la fois très chaleureux, fraternel, respectueux des diversités, mais aussi un combat commun qui est destiné à faire en sorte que nous soyons présents, dans le monde demain, avec tout notre poids et toute notre ambition et toute la place que nous voulons conquérir.
Bonne chance, et bon courage à vous ! ./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 février 2002)
Le ministre - Merci beaucoup, c'est vrai que cette Francophonie, c'est un mouvement extraordinairement important. Vous évoquiez les voyages que vous allez accomplir. Par l'image aujourd'hui, la Francophonie est présente sur tous les continents. En Europe, bien sûr, en Afrique, mais aussi en Amérique du Nord et du Sud et en Asie. Elles est présente dans tous les océans. Elles est donc un vaste mouvement qui rassemble plus de 200 millions d'habitants qui ne sont pas simplement des peuples qui ne parlent que la langue, mais des peuples qui rassemblent autour d'un amour passionné de la même langue, des cultures, des façons de vivre, des civilisations, des façons d'être extraordinairement différentes. Je dirais que de ce point de vue, la Francophonie, est un bouquet extraordinaire de la diversité, un peu à l'image du monde tel qu'il est fait de cette richesses et cette diversité. La Francophonie, c'est très moderne. Ce n'est pas quelque chose d'ancien, de passéiste que l'on cultiverait comme un souvenir de notre histoire. C'est quelque chose de très moderne, de très actuel et en plein développement.
Et en même temps, ce n'est pas simplement cela, pas simplement un vaste rassemblement de cultures et de civilisations diverses partageant ensemble une même langue. C'est encore autre chose.
C'est aussi un mouvement politique, que désormais les pays francophones veulent conduire ensemble. Les 49 pays, membres de la Francophonie, vont de réunir à Hanoi, au mois de novembre. Ce sera le sommet de la Francophonie. A cette occasion, ils vont décider d'une réforme de l'organisation politique de la Francophonie en créant de nouvelles institutions et en particulier, en se dotant d'un Secrétaire général qui sera choisi et désigné par les chefs d'Etat et de gouvernement des 49 pays francophones. Il y a maintenant une idée nouvelle : ces pays de la Francophonie veulent peser sur le cours des événements, sur le destin du monde, apporter leur vision propre, leur façon d'appréhender les problèmes.
Il faut bien voir que nous sommes dans un monde qui est menacé par l'uniformité : l'uniformité de la langue. La langue véhicule une culture, des modes de comportements, une façon de penser et au bout du compte, dans le monde moderne, cela véhicule une façon de produire. Nous ne voulons, ni de la langue unique, ni de la pensée unique, ni de la culture unique, ni même du marché unique, et d'un système unique de production et de commerce dans le monde. Nous voulons la diversité et de ce point de vue, je dirais que le combat de la Francophonie est un combat des francophones mais que c'est un combat au profit de toutes les nations attachées à la diversité.
Après tout, il y a d'autres pays qui parlent d'autres langues. Il y a la communauté des pays de langues espagnoles, et bientôt, je l'espère, il y aura aussi une communauté des pays de langues portugaises. Bien entendu, il y a la langue arabe, extraordinairement puissante dans la monde. Est-ce que nous voulons accepter que toutes ces langues aient derrière elles toutes ces civilisations et toutes ces cultures soient peu à peu détruites et phagocytées, dévorées par une seule langue ? Evidemment, non. Ce combat de la Francophonie est tout à fait formidable, d'une très grande importance pour le destin des nouvelles générations et par conséquence, nous considérons que cet enjeu est essentiel.
J'ajoute un mot sur les moyens modernes de communication. Nous sommes sur des images de télévision. Vous parlez d'Internet ; eh bien, très précisément, la bataille de la Francophonie, se joue là. Serons-nous demain capables de faire en sorte qu'il y ait des images télévisuelles francophones à travers le monde ? Alors, on essaie. C'est ce que fait TV5, c'est ce que fait CFI. C'est ce que nous essayons de faire progresser par la réforme de l'audiovisuel extérieur.
Q - Et, vous venez de mettre en place ce Comité de réflexion sur la télévision française à l'extérieur.
R - Le ministre - C'est vraiment un sujet central. Il faut que nous puissions offrir à tous les consommateurs de télévision, en Asie, en Amérique Latine, en Afrique, des produits, c'est-à-dire des chaînes, des images dont ils aient envie, et qui soient tantôt en français, tantôt sous-titrées ou doublées dans leur langue, pour que le plus grand public puisse y avoir accès. Est-ce que nous voulons qu'Internet ce soit le monopole de l'anglais ? Ou est-ce que l'on peut, ou est-ce que l'on veut qu'Internet ce soit accessible, disponible pour toutes les langues ? La nôtre, naturellement, mais derrière la nôtre beaucoup d'autres aussi. Cette bataille pour la diversité des moyens modernes d'expression, c'est vraiment le combat type de la Francophonie.
Q - J'ai lu ce matin dans le Figaro que pour vous le Vietnam avait un caractère d'exemplarité sur une nouvelle manière de voir la Francophonie. Pourquoi ?
R - Le secrétaire d'Etat - D'une part, je voudrais souligner l'importance toute particulière qu'aura ce septième Sommet de la Francophonie qui se tiendra dans cette partie du monde, où aucun Sommet de ce type ne s'était tenu. Je crois qu'à partir de ce Sommet, ce sera un point de départ nouveau pour la Francophonie dans cette partie du monde. M. Hervé de Charette en a bien souligné toute l'importance.
C'est vrai que la langue française n'était plus très présente au Vietnam. Pendant de nombreuses années, la langue française avait été oubliée. Nous nous retrouvons maintenant face à toute une population qui demande à apprendre le français, qui est très demandeuse d'une éducation en français. Je crois qu'ils reconnaissent au fait d'appartenir au monde francophone, une certaine exemplarité d'une part, et aussi l'exigence de ne pas appartenir à un monde beaucoup trop uniforme ainsi que le disait M. Hervé de Charette tout à l'heure. Je crois que cela leur permettra d'avoir au moins une particularité dans ce monde vraiment très anglophone.
Tous les pays de l'ancienne Indochine, le Laos, le Cambodge, ainsi que le Vietnam, revendiquent cette particularité d'être en même temps francophones et d'appartenir pleinement au monde francophone.
Q - On connaît les liens historiques entre la France et le Vietnam. Qu'en reste-t-il aujourd'hui ? Et, surtout dans quelle mesure de nouvelles relations sont-elles en train de s'instaurer avec le Vietnam ?
R - Le ministre - Vous savez que le Vietnam est un pays qui est en train de sortir d'une histoire très longue. C'était un régime communiste. C'est toujours d'ailleurs un régime communiste, mais qui est maintenant en train de s'ouvrir complètement, notamment, à l'Asie moderne.
Pour ceux qui connaissent un peu l'Asie, c'est un monde en plein bouleversement, notamment l'Asie du Sud-est, dans laquelle les villes se développent à une vitesse incroyable, dans laquelle l'on voit pousser des gratte-ciel, j'allais dire tous les jours, et le Vietnam entre dans cet ensemble. Il fait partie maintenant de l'Association des pays du Sud-est asiatique, ce que l'on appelle l'ASEAN, et il a envie d'avoir une diplomatie internationale.
Pour avoir cette ouverture internationale, vers qui se tourne-t-il ? D'abord vers ses voisins et ensuite vers nous. Parce que nous sommes en quelque sorte, si j'ose employer cette expression, le parrain naturel du Vietnam, pour l'aider à prendre sa place dans la communauté internationale, et pour l'aider dans son développement. Il y a des liens qui se sont établis très facilement, très naturellement, se sont renoués, devrais-je dire, entre le Vietnam et la France. La France est maintenant très présente, à la fois sur le plan diplomatique, mais aussi sur le plan économique. Il y a eu un grand effort de beaucoup d'entreprises françaises pour aller à Hanoï, pour aller sur place, pour y prendre leur place. Il y a enfin un effort culturel très important que nous faisons, Mme Margie Sudre et moi, au titre du ministère des Affaires étrangères, pour montrer le retour de la culture française au Vietnam.
Tout cela se fait dans un esprit très chaleureux, assez enthousiaste, je dois le dire. Tout à l'heure Margie Sudre parlait du Sommet d'Hanoï. Quand je vous dis que nous allons aider ce pays à reprendre sa place dans la communauté internationale, je prends un exemple, elle parlait de ce Sommet d'Hanoï, ce sera la première fois depuis l'histoire du Vietnam que 49 pays vont se rassembler dans un grand Sommet à Hanoï. C'est un événement considérable pour eux, et qui va marquer le vrai début de la renaissance du nouveau Vietnam. Pour nous, c'est un moment de bonheur, parce que nous avons tant de liens avec ce pays, parce que nous sommes heureux de le voir revenir dans la vie mondiale, dans la vie internationale.
Q - On parlait tout à l'heure de l'influence anglo-saxonne. On parlait de l'influence anglo-saxonne au Vietnam, car comme vus l'avez souligné c'est une zone qui attire énormément d'entreprises et de pays aujourd'hui. Comment se distingue l'intervention française au Vietnam, les relations françaises avec le Vietnam, des influences américaines et d'autres influences anglo-saxonnes ?
R - Le secrétaire d'Etat - Nous ne pouvons pas nier la présence anglo-saxonne et la présence de l'anglo-américain, en ce qu'il est vrai que les entreprises s'installent aussi dans le Sud-Vietnam. Mais je crois que le fait du partage de la langue française donne une originalité supplémentaire au Vietnam et aux jeunes Vietnamiens.
Il y a, bien entendu, des liens culturels et historiques anciens entre la France et le Vietnam. Il y a aussi un état d'esprit particulier qui règne entre tous ceux, tous les Français qui ont pu vivre à un moment quelconque du Vietnam. Je connais peu de familles françaises qui n'aient eu, à un moment donné de sa vie, un de ses membres qui a vécu, qui a passé une partie de sa vie au Vietnam. et cela créé des liens tout à fait particuliers entre le Vietnam et nous-mêmes.
Nous préférons tous oublier les moments douloureux de notre histoire pour ne penser qu'aux moments où nous avons pu échanger, partager une culture. Les Vietnamiens, les vieux Vietnamiens en particulier, se souviennent de toute notre littérature et on les sent nos ardents défenseurs. Actuellement, le partage de la langue passe aussi par des relations économiques, par le développement économique dans lequel nous aidons particulièrement le Vietnam. Nos entreprises françaises, qui commencent à s'installer en grand nombre au Vietnam, représentent un attrait supplémentaire pour les jeunes Vietnamiens, pour l'envie qu'ils ont de partager, d'apprendre la langue française. Le développement d'une langue passera nécessairement, dans les années à venir, par les échanges économiques, entre le Vietnam et nous-mêmes.''
Q - Vous avez évoqué le sommet d'Hanoï, du mois de novembre prochain. Vous souhaitez, lors de ce sommet, donner un nouveau souffle à cette idée de la Francophonie à travers l'économie. Qu'entendez-vous précisément par-là ?
R - C'est une aspiration de tous les pays de la Francophonie. Ce n'est pas un désir qui vient de moi, personnellement. Tous les pays de la Francophonie, après avoir établi ces relations culturelles, ce partage de la langue, ces relations linguistiques, ces relations techniques, ainsi qu'un partage dans le domaine de la recherche, ont ressenti la nécessité qu'il y avait à faire reposer tout ce partage sur des relations économiques importantes. Dans l'avenir, il faudra que nos entreprises, nos hommes d'affaires, - et c'est déjà le cas -, s'installent en grand nombre au Vietnam, qu'on installe des entreprises françaises où nous pourront faire travailler des Français. Ainsi que l'a dit le président de la République, le Vietnam, l'Extrême Orient devient la nouvelle frontière de nos relations extérieures. Il faudra qu'un grand nombre de nos entreprises s'installent là-bas. Ce sera vraiment nécessaire pour que notre langue puisse persister, subsister dans cette partie du monde.
Q - Vous parliez aussi de la candidature de M. Boutros Ghali, au poste de secrétaire général de la Francophonie, ce qui semble vous ravir puisque c'est un personnage important qui vient de quitter le secrétariat général de l'ONU, il y a peu de temps. M. de Charette, c'est un bon candidat ?
R - Le ministre - M. Boutros Ghali est une personnalité mondiale. Il a été un brillant secrétaire général de l'ONU. Ceux qui le connaissent, qui sont nombreux à travers le monde, connaissent son immense culture, son histoire personnelle, celle d'un Egyptien qui a exercé de grandes responsabilités dans son pays. Ils savent aussi qu'il parle un français d'une qualité exceptionnelle. Tout cela fait que, si en effet, Boutros Ghali était choisi par les chefs d'Etat et gouvernement qui vont se réunir à Hanoi, les 49 chefs d'Etat et de gouvernement qui vont se retrouver au mois de novembre, ce sera pour le monde francophone un événement considérable, et qui, d'un coup, va donner à ce projet politique que j'évoquais tout à l'heure, faire que la Francophonie ne soit pas simplement une réunion d'amis qui partagent la même langue et la même culture, mais aussi un groupe de nations qui veulent peser dans le destin du monde. Cela donnera à ce projet un rayonnement formidable. C'est pourquoi, en effet, si vous me demandez si je milite pour lui, mais des deux mains et avec enthousiasme./.
La Francophonie aime cultiver les paradoxes. Bien avant que le terme de "Francophonie" ne soit forgé par un géographe, dans la seconde moitié du siècle dernier, la langue apparaissait déjà, depuis longtemps, comme un outil de standardisation, d'uniformisation par excellence. Face à la diversité, elle bâtissait un monde plus facile à appréhender, un ensemble de repères qui ordonnait l'espace et paraissait dominer la matière.
Plus près de nous, la langue s'est imposée comme l'outil par excellence de la nation républicaine, avec l'école laïque et obligatoire et le service militaire, susceptible de parachever l'intégration de la population. Il semblait même que l'homme relevait le défi de reconstituer le monde d'avant Babel, qui n'est peut être pas le mythe qu'on imagine si l'on en croit ce chercheur qui estime avoir démontré que tous nos idiomes dérivent d'une langue mère unique.
En un mot, la langue était l'antidote presque idéal de la diversité. Or, voici que maintenant, c'est la Francophonie elle-même qui revendique la diversité et le plurilinguisme, qui les édifie comme valeurs fondamentales et se fait le champion de leur défense contre les méfaits d'une unification qui appauvrit.
C'est sur ce renversement apparent des perspectives que je voudrais vous dire quelques mots pour introduire le débat sur les rapports entre la Francophonie et les cultures, avant de vous laisser la parole et de répondre à vos questions.
* * *
Le premier paradoxe de la Francophonie semble résider dans son origine même. Le français a été longtemps perçu -il l'est peut-être encore- comme un des instruments de la colonisation. Du Maghreb au Levant, de l'Afrique équatoriale à l'Indochine, il arrivait avec les militaires et les marchands, les réprouvés et les pères blancs, qui, par la langue française, véhiculaient une administration, une comptabilité, ou une doctrine.
Il serait inconvenant et malhonnête d'oublier ces périodes de notre histoire à tous, et ses pages noires. Il serait toutefois très réducteur de s'en tenir à cette vision.
Car la Francophonie tire aussi ses origines de la diffusion du français dans les cours européennes aux siècles passés. La philosophie des lumières et ses glorieux propagateurs s'exprimaient déjà dans notre langue pour éclairer les despotes. Le français était également la langue diplomatique, et lorsque commencèrent à se multiplier les organisations internationales, à la fin du XIXème siècle, c'est tout à fait naturellement qu'elles adoptèrent le français comme langue officielle et de travail. Elle était souvent la seule, comme à l'Union postale universelle jusqu'à nos jours, alors que d'autres pays avaient accompli déjà à ce moment une oeuvre colonisatrice au moins équivalente à la nôtre.
Il y a 20 ou 30 ans, lorsque la Francophonie a pris une dimension véritablement institutionnelle, elle l'a fait sous l'impulsion d'hommes du Sud. La demande, le souffle, l'idéal de la Francophonie sont venus d'eux : Léopold Sédar Senghor, à qui j'ai rendu visite il y a quelques jours à Verson et que nous célébrions, ici même, à l'UNESCO, à l'automne dernier, mais encore Charles Helou, Habib Bourguiba ou Norodom Sihanouk, et tant d'autres.
Et désormais la Francophonie dépasse largement l'espace dont ils étaient les glorieux représentants : la Roumanie, la Bulgarie, la Moldavie comptent au rang des membres de la communauté, et d'autres pays, venus de divers horizons, font acte de candidature : la Pologne, l'Arménie, l'Albanie, pour ne citer que ceux-là.
Ainsi, ceux qui s'attachent à une paternité trop mécanique du colonialisme sur la Francophonie commettent à l'évidence un véritable contresens. Avec une histoire et une légitimité tellement plus larges, la Francophonie va développer naturellement des conceptions et des valeurs qui l'inscrivent sans aucun doute dans la promotion de la diversité, celle des langues et des cultures.
Il y a une corrélation étroite entre la langue et la culture, même s'il est plus facile de le prétendre que de le démontrer. Le vieil aphorisme " traduttore, traditore " l'exprime d'une certaine façon : changer de langue trahit l'idée. Encore de nos jours, bien des domaines scientifiques s'accommodent mal de la traduction. Mais c'est la même chose de la langue populaire, et chacun de nous a vécu l'expérience de l'interprète s'escrimant en vain à rendre la finesse et la sensibilité d'un bon mot, d'une anecdote, dans une langue autre que celle dans laquelle ils sont racontés.
Pour nous, donc, francophones, le français n'est pas et ne sera jamais la langue que nous voulons imposer aux autres parce qu'elle aurait quelque chose de mieux ou de plus. On en est revenu, heureusement, de la sentence de Rivarol déclarant que "ce qui n'est pas clair n'est pas français".
Ce que nous proposons, c'est le français à coté des autres langues, qu'il s'agisse de parlers locaux ou nationaux, de langues véhiculaires ou même d'autres grandes langues de communication internationale.
Ceci n'a rien d'une utopie. Nos élèves apprennent dans les classes de plus en plus de langues étrangères. En France, où pourtant nous n'avons guère une flatteuse réputation en la matière, il n'est pas rare que nos jeunes quittent l'enseignement secondaire en ayant étudié trois langues, non compris évidemment le français, le latin ou le grec.
C'est bien cette conception du multilinguisme qui sous-tend notre politique à l'égard de pays où le goût pour les langues étrangères est réputé plus grand. Nous encourageons ainsi nos partenaires européens à développer l'enseignement d'au moins deux langues vivantes dans leurs établissements scolaires. Et dans les institutions internationales, nous refusons d'accepter que les difficultés budgétaires servent de prétexte pour limiter l'usage des langues tel qu'il est régulièrement prévu dans la charte de ces organisations.
Cette conception conditionne aussi notre approche de la promotion des langues. De l'enseignement traditionnel du "français langue étrangère" comme matière au même titre que les mathématiques ou la géographie nous sommes passés, chaque fois qu'il était possible, aux "classes bilingues", où l'objectif n'est plus d'enseigner du français, mais en français.
De telles classes existent déjà dans de nombreux pays où le français n'est pas langue nationale, comme en Europe centrale ou au Moyen-Orient. Et un programme très ambitieux d'ouverture de classes bilingues a été lancé il y a quelques années au Vietnam. 500 classes de cette nature fonctionneront dans tout le pays au moment où s'ouvrira dans quelques mois le VIIème sommet de la Francophonie.
Une telle ambition pourrait paraître vaine à une époque où la mondialisation croissante et le développement de moyens de communication comme Internet semblent préfigurer une uniformisation des langages au profit, évidemment, de l'anglais.
Je ne le crois pas. C'est un peu le même mouvement qui s'est produit avec l'essor de l'ergonomie. Longtemps, l'objectif de la mécanisation a été d'adapter l'homme à la machine. L'informatique a autorisé une nouvelle approche qui a permis, de plus en plus, d'adapter la machine à l'homme.
Je crois qu'il en est de même dans la communication. Le marché de l'information offre de gigantesques perspectives, et intéressera nécessairement un public de plus en plus large. Avec le développement de ce qu'on appelle les industries de la langue, on peut facilement supposer que l'information disponible sur les inforoutes sera d'un accès de plus en plus facile, sans que la langue constitue un obstacle.
Il est clair, dès lors, que l'enjeu n'est pas d'évincer l'anglais, mais de figurer parmi les langues pour lesquelles existe un réel marché de l'information.
Telle est la première dimension de la Francophonie et sa revendication, raisonnée et raisonnable, pour un multilinguisme véritable, où le respect de la langue de l'autre n'est pas qu'un slogan et où l'affirmation qu'il n'est de richesse que dans l'échange n'est plus un voeu pieux.
La seconde dimension de la Francophonie, c'est de se mettre au service de cette promotion du pluralisme culturel qui est si étroitement lié au pluralisme linguistique, et qui en est, en somme, la finalité essentielle. Sans entrer dans le détail des chiffres, je me bornerai à constater que, à l'Agence de la Francophonie, le principal opérateur de la coopération multilatérale, les programmes consacrés à la culture et à la communication représentent près de la moitié des budgets. Parmi les cinq "programmes mobilisateurs" qui constituent en fait autant de priorités définies par les chefs d'Etat pour l'action francophone, la culture conserve par conséquent nettement la primauté.
Il serait fastidieux, et ce n'est pas le propos, de reprendre par le menu les opérations qui sont engagées sous cette rubrique, mais je voudrais simplement en rappeler quelques exemples, ne serait-ce que pour illustrer l'ampleur de la palette de ce que la Francophonie considère comme son activité, sa raison d'être, et qu'elle est parfois la seule, avec l'UNESCO certainement, à promouvoir.
Il y a d'abord tout ce qui concerne le soutien à la création, à la diffusion et à la conservation des oeuvres d'art. L'Agence mène ainsi d'importantes actions en faveur du patrimoine en direction des pays où l'urgence a dicté d'autres priorités et où l'architecture et les collections muséologiques -lorsqu'elle existent- souffrent parfois d'atteintes irréversibles.
Je rappellerai pour mémoire, dans un autre domaine, le MASA, le Marché des arts du spectacle africain, qui confirme son succès avec sa troisième édition qui vient de s'achever à Abidjan, et qui a concerné plus de 500 artistes.
Je signalerai également l'ouverture et l'entretien des centres de lecture et d'animation culturelle en milieu rural, un programme pour lequel j'éprouve un attachement particulier. Ceux qui, parmi vous, ont pu visiter de tels centres auront compris mon intérêt pour ces petites unités, autonomes et pluridisciplinaires, qui viennent porter la ressource au plus profond de ces sociétés où le contact avec l'information est encore bien difficile.
Un vaste secteur de la coopération francophone touche l'audiovisuel et le multimédia. La Francophonie a sa télévision, TV5. Elle mène une action primordiale pour soutenir la production audiovisuelle dans les pays du Sud. Elle a identifié les autoroutes de l'information comme un domaine où elle jouait son avenir, tout simplement parce qu'Internet n'est pas un luxe superflu réservé à la fraction privilégiée des sociétés occidentales, mais un véritable instrument au service du développement, par lequel les francophones pourront échanger contenus et savoir-faire.
J'arrêterai là le catalogue. Il suffit à mes yeux de démontrer que partout où il est question de culture, la Francophonie doit apporter sa contribution. C'est une évidence pour les grands enjeux, le cinéma, la télévision, les inforoutes. Mais c'est vrai aussi, et peut-être surtout, pour tous ces projets de moindre ampleur, ici une radio rurale, là une bibliothèque, qui, loin des grands discours et des campagnes médiatiques, manifestent et entretiennent une francophonie bien vivante, une Francophonie de coeur et de proximité.
De cette complicité de sang entre la Francophonie et les cultures, que peut-on retenir pour guider notre action ?
Deux choses, je crois. La première est qu'il y a une convergence évidente d'intérêts entre nos institutions. Sans doute les dissemblances semblent l'emporter, au moins en apparence, ne serait-ce que le volume et le champ géographique de notre action. Mais, dans les faits, nos objectifs coïncident, et bien souvent ce que l'UNESCO ou la Francophonie ne font pas, personne ne le fera. Nous avons hélas un compagnonnage certain dans la défense de nos budgets qui, en période d'austérité, prêtent le plus le flanc à des mesures d'économies. Et enfin -mais faut-il le rappeler ? - la Francophonie, comme l'UNESCO, suscitent la même tendresse particulière de la France, qui leur montre son attachement par ses contributions humaines, financières et de toute autre nature.
Aussi faut-il continuer à prôner, c'est ce que nous faisons de notre côté, la coordination des actions que nous entreprenons. On n'en fera jamais assez pour éviter le gaspillage des ressources rares que les gouvernements consacrent à la culture.
Parmi les acteurs de cette concertation, je voudrais aussi en appeler à l'un des derniers-nés, la communauté des Etats de langue portugaise. Avant même que celle-ci n'ait mis en place ses structures, l'année dernière, francophones et lusophones s'étaient retrouvés cote à cote en de multiples circonstances, par exemple en 1995 pour voter la résolution sur le multilinguisme aux Nations unies. Trois Etats participent aux réunions des deux institutions, le Cap-Vert, la Guinée Bissau et Saint-Thomas et Prince. Les passerelles ne manquent donc pas entre nous et je ne verrais que des avantages à ce que s'instaure maintenant un véritable dialogue. Et cette coordination s'étendra un jour aussi, n'en doutons pas, aux pays de langue espagnole, dans la perspective, sans doute proche, d'une communauté d'un milliard de personnes parlant une langue d'origine latine, dont les causes partagées vont se multiplier.
La connivence intime entre la Francophonie et les cultures m'amène à une seconde observation. En liant étroitement leurs destins elles se condamnent au même dynamisme. La défense de la langue demeure un aspect fondamental de la Francophonie, qui a plus que jamais besoin de gardiens, d'instruments juridiques et sans doute de censeurs. Je ne crois pas que ce soit une grande victoire pour l'anglais que la reconnaissance officielle, aux Etats-Unis, de la langue dégénérée des banlieues de Californie, l'ebonics. L'aspect linguistique est donc essentiel, mais n'assimiler la Francophonie qu'à cela serait vraiment faire preuve d'une vision trop étriquée.
La Francophonie a besoin d'autres champs d'activité et d'autres espaces. On s'aperçoit enfin, ou plutôt on redécouvre, que là où font défaut la culture et ses valeurs, le respect d'autrui et son écoute, l'intolérance n'est pas loin. On le constate dans les relations internationales, mais on le constate aussi dans les structures de base de la société, la famille, l'école, le quartier, l'entreprise qui a aussi sa "culture", c'est à dire ses traditions, ses mécanismes propres, son identité, enfin, qui n'est pas seulement déterminée par les facteurs financiers et comptables.
Il en est de même pour la Francophonie, qui a investi progressivement certains secteurs de coopération multilatérale dans lesquels elle estimait avoir une valeur ajoutée. C'est le cas du droit, avec l'activité d'une très dynamique délégation à la coopération juridique et judiciaire au sein de l'Agence de la Francophonie. C'est le cas des Droits de l'Homme : la Francophonie a beaucoup à faire pour contribuer à la diffusion, en langue française, de la documentation pertinente et pour favoriser la recherche et la publication de productions originales. Elle était aussi présente à la conférence de Pékin sur les femmes, pour favoriser la concertation et le travail des délégations francophones. C'est aussi le cas pour l'environnement. La Francophonie était représentée à la conférence de Rio. Elle collabore aux réunions de suivi, et une résolution sur le développement durable est actuellement envisagée dans la perspective du Sommet de Hanoï.
Ce ne sont là que quelques exemples, et j'aurais pu en citer d'autres, ce qui pose d'ailleurs le problème de la sélection des priorités. Vous savez que la prochaine conférence des chefs d'Etat, à la fin de l'année, élira pour la première fois un Secrétaire général de la Francophonie, qui sera le représentant politique et le porte-parole de toute la communauté. Ce sera là une des tâches sur lesquelles il aura à se pencher dès sa prise de fonctions.
La Francophonie a aussi besoin de nouveaux espaces. Le Sommet du Vietnam, dans huit mois, va faire la démonstration que notre communauté peut se sentir chez elle au coeur même d'un continent en pleine mutation. Comme je le soulignais tout à l'heure, nous nous apprêtons par ailleurs à accueillir d'autres candidatures au sein de la communauté. Je n'en dirai rien de plus car il s'agit d'une procédure spécifique, qui se conclut par une admission où l'unanimité des membres est requise, mais c'est incontestablement un signe de dynamisme.
Enfin, il faudra que nous nous penchions rapidement sur la manière d'associer tous les francophones répartis dans le monde et résidant dans des pays qui ne peuvent prétendre rejoindre la conférence. J'ai bien sûr en tête la Louisiane, le Val d'Aoste, ou Pondichéry, mais il existe également des communautés d'importance numérique plus modeste. Il faut à la fois respecter les règles constitutionnelles des Etats dans lesquels elles vivent, mais aussi leur apporter l'aide ou la solidarité qu'elles peuvent attendre d'une Francophonie à la vocation universelle.
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Il est clair que c'est un message optimiste que je souhaitais vous apporter. Des sujets d'inquiétude demeurent pour la Francophonie, c'est évident. Dans plusieurs domaines, dans plusieurs pays, on recense depuis longtemps des signes tangibles de recul de la langue française que je ne veux ni oublier, ni occulter.
Mais je me fie aussi à ce que l'on constate dans le domaine culturel. Alors que l'on redoutait tant un certain impérialisme d'une forme nouvelle, cette crainte a provoqué, par réaction, des prises de conscience, des mobilisations d'une ampleur inégalée.
C'est ce qui se passe, aussi, dans le domaine de la langue. Cultures et Francophonie, en même temps qu'elles s'alimentent réciproquement, se lient et se coalisent pour être présentes partout où on a besoin d'elles. C'est à dire partout où se trouve l'Homme./.