Interview de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, "Le Figaro" le 28 octobre 2002, sur le projet de résolution des Etats-Unis à l'ONU concernant les inspections et le recours à la force en Irak.

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Texte intégral

Q - Les Etats-Unis ont présenté un projet de résolution sur l'Iraq qui ne satisfait pas la France. Quelles modifications souhaitez-vous obtenir ?
R - La discussion porte sur le régime des inspections et la question du recours à la force. Nous avons obtenu un accord sur l'idée d'une démarche en deux temps. Dans un premier temps, le Conseil de sécurité doit définir les arrangements pratiques permettant l'envoi des inspecteurs en Iraq. Dans un deuxième temps, si Bagdad ne satisfaisait pas à ses obligations, le Conseil de sécurité serait alors saisi à nouveau sur la base des rapports des inspecteurs des Nations unies.
Dès lors que nous sommes d'accord avec les Américains et l'ensemble de nos partenaires sur cette approche, il faut que le texte présenté par les Etats-Unis ne contienne pas d'autres mécanismes qui contourneraient le dispositif prévu.
Q - Le texte américain fait déjà état de "violations patentes" de la part de l'Iraq, sans attendre le rapport des inspecteurs. En évoquant dans le même paragraphe des "conséquences graves" - ce qui en jargon diplomatique équivaut au recours à la force -, le texte américain n'ouvre-t-il pas la voie à l'automaticité que vous cherchez à écarter ?
R - Il faut dissiper toute ambiguïté. Nous n'avons évidemment pas d'objection à ce que ce texte constate les manquements passés de l'Iraq. Mais il doit surtout prendre en compte la situation nouvelle que créera le retour des inspecteurs et préciser les obligations qui en découlent pour l'Iraq. C'est bien le respect de ces obligations qui est au coeur de la nouvelle résolution et qu'il faut désormais garantir. Si l'Iraq décide de s'y soustraire, le Conseil de sécurité devra à nouveau se réunir et tirer les conclusions nécessaires. Dès lors que cette logique est acceptée, il faut s'y tenir : on ne peut avoir à la fois une démarche en deux temps et un chèque en blanc qui pourrait justifier à tout moment une action unilatérale.
Q - Le texte américain ne répond donc pas à vos exigences ?
R - En l'état et pour les raisons que je viens d'indiquer, il comporte des éléments contradictoires. Il y a donc du travail à faire. Nous voulons aller de l'avant, en nous concentrant sur l'essentiel : mettre au point un régime rigoureux d'inspection et définir des mécanismes clairs encadrant un éventuel recours à la force.
Q - La France va-t-elle présenter un texte différent de celui des Américains ?
R - Nous travaillons actuellement sur la base du texte américain en présentant naturellement des amendements. D'ailleurs, nous avons fait circuler un document qui fait la synthèse de nos propositions. Notre objectif maintenant est double : conclure rapidement et le faire sur la base d'un consensus aussi large que possible au sein du Conseil de sécurité.
C'est pourquoi j'ai proposé une réunion au niveau ministériel du Conseil de sécurité pour lever les derniers blocages. J'ai évoqué cette idée avec plusieurs de mes collègues y compris Colin Powell qui l'ont bien accueillie.
Q - Si les Etats-Unis mettent leur texte au vote, la France ira-t-elle si nécessaire jusqu'à opposer son veto ?
R - La France, depuis le début, a adopté une position claire en indiquant que nous ne donnerons pas notre accord à un texte qui ne respecterait pas les principes que nous défendons. Mais je crois que nous pouvons parvenir à une résolution acceptable pour tout le monde.
Q - Pensez-vous qu'un consensus est possible ?
Pour nous ce qui est important c'est que le Conseil de sécurité puisse être saisi à chaque étape du processus. La responsabilité collective ne se délègue pas. L'action de la communauté internationale doit être fondée à la fois sur une certaine idée de la morale et une certaine idée de la légalité internationale.
Cette action, nous devons l'ancrer dans les trois principes complémentaires d'unité, de légitimité et d'efficacité : pour être efficace aujourd'hui mais aussi dans la durée, notre action doit bénéficier d'une légitimité incontestable aux yeux de tous, ce qui suppose qu'elle fasse l'objet d'un consensus au sein de la communauté internationale. Ce consensus n'est pas un prétexte à l'inaction, il est au contraire la condition d'une action réellement efficace.
Q - La France ne risque-t-elle pas d'apparaître, aux Etats-Unis notamment, comme le pays qui fait obstacle à une action en Iraq ?
R - L'enjeu ce n'est pas la relation entre la France et les Etats-Unis. Elle est excellente. Nous travaillons dans un esprit de solidarité et de coopération. Les idées que nous défendons bénéficient d'un très large soutien comme l'a montré le débat récent au Conseil de sécurité. L'enjeu de cette résolution, c'est l'attitude de la communauté internationale face à une crise, en l'occurrence la crise iraquienne, et c'est sa capacité à y répondre. C'est un enjeu très important, au-delà même de l'Iraq.
Q - A travers cette bataille à propos d'une résolution sur l'Iraq c'est donc le système de sécurité collective qui selon vous est en jeu ?
R - Distinguons bien les choses. Nous sommes mobilisés aujourd'hui pour apporter une réponse à la crise iraquienne ; c'est là l'urgence. Pouvoir y répondre collectivement est également une exigence essentielle. Il est de l'intérêt de tous y compris des Etats-Unis de parvenir à une résolution qui marque l'adhésion de toute la communauté internationale. C'est le principe même de la sécurité et de la responsabilité collective qui est en jeu. Nous devons être de plus en plus déterminés mais aussi de plus en plus solidaires. J'ajoute que l'usage de la force ne peut constituer qu'un ultime recours. Elle ne peut à elle seule assurer la paix ni même la sécurité. On le voit bien au Proche-Orient. Il faut une perspective politique, une vision du monde qui mobilisent et rassemblent toutes les énergies. Depuis le début de l'année, il y a un mouvement en profondeur du monde arabe qui s'est exprimé à travers l'initiative saoudienne sur le Proche Orient, reprise par le Sommet arabe de Beyrouth. Aujourd'hui face aux menaces qui s'accumulent, le terrorisme, la prolifération, l'intégrisme, il faut une réponse globale, une réponse collective, fondée sur des valeurs et des règles communes. La tolérance et le dialogue représentent nos meilleures armes contre le fanatisme, pour assurer durablement la stabilité du monde. Il ne faut pas céder à la spirale de la peur ni à la violence qui ne peut qu'accroître l'incompréhension entre les peuples et multiplier les fractures.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 octobre 2002)