Interview de Mme Marie-George Buffet, secrétaire nationale du PCF, à LCI le 5 septembre 2002, sur le bilan de la participation communiste au gouvernement, sur la capacité du PCF à redevenir une "force communiste autonome" pouvant être "un élément du rassemblement dans la riposte à la droite", sur ses propositions au niveau européen et sur la situation propre du PCF.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser - Vous n'avez pas attendu la Fête de l'Humanité pour faire votre rentrée politique. Une rentrée que vous voulez combative contre le Gouvernement. Vous avez du grain à moudre !
- "Oui, je crois qu'il a un besoin de beaucoup réagir sur les décisions qui sont prises par ce Gouvernement. Il mène une politique de droite. Ce n'est pas une surprise, mais je crois que la gauche a besoin de se réveiller. A la fois, il faut qu'elle mène un débat sur les causes de son échec, mais il faut aussi qu'elle soit capable d'être présente pour les ripostes nécessaires."
Ce débat est terminé au Parti communiste ? On a vu une conférence nationale assez dure, fin juin. Et maintenant ?
- "Le débat ne fait que commencer. Nous préparons maintenant un congrès qui aura lieu au mois d'avril 2003. Nous allons avoir beaucoup d'initiatives permettant le débat. Un débat entre communistes, mais aussi un débat ouvert, avec tous ceux et toutes celles qui sont nos électeurs, ou qui nous ont quitté ces dernières années, pour comprendre pourquoi, ce qu'ils attendent du Parti communiste aujourd'hui. Nous sommes au début du débat. Le pari est difficile. Les solutions ne sont pas évidentes. Il faut donc prendre le temps de bien écouter."
Ce débat, vous auriez dû le mener pendant que vous étiez au pouvoir, parce que finalement, il y a une chose que vous dites et que vous répétez, c'est "qu'on ne vous y reprendra pas"...

- "Je ne dis pas ça. Je pense qu'en 1997, nous avons pris la décision qui était juste. Nous ne sommes pas un parti qui dit simplement "non", mais nous sommes aussi un parti qui peut prendre ses responsabilités, pour améliorer la vie des gens, y compris au gouvernement. Par contre, je m'interroge beaucoup sur la gestion que nous avons eue de notre participation au gouvernement, de notre présence au sein de la majorité plurielle. Je me reproche, moi-même en tant que ministre - je me sens responsable - de ne avoir pas assez saisi les habitants des problèmes que je rencontrais, des blocages et de l'évolution des positions du Gouvernement, sur la diminution des dépenses publiques, sur le fait que jeudi après jeudi, à la réunion des ministres, le blocage sur le respect du Pacte de stabilité et de ne pas augmenter les dépenses publiques ne nous permettait pas d'aller au bout des réformes. Et puis je me dis que je n'ai pas suffisamment entendu les insatisfactions qui s'exprimaient. J'entendais les mécontentements, mais je n'en ai pas pris la pleine mesure. Cela me fait beaucoup réfléchir sur le lien que nous avons, réel, avec les hommes et les femmes qui nous entourent."

En clair, vous auriez dû démissionner et vous regrettez de ne pas l'avoir fait à un moment donné ?
- "Peut-être aurait-il eu fallu le faire à un moment donné. Mais c'est toujours facile de refaire l'histoire. Essayons plutôt de nous poser la question : maintenant, que devons-nous faire pour redevenir une force communiste autonome, en capacité de développer son propre projet et puis en capacité également d'être un élément du rassemblement dans la riposte à la droite, mais aussi dans la construction d'une véritable alternative à cette politique de droite ?"
Quand vous dites "rassemblement", c'est un rassemblement avec qui ?
- "Je pense qu'il faut travailler avec l'ensemble des forces de progrès, toutes les organisations de gauche bien évidemment et donc avec le Parti socialiste, même si nous avons aussi des points de différences, des points où nous ne sommes pas d'accord et peut-être même sur les raisons de l'échec de la gauche. Et il faut aussi travailler aussi énormément avec toutes ces femmes et ces hommes qui se sont engagés sur le plan syndical ou associatif et qui ont des choses à dire."
C'est le même raisonnement que F. Hollande ?
- "Non, parce que F. Hollande dit qu'il faut faire une organisation, un parti unique, où on va mettre tout le monde, dans une sorte de consensus. Je crois qu'il faut travailler dans le respect de l'autonomie de chacun et dans le respect du rôle de chacun. Les syndicats n'ont pas le même rôle que les partis politiques. Je pense que la politique a besoin de se nourrir de la réflexion de toutes ces organisations progressistes."
Comment allez-vous retrouver non seulement vos électeurs, mais aussi ceux qui ne sont pas allés voter ni aux municipales ni aux législatives ?
- "Il faut peut-être entendre ce qu'ils ont dit aux législatives, de façon parfois très dure mais réelle. Ils nous ont dit : "Vous êtes devenu trop un parti comme les autres ; vous nous avez quitté, nous, le monde du travail ; vous vous êtes éloignés de nous". Une femme m'a dit dans une rencontre : "Redevenez le parti de terrain et le parti qui était capable de nous faire rêver". C'est à tout cela qu'il faut que nous travaillions. C'est-à-dire peut-être être plus de nouveau un parti de révolte et d'indignation, mais aussi de propositions immédiates et concrètes, mais également un parti qui est capable de parler de la société qu'il veut porter, de la conception des individus qu'il a, de la démocratie, de la dignité, de la lutte contre les inégalités et les injustices."
On peut faire rêver aujourd'hui ?
- "Je crois qu'on a besoin de redonner à la politique tout son sens, qu'on a trop mené une politique du renoncement. On a trop expliqué qu'on ne pouvait pas changer les choses, que c'était impossible compte tenu de l'Europe, de la mondialisation, des contraintes économiques. Je pense que le politique a le devoir de présenter, quelque part, un espoir pour un avenir - c'était une belle expression à une époque - un peu meilleur."

Vous parlez d'Europe et de mondialisation justement. Aujourd'hui, c'est à ce niveau-là qu'il faut agir, tout le monde le dit. Alors vous, comment allez-vous agir ?
- "Je pense qu'en effet après s'être battu pour le "non" au traité de Maastricht, nous avons trop abandonné le terrain de la construction européenne..."
Elle est là et elle existe...
- "Dans un an, dix nouveaux pays vous venir nous rejoindre dans l'Union européenne. Que faisons-nous ? Est-ce que nous disons qu'on les accueille avec plaisir et nous allons nous battre pour que l'Europe ne soit pas tirée vers le bas mais, au contraire, que ces pays bénéficient des acquis sociaux et des acquis du développement économique des pays qui sont déjà membres de l'Union ? Ou est-ce que, comme certains, nous faisons semblant de ne pas voir arriver ces dix pays et nous essayons de nous replier sur un isolement, en disant qu'on ne veut pas voir qu'il y a de la misère à côté, qu'il y a des difficultés à côté ? Je crois qu'on a une belle bataille à mener au niveau de la construction européenne, pour faire en sorte que ce soit l'Europe du bien être social. Je pense qu'en 2004, il ne faut pas simplement modifier le traité qui constitue la base de l'Europe, mais il faut refaire un nouveau traité qui nous permette réellement de faire une Europe démocratique et une Europe sociale."
Le Parti communiste est tenté par le repli ?
- "Non, je crois qu'il faut résolument nous tourner..."
"Vous croyez", mais autour de vous ?
- "Aujourd'hui, les communistes vont vraiment investir ce terrain de l'Europe. Ils sont déjà en train d'investir le terrain pour une autre mondialisation. Ils étaient très nombreux à Johannesburg pour participer au Sommet et ils vont rentrer et beaucoup travailler pour faire connaître le combat nécessaire, pour qu'enfin on protège notre planète et surtout l'ensemble des peuples de la famine ou du Sida."
Pour en revenir au Parti communiste : la Fête de l'Humanité est traditionnellement une source de revenus pour le PC. Vous avez lancé une souscription. Est-ce que les caisses se sont remplies ?
- "Bien sûr, on a eu une réponse extraordinaire. On a reçu énormément de dons, souvent de gens qui ont collecté autour d'eux et qui nous envoient plusieurs chèques. Mais cela n'est pas suffisant, puisque nous n'avons pas été remboursés de la campagne de la présidentielle. Nous avons perdu de nombreux députés..."
Vous avez dû licencier du monde...
- "Nous avons dû avoir un plan social. Nous essayons biens sûr que chaque camarade puisse retrouver un emploi. Nous allons aller au bout de cette démarche. Il va falloir faire encore des économies et donc, nous avons besoin d'une grande participation à la Fête de l'Humanité, pour que le journal l'Humanité vive et puis pour que les sections aient les moyens aussi de fonctionner dans les mois à venir. On a besoin d'une force communiste bien vivante pour faire face à cette droite."
Comment allez-vous faire vivre ce bicéphalisme au Parti communiste ? On n'a pas entendu R. Hue depuis les vacances. Il va revenir sur le devant de la scène ?
- "J'ai encore rencontré Robert, hier. Nous avons travaillé ensemble. Il sera à la Fête de l'Huma où il va intervenir. Et nous allons normalement chacun assumer nos responsabilités."
Vous allez partager les tâches ?
- "Oui. Je crois que dans la situation dans laquelle on est, il vaut mieux être plusieurs que tout seul. Nous allons faire en sorte de mener ensemble, avec les autres camarades de la direction, la construction et les réponses à travers ce débat pour le progrès."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 septembre 2002)