Interview de M. Denis Kessler, vice-président délégué du MEDEF à LCI le 4 octobre 1999, sur la deuxième loi sur les 35 heures, le dialogue social, le respect de la négociation sur les accords de branche, le calendrier des allégements de charges et le rassemblement des patrons à la Porte de Versailles.

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Texte intégral

DENIS KESSLER : Bonsoir.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Vous arrivez tout droit, si je puis dire, de la Porte de Versailles puisque vous êtes vice-président du MEDEF et que vous avez joué monsieur loyal, cet après-midi, puisque c'est vous qui animiez, autour du président Ernest-Antoine Seillière, le rassemblement des patrons à la Porte de Versailles contre les 35 heures. Alors d'abord, peut-être, est-ce un symbole ? Est-ce que ce n'est pas un symbole malheureux les patrons à la Porte de Versailles, la CGT à la République ?
DENIS KESSLER : Nous ne l'avons pas souhaité. Mais d'abord, permettez-moi de dire que ce rassemblement avec 30 000 décideurs économiques, responsables d'entreprises, des gens qui ont à la fois des ateliers, qui sont des artisans, qui ont des PME et qui ont des grandes entreprises, à la fois de Paris et de l'ensemble des régions françaises, c'est assez extraordinaire. Ca fait des décennies qu'on n'a pas vu ça.
PIERRE-LUC SEGUILLON : On n'a pas vu ça depuis 1982, c'est ça ?
DENIS KESSLER : En 1982. Mais même à ce niveau-là, nous étions à l'époque plus nombreux et plus déterminés.
PIERRE-LUC SEGUILLON : A cette époque, vous manifestiez contre les lois Auroux, contre la politique de Pierre Mauroy ?
DENIS KESSLER : Nous manifestions à l'époque déjà contre des tas de décisions sur lesquelles on est revenu puisqu'à l'époque, je vous rappelle par exemple, que c'était les nationalisations. Les nationalisations sur lesquelles, comme vous le savez, les gouvernements successifs, dont celui-ci d'ailleurs, a dû revenir. Donc c'était une formidable réunion avec beaucoup d'énergie, beaucoup de détermination, et je crois, nous avons, là, montré que, vraiment, cette seconde loi des 35 heures ne passe pas dans le pays, ne passe dans le monde de l'entreprise, que cette loi est une erreur, que c'est une faute. Et nous l'avons dit ça quand ? La veille du débat parlementaire. C'est vraiment quelque chose qui avait beaucoup, beaucoup, beaucoup de force.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Alors vous dites, la loi ne passe pas mais néanmoins, elle va être probablement votée à l'Assemblée Nationale. Est-ce que ce n'était pas, d'une certaine manière, un baroud d'honneur ? Et est-ce que ce n'était pas finalement la fin d'une guerre que vous avez mené depuis deux ans ? 10 octobre 1997, c'est la fameuse conférence sur les salaires, l'emploi et la réduction du temps de travail. On se souvient du départ de monsieur Gandois. Une guerre que vous avez mené contre les 35 heures, et finalement les 35 heures elles se mettent progressivement en place, même si vous rassemblez 30 000 personnes à la Porte de Versailles.
DENIS KESSLER : Non, non, non, non, non. Attendez, attendez. Pour le moment, quand on dit les 35 heures se mettent en place, ceci est faux. Quand vous regardez les statistiques, il y a 1 % des entreprises seulement qui aujourd'hui ont un accord d'application des 35 heures. 1% des entreprises.
PIERRE-LUC SEGUILLON : 15 000 accords d'entreprises, vous contestez ?
DENIS KESSLER : Mais 15 000 accords d'entreprises sur 1,2 million entreprises ! C'est-à-dire que ceci est ridicule ! Lorsqu'on regarde le nombre de salariés couverts par ces 15 000 accords, c'est à peu près 10 % seulement des salariés potentiellement concernés. Seulement 10 %. Et donc, soyons réalistes, pour le moment les 35 heures ne sont pas rentrées dans la réalité française, ne sont pas rentrées dans les entreprises. Et toute la croissance économique, qui est bienvenue, correspond à un monde dans lequel les Français travaillent 39 heures. Donc, quand on me dit, les 35 heures sont rentrées dans la réalité, ceci est faux. Ce qui était déjà fait...
PIERRE-LUC SEGUILLON : ... A l'inverse, quand vous dites, ça va être l'apocalypse, l'écroulement de l'emploi, la faillite des entreprises, c'est aussi faux parce que la loi n'est, je reprends votre argumentation, qu'à son tout début.
DENIS KESSLER : Attendez. Ce qui va se passer c'est dans les années qui viennent, bien entendu. Pour le moment, vous avez bien vu, que cette loi d'ailleurs était tellement peu applicable, qu'il y a tellement peu d'entreprise qui s'y sont intéressé, qu'il a fallu trouver un arrangement et de reporter d'un an cette date d'application au 1er janvier de l'an 2001. Elle rentrera après seulement en 2003 pour les petites entreprises.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Ce n'est pas vous qui étiez partisan de cette période de transition ?
DENIS KESSLER : Mais oui. Mais nous étions partisans, mais c'est la réalité. Ce n'est pas qu'on l'ait demandé. C'était impensable que dans trois ou quatre mois il y ait 99 % des entreprises qui, aujourd'hui, n'ont rien signé, qui le fassent. Ca prend du temps, il faut négocier, regarder, trouver des solutions et donc les effets des 35 heures, ce n'est pas aujourd'hui qu'on les voit. La croissance aujourd'hui et l'emploi que l'on crée, 560 000 emplois créés au cours de ces deux dernières années. C'est une économie dans laquelle on travaille 39 heures. Les effets des 35 heures, si on poursuit cette voie absurde de réduction obligatoire du temps de travail, eh bien les effets négatifs on les verra quand ? En 2003, 2004, 2005 ? C'est là où on verra.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Alors, vous jouez les Cassandre. On va revenir sur ces 35 heures. Mais on a quand même eu l'impression, dans cette croisade qu'Ernest-Antoine Seillière mène depuis deux ans, en parcourant la France, vous aussi d'ailleurs je crois, vous multipliez les réunions en province, qu'en réalité, votre objet est davantage politique. C'est-à-dire redonner une assise au CNPF, l'ex-CNPF, le MEDEF auprès des petites et moyennes entreprises en cultivant une réaction un peu poujadiste de leur part.
DENIS KESSLER : C'est exactement le contraire. On nous a dit, il y a deux ans : le CNPF ne représente plus rien, il est illégitime, il n'est plus représentatif, souvenez-vous la campagne que l'on a eu après la fâcheuse journée du 10 octobre....
PIERRE-LUC SEGUILLON :... C'est vous-même qui vous posiez la question ?
DENIS KESSLER : Nous avons décidé, regardez, nous avons démontré, nous avons créé un nouveau mouvement, le MEDEF, il y a moins d'un an à Strasbourg et nous avons décidé de montrer notre représentativité. La représentativité, c'est que nous représentons l'ensemble des entreprises de France, notamment les petites, les moyennes, de tout secteur, celles qui viennent d'être créées, celles qui sont un peu plus anciennes, celles qui exportent, celles qui sont dans les secteurs technologiquement porteurs ou dans les secteurs, au contraire, en difficulté.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Il y avait les artisans qui n'étaient pas avec vous aujourd'hui...
DENIS KESSLER :... Les artisans étaient là, l'Union patronale artisanale n'était pas là, mais les artisans étaient là. Aujourd'hui, nous avons démontré quelque chose de formidable : c'est qu'effectivement les entrepreneurs de France, les entrepreneurs de terrain, eh bien ils se reconnaissent dans notre organisation. Ils étaient là, ils étaient là avec plein d'énergie et ils étaient là pour dire au gouvernement : attention, la voie que vous nous proposez, à nous et à nos salariés, à l'ensemble des entreprises françaises, est une voie sans issue. J'espère que ce message a été entendu.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Alors précisément, vous espérez que ce message a été entendu, c'est toute la question de la discussion entre vous, les rapports entre vous et le gouvernement, et plus particulièrement madame Aubry qu'Ernest-Antoine Seillière a fait tout à l'heure siffler à la tribune, je ne me trompe pas.
DENIS KESSLER : Ernest-Antoine Seillière, j'étais là monsieur Séguillon, n'a pas fait siffler.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Il a fait en sorte ...
DENIS KESSLER : Pas du tout, pas du tout, pas du tout. Spontanément, ce n'était pas prévu, les gens qui étaient là ont manifesté à l'évocation du nom de madame Aubry.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Et monsieur Seillière a dit, madame Aubry nous ignore. Alors la semaine dernière, moi j'avais ici madame Aubry. Madame Aubry qui est ministre de l'Emploi et de la Solidarité, et qui disait : c'est très curieux, j'allais dire le CNPF pardonnez-moi, le MEDEF quand ils sont dans mon bureau ils tiennent un discours, et quand ils sont sur les tribunes, ils tiennent un autre discours. Quand ils sont dans mon bureau, on discute, quand ils sortent de mon bureau, ils déclarent qu'on ne peut pas discuter avec le gouvernement.
DENIS KESSLER : Attendez, attendez. Là vous avez dit quelque chose d'extrêmement important. Quels sont nos interlocuteurs en matière de relation sociale, de relation salariale, d'aménagement du temps de travail, de réduction du temps de travail ? Qui sont nos interlocuteurs ? Nos interlocuteurs naturels ce sont les syndicats. Ce sont les syndicats de nos branches, ce sont les syndicats dans nos entreprises. C'est eux qui vont être concernés par les mesures qui sont prises, c'est eux qui sont nos partenaires, c'est eux qui sont directement concernés. Et donc qu'est-ce que nous avons fait depuis deux ans, à l'invitation d'ailleurs à l'époque du gouvernement ? Nous sommes allés dans 117 branches professionnelles négocier des accords avec nos interlocuteurs syndicaux, que nous respectons et qui sont représentatifs, pour leur dire : voilà comment nous allons introduire les 35 heures dans nos branches. C'est ce que nous avons fait, nous avons 117 accords. Qu'est-ce qu'a fait madame Aubry ? Elle a décidé, dans cette seconde loi, d'annuler ces 117 accords, de ne pas les reconnaître.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Dans la mesure où certains contredisaient même le code du Travail.
DENIS KESSLER : Mais comment peut-on contredire la loi qui n'a pas encore été votée ? On nous a dit, il y a deux ans, faites des accords la seconde loi en tiendra compte. Deux ans plus tard nous avons fait des accords, nous avons fait des accords avec tous nos partenaires syndicaux, avec la CGC, avec la CFDT, avec FO, la CFTC et la CGT. Ces accords sont signés, l'encre n'est même pas sèche, qu'à l'heure actuelle on trousse une seconde loi, ex-poste, ex-poste monsieur Séguillon.
PIERRE-LUC SEGUILLON : On trousse ... on discute.
DENIS KESSLER : On trousse une seconde loi, pas du tout. On ne discute pas la loi, la loi n'est pas discutée.
PIERRE-LUC SEGUILLON : C'est les parlementaires qui discutent la loi.
DENIS KESSLER : Je l'ai dit. Le drame, c'est qu'on fait intervenir la loi dans un domaine qui n'est pas celui de la loi. Dans les autres pays, les questions qu'on évoque ... Prenons le cas de l'Allemagne, prenons le cas de l'Italie, prenons le cas de l'Angleterre ou celui des Pays-Bas, dans ces pays-là, ce qui concerne la relation entre les employeurs et les salariés, ça se fait au niveau des partenaire sociaux. Nous sommes le seul pays, il faut le dire aux Français, dans lequel on fait intervenir la loi dans un domaine où a priori c'est l'accord, c'est la convention.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Pourquoi est-ce qu'on fait intervenir la loi ? Si j'ai bien compris le raisonnement de madame Aubry, c'est que précisément quand on ne faisait pas intervenir la loi, on était le seul pays où il n'y avait pas de discussion, il n'y avait de négociations entre les partenaires sociaux, pas de dialogue social.
DENIS KESSLER : Mais non monsieur Séguillon, ceci ça nous fait doucement rigoler. Enfin, il faut dire la vérité. Dans le secteur concurrentiel, le secteur que nous représentons, il y a un dialogue social qui se traduit bon an mal an par de l'ordre de 17 000 accords au niveau des entreprises et des branches. Il y a une situation dans laquelle jamais...
PIERRE-LUC SEGUILLON : Franchement, Denis Kessler vous connaissez bien les relations sociales. Vous pouvez dire très franchement qu'il y a deux ans le dialogue social était satisfaisant dans ce pays.
DENIS KESSLER : Attendez, où est-ce qu'il ne marche pas le dialogue social ? On l'a dit aujourd'hui, c'est relativement clair, c'est dans le secteur public : 80 % d'augmentation du nombre de conflits dans le secteur public, il y a 25 % des salariés dans le secteur public qui représentent 66 % des jours de grève aujourd'hui. Alors oui, le dialogue social ne marche pas. Où ? Là où l'Etat est employeur. Et c'est pour ça que pour la totalité des entreprises françaises, quand on voit un Etat employeur aussi pitoyable dans lequel effectivement ce n'est que conflits, ce n'est que grèves, ce n'est que difficultés, d'aller nous donner des leçons dans le secteur industriel alors même que les jours de grève ont diminué de 20 % en l'espace d'un an. Ecoutez, le dialogue c'est nous qui le portons.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Je voudrais qu'on s'arrête un instant et qu'on écoute ce que disait madame Aubry. Vous allez ce que vous en pensez. Martine Aubry sur LCI mercredi dernier MARTINE AUBRY : Eh bien moi je regrette qu'on ne puisse pas discuter plus.
PIERRE-LUC SEGUILLON : C'est votre fait ou celui de monsieur Seillière ? MARTINE AUBRY: Oh vous savez, ,je crois que les responsabilités... ce n'est pas uniquement avec moi, c'est avec le gouvernement dans son entier. Moi, je pense que les responsabilités sont toujours partagées. Je l'ai d'ailleurs dit à monsieur Seillière, je suis toujours prête à prendre la part de responsabilité qui me revient. Il y a eu peut-être des incompréhensions, c'est dommage. C'est dommage parce que je crois que si on souhaite bien défendre les entreprises, il faut pouvoir voir ceux qui prennent les décisions. Moi, ma porte est toujours ouverte, si c'est possible, ce soir, demain, ce discours et ce dialogue fructueux, je suis prête à l'engager.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Et alors Denis Kessler ?
DENIS KESSLER : Ecoutez, ça fait deux ans que l'on demande ce dialogue, ça fait deux ans que l'on dit effectivement : regardez les accords que nous avons signés, de grâce, respectez-les. Alors effectivement, nous sommes absolument désireux que madame Aubry annonce demain, et je pense que la situation deviendra infiniment plus sympathique qu'elle ne l'est actuellement. Nous sommes prêts à dire à madame Aubry : écoutez, dans la loi, respectez les accords entre les partenaires sociaux. Chiche, chiche ! Elle respectera à la fois les représentants des employeurs que nous sommes mais elle respectera aussi les représentants des syndicats de salariés. Oui, nous disons chiche ! que la seconde loi respecte les accords de branche. Après, on verra comment rentrer doucement dans la réalité des 35 heures, mais qu'elle le fasse. Nous disons une seconde chose, et là aussi nous sommes unanimes avec les syndicats de salariés : que madame Aubry ne finance pas les 35 heures en allant siphonner, pomper, prendre dans la caisse de l'Unedic, l'assurance chômage, de l'Arrco, l'Agirc, la retraite ou la Cnam, l'assurance maladie. Chiche, chiche...
PIERRE-LUC SEGUILLON : Ca c'est au moins un point sur lequel vous êtes d'accord avec les organisations syndicales ?
DENIS KESSLER :... Puisque madame Aubry dit qu'elle est prête à tout, à discuter de tout, qu'elle réponde à l'ensemble de partenaires sociaux, à l'ensemble des cinq syndicats et à nous : je ne prendrai pas d'argent dans la caisse des organismes de Sécurité sociale. Ce sera bon pour les Français et je pense que dans ce cas là nous verrons bien la volonté de dialogue du ministre de l'Emploi.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Alors, ça c'est un point sur lequel vous êtes effectivement d'accord avec les organisations syndicales. Mais en vous entendant et en entendant exprimer cette forte opposition aux 35 heures et à la loi telle qu'elle est, je me demande quelquefois si vous n'êtes pas en train de rendre un grand service à Lionel Jospin. Autrement dit, vous allez faire apparaître comme de gauche, une loi que précisément la gauche de Lionel Jospin conteste et veut durcir à l'Assemblée Nationale. Vous allez lui permettre de maintenir un certain équilibre.
DENIS KESSLER : Attendez, attendez, nous n'avons aucun contrôle de l'Assemblée Nationale. Nous avons justement regretté que l'on fasse....
PIERRE-LUC SEGUILLON : Justement si vous avez fait ce rassemblement c'est bien pour faire pression sur les élus ?
DENIS KESSLER : Nous avons justement regretté que ce domaine qui devrait rester celui des partenaires sociaux, soit devenu un domaine politique dans lequel on soumet aux parlementaires des choses fondamentales qui concernent la survie des entreprises françaises et qui concerne l'avenir du dialogue social. C'est ça, ce que nous pensons à l'heure actuelle.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Vous trouvez choquant que ce soit les parlementaires qui décident de la durée légale du travail dans ce pays ?
DENIS KESSLER : Attendez, pas uniquement la durée légale, des temps d'habillage et de déshabillage, de la pause casse-croûte, du repos compensateur, de la rémunération des heures supplémentaires.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Vous caricaturez un petit peu, là ?
DENIS KESSLER : Mais non, c'est ça la loi ! Lisez-là ! C'est une espèce de truc, une espèce d'usine à gaz... illisible ! Mais je dis, il faut être vraiment issu du ministère du Travail depuis vingt ans, avoir été allaité au biberon administratif pour pouvoir comprendre ce qu'il y a dans ce texte ! Comment voulez-vous qu'un entrepreneur de terrain avec cinq salariés, dix salariés, qui n'a pas de directeur des ressources humaines, commence à comprendre un texte que même les députés ne comprennent pas !
PIERRE-LUC SEGUILLON : Sans vouloir rentrer trop dans les détails, parce que c'est très compliqué, vous dites : il y a une forte contrainte. A la vérité, quand on regarde bien la loi, on est loin d'une date butoir maintenant, vous avez au moins jusqu'à 2004 !
DENIS KESSLER : Non. Pas du tout. Dans la loi, c'est le 1er janvier 2001 pour les plus de vingt salariés.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Oui, mais vous avez une année de transition, ensuite un délai pour les entreprises de moins de vingt salariés, et puis il n'y a pas d'obligation de passer aux 35 heures.
DENIS KESSLER : Si, à partir du 1er janvier de l'an 2001, pour toutes les entreprises de plus de vingt salariés, absolument. Et alors, qu'est-ce qui se passera à ce moment-là ?
PIERRE-LUC SEGUILLON : Mais vous avez les heures supplémentaires ?
DENIS KESSLER : Attendez, payer des heures supplémentaires... on ne pourra même plus travailler 39 heures.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Pendant la période de transition ?
DENIS KESSLER : Dans la loi qui nous est faite aujourd'hui, nous ne pouvons plus travailler demain 39 heures. Vous le savez. Il faut le dire aux Français. On ne pourra pas travailler 39 heures parce que le volume des heures supplémentaires au-delà de 35 heures, y compris pour les salariés qui souhaiteraient faire ces heures supplémentaires, on n'arrive plus à 39 heures. C'est ça ce que l'on appelle une loi contraignante. Plutôt que de définir un cadre général, elle est introduite dans un détail dans lequel effectivement on ne se retrouve plus sauf, qu'effectivement la liberté d'entreprendre, la liberté de travailler, est mise en question par cette loi, c'est ce que nous avons dit aujourd'hui.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Il y a une chose qui est apparu évidente en tout cas pour les salariés, c'est que de fait est institutionnalisée et régulée, à travers ce deuxième projet de loi, ce que l'on appelle la souplesse, ce que l'on appelait la flexibilité, annualisation, modulation des horaires, temps partiel... Ca, vous le reconnaissez quand même ?
DENIS KESSLER : Attendez, ce n'est pas comme ça que ça se pose. La loi ne pose pas le principe de la flexibilité...
PIERRE-LUC SEGUILLON : De fait ?
DENIS KESSLER : Qu'est-ce qu'ont compris les entreprises de cette loi ? Qu'on nous dise dans un premier temps : on donne les 35 heures...
PIERRE-LUC SEGUILLON : Une parenthèse, beaucoup de chefs d'entreprise, contrairement à ce que vous dites, ont compris puisqu'ils négocient.
DENIS KESSLER : Une fois encore je vous dis, ça concerne 15 000 entreprises sur 1,2 million. 15 000 d'entre elles et certaines d'entre elles sont allées parce qu'on avait mis beaucoup d'argent sur la table sous la forme de subventions que nous ne demandons pas. Alors, qu'est-ce qui se passe ?
PIERRE-LUC SEGUILLON : Ce sont des allégements de charges ?
DENIS KESSLER : Alors, attendez, les entreprises françaises ne sont plus dupes, vous savez. C'est ce que l'on appelle une espèce d'effet dans lequel on souhaiterait être remercié de l'argent qu'on nous rend, de l'argent qu'on nous a pris. Ca suffit !
PIERRE-LUC SEGUILLON : Il y a 110 milliards d'allégements de charges !
DENIS KESSLER : Mais on nous les prend ! D'où vient cet argent ? Ca vient de la taxation des heures supplémentaires, ça sort de la poche des entreprises et des salariés, ça vient d'une surtaxe sur les bénéfices, bien entendu, on rajoute aux taxes existantes, ça vient d'une écotaxe qu'on va introduire, qui va frapper la plupart des entreprises françaises ! Et je continue. Ca va évidemment concerner par exemple le siphonnage des fonds sociaux, la Cnam, l'Agirc, l'Arrco, l'Unedic, que sais-je encore ! Donc qu'on ce dise... On prend 107 milliards dans le monde des entreprises pour le rendre sous condition aux entreprises. Vous souhaiteriez qu'on dise merci. Mais enfin, qu'est-ce que c'est que cette économie administrée ! Nous disons clairement : pas d'aides, pas de prélèvements. Ca c'est clair. Après on nous dira : vous voyez, vous acceptez les aides de l'Etat. Nous n'en voulons pas. Pas de prélèvements, pas d'aides. C'est clair !
PIERRE-LUC SEGUILLON : Mais la flexibilité, vous reconnaissez...
DENIS KESSLER : Mais la flexibilité n'est pas introduite dans la loi monsieur Séguillon. On nous dit : vous passez aux 35 heures...
PIERRE-LUC SEGUILLON : ... Ce n'est pas la conséquence induite de cette loi...
DENIS KESSLER :... Mais la conséquence induite, c'est qu'on nous dit la chose suivante et là vraiment il faut être clair. On nous dit : les 35 heures s'appliquent par la loi. Et puis après, bien entendu, il faut que vous dégagiez des biens de productivité pour financer le surcoût des 35 heures. Comment le faire ? Introduisez la flexibilité. Mais nous, il faut qu'on se rasseye avec les organisations syndicales pour accoucher d'un accord et c'est cet accord qui va introduire la flexibilité. Non, nous sommes dans la situation de devoir, j'allais dire, se faire imposer les 35 heures par la loi puis de devoir racheter les gains de productivité pour compenser les coûts des 35 heures par un nouvel accord avec les syndicats. C'est quand même une situation ubuesque ! Et c'est la raison pour laquelle ne dites pas que cette loi introduit la flexibilité. Cette loi condamne les entreprises françaises à faire des accords pour dégager la flexibilité qui permet de financer par des gains de productivité le surcoût des 35 heures. Là encore une fois, on s'élève dans les airs en se tirant par les cheveux.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Alors comment expliquez-vous que la CGT et que d'autres organisations politiques ou syndicales redoutent cette introduction de la flexibilité et veulent durcir la loi pour éviter cette flexibilité.
DENIS KESSLER : Je crois que vous avez remarqué, sans doute, quand même, que les organisations syndicales, aujourd'hui, n'étaient pas dans la rue à l'exception d'une d'entre elles. La CGT dont l'essentiel des troupes, si vous me permettez, est plutôt dans le secteur public et non pas dans le secteur des économies concurrentielles que je représente.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Vous regrettez le manque de syndicalisation dans le secteur privé ?
DENIS KESSLER : Non, vous avez pu remarquer que les grandes centrales syndicales qui sont représentatives dans le secteur concurrentiel, dans le secteur des entreprises exposées à la concurrence... eh bien que ces grandes entreprises et ces grandes organisations syndicales n'ont pas appelé à manifester contre nous. Notre débat n'est pas avec les organisations syndicales, avec lesquelles nous avons signé ces accords. Non, notre débat, il est avec un gouvernement qui s'immisce dans les relations sociales, qui s'immisce dans le dialogue social au risque de le perturber. Et on en verra les conséquences dans les mois et dans les années qui viennent.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Alors, qu'est ce qui va se passer ? Là, vous avez fait ce grand rassemblement, il est réussi, vous étiez 25-30 000...
DENIS KESSLER : ... Formidable réussite, hein... formidable réussite...
PIERRE-LUC SEGUILLON :... Je vois que vous êtes assez fier...
DENIS KESSLER :...C'était formidable... Pas moi, tous ceux qui étaient là et ceux qui étaient là par la pensée...
PIERRE-LUC SEGUILLON :... Et puis la loi va se discuter à l'Assemblée nationale, les parlementaires vont la voter, probablement on aboutira à un équilibre auquel vous aurez contribué par votre pression, contredisant la pression du PC ou de certains socialistes... Et qu'est-ce qui va se passer après ? Vous allez faire la grève des négociations dans les entreprises ?
DENIS KESSLER : Attendez, on le dit très clairement. Lorsque l'on met à mal le dialogue social - comme on est en train de le mettre - si jamais la seconde loi ne reconnaît pas les accords de branche, le dialogue social est menacé dans notre pays. Ce n'est pas une menace, je dis que le dialogue social est menacé. Pourquoi ? Comment voulez-vous imaginer que demain, alors même que les accords que l'on a troussé, qui sont là, qui sont signés, entérinés, qu'on les déchire en les considérant nuls et non-avenus, le lendemain, vous croyez qu'on va se remettre autour d'une table en disant: " attendez, ne vous inquiétez pas, on va pouvoir de nouveau négocier des tas de choses, etc. ". Mais attention, l'étatisme chasse, chasse le paritarisme. Attention, l'intervention de la loi bouleverse, perturbe le dialogue social. C'est ce que nous avons dit depuis deux ans et c'est la raison pour laquelle la responsabilité du gouvernement est historique.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Un dernier mot, en quelques secondes. Est-ce que vous n'êtes pas en train de vous substituer aux partis politiques de l'opposition...
DENIS KESSLER : Certainement pas, certainement pas. Qu'on ne nous fasse pas ce faux procès, nous ne voulons pas le pouvoir d'Etat, nous n'avons rien à faire ni de l'opposition ni de la majorité actuelle...
PIERRE-LUC SEGUILLON : ... C'était un grand meeting, écoutez, Ernest-Antoine Seillière...
DENIS KESSLER : C'est un grand meeting, uniquement des entrepreneurs. Nous nous adressons au nom des entrepreneurs à la collectivité nationale nous nous sommes adressés à la collectivité...
PIERRE-LUC SEGUILLON : Le parti de l'entreprise, disait-il...
DENIS KESSLER : Nous n'avons jamais utilisé ce terme de parti de l'entreprise, ni aujourd'hui, ni au cours des mois passés. Qu'on ne nous fasse pas ce reproche, ce n'est pas vrai. Nous considérons que notre message doit être entendu par tous.
PIERRE-LUC SEGUILLON : Denis Kessler, merci. Tout de suite, on retrouve l'information sur LCI
(source http://www.medef.fr, le 9 février 2001)