Discours de M. Alain Richard, ministre de la défense, sur la défense européenne, la mise en place des structures militaires européennes, la création d'une force d'intervention rapide, les relations entre l'Europe et l'OTAN et la construction d'une industrie européenne de défense, Satory le 17 mars 2000.

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Circonstance : 141ème session régionale de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) à Satory le 17 mars 2000

Texte intégral

Messieurs les officiers généraux,
Mesdames, Messieurs les auditeurs,
C'est toujours pour moi un grand intérêt de retrouver l'Institut des hautes études de défense nationale et d'intervenir dans ses différentes sessions. Chacune est l'occasion de réaffirmer et de diffuser l'esprit qui nous anime au sein de la communauté de défense.
A l'occasion de cette 141ème session régionale, je voudrais vous dire l'importance que j'attache à la réunion autour de questions de défense de responsables aux profils si divers. L'IHEDN offre en effet un espace de dialogue et de concertation, où les différents acteurs de la société et du monde de la défense peuvent échanger sur les questions de défense. Il est donc un des lieux privilégiés du renouvellement du lien armées-nation puisqu'il renforce les relations entre les deux champs, militaires et civils, et permet un échange de compétences et de points de vue.
Ce dialogue est source d'un enrichissement mutuel. D'une part, c'est une ouverture de notre institution, et plus largement de la communauté de défense, sur la société. Cette ouverture sera redoublée puisque, ainsi formés, vous contribuerez à faire connaître les principes de notre politique de défense et à promouvoir l'esprit de défense auprès du reste de la société.
D'autre part, votre participation vous permet d'appréhender les problématiques actuelles du monde de la défense et d'y apporter, par vos travaux, des contributions intéressantes. C'est aujourd'hui, d'autant plus important que la défense ne constitue plus un champ fermé sur elle-même mais évolue dans un contexte de globalisation des activités de tout ordre. Elle doit donc de plus en plus prendre en compte des facteurs extérieurs, notamment d'ordre économique, qui eux-mêmes évoluent dans un contexte globalisé.
C'est pourquoi j'ai tenu à évoquer devant vous un thème qui à la fois est au centre des préoccupations actuelles du monde de la défense et dépasse ses seuls intérêts. Il s'agit de l'Europe de la Défense.

La dimension européenne s'est en effet très fortement affirmée au cours des deux dernières années et acquiert une portée telle qu'elle influence profondément nos décisions et nos modes d'action dans tous les domaines. Elle est aujourd'hui devenue une réalité majeure dans le monde de la défense. Au plan politique et militaire d'abord, le processus de construction d'une Europe de la Défense a connu une accélération notable depuis un an, qui s'est concrétisée, il y a quelques jours, par des progrès remarquables, avec la première réunion du Comité militaire.
C'est là le résultat de la convergence d'un faisceau de facteurs positifs. Au sein de l'Europe, la réalisation de l'Union monétaire, que beaucoup au départ considérait avec scepticisme, a marqué les esprits et relancé la dynamique européenne. Dans cette perspective, le fait que nos principaux partenaires européens se soient accordés sur la nécessité de donner à l'Europe une dimension défense constitue un facteur fondamental.
Au plan extérieur, nous avons convaincu nos alliés qu'une Europe de la défense ne serait pas une forteresse mais au contraire contribuerait à préserver et renforcer la solidité et l'efficacité de l'Alliance. Helsinki permettra des opérations militaires dans les cas où, pour une raison ou pour une autre, les Etats-Unis ne voudront pas utiliser la force.
Mais cela n'implique nullement un relâchement des liens transatlantiques : l'OTAN demeure le socle de la sécurité euro-atlantique et, en son sein, l'Europe pourra assumer son rôle et sa participation. L'effort européen et l'initiative sur les capacités de défense de l'OTAN sont des processus qui se renforcent mutuellement et qui doivent être menés dans la transparence.
Enfin, la crise du Kosovo a été un facteur direct qui nous a fait prendre conscience des efforts à fournir pour jouer pleinement notre rôle dans la sécurité en Europe : la prise de conscience du décalage entre une détermination politique forte d'un côté et des pénuries ou des insuffisances dans les moyens militaires de l'autre a relancé notre volonté commune.
Ainsi, depuis le premier mars, et dans la ligne directe des sommets de Cologne et d'Helsinki, nous disposons, certes dans une phase encore intermédiaire, des organes politiques et militaires dont nous avons besoin pour que les Européens prennent des décisions autonomes. L'UE a mis en place un comité politique et de sécurité intérimaire, un organe militaire composé de représentants des chefs d'état-major et d'experts militaires placés auprès du Secrétaire Général / Haut représentant. La mise en place simultanée des organes politiques et militaires est en effet nécessaire pour garder sa cohérence au dispositif et agir rapidement.
La mise en place des structures intérimaires permettra également de lancer les travaux sur le développement des objectifs de capacités, sous la responsabilité de l'organe militaire intérimaire, afin de respecter les délais (2003) que nous nous sommes fixés à Helsinki.
De façon pragmatique, l'objectif est d'être en mesure de déployer en 60 jours sur une durée au moins égale à un an et hors du territoire de l'Union, une force de réaction rapide de l'importance d'un corps d'armée, soit cinquante à soixante mille hommes. Cette force doit être capable de subvenir elle-même à ses besoins, c'est-à-dire disposer de moyens propres de logistique, de contrôle, de commandement, de renseignement et soutien avec l'appui d'éléments aériens et navals. Nous serons donc à terme aussi en mesure d'agir de façon autonome lorsque l'alliance en tant que telle n'est pas engagée.
Je suis conscient que la mise en uvre de nos objectifs sera peut-être longue et qu'elle ne se fera pas sans coûts. Mais je suis aussi convaincu que ce mouvement est inéluctable. A nous de faire en sorte que la phase intérimaire qui s'ouvre désormais soit brève et permette de mieux définir les missions et l'organisation des forces, ainsi que les conditions de leur intervention.
C'est pourquoi, en vue de la présidence française de l'UE, nous nous sommes fixés des objectifs ambitieux, notamment pour ce qui concerne la mise en place des capacités opérationnelles : il s'agira d'obtenir un engagement des différents pays sur leur contribution militaire à l'objectif commun. En outre, la question du financement de l'Europe de la défense ne sera pas non éludée.
Nous avons obtenu satisfaction jusqu'à présent et je tiens à souligner que les résultats obtenus en matière de sécurité et de défense l'ont été de manière rapide, compte tenu du nombre d'acteurs engagés et par rapport à d'autres étapes de la construction européenne. Je suis sûr que nous poursuivrons sur notre voie à la fois volontariste, consensuelle et pragmatique. Sur cette voie, la France jouera un rôle moteur par sa double présidence de l'UE et de l'UEO au second semestre 2000.
Par ailleurs, l'une des bases de la réussite de l'Europe de la Défense réside aussi dans la construction d'une industrie européenne de défense. La politique et la stratégie d'armement sont en effet des volets majeurs de l'Europe de la défense. La dimension industrielle doit nécessairement accompagner la dimension politico-militaire ; elle donnera à l'Europe de la défense le fondement technique et industriel qui lui est indispensable pour jouer son rôle dans l'Alliance et dans le monde, et contribuera à sa cohérence.
Sur ce point, et là encore nous avons assisté à une accélération du mouvement ces deux dernières années, l'industrie européenne de défense devient une réalité qui prend toute son ampleur. De profondes évolutions ont eu lieu, qui placent, dans un contexte d'internationalisation soutenue, les industries européennes de défense au même niveau de compétitivité que les grandes industries de défense mondiales, notamment américaines.
Une première étape a vu s'instituer une base industrielle nationale forte et compétitive. Cette étape a permis à l'industrie aéronautique et de défense française de sortir rénovée et renforcée de ces évolutions, pour lui permettre de rechercher des partenariats européens équilibrés.
L'annonce de la création d'EADS, événement majeur de l'année 1999, a confirmé cette évolution ; l'OPA amicale de THOMSON-CSF sur RACAL est le signe de la poursuite de cette dynamique ; enfin, autre annonce significative, celle de l'alliance commerciale, de THOMSON et de la DCN, en vue d'améliorer leur capacité d'exportation et de réaliser les programmes européens en coopération.
Ainsi, en acquérant, par la création de groupes multinationaux, une dimension européenne et mondiale, notre industrie renforce sa compétitivité et crée les conditions nécessaires pour relever de nouveaux défis technologiques. Désormais, ces groupes multinationaux peuvent faire entendre leur voix dans la compétition mondiale, en particulier avec nos partenaires d'outre-atlantique.
Il reste cependant à développer un dialogue social transnational au sein de ces entreprises. La mise en place d'une large concertation dans ces entreprises permettra la consolidation concrète et pratique des décisions prises, en assurant l'implication de tous les acteurs de ces groupes, à tous les niveaux.
Cette transformation européenne, dans la mesure où elle est volontaire et cohérente, assure à mon sens la place éminente de la France en Europe en matière de technologies et d'industries d'armement. Nos équipes doivent être des moteurs dans les activités industrielles de défense européennes. Ces points forts connaîtront un nouveau développement dans le cadre européen. Cette évolution s'intègre dans notre politique d'armement et les succès consécutifs seront une garantie de notre avantage technologique et de notre intégration dans les dispositifs multinationaux.

En outre, cette réalité européenne transforme très substantiellement les relations entre les Etats et les industriels de défense, et plus largement entre le politique et les activités productives de défense. Certes, ces rapports sont toujours guidés par les besoins de sécurité exprimés par les états. Mais il aurait été incohérent, et dommageable que les états, garants de la sécurité, restent dispersés, alors que les industriels se regroupaient et se concentraient.
Ainsi, sur le plan de la capacité de conduite de programme et d'achat en matière d'armement, les états européens sont en train de faire mouvement : la création de l'Organisation Conjointe de Coopération (OCCAR), véritable agence européenne de l'armement, en est l'expression. L'OCCAR a pour mission de coordonner, conduire et faire exécuter les programmes d'armement qui lui sont confiés par les états membres. Elle permet donc d'améliorer la conduite des programmes en coopération et de promouvoir des activités communes de préparation de l'avenir et de recherche.

L'Europe de la défense se construit donc en pleine cohérence à la fois sur le plan politique, sur le plan militaire et sur le plan industriel.
Je pense en effet qu'il existe un lien indissociable entre, d'une part, l'édification de l'Europe de la Défense au niveau politique et militaire et, d'autre part, la construction d'une industrie européenne de défense forte, compétitive mais humaine. Ces deux processus se renforcent mutuellement. C'est donc une véritable spirale vertueuse, une véritable dynamique qui est engagée et qui donne à l'Europe les moyens de sa politique.
Nous vivons aujourd'hui, avec la construction de l'Europe de la défense, une évolution forte, car la défense a longtemps été considérée comme un domaine sensible, espace réservé de la souveraineté nationale. C'est aussi une évolution indispensable qui va permettre à l'Europe d'être un véritable partenaire des Etats-Unis au sein de l'Alliance, en comblant le différentiel qui nous sépare d'eux dans le domaine de la défense en termes de capacités de projection, de technologies, d'industries.
L'Europe de la défense sera un facteur de l'équilibre mondial de demain.
Ce thème majeur est appelé à avoir des ramifications dans de nombreuses sphères de la société. Il souligne combien aujourd'hui l'esprit de défense ne doit pas se limiter aux seules forces armées mais doit acquérir une dimension transversale.
Voilà pourquoi j'ai tenu à vous en parler ce matin, je vous remercie.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 31 mars 2000)