Déclaration de Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés, sur l'offre de soins concernant la santé mentale, la prise en charge des soins et la prévention des troubles psychiques et des pathologies mentales, Reims le 16 juin 2000.

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Circonstance : Journées de l'UNAFAM à Reims le 16 juin 2000

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Je tiens tout d'abord à vous remercier de l'invitation que vous m'avez faite de venir aujourd'hui m'exprimer devant votre congrès. Je veux que vous soyez convaincu de l'importance que j'attache à titre personnel à la santé mentale et aux enjeux actuels auxquels elle se trouve confronté.
Je suis convaincue qu'au delà de la santé physique chacun a droit à la protection de sa santé mentale. Ce bien-être psychique peut parfois faire défaut du fait de troubles pathologiques avérés et durables qui nécessitent des soins psychiatriques.
Il peut aussi être altéré par des conditions de vie, un environnement difficile, une période douloureuse mal prise en charge. Trop tardivement détectés ces troubles peuvent déboucher sur une maladie durable aux conséquences graves. Et personne mieux que vous ne comprenez ce que je veux dire lorsque j'évoque ces éléments d'évolutivité et de durée attachés à la maladie mentale.
Voilà pourquoi je souhaite que notre pays intègre à tout moment l'offre de soins celle qui concerne la santé mentale, éducation à la santé mentale, prévention des troubles psychiques et des pathologies mentales, prises en charge diversifiées avec recherche de la plus grande égalité de l'offre de soins pour que chacun puisse accéder à des soins de qualité.
Et pourtant si la psychiatrie constitue un enjeu fort celui-ci est aussi en partie méconnu.
Plusieurs constats s'imposent en effet à nous :
- alors que sur le plan clinique les besoins sont parfois difficiles à dissocier entre ce qui relève d'une prise en charge médicale stricte et d'une prise en charge médico-sociale, il existe sur le plan législatif une ligne de partage qui parfois est une ligne de séparation depuis 1975. J'y reviendrai,
- que l'on sous-estime la maladie mentale ou qu'on la surestime, dans les deux cas il existe un risque que l'articulation nécessaire entre les prises en charge sanitaires et l'accompagnement social se coordonnent difficilement avec le risque que peu à peu le malade mental laisse place au handicapé,
- les personnels qui travaillent dans le champ de la psychiatrie ou dans le champ médico-social sont chacun en ce qui les concerne parfois un peu replié au sein de leur propre univers touché qu'ils peuvent être par un déficit d'image historiquement attaché au champ de la santé mentale,
- les malades eux-même souffrent encore de ce déficit d'image conscient ou non et très attachés à la psychiatrie.
Face à ces éléments, il paraît bien impératif de définir une articulation réelle et structurée entre le champ sanitaire et le champ social pour les malades handicapés psychiques. Rien ne serait en effet plus dangereux qu'après avoir enfin sorti la psychiatrie d'une forme de ghetto il en apparaisse un autre celui du rejet des patients stabilisés dans leur environnement familiale.
Nous sommes donc confrontés à un triple enjeu :
- un enjeu institutionnel tout d'abord : il s'agit de faire coopérer le secteur sanitaire à dominante publique avec le secteur médico-social à dominante associative,
- un enjeu politique ensuite, il s'agit de faire coopérer tout les échelons de notre vie démocratique : l'état, les régions, les départements,
- un enjeu de santé publique enfin : comment articuler lieu de soins et lieu de vie, comment échapper à ce que j'appellerais l'alternative de l'échec à savoir une hospitalisation inadéquate ou un hébergement sans soins adéquates.
Pour sortir de cette impasse comme toujours il faut d'abord en sortir par le haut. L'alternative sociale doit être conçue de façon créative en parfaite symbiose avec l'évolution des mentalités et des progrès thérapeutiques. Deuxièmement il faut que chacun des deux mondes sanitaire d'un côté et social de l'autre apprennent à vivre ensemble sans précarer. Pour cela il faut que tous malades, personnel, tutelle apprenions à ne plus être prisonniers des liens qui nous attachent. Il nous faut penser en terme de demande et de flux de patients et non pas en terme d'institution au regard des désinstitutionnalisations qui se pratiquent à l'étranger.
Il convient de donc de travailler en réseau sans hégémonie, de demeurer disponible, humble, de prouver au cas par cas son efficacité et sa compétence, de se déplacer et non de faire venir dans un lieu qui même extra-hospitalier demeure marqué par une image refusée par beaucoup à priori.
Vous l'aurez compris je pense, je me place résolument dans une logique de réseau de compétences de préférence à une logique de tissu de structure.
C'est une démarche beaucoup plus ambitieuse et vous l'avez rappelé, Monsieur le Président, elle ne peut être gagnante qu'à partir du moment où les quatre acteurs que vous avez rappelés : les usagers eux-mêmes, leur famille, les soignants ainsi que la société toute entière représentée par ses élus doivent être mobilisés vers des aspirations partagées.
En psychiatrie mais également pour d'autres disciplines du monde sanitaire, la dimension environnementale est fondamentale. Ce qui compte avant tout c'est la façon dont un service dans son ensemble conçoit son rapport à la communauté.
Vous savez que nous avons aujourd'hui à y réfléchir à nouveau, confrontés que nous sommes à la désaffection des jeunes psychiatres pour l'exercice dans le secteur psychiatrique public. Dans le cadre des protocoles que nous avons signés Martine AUBRY et moi-même, avec les acteurs du monde hospitalier au mois de mars dernier, un chantier particulier de réflexion concerne la psychiatrie. C'est aujourd'hui pour nous une priorité de redéfinir la place de chacun des acteurs du champ de la santé mentale dans l'offre de soins psychiatriques sur le territoire.
Cette nécessité d'évolution est évidemment liée à la demande croissante de prise en charge mais aussi à la diversification des publics concernés. L'attente de nos concitoyens est forte dans ce domaine et c'est l'évolution même de notre société dans son ensemble qui génère de nouvelles crises ou de nouveaux besoins.
Sans me risquer à être exhaustive il me faut au moins citer la nécessité :
- de prendre en charge les jeunes en crise,
- aider les personnes en situation d'exclusion à surmonter leurs difficultés psychologiques,
- de se préoccuper des troubles psychologiques liés à la sénescence,
- ou encore de mieux assurer le suivi des suicidants dont vous savez qu'il constitue une priorité nationale,
- sans parler de l'aide spécialisée nécessaire à tous ceux dont la dépendance à un produit quel qu'il soit ne peut être surmontée.
Pour toutes ces missions et afin de renforcer la visibilité et j'ose dire la banalisation de la santé mentale et de la psychiatrie, il importe de continuer avec détermination :
- à rapprocher les lieux de soins des lieux de vie des malades,
- à développer les alternatives à l'hospitalisation,
- et à diversifier les modes de prise en charge.
Pour ce dernier sujet qui est celui qui vous préoccupe actuellement le plus, je sais qu'il existe encore des difficultés à permettre un accompagnement médico-social des malades handicapés du fait de leur maladie psychique, tant les réponses institutionnelles sous forme de structure peuvent être partielles et parfois même inadaptées.
C'est à ce point précis que le champ de la santé rencontre celui du handicap. Vous avez noté l'attention déterminée du Premier Ministre à désigner clairement dans le champ de mes compétences ministérielles la responsabilité de la politique en direction des personnes handicapées. Cela confirme la volonté du Gouvernement de poursuivre l'engagement qu'il a pris de garantir les droits de chacun et d'assurer aux personnes handicapées la place qui leur est due dans notre société.
Il s'agit pour moi de poursuivre avec tous les partenaires concernés, y compris associatifs, le travail en commun pour créer les conditions d'un vrai choix de vie : autonomie, intégration ou accueil protégé.
Les actions conduites par les pouvoirs publics ont contribuées pendant de nombreuses années au développement de la prise en charge en institution spécialisée.
Aujourd'hui il faut désormais créer les conditions d'un vrai choix de vie, en privilégiant résolument l'autonomie des personnes et leur intégration dans la société.
Ceci est particulièrement vrai pour les handicapés d'origine psychique, dont les problématiques ne correspondent pas toujours à celles des accueils spécialisés prévus par ailleurs.
Ces formules souples d'intégration dans la ville, en lien avec les structures sanitaires de secteur, représentent une orientation complémentaire, qui nécessite comme vous l'avez rappelé, Monsieur le Président, un partenariat étroit entre tous les acteurs. Et nous sommes ici justement à Reims, je ne sais pas si c'est un hasard, mais au sein d'un département qui a justement depuis longtemps structuré une telle organisation en réseau d'intégration et d'insertion des malades mentaux stabilisés au sein de la communauté. C'est là clairement l'orientation que je souhaite promouvoir.
Vous m'avez interpellé, Monsieur le Président, au nom d'un ensemble d'associations et de partenaires, pour la mise en place d'une mission dont l'objet serait justement de faire le point des réalisations dans ce domaine et de proposer les conditions d'une prise en charge améliorée des handicapés psychiques dans notre pays. Si les modalités pratiques d'une telle mission restent à affiner, je peux vous dire que le principe d'une telle mission reçoit mon accord.
Aujourd'hui vous l'avez compris une grande politique répondant aux préoccupations des personnes handicapées et de leur famille est à l'uvre. Parallèlement une réflexion nationale s'ouvre concernant le champ de la santé mentale et l'évolution des organisations et des missions des différents acteurs qui y travaillent.
Parallèlement le projet de loi révisant la loi de 1975 constituera également une étape dans les mois qui viennent. Avec la révision de cette loi, avec la loi de modernisation du système de santé promouvant le droit des malades elle aussi déposée prochainement par le parlement, j'ai le sentiment que nous sommes en train de faire progresser l'idée de démocratie dans le monde de la santé et dans celui du handicap. Cette cause nourrie mon enthousiasme vous le savez.
Mais je sais que la réussite de notre action passe par l'engagement de tous les acteurs concernés c'est à dire de vous-même à quelque niveau que vous vous trouviez. C'est pour cela que j'attache une importance capitale à l'écoute et à la concertation entre nous car une politique ne peut réussir que si elle traduit les aspirations de ce qu'elle implique. Je suis certaine que le dialogue que nous menons se poursuivra de façon positive et constructive.
J'aimerai conclure en vous faisant part de ma conviction profonde : la politique que nous menons vise à changer durablement et profondément le regard que porte notre société sur la personne handicapée. Je souhaite aussi que même dynamique conduise à sortir la maladie mentale de l'isolement dans lequel bien souvent la société l'a rejeté.
Soyez assuré de ma détermination sans failles pour progresser encore avec vous dans cette voie.
(Source http://www.sante.gouv.fr, le 4 juillet 2000)