Texte intégral
Monsieur le Ministre d'Etat,
Madame et Monsieur les Ministres,
Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,
Laissez-moi vous dire à quel point je suis heureux d'ouvrir cette Année de l'Algérie. Et permettez-moi aussi de vous dire pourquoi.
Il y a deux ans, les présidents Jacques Chirac et Abdelaziz Bouteflika ont souhaité que la France et l'Algérie se donnent rendez-vous en 2003, pour "sceller les retrouvailles des deux pays". "Djazaïr, une Année de l'Algérie en France" ne sera pas, vous l'imaginez bien, un rendez-vous comme les autres. Il s'agit d'un rendez-vous ardemment espéré, longtemps attendu, longuement préparé.
Il s'agit, aussi, d'un parti pris courageux.
Courageux parce que notre monde vit à l'heure de tous les dangers. Les nouvelles menaces qui pèsent sur notre avenir se font plus pressantes, et l'on assiste à un retour de tentations qui, dans l'histoire, ont toujours mené au pire. La tentation du repli sur soi, du réveil des identités agressives ou guerrières, en réaction à un monde qui tend à s'uniformiser. La tentation aussi de la fuite en avant, du recours à la force, de l'affrontement.
L'Année de l'Algérie va exactement à l'opposé de ces tentations. Son ambition est d'ouvrir le champ du dialogue, d'instaurer le partage et la culture au cœur des relations entre les peuples. Car l'art est toujours le ferment du changement. Il est le trait d'union entre les nations et les individus. Il guide la conscience des peuples, comme l'étoile guide le voyageur.
C'est un parti pris courageux, du fait aussi des liens passionnels que l'histoire a tissés entre nos deux pays, unis à la fois par une fascination et une affection réciproques, à la fois par des souvenirs d'épreuves et de douleurs. Je pense aux Algériens, aux rapatriés et aux harkis. A tous ceux qui ont souffert. Nous ne devons ni ne voulons occulter les pages difficiles de cette relation.
Au regard de l'Histoire, la France et l'Algérie ont manqué plus d'un rendez-vous. Car le dialogue n'est jamais simple, lorsqu'il s'instaure dans le doute et le désarroi. Il faut du temps pour parvenir à la reconnaissance de l'autre, pour adhérer à cette phrase de Mohamed Dib : "Les hommes sont semblables et différents, nous les décrivons différents pour qu'en eux vous reconnaissiez vos semblables."
Pourtant, le dialogue n'a jamais cessé entre nos deux cultures, transcendant les disciplines et se fécondant en une multitude de regards croisés. Il nous revient à tous des images, des bribes éparses de ce dialogue morcelé, lacunaire, formant les fragments d'un album de mots, d'images, de musiques familières, que nous aspirons aujourd'hui à redécouvrir.
Dans cet album, on retrouverait la figure de l'émir Abdel Kader, soldat indomptable et chevalier mystique. On y verrait le peintre Etienne Dinet, né à Paris, enterré à Bou Saada, après sa conversion à l'islam et qui fut à l'origine de la création de la Mosquée de Paris. On y verrait Eugène Fromentin parcourant l'Algérie, mais aussi Baya, née à Alger, au talent célébré par André Breton et exposant à la galerie Maeght en 1947, ouvrant la voie à la prodigieuse explosion de l'art algérien d'aujourd'hui, l'un des plus vivants et des plus imaginatifs de l'espace méditerranéen.
Il y aurait aussi une bibliothèque idéale où se poursuivraient, autour de la revue Fontaine, de rudes passes d'armes entre Albert Camus et Kateb Yacine et des conversations plus feutrées entre Mohamed Dib et Max-Pol Fouchet ou Jean Amrouch.
Il y aurait ensuite "la symphonie algérienne" de Camille Saint-Saëns, répondant à la musique du film "Pépé le Moko" composée par Mohamed Iguerbouchen.
Et, les images se bousculant, on reverrait Mohammed Lakhdar-Hamina recevant la Palme d'Or à Cannes en 1975 pour la chronique des "années de braise", l'uvre de Picasso honorée à Alger en 1988, et, toujours inscrites dans le paysage algérien d'aujourd'hui, les architectures de Fernand Pouillon fasciné par le M'zab.
Il nous faut aujourd'hui reprendre le fil de ce dialogue, de cette effervescence artistique qui mène à la découverte d'un héritage commun. Car nos sociétés sont plus que jamais empreintes d'un profond brassage humain et culturel, fortes de cette proximité géographique, mais surtout, comme l'avait souligné Jacques Berque, "historique et essentielle", à partir de laquelle l'âme de nos peuples se mêle intimement.
La France et l'Algérie ont besoin de se retrouver. Elles ont besoin de pouvoir mettre des mots, des gestes, des images, des musiques, sur ce qui pendant trop longtemps n'a pas été exprimé.
C'est à nous, Français et Algériens, de savoir maintenant reprendre l'histoire en marche. A nous de montrer notre capacité à convertir le passé en une force de partage, de mouvement, de dynamisme. A nous de nous tourner main dans la main vers l'avenir et de le construire ensemble.
Et je voudrais dire ici mon admiration et mon enthousiasme pour ce défi hautement symbolique que représente l'Année de l'Algérie en France.
Je voudrais dire ma joie de constater que ce sont notamment la culture et les arts qui nous permettent de sortir d'un temps de silence et de méfiance, se plaçant ainsi à l'avant-garde des relations franco-algériennes.
Je voudrais dire ma fierté de voir tous ces auteurs, ces créateurs, qui s'engagent et se font passeurs de culture. De voir toutes ces villes, ces régions, ces départements, se mettre en mouvement pour faire vibrer ensemble nos deux peuples, en harmonie avec ce qu'ils ont de plus humain, de plus vital.
D'Arles à La Rochelle, de Bordeaux à Paris en passant par Angers ou Clermont-Ferrand, les projets auxquels cette rencontre permettra de voir le jour reflètent la diversité de chacun de nos deux pays. On dénombre plus de 1800 manifestations culturelles qui seront organisées en 2003 sur tout le territoire français. Aucun domaine artistique n'est oublié : grandes expositions et concerts populaires, théâtre, beaucoup de cinéma mais aussi de la poésie, des arts plastiques, de la danse. Toutes les époques de l'histoire de l'Algérie, de l'Antiquité à la création contemporaine, vont ici vivre d'un souffle nouveau, marqué du sceau de l'ouverture et de l'amitié. Moment d'échange et de partage, l'Année de l'Algérie se veut unique par son ampleur, exceptionnelle par sa qualité.
Oui, l'Algérie a mille visages, et il nous faut aujourd'hui les redécouvrir. C'est une terre d'échanges, de lumière, qui a su intégrer et adapter depuis l'Antiquité les apports des civilisations berbère, romaine, puis chrétienne, arabe et musulmane. Une terre riche aussi de la Francophonie, que lui a léguée l'Histoire. "Le mérite d'une langue, soulignait le Président Bouteflika à Beyrouth en évoquant le français, n'est pas seulement d'être l'expression d'une civilisation, mais de servir de lien entre des civilisations différentes, et d'assurer ainsi non seulement leur compréhension mutuelle, mais l'enrichissement de chacune d'elles par les autres."
Et c'est ainsi que nous, Français, n'avons qu'à nous féliciter de la participation de la langue française, aux côtés de l'arabe et de l'amazigh, à la créativité algérienne dans bien des domaines ; celui du droit et des sciences économiques ou sociales. Mais aussi celui de la littérature, où l'uvre de vos poètes et de vos romanciers fait partie désormais de notre patrimoine, de Malek Haddad à Rachid Boudjedra, en passant par Assia Djebar.
Que cette saison culturelle permette de tisser de nouveaux liens, de développer de nouveaux partenariats à tous les échelons. Au-delà de l'année 2003, le programme permettra d'engager des coopérations de long terme entre Etats, mais aussi entre collectivités locales, entre institutions culturelles et entre universités. J'insiste sur ce point qui est fondamental : les relations entre la France et l'Algérie ne sont pas affaire des seuls Etats. Les peuples aussi y ont nécessairement leur part.
L'Année de l'Algérie, c'est aussi l'occasion de tendre la main à un pays qui aspire à la paix et à la prospérité, parallèlement à la visite d'Etat du Président Chirac au début 2003, qui marquera notre volonté d'approfondir nos relations, tant sur le plan politique que sur celui de la coopération et de l'économie. Que cette saison culturelle libère la créativité, les énergies, le dynamisme qui, en Algérie, ne demandent qu'à s'épanouir.
Je crois profondément que cette rencontre est importante pour nos deux peuples dans leur ensemble. Je pense en particulier aux Français d'origine algérienne, qui portent en eux cette diversité et peuvent être fiers de leur double racine. Certains de ces Français, on le sait, connaissent parfois sur notre sol des difficultés d'intégration. D'autres, nombreux, dont on parle moins, tirent profit de cette dualité intime qui est la leur. L'Année de l'Algérie doit contribuer à leur donner conscience de la chance que constitue ce double héritage.
Mais allons aussi au-delà de nos deux pays. Avec cette Année de l'Algérie, adressons au monde un message d'ouverture et de tolérance, un message de paix et d'espoir, lancé aujourd'hui par nos deux peuples. Un message qui ouvre la voie de la concorde et de l'écoute, face à un monde bousculé par la peur. Développons sans relâche des correspondances du cur et de l'esprit, des pôles d'entente et d'affinité, des partenariats privilégiés, dont le monde a besoin pour assurer sa stabilité.
A l'heure où l'Europe va s'ouvrir vers l'est avec l'élargissement de l'Union, je voudrais dire à nos amis du Sud de la Méditerranée que nous ne les oublions pas. La France est là, pour se faire l'avocat d'une coopération renforcée entre l'Europe et le Maghreb. La refondation des relations euro-méditerranéennes, que nous avons engagée ensemble il y a quelques années, est un défi au sein duquel la France et l'Algérie ont toutes deux un rôle moteur à jouer. Le dialogue entre nos deux pays doit devenir un pilier de cet axe d'entente et d'entraide.
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
L'Année de l'Algérie en 2003 sera riche et passionnante. Elle montrera de ce pays un extraordinaire patrimoine, un visage de créativité, de force et de jeunesse. La France et l'Algérie, unies aujourd'hui autour de ce projet commun, vous remercient d'être au rendez-vous. Votre engagement plein et entier conférera à cet événement toute la dimension qui lui revient. Il déterminera son succès. Il témoignera de notre capacité à être inventifs, créatifs, novateurs, au service de ce monde plus tolérant, plus juste, plus fraternel, que nous voulons bâtir ensemble
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 novembre 2002)