Déclaration de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, sur la politique culturelle du ministère des affaires étrangères et l'importance du livre et de l'écrit dans les relations internationales, Paris le 10 mars 1997.

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Circonstance : Réception au ministère des affaires étrangères à l'occasion du Salon du Livre, Paris le 10 mars 1997

Texte intégral

Je suis très heureux d'accueillir ce soir au ministère des Affaires étrangères, à l'occasion du Salon du Livre, des écrivains, des éditeurs, des traducteurs, des bibliothécaires français et étrangers et tout particulièrement des écrivains et éditeurs japonais puisque, cette année, le Japon est le pays invité d'honneur du Salon du Livre, ainsi que des éditeurs et traducteurs venus de quinze pays que nous avons invités à la rencontre professionnelle qui a eu lieu cet après-midi sur le thème Lire les auteurs français à l'étranger".

Ce plaisir de vous recevoir tient au fait indiscutable que c'est grâce à vous que le Livre existe. Or vous le savez, le Livre et plus généralement l'Ecrit est ici, dans ce ministère, chez lui.

D'abord parce que toute la vie diplomatique est liée à l'Ecrit. Nous utilisons bien sûr les technologies les plus avancées de l'information et de la communication mais aussi, dépêches et télégrammes écrits. Quant aux relations internationales, bilatérales ou multilatérales, elles font toujours l'objet minutieux et solennel de résolutions, protocoles, accords, traités, très rigoureusement rédigés et qui font la richesse exceptionnelle de nos archives diplomatiques.

Une autre raison de l'importance donnée ici à l'Ecrit, c'est la présence de nombreux écrivains parmi les personnalités qui ont rempli des missions diplomatiques. Je ne citerai pour le passé que Rabelais (un étrange diplomate il est vrai), le Cardinal de Retz, la Rochefoucauld, Saint-Simon, Voltaire, Beaumarchais (un peu espion), Chenier, Chateaubriand (qui fut ministre), Lamartine, Stendhal, Tocqueville (qui fut aussi ministre), Gobineau, Giraudoux, Morand, Saint John Perse. Je pense bien sûr à Paul Claudel qui fut ambassadeur au Japon, et fut si durablement marqué par son séjour dans ce pays où il vécut et décrivit le grand tremblement de terre de 1923. Pour les temps présents, je limiterais mes citations aux membres de l'Académie Française : Jacques de Bourbon-Busset, Jean-François Deniau, Alain Decaux, Alain Peyrefitte, Pierre-Jean Rémy, Maurice Schumann, et j'ajouterai un grand homme d'Etat qui incarne à lui seul la Francophonie dans ce qu'elle a de plus universel et de plus généreux, Léopold Sedar Senghor.

Enfin, autre raison, le ministère des Affaires étrangères, qui en raison des missions qui lui sont confiées est aussi le ministère en charge de promouvoir la culture française à l'étranger, met en oeuvre dans le domaine culturel une politique de diffusion, mais aussi de coopération, d'échanges. Or, l'Ecrit, le Livre sont les instruments traditionnels mais irremplaçables de l'échange. Car les Cassandre ont eu tort : l'apparition de nouvelles technologies n'a pas provoqué la disparition ou le déclin du Livre même si elle a eu des effets sur la pratique de la lecture. Au contraire, le Livre, vecteur par excellence des libertés et en particulier de la liberté individuelle, de la liberté de pensée, prospère avec le développement, chaotique peut-être, mais irrésistible de celles-ci. La libération des peuples, dans la dernière décennie, a été marquée par cette évidence, aussi fortement peut-être qu'au moment de la renaissance humaniste ou à celui des Lumières.

Demain comme hier, la réputation et l'influence de notre pays dépendront de sa faculté de création dans les domaines littéraire, artistique, technique et scientifique. Pour informer ceux qui dans le monde demeurent attentifs à ce qui se fait en France, le ministère des Affaires étrangères s'efforce certes d'utiliser les techniques les plus efficaces et les plus actuelles. Il n'en est pas moins convaincu que le Livre reste un support irremplaçable de notre langue, de notre pensée, de nos créations et de nos inventions.

Chaque année, nous envoyons un million de livres dans les bibliothèques du monde entier, nous souscrivons 20 000 abonnements, nous aidons 300 auteurs français à voyager et recevons 300 étrangers.

Mais, le livre français n'est pas forcément en français. Ce serait en effet préconiser une Francophonie étroite que de penser que tout doit être, d'abord, écrit en français. C'est par les traductions que, souvent, est offert un premier accès à notre littérature, et bientôt à notre langue. Ce sont elles, quand elles sont de qualité, qui créent le désir de France, et le désir de langue française. Ce sont elles, également, qui permettent le mieux d'adapter nos messages et nos modes de vie au génie de toutes les cultures qui les reçoivent ainsi. C'est l'objet de nos "programmes de participation à la publication" dont le Salon du Livre donne, cette année, l'occasion de voir les premiers résultats après 6 années de mise en oeuvre : programme Pouchkine en Russie, Tagore en Inde ou Drummond de Andrade au Brésil ; plus de 2000 titres ont ainsi été traduits dans 56 pays. C'est une politique de long terme, à laquelle nous croyons et que nous poursuivrons ensemble.

Je crois profondément que la réputation et l'influence de notre pays dépendront aussi de sa fidélité à un principe qu'il a toujours appliqué, le principe de l'échange. Nous voulons toujours être un pays qui accueille la culture des autres, qui veut d'autant plus et peut d'autant mieux diffuser sa culture qu'il a su recevoir, défendre et s'enrichir des vertus civilisatrices des autres cultures.

Cette politique de diffusion et d'accueil est la nôtre ici aux Affaires étrangères. C'est celle de tous les pouvoirs publics, et en particulier du ministère de la Culture, c'est aussi de plus en plus celle des régions, des départements, des communes auxquels nous apportons notre soutien pour la mettre en oeuvre. Mais cette politique n'a de chance de réussir que si elle résulte d'une collaboration constante, ouverte, avec tous les milieux professionnels du monde des lettres, des arts et des sciences, avec les écrivains, les artistes, les éditeurs, les traducteurs, les bibliothécaires français et étrangers. Et c'est pourquoi, je suis particulièrement heureux ce soir de vous recevoir ici dans cette Maison, celle du respect religieux de l'Ecrit, celle des Affaires étrangères qui doivent être, aussi souvent que possible, à l'écoute des cultures du monde.

Je voudrais conclure en disant combien à travers les voyages que je fais dans le monde, je suis impressionnée et ému de croiser si souvent l'amour de la langue et de la culture française. Il y a quelques mois, j'étais en Géorgie et après la réception officielle de M. Chevarnadzé, président qu'il nous avait offert, l'une des vice-présidentes du Parlement géorgien a invité à terminer la soirée avec quelques amis géorgiens chez elle. Quand on l'a connaît, c'est naturel. Elle a, ce soir-là, spontanément récité des vers de Baudelaire comme je ne les avais jamais entendus. Pour elle, c'était sa jeunesse qu'elle exprimait ainsi. C'était sa découverte du monde la culture et de la littérature française et que trente ans après elle exprimait avec une chaleur et une passion juvénile. Quand vous allez en Roumanie, vous êtes impressionnés par la familiarité des élites de ce pays avec la langue française. Partout dans le monde, vous croisez cette passion que notre langue a suscitée. Nous partons demain avec le président de la République, qi va effectuer une grande tournée en Amérique latine, sur les pas du général de Gaulle, il y a trente ans. Nous avons reçu à Paris le président Benazi. Il était venu avec sept ou huit ministres, une délégation importante de fonctionnaires et de chefs d'entreprise brésiliens, tous parlaient un francais impeccable. Et le président du Brésil a prononcé son discours en francais. Naturellement il avait un texte, comme moi aujourd'hui devant vous, et il pouvait aussi s'arrêter et accompagner son texte de commentaires dans une langue impeccable. Parfois, nous avons le sentiment que hier était aujourd'hui. Je ne sais pas si c'est vrai mais il en reste encore dans l'onde des traces éminentes, remarquables et somme toute, pour nous, qui sommes fiers de notre langue, des traces émouvantes. Vous tous qui êtes écrivains, auteurs, éditeurs, traducteurs, diffuseurs, vous êtes aussi pour une part à charge, comme nous le sont tous ensemble, de ce patrimoine qu'est notre langue, de faire en sorte qu'elle continue d'être aimée, chérie, respectée à travers le monde et je suis heureux qu'aujourd'hui nous puissions nous réunir pour célébrer, d'une certaine façon, la fête de la langue française. Merci.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 octobre 2001)